Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 3 mars 2021 à 15h00
Accord de commerce et de coopération entre le royaume-uni et l'union européenne — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 23 juin 2016, coup de tonnerre ! Qui imaginait alors qu’un État membre puisse quitter l’Union européenne ? C’est pourtant bel et bien arrivé ! Le Brexit est un événement inédit dans l’histoire de l’Union européenne. Ce n’est pas un événement heureux, mais cela a le mérite de rappeler que nul n’est prisonnier du projet européen.

Les négociations que le Brexit a impliquées n’ont pas été un long fleuve tranquille, en raison des péripéties internes de la vie politique britannique et de la pandémie, mais elles ont également eu une vertu : celle de manifester l’unité des Vingt-Sept et de révéler le prix qu’ils accordent au marché unique, désormais clairement identifié comme l’acquis majeur de la construction européenne.

Grâce à la ténacité de Michel Barnier, ces négociations se sont conclues à Noël par un accord substantiel qui satisfait les deux parties. Pourtant, comme l’a indiqué Michel Barnier lors de son audition, le 16 février dernier, c’est bien un accord « perdant-perdant », car le Brexit ne profite à personne. Néanmoins, cet accord minimise les pertes.

Sur l’initiative du groupe de suivi du Brexit, créé en 2016, le Sénat a adopté, voilà un an, une résolution européenne sur le mandat de négociation confié par les Vingt-Sept à Michel Barnier. Nous avons ainsi pu fixer nos lignes rouges. Au terme des négociations, Christian Cambon et moi-même avons sollicité l’organisation de ce débat en séance publique sur l’accord finalement conclu, car l’importance de celui-ci est grande pour l’Union européenne. En effet, 3, 5 millions d’Européens vivent au Royaume-Uni et ce pays représente 15 % des exportations extracommunautaires.

Notre résolution du mois de mars 2020 a globalement été suivie d’effets.

De fait – c’était l’objectif principal, tant nos économies sont imbriquées –, l’accord de commerce et de partenariat permet la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ; il garantit l’absence de quotas et de droits de douane. En contrepartie, pour prévenir tout dumping susceptible de fausser ce libre-échange, le Royaume-Uni s’engage doublement, d’une part, à ce que l’octroi des aides d’État soit encadré par des principes communs, d’autre part, à ce que le niveau de protection réglementaire applicable dans l’Union européenne à la fin de la période de transition soit maintenu, en matière sociale et environnementale.

Sur ces deux volets, si le Royaume-Uni était tenté de diverger, l’Union européenne pourra adopter des mesures compensatoires, y compris des suspensions croisées, rétablir des tarifs, voire tout remettre en cause. Cette clause dite de « non-régression » est une première dans un accord commercial et assure une concurrence loyale.

Par ailleurs, le volet relatif à la pêche a été intégré à l’accord final, comme le demandait le Sénat. Le combat a été difficile, surtout en raison de son enjeu symbolique pour le Royaume-Uni, qui voulait retrouver sa souveraineté dans ses eaux. In fine, l’accès aux eaux britanniques est garanti pendant cinq ans et demi et nos quotas de pêche y sont certes réduits – c’était inévitable –, mais de 25 % seulement au cours de cette période. N’oublions pas que l’absence d’accord aurait privé nos pécheurs des 650 millions d’euros qu’ils pêchent chaque année en eaux britanniques.

Après le 30 juin 2026, il s’agira d’une tout autre affaire : l’accès aux eaux et aux ressources reposera sur un régime de négociation annuel. En cas de remise en question des accès à l’issue de cette période, l’accord autorise les parties à adopter des mesures compensatoires. Nos répliques pourront être à la fois internes au secteur de la pêche et croisées : ainsi, Michel Barnier a fait valoir que l’accord prévoyait une clause miroir dans le secteur de l’énergie, puisque l’interconnectivité électrique – essentielle pour l’économie britannique – sera elle aussi revue dans cinq ans et demi.

Ensuite, l’accord est aussi un accord de coopération : il garantit la poursuite de la coopération précieuse que l’Union européenne a engagée avec le Royaume-Uni dans certains domaines d’importance majeure comme la recherche, l’espace – du moins, en partie –, mais aussi la sécurité intérieure à travers la coopération judiciaire et policière en matière criminelle ou encore la lutte contre le blanchiment. Bien sûr, nous pouvons regretter que le Royaume-Uni se retire du programme Erasmus. Nous pouvons encore plus déplorer qu’il ait refusé d’organiser un cadre pérenne pour notre coopération en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

Il faut se rendre à l’évidence : plus rien n’est comme avant. Passeports, tampons, visas, contrôle aux frontières – même pour le commerce de marchandises – sont autant de mots qui reviendront dans notre langage quotidien commun avec le Royaume-Uni. Faire respecter nos standards est un enjeu. Garantir une concurrence loyale et sécuriser les produits alimentaires sont des exigences.

En matière de services, la reconnaissance mutuelle n’a plus cours, notamment pour les qualifications professionnelles. Quant aux services financiers britanniques, ils ont perdu le passeport européen et sont suspendus aux décisions d’équivalence que l’Union européenne ne prendra que si elle y a intérêt.

Même sur les sujets réglés par l’accord, posons-nous encore des questions. Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez ma sensibilité sur ce sujet : les pêcheurs sont encore trop nombreux à ne pas avoir obtenu la licence promise pour pêcher en eaux britanniques. Il en résulte une surpêche dans les eaux françaises et certains renoncent même à sortir leur bateau, faute de rentabilité. C’est à se demander s’ils ne seraient pas mieux servis en arborant un pavillon britannique plutôt que français.

Il s’agit, par ailleurs, de veiller aux contrôles qu’il faut désormais opérer sur nos échanges avec les Britanniques, notamment l’asymétrie des contrôles vétérinaires. Nous avons des retours d’entreprises qui bénéficient aujourd’hui de la clémence britannique. Elles craignent un retour de bâton après le 1er avril prochain. À ce titre, nous avons l’expérience douloureuse de l’embargo avec la Russie.

Je m’inquiète aussi des différences de contrôles entre les États membres. L’organisation des contrôles dans les ports européens les plus concernés, du Havre jusqu’à Hambourg, n’est pas aussi rigoureuse. Certains de ces ports sont tentés de réduire les contrôles pour attirer la marchandise. Nos ports doivent s’organiser face à la concurrence des autres ports européens, d’autant que s’y ajoutera bientôt celle des ports francs annoncés par les Britanniques.

Je suis surtout préoccupé par les difficultés que soulèvent les nouveaux contrôles organisés en mer d’Irlande. Le protocole irlandais annexé à l’accord de retrait a évité le pire, à savoir le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande. Reste que le statut hybride de l’Irlande du Nord, incluse à la fois dans le marché unique et dans le territoire douanier britannique, crée de nouvelles tensions. En voulant activer l’article 16 pour contrôler les exportations de vaccins, la Commission européenne a malheureusement mis de l’huile sur le feu irlandais. La paix n’étant jamais acquise, il s’agit là d’un sujet de vigilance prioritaire…

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous nous inquiétons de l’accompagnement financier des conséquences du Brexit. L’Union européenne y consacrera une ligne budgétaire de 5 milliards d’euros. La part qui revient à la France doit compenser l’impact du Brexit qui affecte tout spécialement notre pays, en raison de sa proximité géographique, historique et économique avec le Royaume-Uni. Nous savons que la négociation ne sera pas aisée pour partager cette enveloppe entre les Vingt-Sept. Aussi Christian Cambon et moi-même proposerons-nous bientôt au Sénat une résolution européenne pour appuyer les demandes françaises.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous d’ores et déjà nous assurer que des critères justes et transparents présideront à la répartition des fonds obtenus entre les secteurs et les régions les plus touchés de France ?

Je resituerai, pour terminer, notre débat d’aujourd’hui dans une perspective plus large, comme l’a fait Christian Cambon. N’oublions pas de nous interroger sur ce qui a conduit au Brexit. Comme nous y a invités Michel Barnier, il importe de tirer les leçons du Brexit et de réfléchir ensemble à la manière de rapprocher Bruxelles des citoyens européens et de leur donner à toucher l’Europe à la maison.

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