Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’économie sociale et solidaire, ou ESS, regroupe l’ensemble des structures économiques dont le statut, l’organisation, le fonctionnement et l’activité sont fondés sur les principes de la solidarité, de l’équité et de l’utilité sociale. Leur objectif est de favoriser la création d’emplois dans une perspective d’insertion ou de réinsertion, ainsi que d’une plus grande cohésion sociale.
Principalement constituées en associations, en mutuelles, en coopératives ou en fondations, les entreprises de l’ESS adoptent des dispositifs de gestion et de décision participatifs et démocratiques, avec un encadrement strict de l’utilisation des résultats financiers – pas de profit personnel, réinvestissement des bénéfices.
Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nombre de nos concitoyens participent ou ont affaire à des entreprises de l’ESS sans s’en douter. Ce déficit de notoriété, auprès des citoyens comme des décideurs politiques, est bien l’un des soucis majeurs de ce qui peut être considéré comme un modèle économique alternatif et différent.
De plus, si certaines des entreprises de l’ESS répondent à ces principes originels, d’autres, au fil du temps, ont eu tendance s’en éloigner ou, a minima, à moins les brandir en étendard.
Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas d’une sorte de reproche, car toutes les entreprises de l’ESS partagent toujours ces principes, mais ces derniers ne sont souvent ni rappelés ni connus des nouvelles générations et de nombre de décideurs, la perte de reconnaissance amenant ainsi à une perte de connaissance.
Aussi, au travers de ce débat, souhaité par le groupe GEST, nous souhaitons mieux faire connaître ce que porte et représente l’ESS, alerter sur la fragilisation de ses structures pendant la crise sanitaire et sur sa place dans les plans de relance économique, et, enfin, formuler des propositions lui permettant de peser de tout son poids dans la perspective de la transition écologique, sociale et solidaire qui nous apparaît impérative.
Les différents acteurs de l’ESS se sont donc structurés peu à peu pour défendre et promouvoir ses valeurs et encourager son financement par la mise en place de partenariats, tant publics que privés.
En France, parmi les organisations les plus représentatives, on peut citer le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, le CNCress, le Mouvement associatif, Coop FR, qui est le mouvement des coopératives, le Mouvement des entrepreneurs sociaux, ou Mouves, la Fédération nationale de la mutualité française, et j’en passe.
Le poids économique est de plus en plus significatif : 2, 4 millions de salariés, dont 68 % de femmes ; 22 millions de bénévoles ; 222 000 structures labellisées ESS ; 10, 5 % de l’emploi total ; 14 % des emplois privés ; 10 % du PIB ; 35 millions d’adhérents à une mutuelle de santé. Dans les territoires fragiles, elle représente 22 000 établissements et 161 000 salariés en milieu rural, ainsi que 10 000 établissements et 104 000 salariés dans les quartiers de la politique de la ville.
Le modèle le plus connu, celui de la coopérative, est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement.
La coopérative est un des uniques modèles économiques qui permette réellement de concilier performance économique, respect de l’humain, gouvernante démocratique, création d’emplois durables et innovation.
Il faut noter le cas unique de Railcoop, une entreprise ferroviaire, et les expériences de coopératives créées par les travailleurs après une faillite ou un conflit social, comme Scop-Ti, producteur de thés à Gémenos, symbole de la pérennité des coopératives se substituant à des entreprises capitalistes classiques qui se mettent en faillite.
En 2018, quelque 22 600 entreprises coopératives en France emploient 1, 3 million de salariés. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS, complétée en septembre 2016, est destinée à fixer et consolider les règles et la gouvernance de l’économie sociale et solidaire, ainsi que ses modes de financement. Elle ouvre notamment l’ESS aux structures à statut commercial, optant pour ses principes et intégrant des objectifs d’utilité sociale.
La loi prévoit en outre un dispositif d’agrément réactualisé dit « ESUS ». Elle marque la reconnaissance législative « d’un mode d’entreprendre différent ». Elle permet notamment de définir clairement une organisation nationale et régionale de l’ESS. Il apparaît essentiel de ne pas toucher à ce socle légal.
La crise sanitaire a vu, comme pour l’ensemble des acteurs économiques, les activités et les emplois de l’ESS fortement touchés, notamment dans les secteurs des services d’action sociale, de l’éducation et des services à la personne.
Le secrétariat d’État a mobilisé un fonds d’urgence de 30 millions d’euros pour les structures du secteur de moins de 10 salariés. Pour autant, plus globalement, d’après vos propres chiffres, madame la secrétaire d’État, l’ESS ne pèse que 1, 3 milliard d’euros sur les 100 milliards d’euros du plan de relance, alors qu’elle représente un emploi sur dix et mobilise 22 millions de bénévoles.
J’en viens aux pistes pour le devenir de l’économie sociale et solidaire, que je tenais à mettre en avant.
La loi de 2014 apporte une reconnaissance des acteurs représentant l’ESS aux échelons régional, avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les Cress, et national, avec ESS France. Elle a surtout fixé un certain nombre de dispositions essentielles à l’organisation de ces acteurs, et au développement, à l’identification et à la structuration territoriale du secteur.
Les financements de l’État, en contrepartie de ses missions, oscillent, selon la taille des Cress, entre 60 000 euros et 130 000 euros, soit à peine deux à quatre équivalents temps plein, ce qui ne leur permet pas de remplir correctement les missions légales qui leur sont confiées. Sans entrer plus dans le détail, il conviendrait de donner des moyens qu’elles n’ont pas actuellement aux chambres consulaires que sont les Cress, au même titre qu’aux chambres de commerce.
Toujours sur les financements publics, les crédits déconcentrés reçus de l’État sont relativement inchangés depuis 2014. Cette part est assez faible, et, surtout, il en résulte que les actions et projets au-delà du socle de missions communes varient fortement d’un territoire à l’autre.
Les Cress ont dû développer des relations avec les conseils régionaux. Cela représente l’avantage d’une meilleure adaptation territoriale, mais a pour conséquence de rendre difficile une consolidation à l’échelle nationale de leurs données, notamment dans l’analyse et la qualification des besoins des entreprises de l’ESS.
Nous jugeons indispensable un renforcement des crédits déconcentrés, pour assurer le financement de ce socle et ouvrir de nouvelles actions d’accueil, d’information et d’orientation permettant de consolider la qualification de la chaîne de l’accompagnement à l’échelle nationale.
Il est également nécessaire d’établir un état des lieux périodique du financement de l’ESS, qui en décrirait les caractéristiques et tendances, estimerait les besoins de financement futurs par famille et secteur, et, enfin, suggérerait les adaptations. Cet état des lieux requiert la mise à disposition par l’administration de données en open data.
Par ailleurs, il importe de garantir l’accessibilité aux dispositifs ouverts aux entreprises commerciales pour toutes les entreprises de l’ESS.
Il devient aussi urgent de rappeler aux décideurs publics que de nombreuses entreprises de ce secteur ne bénéficient pas forcément de l’agrément ESUS. Aussi, une vigilance particulière dans l’application des politiques publiques et la mise à disposition des fonds dédiés devrait s’exercer afin de s’assurer que ces entreprises parviennent réellement à bénéficier des aides ciblées.
Le mouvement associatif, acteur important de l’ESS, a souligné un fort taux de non-recours aux dispositifs de soutien mis en place, en raison non seulement de l’inadaptation de certains dispositifs, mais également de difficultés d’accès à l’information et du manque d’ingénierie pour la recherche et l’obtention de ces financements.
Pour y remédier, nous pourrions proposer le développement d’une cotisation foncière des entreprises, une CFE, propre aux entreprises de l’ESS gérée par les Cress. Par ailleurs, il pourrait être prévu dans les appels à projets une aide ou un financement permettant l’accessibilité dudit appel à projets à l’ensemble de ces structures.
Il apparaît aussi indispensable de restructurer les fonds propres des petites entreprises de l’ESS, en permettant aux associations dont l’activité dépend d’une tarification publique ou de subventions pour délégation d’action la mise en réserve d’une partie de leur résultat d’exploitation.
Au-delà, mieux financer l’innovation sociale doit être au cœur de notre réflexion. Nous pourrions par exemple envisager de favoriser la reprise d’entreprise, notamment dans le cas de départ à la retraite de l’employeur. Là encore, cela nécessiterait plus de moyens pour les Cress.
Enfin, pourquoi ne pas explorer de nouvelles pistes au travers d’un partenariat avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisi et confisqués, organisme qui gère les biens immobiliers confisqués par l’État dans le cadre d’une procédure pénale ?
Il s’agirait de mettre ces derniers à disposition d’associations reconnues d’intérêt général ou d’entreprises solidaires d’utilité sociale agréées à des fins de réutilisation sociale.