Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 2 mars 2021 à 14h30
Réforme en cours de l'éducation prioritaire — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe CRCE de ce débat.

La France est l’un des pays de l’OCDE où le lien entre la condition sociale de l’élève et sa performance scolaire est le plus fort. En d’autres termes, notre système éducatif est l’un de ceux qui reproduisent le plus les inégalités sociales ; et voilà plus de dix ans que notre pays trône dans les hauteurs de ce classement.

Cette réalité doit alerter celles et ceux qui font de l’école le pilier de l’émancipation des hommes et des femmes : nous devons regarder en face un système en panne. Elle est ressentie par toutes et tous, à commencer par les enseignants.

Le 25 janvier dernier, et durant les dix-sept jours suivants, deux enseignants du collège Lucie-Aubrac de Givors, au sud de Lyon, ont entrepris une grève de la faim pour demander le classement de leur établissement en REP : dix-sept jours pour demander de l’attention ; dix-sept jours pour demander des moyens pour leurs élèves et leur réussite scolaire ! Ce courage doit tous nous faire réagir.

Nous devons envisager différemment la lutte contre les inégalités, car notre politique d’éducation prioritaire fonctionne mal.

Doter en moyens humains et financiers les établissements selon des critères sociaux, alléger les classes pour assurer un meilleur suivi des élèves, renforcer la formation des enseignants : tous ces outils sont cruciaux.

Pourtant, les écarts dans la maîtrise des compétences de base en français en troisième sont actuellement de l’ordre de 35 % entre collèges des réseaux Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite, ou Éclair, et collèges hors éducation prioritaire.

Madame la secrétaire d’État, ce chiffre nous appelle à repenser le système ; et c’est face à ce constat que votre gouvernement engage la refonte de l’éducation prioritaire.

Selon les quelques informations que nous avons obtenues jusqu’à présent, cette réforme se résume ainsi, dans ses grandes lignes : exit les établissements classés en REP – seuls les REP+ devraient être pérennisés ; exit la logique de réseau entre établissements – désormais, la contractualisation sera de mise, avec des moyens en fonction des besoins des établissements, mais selon des critères établis au niveau national.

L’ensemble de ces mesures doit être expérimenté dans trois académies à compter de la rentrée prochaine, en vue d’une généralisation en 2022.

Cette réforme, qui n’est pour l’instant qu’une esquisse, inspire plusieurs craintes.

Tout d’abord, qu’en sera-t-il du financement ? Lors de votre audition au Sénat en décembre dernier, vous avez annoncé que l’expérimentation se ferait à moyens constants, mais avec des moyens supplémentaires alloués.

Outre l’évidente contradiction entre ces deux affirmations, la question financière est au cœur du problème. En effet, si la logique de contractualisation est poussée à son terme, avec la volonté d’inclure de nouveaux établissements, le tout sans augmentation significative des moyens, des transferts financiers auront nécessairement lieu entre les établissements en difficulté. Il y aura forcément des gagnants et des perdants, sans que l’on sache aujourd’hui qui sera précisément concerné, ni si les établissements seront mis en concurrence.

Vient ensuite la question des critères. À cet égard, je relève une autre incohérence : vous voulez, d’une part, établir des critères nationaux objectifs pour ouvrir droit à cette nouvelle politique et, d’autre part, laisser la porte ouverte à la contractualisation, avec tout l’arbitraire qu’elle implique. Un tel choix pourrait créer de fortes disparités entre les territoires et même entraîner une rupture d’égalité.

Je le relève à mon tour : la réforme proposée pose également la question de l’enseignement privé.

Lors d’une conférence de presse, le secrétaire général de l’enseignement catholique s’est réjoui de l’entrée du privé catholique dans la nouvelle politique de l’éducation prioritaire.

Ce qui favorise la réussite d’une communauté éducative, c’est normalement la mixité entre des élèves bons et moins bons, issus de milieux plus ou moins aisés. Or le privé assèche certains territoires en attirant dans ses établissements les bons élèves qui peuvent se le permettre. Son action va à l’encontre des principes mêmes d’une politique éducative soucieuse de réduire les inégalités.

Dès lors, comment concevoir que ces établissements prétendent à des moyens et des fonds normalement dévolus à des structures en difficulté ? Cette décision est extrêmement problématique.

Madame la secrétaire d’État, nous ne réduirons pas les inégalités éducatives, qui sont, je le rappelle, les inégalités de revenu, de salaire et de logement, à périmètre financier constant, avec plus de bénéficiaires et en faisant des cadeaux à l’enseignement privé. Il nous faut, à l’échelle nationale, une grille claire et transparente de répartition des crédits, progressive, sur la base de critères socio-éducatifs et de mixité.

Pour réduire réellement les inégalités, il faudra transférer des fonds depuis les établissements qui réussissent le plus et qui ont le plus de moyens vers ceux qui sont en difficulté.

Au travers du logement social, nous travaillons à la mixité urbaine, en fixant un cadre de répartition afin que les villes les plus aisées prennent leur part. Dans la même logique, il est temps de travailler à la mixité dans nos établissements en fixant un cadre clair reposant sur des critères objectifs. Ce sera non pas un nivellement vers le bas, mais une politique solidaire, s’attaquant aux inégalités dans les deux sens.

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » : en vertu de ce principe, qui est celui de notre sécurité sociale, tout le monde doit contribuer à l’intérêt général !

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