La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, tant celui du temps de parole que celui de l’orateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean Hingray applaudit également.
Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, qui, malheureusement, n’est pas présent.
Trois ans après le discours de Rungis, la situation des agriculteurs, en particulier celle des producteurs de viande bovine, est catastrophique.
Pourtant, ils y croyaient vraiment !
Ils espéraient qu’avec la loi Égalim, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, leur avenir serait meilleur.
Je rappelle que cette loi devait rééquilibrer les relations commerciales, encadrer les promotions et surtout redonner de la valeur aux denrées agricoles.
Il n’en est rien.
L’annulation du salon de l’agriculture pour cause de pandémie nous oblige, nous, parlementaires, à relayer la détresse du monde rural.
Alors que 2020 est une année record en matière de bénéfices pour la grande distribution, alors que les négociations commerciales ont été difficiles et ne se sont conclues que dans la nuit de lundi à mardi, les revenus des agriculteurs sont au plus bas.
Comment se fait-il que l’obligation contractuelle faisant référence aux coûts de production, pourtant prévue par la loi, ne soit pas proposée aux producteurs et que les entreprises de transformation n’obtiennent pas de la grande distribution un accord à cette hauteur ?
Cette situation n’est ni morale, ni acceptable, ni justifiable. Comment comptez-vous y remédier ?
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d ’ État auprès du ministre de l ’ économie, des finances et de la relance, chargée de l ’ économie sociale, solidaire et responsable. Mesdames, messieurs les sénateurs, merci de cet accueil chaleureux !
Nouvelles protestations sur les mêmes travées.
Monsieur le sénateur Bonne, c’est pour une très bonne raison que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Julien Denormandie, n’est pas présent : il est en ce moment même à l’Assemblée nationale. Il vous prie de l’excuser et c’est en son nom, très directement, que je vous répondrai, en saluant, comme vous l’avez fait, la mobilisation totale de notre chaîne alimentaire.
J’en profite d’ailleurs pour vous annoncer que le Premier ministre se rendra dans les prochains jours auprès de nos éleveurs pour leur témoigner très concrètement la reconnaissance que leur doit notre gouvernement.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.
La loi Égalim de 2018 a mis en place des outils très concrets pour parvenir à l’objectif que nous nous sommes fixé. Il reste du chemin à parcourir ; c’est pourquoi nous continuons à surveiller son application. Cinq réunions de comité de suivi des négociations commerciales ont eu lieu ces derniers mois, menées par Julien Denormandie. Une mission a notamment été confiée à Serge Papin, qui doit proposer des pistes d’amélioration. Vous le savez, la transparence est la clé pour surmonter l’opposition entre distributeurs et industriels.
Nous continuons à mener à bien l’application de la loi Égalim. Bruno Le Maire intensifie et démultiplie les contrôles §pour qu’elle soit appliquée de manière effective. Par ailleurs, nous renforçons la médiation, dont nous savons qu’elle est indispensable. Enfin, nous avons lancé une adresse de signalement pour mobiliser les consommateurs et lutter contre des prix trop bas ou des indications trompeuses, notamment sur l’origine. Pour votre information, je précise que plusieurs cas sont déjà traités par les services du ministère de l’agriculture et ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
En un mot, monsieur le sénateur, c’est chaque jour que nous nous mobilisons pour répondre au constat collectif dressé ensemble lors des ateliers Égalim.
(Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’espère que cette réponse vous aura convaincus !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la secrétaire d’État, je regrette beaucoup que vous m’ayez fait ce type de réponse, qui ne correspond en rien à ce que l’on voit sur le terrain.
Un exemple : la semaine dernière, j’ai rencontré un groupe d’agriculteurs dans mon département de la Loire. L’un d’entre eux m’expliquait que sa fille s’étonnait que, sur sa feuille d’imposition, le montant de ses revenus équivalait à « 0 ». Bien qu’installé depuis dix-sept ans, travaillant normalement, n’étant plus endetté, touchant même à peu près 30 000 euros d’aides de la PAC, la politique agricole commune, tout cela, de surcroît, sur 110 hectares, …
M. Bernard Bonne. Il faut arrêter de faire en sorte qu’il n’y ait plus d’agriculteurs en France et que nos assiettes soient pleines de denrées venant d’ailleurs.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub et M. Jean Hingray applaudissent également.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Herzog, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Ma question, à laquelle s’associe Jean-Marie Mizzon, mon collègue de Moselle, s’adresse à M. le Premier ministre.
Hier matin, à minuit, pour la seconde fois en moins d’un an, le gouvernement fédéral d’Angela Merkel a mis fin à soixante ans de relations transfrontalières entre le département de la Moselle et ses deux Länder allemands voisins de la Sarre et de Rhénanie-Palatinat. Ces Länder ont manifesté leur mécontentement devant cette rupture brutale des accords et traités relatifs à la libre circulation des personnes et des marchandises.
Ce qui est en cause, c’est un taux d’incidence trop élevé de la circulation du covid-19 et de ses variants en Moselle. Or c’est précisément de ce point de vue que la prise de décision allemande pose problème.
Tout d’abord, il a été constaté et relevé que les Länder allemands dépistaient quatre fois moins de personnes que les départements français. Et pour cause, le test du covid est payant en Allemagne !
Mécaniquement, si l’on ne cherche pas, on ne trouve pas ! C’est pourquoi les chiffres sont faibles – 80 cas pour 100 000 habitants en Sarre –, mais grimpent aussitôt que l’on teste en masse, comme c’est le cas en Moselle : 284 cas pour 100 000 habitants, le 28 février dernier.
Ensuite, les mesures drastiques décidées sont inapplicables, car l’Allemagne ne veut pas fournir les tests des 16 000 travailleurs frontaliers français qu’elle exige pourtant et fera payer tous les deux jours. La France ne dispose pas non plus de tels tests, qui ne sont valables que quarante-huit heures et doivent être obligatoirement négatifs, sous peine de ne pouvoir rejoindre l’Allemagne.
L’Allemagne se moque de nous !
Pour les enfants, la situation est encore plus dramatique. Qui peut exiger qu’un enfant de plus de 6 ans, scolarisé en Allemagne mais vivant en France, fasse tous les deux jours un test antigénique ou un test PCR avec écouvillon ? C’est très douloureux ! On dénombre 1 000 enfants dans ce cas ; c’est inacceptable.
La France est transparente, mais l’Allemagne doit l’être aussi.
Tous nos efforts commencent à payer. En Moselle, nous sommes passés de 471 cas de covid-19 confirmés le 27 février à 124 cas le 1er mars. C’est une bonne nouvelle.
Mme Christine Herzog. Monsieur le Premier ministre, le chef de l’État a-t-il engagé avec l’Allemagne un dialogue visant à ce que nos deux pays s’alignent sur des critères identiques, comme le décompte des cas d’hospitalisation ?
Marques d ’ impatience sur les travées du groupe SER.
Mme Christine Herzog. Peut-on n’exiger qu’un test salivaire pour les enfants ?
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur l’importance pour chacun de respecter son temps de parole, afin que tous les orateurs puissent poser leur question dans de bonnes conditions.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Madame la sénatrice Herzog, comme vous l’avez rappelé, dimanche dernier, l’Allemagne a annoncé le classement du département de la Moselle en zone à risque au titre de la circulation des variants. Nous l’avons dit : nous regrettons, comme vous, cette décision, parce qu’elle ne tient pas compte des nécessités et des exigences inhérentes à ce bassin de vie, qu’il s’agisse de l’école, du travail ou de la vie quotidienne.
Néanmoins, tout au long de la semaine – et nous poursuivons cet effort –, nous avons mené une étroite concertation avec l’Allemagne, à tous les niveaux – élus locaux, exécutifs départemental et régional, Gouvernement, jusqu’au Président de la République lui-même avec la chancelière Merkel –, afin d’éviter les conséquences les plus dures de ce classement.
Je rappelle que ce classement a abouti automatiquement, avec les voisins autrichien et tchèque de l’Allemagne, à une fermeture complète des frontières. C’est cette situation que nous avons voulu éviter pour la Moselle, compte tenu de la réalité que vous avez rappelée, notamment pour les 16 000 travailleurs qui, quotidiennement, ont besoin de franchir la frontière pour exercer leur activité professionnelle.
Nous avons pu contenir l’impact de ce classement en faisant en sorte que seuls soient obligatoires les tests antigéniques, et non PCR, et ce toutes les quarante-huit heures et non toutes les vingt-quatre heures, comme cela était prévu. Nous sommes aussi en train de déployer davantage de tests avec les autorités de la Sarre en particulier, du côté français comme du côté allemand. Nous avons en outre fait en sorte – c’est à la fois symbolique et nécessaire d’un point de vue pratique – que les contrôles ne soient pas effectués systématiquement sur les points de passage aux frontières, afin d’éviter l’excès de ralentissements.
Je reconnais que la situation n’est pas encore satisfaisante et que cette concertation doit se poursuivre. Je la poursuivrai moi-même avec vous, comme je l’ai fait ce week-end, à mesure que nous obtiendrons des informations. C’est pourquoi je serai demain en Moselle pour continuer ce travail en tâchant de prendre en compte au mieux, avec vous et avec les autorités allemandes, la situation pratique des enfants, de leurs parents, des travailleurs frontaliers. Nous l’avons bien en tête et à cœur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Madame la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, vous avez relancé hier la concertation pour votre réforme de l’assurance chômage. À l’unanimité, les organisations syndicales la rejettent. Pourtant, vous persistez dans votre obstination à aggraver la précarité des plus fragiles dans notre pays.
Vous annoncez ainsi vouloir faire plus de 1, 3 milliard d’euros d’économies sur le dos des demandeurs d’emploi. Oserai-je vous rappeler qu’ils ne sont pas responsables de leur situation ? Depuis des mois, en pleine crise sanitaire, les plans de licenciement se multiplient partout dans notre pays.
Face à cette crise sociale qui s’aggrave, votre réponse consiste à repousser d’un an le bonus-malus pour les entreprises, mais à imposer dès le 1er juillet prochain une baisse de 20 % des indemnités journalières à plus de 830 000 demandeurs d’emploi.
On est finalement bien loin du « en même temps » de 2017 !
Depuis plusieurs mois, la pauvreté s’accroît dans notre pays. Les Restos du cœur, le Secours populaire, le Secours catholique nous alertent quotidiennement : les files d’attente s’allongent devant les distributions alimentaires, semaine après semaine.
La crise sanitaire ne saurait justifier cette réforme.
Madame la ministre, quand renoncerez-vous à votre réforme inique de l’assurance chômage ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la sénatrice Cukierman, sans surprise, nous ne sommes pas d’accord sur la réforme de l’assurance chômage, mais je ne peux pas laisser dire que le Gouvernement n’agit pas massivement pour lutter contre la précarité.
Je vous rappelle que nous avons prolongé les droits des demandeurs d’emploi depuis le mois de novembre dernier en mobilisant plus de 1, 5 milliard d’euros. Nous avons également mis en place une garantie de revenu de 900 euros par mois pour les travailleurs précaires ; cette aide exceptionnelle est elle aussi en vigueur depuis le mois de novembre dernier et nous avons décidé de la prolonger jusqu’à la fin du mois de mai prochain. Ce sont plus de 460 000 demandeurs d’emploi qui bénéficient de cette aide, pour laquelle nous mobilisons 1, 2 milliard d’euros.
Je rappelle en outre que, pour lutter contre la précarité, nous utilisons l’activité partielle, …
M. Fabien Gay renchérit.
… qui a protégé 9 millions de salariés au plus fort de la crise, et encore 2 millions au mois de janvier dernier.
Pour ce qui est de la réforme de l’assurance chômage, le Gouvernement a pleinement pris en compte le contexte sanitaire, économique et social.
Nous avons fait de très fortes adaptations pour répondre aux observations des organisations syndicales, notamment avec le maintien du seuil d’ouverture des droits à quatre mois tant que la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à la normale.
Nous avons également mis en place un plancher pour le calcul de l’allocation chômage, afin d’éviter les allocations trop basses.
Vous le voyez, madame la sénatrice : j’ai la conviction que cette réforme assure le meilleur équilibre possible en matière d’assurance chômage dans la période actuelle.
M. François Patriat applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe CRCE.
Madame la ministre, je vous interroge sur la réforme à venir et vous m’expliquez que la cinquième puissance mondiale n’a pas laissé mourir les gens – encore heureux ! – et a mis en place des mesures d’urgence pendant cette crise sanitaire que personne n’a souhaitée.
Oui, au titre de ces mesures d’urgence, nous avons protégé l’activité économique, les femmes et les hommes qui, au quotidien, continuent de travailler. C’est bien normal et ce n’est pas le moment de se dire merci !
Ce que vous proposez, c’est d’aggraver, dès le 1er juillet prochain, la situation de ces femmes et de ces hommes qui aujourd’hui perdent leur emploi.
Madame la ministre, vous avez déclaré, voilà peu, que vous étiez une femme de gauche, attachée à la justice sociale. La réforme que vous proposez n’est pas une réforme de gauche.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Cécile Cukierman. C’est avec ces politiques que vous faites progresser l’extrême droite dans notre pays. La responsabilité n’en incombera pas aux électeurs de gauche !
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.
La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
Face à l’évolution des variants, contrastée selon les territoires, le Gouvernement a choisi une gestion territorialisée de la pandémie, justifiée par les différences existant entre les zones géographiques.
Ma question vise à vous demander un bilan des premières remontées de la concertation, qui était déjà largement engagée et qui s’approfondit.
Des maires ont fait parvenir des suggestions intéressantes et utiles.
Les derniers jours ont certes plutôt été marqués par la volte-face spectaculaire de la maire de Paris qui, pétrie de certitudes
Protestations sur les travées du groupe SER.
… a demandé un confinement strict de trois semaines pour pouvoir tout rouvrir ensuite, puis a transformé cette affirmation catégorique en simple hypothèse, avant de déclarer qu’il n’en avait jamais été question, …
M. Julien Bargeton. … tout cela en quatre jours, ajoutant la faute politique à la faute professionnelle. Les élus de tous bords, y compris du sien, partout en France, se sont d’ailleurs réfugiés dans un silence assourdissant, dont je sais qu’il est en réalité réprobateur.
Nouvelles protestations sur les travées du groupe SER. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.
Sénateur de Paris, j’ai été très choqué – je le dis – que n’aient été consultés ni les maires d’arrondissement ni les élus franciliens
Oh ! sur les travées des groupes SER et Les Républicains.
Là où cette épidémie exige d’être solidaire, l’exercice du pouvoir ne saurait être solitaire, surtout quand, par ailleurs, on attaque la verticalité.
Madame la ministre, au moment où il faut être à la hauteur des enjeux, ce qui suppose humilité, responsabilité, unité
Le brouhaha couvre la voix de l ’ orateur.
M. Julien Bargeton. … quelles conclusions tirez-vous des premières remontées sérieuses des élus locaux ?
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Écoutons-nous les uns les autres, mes chers collègues, et tâchons de poursuivre cette séance dans le calme.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l ’ autonomie. Monsieur le sénateur Julien Bargeton, je vous remercie de cette question
Rires sur les travées des groupes Les Républicains et SER.
Le taux d’incidence remonte partout, mais la situation est particulièrement préoccupante à Mayotte, à La Réunion, en Île-de-France, dans les Hauts-de-France, en PACA. Nous suivons cela de très près avec Olivier Véran.
Nous déployons à cette fin un arsenal de mesures visant à briser la dynamique épidémique : suivi des cas contacts, respect de l’isolement des patients et des cas contacts. Nous accompagnons les collectivités touchées par des mesures de gestion dédiées. La vaccination s’accélère, avec de très bons résultats en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), où près de 80 % des résidents ont reçu la première dose.
La campagne s’accélère aussi pour nos concitoyens les plus âgés et pour ceux qui, plus jeunes, présentent des facteurs de risques.
Néanmoins, nous devons prendre la mesure du moment et rester collectivement vigilants. Cette vigilance s’exerce au quotidien par le respect des gestes barrières, le port du masque, le lavage des mains, le recours au télétravail quand cela est possible.
Nos concitoyens ont consenti à de nombreux sacrifices qui ne sauraient être balayés sur l’autel d’enjeux partisans. Dans un esprit de concorde, nous tenons à consulter et à associer les collectivités concernées dans l’élaboration des réponses les plus adéquates en phase avec les dynamiques territoriales. Les Français attendent de la clarté dans les décisions prises ; nous agissons donc en responsabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, pour la première fois dans notre histoire récente, un ancien Président de la République a été condamné à trois années d’emprisonnement pour « corruption active » et « trafic d’influence » par le tribunal correctionnel. Quelques heures plus tard, lors d’un déplacement officiel, votre ministre de l’intérieur a indiqué : « Nicolas Sarkozy, en ces moments difficiles, a évidemment tout mon soutien. »
Lorsque le ministre de l’intérieur s’exprime face caméra en déplacement officiel, le propos qu’il tient n’est pas un propos privé : c’est la position du Gouvernement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : partagez-vous les propos de votre ministre de l’intérieur ?
Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.
Madame la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie, vous êtes une spécialiste des questions institutionnelles et des questions judiciaires. Vous savez donc qu’en tant que membre du Gouvernement je n’ai pas de commentaire à faire sur une décision de justice.
Il y a une séparation des pouvoirs et un État de droit.
Vous avez repris les propos de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je regrette que vous ne les ayez pas cités dans leur intégralité. Gérald Darmanin a commencé par dire : « Je n’ai pas de commentaire à faire sur une décision de justice. »
Il l’a dit on ne peut plus clairement. Qu’il ait ensuite, à titre personnel, des mots amicaux pour une personne qu’il connaît, c’est tout à fait son droit.
Ce qui importe, c’est que, depuis le début de ce quinquennat, en tant que membres du Gouvernement, chaque fois que nous sommes invités à réagir sur une affaire judiciaire – cela est valable pour tout justiciable, mais a fortiori lorsqu’il s’agit d’un ancien Président de la République –, nous nous en tenons tous à une ligne intangible qui est de ne pas commenter une décision de justice.
M. Gabriel Attal, secrétaire d ’ État. C’est ce qu’a rappelé Gérald Darmanin.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le Premier ministre, votre silence est éloquent.
Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Vous avez souhaité ne pas répondre et, finalement, nous ne saurons pas si vous partagez ou non les propos du ministre de l’intérieur. Pour ma part, j’ai tendance à penser – je vous fais confiance sur ce point – que vous manifestez ainsi votre réprobation.
Vous avez décidé d’inscrire à l’agenda du Gouvernement un texte, qui sera présenté par le garde des sceaux, visant à « rétablir la confiance dans la justice ».
Dans la même perspective, dans cet hémicycle, nous débattrons dans quelques jours d’un texte sur le respect des principes de la République.
Lorsque l’on a l’honneur d’être membre d’un gouvernement, on doit chérir la Constitution et on doit chérir les principes de la République, notamment le respect de la loi et l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Comment ne pas voir l’effet dévastateur de l’expression publique d’un soutien amical adressé par le patron des policiers à une personne lourdement condamnée pour des manquements à la probité ?
Mêmes mouvements sur les mêmes travées.
Monsieur le Premier ministre, nul ne peut se réjouir de voir un ancien Président de la République condamné pour corruption, mais tous nous devrions nous réjouir d’avoir une justice qui s’applique à tous, puissants ou misérables. Nous devrions, aux termes de notre Constitution, chérir l’indépendance de l’autorité judiciaire, dont le Président de la République est le garant.
Monsieur le Premier ministre, il semble nécessaire aujourd’hui que vous le rappeliez à votre ministre de l’intérieur.
Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.
La parole est à Mme Guylène Pantel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports. Elle porte sur l’avenir des lignes de desserte fine interrégionales Béziers-Clermont-Ferrand-Paris et Nîmes-Clermont-Ferrand-Paris, qui desservent la Lozère. Plus spécifiquement, j’interviendrai sur la ligne dite de l’Aubrac.
L’État et la région Occitanie travaillent actuellement à un protocole relatif aux lignes de desserte fine du territoire de ladite région. Cet accord doit permettre de matérialiser les engagements respectifs de l’État, de la SNCF et de la région.
Monsieur le ministre, vous avez souhaité exclure les lignes de l’Aubrac et des Cévennes de ce protocole afin de les traiter dans un accord interrégional ultérieur associant la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le souhait d’un tel report renforce les inquiétudes sur les intentions du Gouvernement concernant la ligne de l’Aubrac.
Actuellement, cette ligne est interrompue sur l’un de ses tronçons pour une durée indéterminée et l’on sait que des travaux d’urgence sont nécessaires au maintien du transport ferroviaire. Elle est pourtant essentielle pour la Lozère et le sud du Massif central.
Elle est essentielle, d’abord, parce qu’elle relie, comme le Cévenol, la Lozère à notre capitale. Monsieur le ministre, nous ne sommes pas des sous-citoyens : comme tous les Français, nous avons le droit à des infrastructures qui nous permettent de rejoindre Paris en un temps raisonnable.
Elle est essentielle, ensuite, parce que la ligne de l’Aubrac achemine de nombreux lycéens et étudiants vers leur lieu de formation et assure le fonctionnement et la viabilité de l’une des dernières usines sidérurgiques françaises, une entreprise innovante dans le domaine des aciers électriques haut de gamme.
Elle est essentielle, enfin, parce qu’elle permet chaque année à des centaines de touristes d’accéder à l’Aubrac.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, ma question est plurielle. Où en est cette convention ? Que contiendra-t-elle ? Quels sont les engagements de l’État et de la SNCF pour satisfaire les besoins urgents d’investissement en matière de régénération de cette ligne ? Quelle est l’ambition de l’État pour la pérennisation à long terme des circulations de fret et de voyageurs sur cette ligne ?
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Hussein Bourgi applaudit également.
Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la desserte du Massif central, ce qui me permet de revenir brièvement sur la politique du Gouvernement en matière ferroviaire.
Comme vous le savez, en 2017, nous avons concentré notre action sur les lignes du quotidien en suspendant pour un temps les grands projets, de manière à assainir la situation financière de la SNCF, avec 35 milliards d’euros de dette reprise, à réinvestir massivement sur le réseau ferroviaire – plus de 3 milliards d’euros par an – et à engager le sauvetage des petites lignes ferroviaires en lien avec les régions, pour un volume de 6, 5 milliards d’euros destinés à pérenniser ces 9 000 kilomètres de petites lignes ô combien essentielles pour nos territoires.
Comme vous l’avez évoqué, nous avons négocié deux contrats avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont l’un a été signé voilà quelques semaines en présence du Premier ministre, afin de garantir la pérennité des neuf lignes ferroviaires de la région tout en dégageant des crédits d’urgence pour assurer la réalisation des 130 millions d’euros de travaux nécessaires d’ici à 2022.
Dans le même temps, j’ai souhaité que nous discutions à l’échelon interrégional, sous l’égide du préfet Philizot, des lignes dont vous avez parlé, celles de l’Aubrac et du Cévenol, afin de conclure d’ici à mi-mai un engagement réciproque entre l’État, SNCF Réseau et les deux régions concernées, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, tout en assurant les travaux d’urgence, notamment sur la ligne reliant Saint-Chély-d’Apcher et Neussargues.
Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur le total engagement du Gouvernement.
Au-delà d’un engagement financier ponctuel, ma question porte bien sur l’engagement à long terme de l’État. Au-delà du Grand Paris, il y a la France. Chaque territoire mérite l’investissement de l’État.
La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Ce week-end, pour sa dernière session, la Convention citoyenne pour le climat a très sévèrement noté la manière dont le Gouvernement a traduit dans la loi ses propositions. Malgré l’engagement du Président de la République d’une déclinaison « sans filtre » des travaux de la Convention citoyenne, le Gouvernement a décidé de les repasser à la moulinette, hachant menu, très menu, l’ambition initiale et le mandat donné aux 150 citoyens !
Ainsi, alors que nous savons qu’il faut dix ans pour que nos décisions politiques aboutissent à des réductions significatives des émissions de gaz à effet de serre, vous décidez aujourd’hui que la France n’honorera en 2030 ni l’accord de Paris ni l’objectif européen de réduction de 55 % des émissions de CO2, objectif que vous avez pourtant soutenu lors du Conseil européen du 11 décembre dernier.
Faut-il le rappeler, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Conseil d’État et le Haut Conseil pour le climat pointent tous l’insuffisance du projet de loi et ses incohérences ? Le Haut Conseil pour le climat conclut même que le texte permettra au mieux 20 % de réduction des émissions en 2030.
Ma question est donc simple. Au mois de novembre prochain, la COP26 sera consacrée au rehaussement de l’ambition. Comment le Gouvernement compte-t-il assumer, à Glasgow, cet adieu français à l’accord de Paris, que nous avions pourtant promu il y a six ans par une mobilisation exceptionnelle de notre diplomatie ?
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Monsieur le sénateur Dantec, vous interrogez Mme Barbara Pompili, qui, ne pouvant être présente, m’a chargé de vous répondre.
Je tiens d’abord à rappeler le caractère totalement inédit de cette démocratie participative, qui a permis, sous l’impulsion du Président de la République, à 150 citoyens de se construire une vision personnelle et de formuler des propositions très concrètes pour remplir les objectifs que vous avez évoqués, à savoir atteindre cette marche des deux degrés Celsius que nous considérons comme essentielle.
Nous avons longuement et continûment échangé avec les citoyens. Ceux-ci ont rendu un jugement sur l’action du Gouvernement, en toute indépendance. Il appartient maintenant au Parlement de se saisir du texte et de remplir sa fonction, au nom du peuple français.
Parmi les 149 mesures de la Convention citoyenne pour le climat, un grand nombre ont déjà été mises en œuvre par voie réglementaire et par d’autres canaux, notamment via des initiatives européennes. À titre d’exemple, au ministère des transports, sur les 42 mesures proposées, 25 sont déjà mises en place par voie réglementaire et 14 sont intégrées dans le projet de loi de la Convention citoyenne.
Nous avons pu ainsi avancer sur des sujets majeurs. Je pense notamment à la conversion du parc automobile, qui aura des impacts et des résultats très significatifs en termes de baisse des émissions de gaz à effet de serre, à la création de trente-cinq zones à faibles émissions, qui permettent là aussi de lutter contre la pollution de l’air dans les zones les plus densément peuplées, ou encore à la multiplication du plan Vélo que vous appelez de vos vœux, monsieur le sénateur.
Notre vision est simple. Nous agissons en complémentarité des modes de transport et non en concurrence. Nous organisons l’équité entre les territoires. Nous mettons en œuvre des transitions industrielles dans un souci de justice sociale, car vous savez que certains secteurs subissent des mutations extrêmement profondes.
Monsieur le sénateur, notre action est inédite, résolue et responsable. Nous sommes fiers de la mettre en œuvre et nous sommes convaincus qu’elle aboutira à des résultats tangibles et rapides.
Monsieur le ministre, ma question portait sur la stratégie diplomatique de la France à Glasgow.
On annonce aujourd’hui des engagements extrêmement ambitieux des Américains, des Japonais et même des Chinois pour la COP26. Nous allons être la première grande puissance industrielle qui dira clairement à Glasgow qu’elle ne tiendra pas les engagements pris. C’est une position intenable sur la scène internationale.
Monsieur le Premier ministre, je suis un « ayatolliste » ! Je veux que soient transposés dans la loi les engagements internationaux de la France !
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.
Ma question s’adressait à M. le ministre de l’intérieur.
Le 2 novembre 2020, l’administration centrale du ministère de l’intérieur a adressé un message à tous les directeurs des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, indiquant le lancement d’une réflexion pour un décret d’encadrement de l’activité des sapeurs-pompiers volontaires sans que ceux-ci soient consultés. Ils représentent pourtant 79 % des effectifs…
En rapport avec la directive européenne de 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, cette missive indique que les sapeurs-pompiers volontaires pourraient être considérés comme supplétifs de fait, risquant donc d’être assimilés à des professionnels. Cela irait à l’encontre du refus de transposer la directive aux sapeurs-pompiers volontaires, position qui est défendue depuis 2003 par tous les parlementaires et tous les gouvernements.
La loi du 20 juillet 2011 est très précise et indique que « l’activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n’est pas exercée à titre professionnel ».
En 2019, j’ai interrogé Laurent Nunez, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, sur ce sujet. Il m’a clairement répondu que les sapeurs-pompiers volontaires ne seraient pas assimilés à des salariés. Deux ans après, cette missive fait naître une forte inquiétude chez les sapeurs-pompiers volontaires, chez les élus, dans les départements et au sein des SDIS.
La maintenance de la sécurité dans le monde rural serait menacée par la désorganisation du fonctionnement des SDIS, la dégradation des délais des secours et la disparition progressive de ce service public solidaire.
M. le ministre de l’intérieur nous a promis une action à l’échelon européen. La France assurera la présidence tournante du Conseil européen à partir du mois de janvier prochain. Pouvons-nous avoir l’assurance que la question des sapeurs-pompiers volontaires sera inscrite à l’ordre du jour afin que ce problème soit enfin réglé ?
Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.
Monsieur le sénateur Daniel Chasseing, comme vous le pointez justement dans votre question, le ministère de l’intérieur a bien adressé une communication aux directeurs départementaux des services d’incendie et de secours au mois de novembre 2020, à la suite de la réponse de la Commission européenne sur la question de la directive européenne du temps de travail, la DETT. Il s’agit bien d’un message pour leur annoncer cette concertation.
Il existe aujourd’hui un consensus partagé par une très grande majorité des parties prenantes sur la nécessité d’adapter notre modèle actuel de volontariat. Ce faisant, il s’agit non pas de remettre en cause son mode de fonctionnement, qui a largement fait ses preuves – vous l’avez très bien rappelé – tant au quotidien que dans les crises – je salue le travail des sapeurs-pompiers volontaires partout en France –, mais bien de veiller à encadrer certains points qui pourraient notamment risquer de conduire à des décisions de justice contraires au principe de l’engagement citoyen que nous défendons collectivement ici.
C’est donc bien sous le sceau de la transparence et de la concertation que le ministère de l’intérieur a voulu engager ces travaux, qui doivent nous permettre de trouver des solutions aux problématiques soulevées par la directive européenne de 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
Dans cet esprit, des entretiens avec les associations d’élus et les organisations représentatives des sapeurs-pompiers ont eu lieu et continueront à se tenir. La réflexion qui vient de s’engager doit pouvoir permettre, en liaison étroite avec les SDIS ainsi qu’avec l’ensemble des acteurs et partenaires, de disposer de leurs analyses sur ces problématiques, mais aussi de leurs propositions.
Monsieur le sénateur, je tiens à vous dire ici, au nom du ministère de l’intérieur, que nos objectifs sont clairs : maintenir une organisation efficace des SDIS sans perdre de potentiel opérationnel et proposer une solution concertée et soutenue par l’ensemble des acteurs de la sécurité civile, qui ne porterait pas atteinte à notre modèle de volontariat, tout en sécurisant évidemment ce dispositif au regard du droit de l’Union européenne.
Dans cette concertation à venir, nous n’écartons pas d’hypothèse et, pour répondre plus précisément à votre question, monsieur le sénateur, nous n’écartons pas la proposition d’une initiative citoyenne qui pourrait dispenser les sapeurs-pompiers volontaires de la DETT dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. C’est un travail que nous menons avec le secrétaire d’État chargé de ces questions.
M. Daniel Chasseing . Il faut, une fois pour toutes, régler le problème créé par cette directive européenne qui, depuis 2003, hypothèque l’avenir des sapeurs-pompiers volontaires, lesquels sont pourtant particulièrement indispensables au milieu rural et à la France.
Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la ministre de la cohésion des territoires, comme moi, vous entendez les préoccupations et les inquiétudes grandissantes des collectivités locales, plus particulièrement des communes et des intercommunalités, qui sont fortement mobilisées, mais aussi des départements, sur la dégradation de leurs situations financières pour répondre au mieux à l’urgence de la crise sanitaire et à ses conséquences.
Même si les chiffres ne sont pas totalement stabilisés, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF, estime autour de 5 milliards d’euros les pertes pour les communes imputables à la crise sanitaire. Par ailleurs, 25 % des intercommunalités jugent aujourd’hui que leur situation financière est dégradée.
Les collectivités concernées demandent et méritent toute notre attention.
Madame la ministre, devant l’hétérogénéité des situations dans nos territoires, quels plans d’action le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour soutenir les collectivités, leur permettre de préparer la sortie de crise et de préserver les investissements locaux ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Monsieur Jean-François Husson, comme vous le savez, le Gouvernement a pris de nombreuses mesures de soutien aux collectivités territoriales, dont les finances ont été très touchées par la crise que nous traversons. J’en citerai quelques-unes.
Je mentionnerai évidemment le filet de sécurité pour les communes qui, je le rappelle, a été revoté dans la loi de finances pour 2021. Vous avez évoqué les départements, vous devez donc vous souvenir des avances pour les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO. Je rappelle aussi la possibilité d’étaler sur cinq ans les coûts liés à la crise, ce qui est également une mesure importante. Par ailleurs, nous n’avons pas relâché les soutiens à l’investissement massif pour les collectivités territoriales. Au contraire, nous les avons développés grâce au plan de relance.
Au total, environ 7 milliards d’euros ont été consacrés aux collectivités territoriales. En partie grâce à ces mesures – je dis bien en partie –, les finances locales ont mieux résisté qu’on ne l’imaginait. Les remontées nationales à la fin du mois de janvier dernier indiquent une baisse de 1, 4 % des recettes de fonctionnement et une hausse de 0, 2 % des dépenses de fonctionnement, toutes collectivités territoriales confondues.
Ainsi, même si l’épargne brute diminue de 3, 7 milliards d’euros, elle se maintient au même niveau qu’en 2018 et bien au-dessus des niveaux des années précédentes. Cette tendance souligne que les budgets locaux sont résistants, même s’il existe de grandes inégalités entre les collectivités territoriales. Les collectivités sont d’autant plus résilientes si l’on compare ces chiffres à la baisse du PIB de 8, 4 % en 2020.
Nous sommes conscients que la crise ne touche pas toutes les collectivités de la même manière.
C’est pourquoi, avec Olivier Dussopt, un travail de fond a été engagé avec les associations d’élus du bloc communal afin d’affiner ces constats généraux et d’apprécier l’impact de la crise, collectivité par collectivité. Ce travail est en cours et, bien sûr, mesdames, messieurs les sénateurs, vous y serez associés. ( M. François Patriat applaudit.)
Madame la ministre, je vous remercie de ces éclaircissements.
Néanmoins, tout cela demeure pour l’instant insuffisant. Les communes de plus de 3 500 habitants et les grandes villes ont enregistré des baisses de plus de 30 % des recettes tarifaires et de plus de 20 % des recettes d’occupation du domaine public. Je rappelle aussi que ce sont souvent dans les grands centres urbains que l’on trouve les plus fortes proportions de précarité et de pauvreté. Ce phénomène est malheureusement aggravé par la crise du covid-19.
Vous l’avez souligné, le choc est asymétrique. Il touche notamment avec force certains territoires comme les communes thermales, touristiques ou situées en zone de montagne, qui se voient privées de leurs principales recettes financières par la fermeture des établissements touristiques.
Madame la ministre, ne répétez pas le couac des masques, qui étaient considérés comme inutiles au printemps 2020. Aujourd’hui, les communes attendent encore trop souvent d’être remboursées de la part que l’État leur avait promise. Soyez au rendez-vous !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, 7 % de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) de plus, 230 000 chômeurs de plus : est-ce là une opportunité pour une relance de la réforme de l’assurance chômage ? C’est anachronique et provocant !
Vous annoncez votre réforme pour l’été 2021, en pleine tempête économique, alors que le recours au chômage est plus que jamais un instrument d’équilibre et de justice. Malgré les incertitudes, votre gouvernement parie sur une hypothétique reprise et s’attaque à l’un des outils les plus essentiels de notre solidarité.
Dès que la clause de retour à une meilleure fortune sera engagée, l’Unédic, l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, prévoit que votre réforme imposera à plus de 850 000 personnes, soit à quatre chômeurs sur dix, une baisse moyenne de 22 % de leur indemnisation. Il faudra désormais avoir travaillé six mois sur vingt-quatre au lieu de quatre mois sur vingt-huit pour accéder à une allocation, alors que tant de nos entreprises, surtout les plus petites, sont en difficulté et peinent à maintenir leurs emplois.
C’est sur les plus fragiles, les précaires, que vous faites peser vos objectifs d’économies, en diminuant leurs droits et en estimant qu’ils font le choix du chômage ! C’est faux ! Ils le subissent ! Les plus affectés par l’impact de la crise touchent en moyenne 1 300 euros ! Est-ce sur eux qu’il faut réaliser vos économies ?
Les Français sont inquiets. La pauvreté s’accroît de manière dramatique depuis l’arrivée de la covid, malgré la solidarité nationale. Alors qu’il faudrait créer les conditions de la confiance, vous ajoutez à l’inquiétude profonde de la population des sentiments d’injustice, d’incertitude et de détresse. Tous les partenaires sociaux sont contre.
Nous sommes nombreux à vous demander d’abroger ce projet de réforme conçu en 2019, dans un tout autre contexte, et inadapté en temps de crise de l’aveu même de l’ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud.
Allez-vous poursuivre malgré ces alertes, au risque d’une véritable casse sociale ?
Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l ’ emploi et de l ’ insertion. Monsieur le sénateur Hervé Gillé, en vous écoutant je me pose cette question : de quelle réforme parlez-vous ? La réforme que j’ai présentée hier aux partenaires sociaux est le fruit de six mois d’échanges ininterrompus au cours desquels j’ai écouté les observations, les propositions des uns et des autres.
« Ils n ’ en veulent pas ! » et « Personne n ’ en veut ! » sur les travées des groupes SER et CRCE.
La réforme met en place un système de bonus-malus qui encourage les entreprises vertueuses en termes d’emploi et qui dissuade les entreprises qui recourent excessivement aux contrats courts. Je pense que nous pourrions nous retrouver sur cette mesure.
Contrairement à ce que j’entends dire parfois, la réforme ne réduit pas les droits des allocataires.
Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.
Le montant total des allocations est strictement conservé, ce qui signifie que, si l’allocation mensuelle baisse pendant un mois donné, elle est servie plus longtemps. Par ailleurs, la concertation nous a conduits à mettre en place un plancher pour éviter des allocations trop basses.
Je rappelle également que, depuis le début de la crise, nous agissons massivement contre la précarité par la mise en place de l’activité partielle, en prolongeant, quand c’est nécessaire, les droits des demandeurs d’emploi et en mettant en place une aide exceptionnelle pour les travailleurs les plus précaires : 460 000 personnes ont pu en bénéficier.
La lutte contre la précarité est et restera au cœur de l’action de ce gouvernement.
M. François Patriat applaudit.
M. Hervé Gillé . Madame la ministre, nous le savons, votre volonté est d’afficher votre capacité à réformer après l’enterrement de la réforme des retraites. La réforme de l’assurance chômage n’est pas politique, elle est politicienne. Elle est anachronique et inadaptée !
Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s’adressait à M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Il y a deux mois, en 2020, Londres était la principale place financière d’Europe. La moitié des transactions du marché des actions ont migré vers l’Union européenne.
Contre toute attente, après quatre siècles, Amsterdam est devenue la première place financière européenne, devant Londres. Paris maintient sa troisième place, en légère progression, mais loin derrière, avec à peu près deux tiers des transactions de la Bourse de Londres.
Il est vrai que les gouvernements français ont fait pendant longtemps la promotion de la fiscalité néerlandaise, en plaçant les participations de l’État sur la place néerlandaise, à La Haye. Il est vrai aussi que cela a inspiré des groupes nationaux tels que le groupe Vivendi, qui annonce la capitalisation de sa filiale Universal à La Haye dans quelques mois.
Bruno Le Maire a déclaré au mois de février 2018 que l’objectif du Gouvernement était de faire de Paris la principale place financière d’Europe continentale, affirmation alors confirmée par le Premier ministre devant les élus franciliens. Manifestement, c’est loupé !
Comment se fait-il que le gouvernement néerlandais ait été plus performant que les autorités françaises pour capter l’essentiel des transactions financières ? Qui, à Bercy, s’occupe de la place de Paris ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Marques de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur Dominati, vous posez une question relative à l’attractivité de la place et de la Bourse de Paris. C’est en effet un sujet essentiel sur lequel le Gouvernement est mobilisé depuis 2017.
Non, ce n’est pas trop tard !
La France conduit un vaste programme de réformes visant à renforcer la place des services financiers en tant que vecteurs de croissance dans notre pays. Nous sommes à l’avant-garde en matière d’innovation dans le domaine des services financiers. Nous sommes aussi à l’avant-garde en matière d’innovation dans le domaine que j’ai le plaisir de traiter pour Bruno Le Maire, la finance verte, la finance durable – c’est un sujet qui nous intéresse pour demain –, ainsi que pour les applications relatives à la blockchain.
Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, depuis 2019, Paris a cherché et a réussi à attirer des acteurs financiers internationaux. Je pense à la relocalisation des plateformes de négociation de Goldman Sachs et d’Acquis Exchange. Je pense aussi à l’ouverture du nouveau bureau de Citadel et à la création des filiales européennes de Chubb et de Bank of America, qui sont autant d’exemples illustrant concrètement l’attractivité croissante de la place. Paris est ainsi le seul centre financier continental à avoir réussi à capter l’ensemble de l’écosystème des services financiers.
Monsieur le sénateur, vous savez que, depuis le 1er janvier 2021 et à la fin de la période de transition du Brexit, les actions d’entreprises de l’Union européenne échangées en euros ne peuvent plus être échangées sur les plateformes boursières du Royaume-Uni à qui la Commission européenne a décidé de ne pas octroyer d’équivalence. Ce mouvement important de rapatriement des échanges d’actions dans l’Union européenne a conduit à la relocalisation dans l’Union européenne des principales plateformes internationales d’échanges d’actions. Paris, aux côtés d’Amsterdam que vous mentionnez, en a été l’un des deux principaux bénéficiaires en attirant sept plateformes anglo-saxonnes, notamment la plateforme de Goldman Sachs.
En matière d’introduction en Bourse de nouvelles entreprises, Paris bénéficie aussi d’une attractivité renouvelée. Ainsi, elle devrait être dans l’Europe post-Brexit l’une des deux places principales de cotation de l’Union européenne avec Francfort. Nous avons pris ce pari et nous sommes proches du résultat.
M. François Patriat applaudit.
Madame la secrétaire d’État, votre réponse est d’autant plus préoccupante que vous êtes une ancienne élue de Paris. Tous les acteurs économiques ont compris que les arguments que vous développez sont les mêmes que ceux de Bruno Le Maire en 2018. Il serait temps de réagir !
Je vous questionnais sur votre réactivité après ce premier échec. Vous répétez les arguments de 2018 ; nous attendions autre chose. Je sais que ce gouvernement ne s’intéresse pas à la région parisienne et au Grand Paris. C’est le premier gouvernement sous la Ve République qui traite aussi mal la région capitale !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
En 2018, la « ferme France » a conservé son statut de première puissance agricole européenne, avec une production estimée à 73 milliards d’euros et une contribution au PIB de 6, 7 %.
Ces chiffres démontrent la compétitivité et la performance de l’agriculture française. Elle est la meilleure du monde en termes qualitatifs, nutritionnels et environnementaux !
En des temps normaux, nous devrions rencontrer, à cette période de l’année, les agriculteurs de nos territoires au salon de l’agriculture, à la porte de Versailles. À défaut, cette année sont proposées des journées sur tout le territoire ! Les années suivantes ne ressembleront pas à 2021, et c’est heureux.
C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe Union Centriste, nous demandons simplement et symboliquement la création d’une journée nationale de l’agriculture. Une date au mois de juin semble convenir, si j’en crois les demandes qui m’ont été faites.
Évidemment et je me permets d’insister sur ce point, cette demande ne doit pas masquer les critiques dirigées contre la mauvaise application de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, ou les dégâts de la grippe aviaire, pour n’en citer que quelques-unes. Il s’agit bien au contraire de valoriser les métiers de l’agriculture !
Cette journée permettra aux acteurs de la filière de mettre en valeur la spécificité des territoires et les nouvelles techniques plus durables. Elle doit permettre aux citoyens de connaître les femmes et les hommes passionnés qui nourrissent la population !
Il s’agira d’un geste fort qui sortira le secteur agricole de son sentiment de découragement et marquera la considération que l’ensemble du pays doit montrer à nos paysans. Je compte sur M. le ministre de l’agriculture pour répondre favorablement à cette demande.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Madame la sénatrice Françoise Férat, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, qui est retenu à l’Assemblée nationale pour une audition et qui aurait aimé vous répondre.
Nous devrions en effet en ce moment vivre un très grand moment pour notre pays, qui se reproduit chaque année, je veux parler du salon de l’agriculture. Ce moment manque aux élus, aux responsables politiques, aux agriculteurs, mais il manque aussi à tous les Français, car il permet de rappeler notre attachement et notre soutien à la filière agricole dans notre pays.
Nous aimerions particulièrement qu’il puisse avoir lieu, cette année, car, si depuis un an les Français ont pu traverser la crise et les confinements avec de quoi se nourrir, c’est parce que, dans notre pays, les agriculteurs ne comptent pas leurs heures ni leur mobilisation pour nourrir nos concitoyens.
Oui, nous devons les soutenir ! Nous les soutenons depuis 2017, notamment grâce à la loi Égalim, les circuits courts ou le plan de relance, lequel prévoit 1, 2 milliard d’euros pour l’agriculture, ou encore grâce aux négociations à Bruxelles qui permettent maintenant que 99 % des aides de la politique agricole commune, la PAC, soient versées dans les temps.
Néanmoins, vous avez raison, madame la sénatrice, il faut aussi faire connaître nos agriculteurs et leur métier. C’est la raison pour laquelle mon collègue ministre de l’agriculture m’indique plusieurs éléments qui, je le crois, répondront à votre suggestion et proposition.
D’abord, le Centre national des expositions et concours agricoles organisera au printemps prochain la semaine française de l’agriculture, avec des échanges et des conférences.
Ensuite, les journées nationales de l’agriculture se dérouleront au mois de juin prochain. Elles permettront aux Français, comme vous le souhaitez, de visiter des exploitations et de saisir la réalité du métier d’agriculteur.
Enfin, chacune et chacun doit rappeler, comme Julien Denormandie l’a encore fait devant vous la semaine dernière, le rôle absolument essentiel que jouent nos agriculteurs dans notre pays. Je vous remercie, au nom du Gouvernement, de l’avoir fait ici.
M. François Patriat applaudit.
Mme Françoise Férat . Monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas certaine d’avoir bien compris. Vous parlez de journées de l’agriculture, j’évoquais une journée nationale de l’agriculture…
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, vous avez fait le choix de poursuivre la discussion avec les partenaires sociaux sur la réforme de l’assurance chômage et nous ne pouvons que vous en féliciter.
La question de la temporalité et des réformes successives sur ce dossier se pose. La crise économique ne gomme pas le contexte dans lequel nous nous trouvons.
Le contexte de gouvernance avec les partenaires sociaux est complexe, cela a été rappelé, non pas du fait de ces derniers, mais bien en raison des négociations désastreuses du gouvernement d’Édouard Philippe sur ce sujet.
Par vos réformes, ce contexte tend à rendre le service public de l’emploi plus dépendant de la conjoncture économique, ce qui dessine des perspectives financières extrêmement incertaines pour Pôle emploi en 2022.
Nous vous tendions la main en proposant que le document de cadrage adressé aux partenaires sociaux sur ce sujet fasse l’objet d’une discussion au Parlement, ce qui a été balayé d’un revers de manche par le gouvernement précédent.
Il s’agit enfin d’un contexte incertain sur l’état réel du marché du travail et de certains secteurs.
Mes questions sont donc au nombre de trois.
Pensez-vous que les discussions d’hier vont renouer les liens et faciliter le dialogue entre les partenaires sociaux sur la réforme de l’assurance chômage ?
Ne pensez-vous pas que, pour cette réforme, il faille accepter de travailler davantage avec le Parlement, les régions et les départements, avant la publication d’un décret qui gravera dans le marbre les futures règles d’indemnisation des années à venir ?
Ne faut-il pas, au regard de la conjoncture, envisager des solutions à géométrie variable selon les branches ou les secteurs géographiques, qui seront sans doute touchés de façon différenciée les uns des autres ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la sénatrice Frédérique Puissat, comme vous, je suis attachée au dialogue social et je suis convaincue que les partenaires sociaux jouent un rôle essentiel depuis le début de la crise. C’est la raison pour laquelle, au cours des six derniers mois, j’ai écouté les propositions et les observations formulées par les uns et les autres. C’est ainsi que nous avons construit la réforme que j’ai présentée hier.
Par exemple, en réponse aux observations des organisations syndicales, nous avons fait le choix de décaler au 1er juillet prochain la mise en œuvre de cette réforme, au moment où notre stratégie vaccinale sera pleinement montée en puissance, avec des impacts positifs du point de vue économique et social. Nous avons également choisi de maintenir l’ouverture des droits au bout de quatre mois, comme c’est le cas aujourd’hui, tant que la situation du marché du travail n’est pas revenue à la normale.
Ces clauses de retour à meilleure fortune, que nous avons introduites, me semblent constituer une avancée importante. Elles répondent à une considération de bon sens
Exclamations sur les travées du groupe CRCE.
Par ailleurs, pour répondre également aux inquiétudes des organisations patronales, nous avons aménagé le dispositif de bonus-malus, afin que les périodes « atypiques » – l’année 2020 et le début de l’année 2021 – n’entrent pas en compte dans le calcul de ce bonus-malus et que les secteurs les plus affectés par la crise ne soient pas concernés.
C’est cette écoute permanente des organisations patronales et syndicales qui nous a permis d’élaborer la réforme présentée hier. Par ailleurs, nous devons ouvrir, avec les partenaires sociaux, une discussion sur la gouvernance de l’assurance chômage, laquelle doit permettre à chacun – État, partenaires sociaux, Parlement – de trouver toute sa place.
Mme Frédérique Puissat. Madame la ministre, je ne sais pas si vous êtes « une femme de gauche », pour reprendre les termes de Mme Cécile Cukierman
Exclamations sur les travées du groupe CRCE.
Les territoires ne peuvent se satisfaire d’une réforme qui les affectera. Les départements et les régions n’ont pas été associés à cette réforme, non plus que le Parlement. Les partenaires sociaux ont le sentiment d’une réforme excessivement verticale. Bref, le rendez-vous social est manqué.
Il faut dire que le calendrier suivi était peut-être davantage celui de l’élection présidentielle…
Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Applaudissements sur des travées du groupe SER.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Toutes les guerres ont leur trésor, paraît-il ; 200 milliards d’euros, c’est le montant du surcroît d’épargne qui sera accumulé, à la fin de l’année, dans notre pays, soit près de 8 % du PIB.
Réinjectée dans l’économie, cette épargne inhabituelle permettrait de compenser les effets de la pandémie et d’assurer un véritable rebond de l’activité. Ces sommes portent en elles toute l’iniquité de cette crise : sans surprise, 70 % du surcroît de l’épargne est le fait des 20 % des ménages les plus riches en France.
L’argent n’est pas fait pour être entassé, il est fait pour circuler. Les tergiversations du Gouvernement sur la question coûtent cher à la France !
En matière de libéralisation de l’épargne, la confiance est cardinale. En ce sens, les atermoiements sur la politique vaccinale ne sont malheureusement pas de nature à restaurer cette confiance, dont nous avons tant besoin.
Je n’appelle pas à toucher à l’épargne de précaution accumulée par nos concitoyens les plus modestes, mais je vous demande de mettre à contribution ceux pour qui la crise a permis cette accumulation.
Rétablir l’ISF pour contribuer à l’effort de solidarité ?
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.
Encore non ! En refusant cela, vous actez votre renoncement à faire contribuer ceux pour qui la crise a été synonyme d’enrichissement.
Voilà ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Le virus se propage sur un terrain déjà miné par les inégalités ; celles-ci n’ont cessé de se creuser dans des proportions inédites. Comment comptez-vous mobiliser ce fonds de guerre, thésaurisé par les citoyens les plus aisés, afin qu’un embryon de justice fiscale puisse enfin voir le jour dans votre quinquennat ? Il vous reste encore un an. Rien n’est jamais trop tard…
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Monsieur le sénateur Cozic, vous m’interrogez sur le fléchage de l’épargne vers la relance de l’économie, sujet sur lequel le Gouvernement est mobilisé depuis 2017.
À partir de 2018 – vous vous en souvenez, je n’en doute pas –, Laurent Saint-Martin, Amélie de Montchalin et moi-même avions, à l’Assemblée nationale, lancé le grand rendez-vous de l’investissement productif. Je suis sûre que vous aviez suivi cela de très près.
Vous l’avez rappelé, aujourd’hui, à peu près 200 milliards d’euros d’épargne sont disponibles. Vous parlez de trésor, mais c’est surtout l’argent des Français. Notre objectif est clair : que cette épargne serve au financement de l’économie réelle, de nos entreprises. C’est dans l’intérêt des épargnants – cela leur rapporte de la rentabilité, dans un contexte de taux bas –, mais aussi, voire surtout, dans celui de nos entreprises, qui ont toujours besoin de ces ressources pour investir, consolider leurs fonds propres et repartir.
Nous visons cet objectif depuis maintenant quatre ans. Nous avons intensifié cette action avec la relance ; le label « relance », que nous avons lancé au mois d’octobre 2020, permet aux épargnants d’identifier les fonds qui ciblent tout particulièrement les investissements en fonds propres et quasi-fonds propres, dans les entreprises françaises, notamment dans les PME et les entreprises de taille intermédiaire.
C’est un véritable succès, avec près de 150 fonds labellisés et une cible de 25 milliards d’euros d’encours, qui seront investis à 70 % dans les entreprises françaises. Par ailleurs, 60 % de ces fonds sont accessibles aux épargnants particuliers qui souhaitent donner du sens à leur épargne ; ils sont de plus en plus nombreux.
Enfin, nous avons mis en œuvre des mécanismes pour flécher l’épargne vers des entreprises à impact et nous incitons de plus en plus chaque Français à mettre son « trésor », son épargne, au service du développement de cette économie d’avenir.
M. François Patriat applaudit.
Madame la secrétaire d’État, les bas de laine et les matelas de certains de nos concitoyens sont remplis. De grâce, épargnez-nous vos dispositifs incantatoires, qui ne touchent qu’une infime partie de nos concitoyens…
La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains.)
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Lillibelle et Toumani, 14 ans, sont morts dans l’Essonne, lundi et mardi derniers, respectivement à Saint-Chéron et à Boussy-Saint-Antoine, deux charmantes et paisibles bourgades, à la suite d’affrontements entre jeunes. C’est l’horreur absolue…
« Rien de bien nouveau », me direz-vous, puisque l’amnésie collective ou le parfum de bonne conscience nous font par exemple passer sous silence le meurtre du jeune Romuald, 14 ans lui aussi, lâchement abattu en pleine rue, à Courcouronnes, le 8 novembre 2000, victime gratuite d’une vieille histoire d’impayé entre deux familles sur fond de rivalités entre quartiers.
Notre pays regorge de sociologues éminemment compétents. Nous croulons sous les analyses pertinentes et détaillées du phénomène de violences en bandes, gangs ou autres tribus. Bien sûr, le sujet est extrêmement complexe ; bien sûr, la prévention ; bien sûr, l’accompagnement…
Cependant, quand répondrez-vous enfin à l’appel de détresse des élus de l’Essonne, obligés, par exemple, de quémander les crédits de leur plan de prévention spécialisée ? Quand donnerez-vous enfin aux communes les moyens de recomposer des quartiers à vivre, plutôt que de les matraquer aveuglément avec l’article 55 de la loi SRU, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ?
Quand calquerez-vous enfin l’évolution des effectifs de police et de gendarmerie sur la croissance démographique exponentielle d’un département comme le nôtre, ce que nous demandons en vain depuis des années ? J’en veux pour preuve la demande, le 26 janvier 1989, du sénateur communiste Robert Vizet, auquel je veux rendre hommage ici, …
M. Jean-Raymond Hugonet. … qui attirait déjà l’attention du ministre de l’intérieur de l’époque, comme je le fais aujourd’hui, sur l’insuffisance des effectifs de police et de gendarmerie dans le département de l’Essonne ! C’était il y a trente-deux ans !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, je représente le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, que vous interrogez.
Vous dressez un constat important sur la question des violences, notamment en bandes, dans l’Essonne. Ce constat de violences inacceptables, nous le partageons évidemment, et le Gouvernement est à pied d’œuvre pour y répondre.
Vous évoquiez certains faits de violence dans l’Essonne. Je veux le rappeler, dans l’année écoulée, quatre-vingt-onze événements de cet ordre, liés à des questions de violence et à des bandes, ont eu lieu dans l’Essonne. Sans doute, tous n’ont pas le même écho médiatique – j’adresse d’ailleurs mes pensées aux familles des victimes –, mais, pour autant, aucun de ces événements n’est acceptable.
On observe, année après année, que les « belligérants » sont de plus en plus jeunes : nous avons maintenant affaire à des jeunes âgés, en moyenne, de 13 à 17 ans, qui causent parfois des blessures très graves, entraînant des effets irréversibles.
Il arrive souvent que ces drames soient évités de peu, grâce à l’intervention des forces de sécurité intérieure, qui – vous avez raison de le rappeler – accomplissent un travail difficile, notamment dans certains quartiers ; je veux les en remercier.
Face à ce constat, le Gouvernement agit : un certain nombre de dispositifs ont été mis en œuvre, de façon opérationnelle. Pour ma part, monsieur le sénateur, je ne veux pas opposer la prévention à la répression ou à l’action. Notre action se compose, de manière indissociable, de prévention et de répression.
D’abord, il y a une action répressive et judiciaire, grâce au travail de coopération instauré avec le parquet d’Évry, au sein de la cellule de lutte contre les trafics et avec le référent de lutte contre les bandes, nommé sous l’autorité du parquet dans chaque circonscription de sécurité. Grâce à cela, des procédures judiciaires pour participation à un attroupement armé ont été lancées, comme le recours systématisé à l’exploitation vidéo.
Par ailleurs ont été mis en place des dispositifs d’alerte précoce, pour assurer une intervention rapide des forces de sécurité intérieure. Cette procédure a été déployée et donne d’ores et déjà des résultats probants, notamment dans le secteur de Corbeil-Essonnes où, très récemment, certains affrontements ont pu être évités grâce à des interpellations préventives d’acteurs qui s’apprêtaient à « en découdre ».
En outre, la logique de prévention est évidemment renforcée en amont, avec les acteurs locaux, les élus, les chefs d’établissement scolaire.
En ce sens, en lien avec le garde des sceaux et le ministre de l’éducation nationale et sous l’autorité du Premier ministre, un travail a été lancé. Ainsi, au mois de mai 2021, le nouveau plan de lutte contre les bandes sera annoncé par le ministère de l’intérieur. ( M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Encore un plan, madame la secrétaire d’État ! Encore des confettis de paroles ! Nous ne nous satisfaisons plus des mots, nous voulons des actes, nous voulons des agents supplémentaires, que nous demandons depuis trente-deux ans ! Réveillez-vous !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Si, à mesure qu’elle dure, la crise sanitaire soulève chaque jour son lot de questions, une question essentielle se pose : comment rattraper notre cap vaccinal ? Alors que l’on cherche à accélérer la campagne de vaccination en France, je tiens à vous interroger sur les doses fantômes dont notre pays semble se priver.
En effet, selon de nombreux professionnels de santé, alors que seules dix doses sont initialement prévues dans les flacons des vaccins Moderna, il serait possible d’en tirer très facilement une onzième dose. Il en allait d’ailleurs de même pour le vaccin Pfizer, pour lequel une sixième dose a finalement été autorisée, tandis que cinq doses seulement étaient prévues.
Ainsi, sous réserve de certaines précautions, il serait possible de vacciner plus de personnes avec la même quantité de vaccin. Dans une commune de 4 000 habitants – j’ai fait le tour de certaines communes de mon département pour voir comment se passaient les vaccinations –, cela correspond à environ trois doses par jour, soit quinze par semaine. Après des tensions d’approvisionnement, on imagine aisément le gaspillage que cela représente à l’échelle nationale et le potentiel inutilisé qui pourrait profiter à cette stratégie de vaccination.
Les autorités médicales évoluent sans cadre et risquent parfois des poursuites si elles utilisent cette onzième dose. Aussi, quelle réponse leur apporter face à ce paradoxe insupportable ? Pourquoi ne pas utiliser ces doses supplémentaires pour des patients ayant déjà été infectés par le virus et pour lesquels la Haute Autorité de santé recommande l’utilisation d’une seule dose ?
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler le souci constant du Gouvernement – je pense que nous le partageons – d’accélérer notre stratégie vaccinale et de permettre à nos concitoyens de se prémunir au mieux contre le virus, notamment dans ses formes aggravantes.
Plus de 3 millions de personnes ont reçu une première injection et, au 2 mars dernier, 1, 7 million d’entre elles avaient reçu la seconde. C’est un motif de satisfaction important, notamment pour les personnes les plus âgées et les plus vulnérables.
Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons le souci permanent de l’accessibilité des doses, de leur importation, de leur production. Clément Beaune et moi-même œuvrons à la meilleure coordination européenne possible, pour être plus forts ensemble.
En ce qui concerne l’usage de ces doses, Olivier Véran et moi veillons à ce que celles-ci soient en priorité affectées en fonction de la vulnérabilité et de la comorbidité du public. Je me félicite de ce que plus de 80 % de nos concitoyens résidant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) aient pu bénéficier de cette première dose. Nos aînés sont désormais moins fragilisés et ont donc moins recours aux services d’urgences ; c’était le but visé par cette stratégie.
Monsieur le sénateur, vous le voyez : nous partageons avec vous l’objectif consistant à disposer de doses suffisantes, pleinement efficaces et qui puissent être administrées dans les meilleurs délais.
C’est à cette fin que l’autorisation de mise sur le marché du vaccin Moderna prévoit que chaque flacon contient dix doses. Néanmoins, afin de s’assurer dans les meilleurs délais qu’il nous soit possible d’exploiter éventuellement une onzième dose, l’État a mis, par anticipation, à disposition des établissements de santé et des centres de vaccination du matériel adapté pour récupérer la onzième dose. Il s’agit de seringues particulières. Nous anticipons donc cet enjeu primordial, en récupérant ces doses, afin d’en faire bénéficier le plus grand nombre dans les meilleurs délais.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Ce sujet est véritablement important. Pouvoir utiliser onze doses par flacon au lieu de dix me paraît crucial.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 10 mars 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.
J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement et de la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale ont été affichées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
J’informe également le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation à la prospective a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes, sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en parvenant à un accord avec le Royaume-Uni, nous avons évité le pire, mais ne nous berçons pas trop d’illusions : cet accord, obtenu in extremis, reste inévitablement un accord « perdant-perdant », selon les mots de Michel Barnier.
Au moment où nous aurions besoin que l’Europe s’affirme comme un pôle de stabilité et de paix dans un monde marqué par le recul du multilatéralisme et le recours de plus en plus décomplexé à la force, notre continent s’est, en vérité, divisé et affaibli. Comme c’est trop souvent le cas, l’Europe a, d’elle-même, fait le jeu de ses concurrents et de ses adversaires.
Il nous faut être lucides : aucun pays européen ne sortira gagnant du Brexit et savoir que celui-ci nuira encore plus au Royaume-Uni qu’aux Vingt-Sept ne constitue en rien un lot de consolation. Le soulagement lié à la conclusion d’un accord ne doit pas masquer les réalités que nous devons maintenant affronter : même en l’absence de droits de douane, cet accord débouche sur le rétablissement des frontières, d’où des frictions et la désorganisation des chaînes logistiques de nos économies.
Il est à craindre que la réduction des échanges ne soit plus importante que prévu et n’entraîne une réévaluation du risque économique ; les journaux rapportent quotidiennement de multiples exemples de difficultés commerciales ou industrielles que rencontrent les entreprises. Rappelons-le, le produit intérieur brut (PIB) britannique représentait 15 % du PIB de l’Union européenne.
Par ailleurs, nous avons maintenant devant nous la négociation de nombreux accords sectoriels. Je ne reviens pas sur le difficile dossier de la pêche ; il semble que, pour 2021, au-delà du problème des licences, nous soyons en passe de trouver un accord pour les quotas. Toutefois, pour l’avenir, à partir du mois de juillet 2026, tout accord sur la possibilité de pêcher dans les eaux britanniques reste à écrire, donc à négocier. Ce ne sera pas chose facile et il faudra, en outre, intégrer la question du partage de ces quotas entre les pays qui sont restés au sein de l’Union européenne.
Pour les questions encore pendantes, comme l’application des détails et la gouvernance de l’accord, il sera essentiel que les Vingt-Sept restent aussi unis, vigilants et mobilisés que pour la négociation de l’accord lui-même. À cet égard, vous pourrez compter sur le Sénat, monsieur le secrétaire d’État, pour renforcer cette vigilance et pour appuyer cette mobilisation.
Autre point d’attention : l’Irlande du Nord, où la situation reste très sensible, comme nous l’avons récemment constaté avec l’épisode des vaccins. Quelle est la solidité du protocole nord-irlandais ? Dans quelques semaines, l’obligation de déclarer tous les biens transitant entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord matérialisera une séparation commerciale. Cela ne viendra-t-il pas renforcer les courants d’opinion favorables à une réunification irlandaise ?
De son côté, le parti indépendantiste écossais pourrait faire campagne en faveur d’un nouveau référendum d’indépendance, après les élections au parlement d’Écosse du printemps prochain. Le Premier ministre Boris Johnson tentera de s’y opposer, mais on ne peut exclure que, à terme, le rêve d’une Global Britain soit remplacé par la réalité d’une Little England… Nous n’en sommes pas là, bien sûr, mais les questions irlandaise et écossaise montrent que, au-delà des difficultés économiques actuelles, les conséquences du Brexit pourraient être plus grandes encore dans le domaine politique.
J’en viens au chapitre crucial de la défense et de la sécurité, pour lequel le Royaume-Uni est notre partenaire naturel en Europe.
Pour ce qui concerne la relation bilatérale de défense, nous ne sommes pas trop inquiets, même si nous devons rester mobilisés pour continuer de développer le cadre des accords de Lancaster House. Il faudra continuer à faire vivre ces accords dans leurs trois dimensions : nucléaire, opérationnelle et capacitaire.
Le 2 novembre dernier, nous fêtions les dix ans de ces accords. Quelques jours plus tard, le volet capacitaire connaissait une nouvelle avancée, Thales ayant eu le feu vert de la Royal Navy et de la Marine française pour que le programme de guerre des mines entre enfin en phase de production. C’est un fait : en matière de défense, il y a une grande symétrie et de fortes synergies potentielles entre les deux ex-puissances coloniales, aujourd’hui puissances ultramarines, que sont la France et le Royaume-Uni.
En revanche, nous sommes plus inquiets quant à la volonté des Britanniques de rester arrimés à la défense européenne, en dehors du cadre otanien. La réserve dont le Royaume-Uni ne s’est jamais départi en matière de politique de défense et de sécurité commune ou les déclarations récentes des responsables britanniques ne sont pas franchement de nature à nous rassurer sur ce point…
À l’instar de ce qu’avaient fait les États-Unis de Barack Obama, le Royaume-Uni vient d’annoncer que sa préoccupation principale est le déplacement de son pivot vers le Pacifique. De même, comme les États-Unis de Joe Biden, il souhaite rejoindre les onze membres de l’accord de libre-échange transpacifique.
Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des postures, quelle perception avez-vous aujourd’hui de l’état d’esprit des Britanniques, en matière de défense et de sécurité européenne ? Jouent-ils simplement la montre, pour ne pas paraître en position de demandeurs ? Ne font-ils qu’attendre, compte tenu de la politique internationale du nouveau président américain, qui se veut en rupture avec celle de l’administration précédente, une clarification des relations entre les États-Unis, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Europe, ainsi qu’une meilleure visibilité des attentes respectives de ces acteurs, avant d’avancer sur ce sujet ? Se pourrait-il qu’ils envisagent de tourner le dos à la construction de la défense européenne, alors même que leurs intérêts de sécurité sont largement les mêmes que les nôtres ?
Il faudra peut-être alors que l’Union européenne assume de conquérir son autonomie stratégique avec une seule des deux principales armées d’Europe.
Sans doute le Brexit ouvre-t-il à l’Allemagne de nouvelles perspectives dans ce domaine, mais cette dernière voudra-t-elle œuvrer, aux côtés de la France, pour la conquête de cette autonomie stratégique par l’Union européenne ? C’est vrai, elle semble aujourd’hui plus déterminée sur cette question que ne l’a jamais été le Royaume-Uni, ainsi que l’illustre la démarche de la boussole stratégique, lancée sous la présidence allemande et que conclura la présidence française.
En conclusion, je reviendrai sur les causes du Brexit, car il me semble nécessaire d’en tirer toutes les conséquences afin que, pour l’avenir, nous ne soyons plus exposés à ce type de traumatisme, qui risquerait de nous coûter bien cher, à la longue…
La désaffection à l’égard de l’Europe, que nous mesurons aussi en France, nous la devons tantôt à un excès de libéralisme, tantôt à un excès de bureaucratie, c’est-à-dire au sentiment mélangé d’une protection insuffisante et d’une prolifération réglementaire étouffante. Les citoyens européens ne perçoivent plus assez pourquoi nous avons fait l’Europe. Paradoxalement, la montée des périls dans le monde, jusqu’à nos frontières – je pense par exemple à la Méditerranée –, devrait redonner tout son sens à une construction européenne, qui a d’abord été conçue comme un moyen d’assurer la paix et la sécurité des Européens.
Il semble que nous soyons en passe de corriger certains défauts. Désormais, face aux dégâts sociaux de la désindustrialisation, l’Europe commence à surmonter sa naïveté dans sa manière d’aborder les échanges économiques avec ses partenaires ; elle a d’ailleurs conduit les négociations de l’accord commercial euro-britannique avec une fermeté exemplaire, pour laquelle nous vous rendons hommage, monsieur le secrétaire d’État.
Le plan de relance européen adopté au mois de décembre dernier réalise un double saut vers plus de souveraineté et plus de solidarité. En dépit de ses lenteurs et de ses ratés, la stratégie vaccinale européenne illustre tant cette solidarité que l’embryon d’une capacité à agir dans l’urgence.
Enfin, la construction de la défense européenne et la reconquête de notre autonomie stratégique renforcent la conscience d’un destin partagé, dès lors que sont identifiées des menaces communes.
À son niveau, le Sénat s’emploiera toujours à favoriser cette orientation vers une Europe à la fois plus protectrice et plus réactive.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 23 juin 2016, coup de tonnerre ! Qui imaginait alors qu’un État membre puisse quitter l’Union européenne ? C’est pourtant bel et bien arrivé ! Le Brexit est un événement inédit dans l’histoire de l’Union européenne. Ce n’est pas un événement heureux, mais cela a le mérite de rappeler que nul n’est prisonnier du projet européen.
Les négociations que le Brexit a impliquées n’ont pas été un long fleuve tranquille, en raison des péripéties internes de la vie politique britannique et de la pandémie, mais elles ont également eu une vertu : celle de manifester l’unité des Vingt-Sept et de révéler le prix qu’ils accordent au marché unique, désormais clairement identifié comme l’acquis majeur de la construction européenne.
Grâce à la ténacité de Michel Barnier, ces négociations se sont conclues à Noël par un accord substantiel qui satisfait les deux parties. Pourtant, comme l’a indiqué Michel Barnier lors de son audition, le 16 février dernier, c’est bien un accord « perdant-perdant », car le Brexit ne profite à personne. Néanmoins, cet accord minimise les pertes.
Sur l’initiative du groupe de suivi du Brexit, créé en 2016, le Sénat a adopté, voilà un an, une résolution européenne sur le mandat de négociation confié par les Vingt-Sept à Michel Barnier. Nous avons ainsi pu fixer nos lignes rouges. Au terme des négociations, Christian Cambon et moi-même avons sollicité l’organisation de ce débat en séance publique sur l’accord finalement conclu, car l’importance de celui-ci est grande pour l’Union européenne. En effet, 3, 5 millions d’Européens vivent au Royaume-Uni et ce pays représente 15 % des exportations extracommunautaires.
Notre résolution du mois de mars 2020 a globalement été suivie d’effets.
De fait – c’était l’objectif principal, tant nos économies sont imbriquées –, l’accord de commerce et de partenariat permet la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ; il garantit l’absence de quotas et de droits de douane. En contrepartie, pour prévenir tout dumping susceptible de fausser ce libre-échange, le Royaume-Uni s’engage doublement, d’une part, à ce que l’octroi des aides d’État soit encadré par des principes communs, d’autre part, à ce que le niveau de protection réglementaire applicable dans l’Union européenne à la fin de la période de transition soit maintenu, en matière sociale et environnementale.
Sur ces deux volets, si le Royaume-Uni était tenté de diverger, l’Union européenne pourra adopter des mesures compensatoires, y compris des suspensions croisées, rétablir des tarifs, voire tout remettre en cause. Cette clause dite de « non-régression » est une première dans un accord commercial et assure une concurrence loyale.
Par ailleurs, le volet relatif à la pêche a été intégré à l’accord final, comme le demandait le Sénat. Le combat a été difficile, surtout en raison de son enjeu symbolique pour le Royaume-Uni, qui voulait retrouver sa souveraineté dans ses eaux. In fine, l’accès aux eaux britanniques est garanti pendant cinq ans et demi et nos quotas de pêche y sont certes réduits – c’était inévitable –, mais de 25 % seulement au cours de cette période. N’oublions pas que l’absence d’accord aurait privé nos pécheurs des 650 millions d’euros qu’ils pêchent chaque année en eaux britanniques.
Après le 30 juin 2026, il s’agira d’une tout autre affaire : l’accès aux eaux et aux ressources reposera sur un régime de négociation annuel. En cas de remise en question des accès à l’issue de cette période, l’accord autorise les parties à adopter des mesures compensatoires. Nos répliques pourront être à la fois internes au secteur de la pêche et croisées : ainsi, Michel Barnier a fait valoir que l’accord prévoyait une clause miroir dans le secteur de l’énergie, puisque l’interconnectivité électrique – essentielle pour l’économie britannique – sera elle aussi revue dans cinq ans et demi.
Ensuite, l’accord est aussi un accord de coopération : il garantit la poursuite de la coopération précieuse que l’Union européenne a engagée avec le Royaume-Uni dans certains domaines d’importance majeure comme la recherche, l’espace – du moins, en partie –, mais aussi la sécurité intérieure à travers la coopération judiciaire et policière en matière criminelle ou encore la lutte contre le blanchiment. Bien sûr, nous pouvons regretter que le Royaume-Uni se retire du programme Erasmus. Nous pouvons encore plus déplorer qu’il ait refusé d’organiser un cadre pérenne pour notre coopération en matière de politique étrangère et de sécurité commune.
Il faut se rendre à l’évidence : plus rien n’est comme avant. Passeports, tampons, visas, contrôle aux frontières – même pour le commerce de marchandises – sont autant de mots qui reviendront dans notre langage quotidien commun avec le Royaume-Uni. Faire respecter nos standards est un enjeu. Garantir une concurrence loyale et sécuriser les produits alimentaires sont des exigences.
En matière de services, la reconnaissance mutuelle n’a plus cours, notamment pour les qualifications professionnelles. Quant aux services financiers britanniques, ils ont perdu le passeport européen et sont suspendus aux décisions d’équivalence que l’Union européenne ne prendra que si elle y a intérêt.
Même sur les sujets réglés par l’accord, posons-nous encore des questions. Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez ma sensibilité sur ce sujet : les pêcheurs sont encore trop nombreux à ne pas avoir obtenu la licence promise pour pêcher en eaux britanniques. Il en résulte une surpêche dans les eaux françaises et certains renoncent même à sortir leur bateau, faute de rentabilité. C’est à se demander s’ils ne seraient pas mieux servis en arborant un pavillon britannique plutôt que français.
Il s’agit, par ailleurs, de veiller aux contrôles qu’il faut désormais opérer sur nos échanges avec les Britanniques, notamment l’asymétrie des contrôles vétérinaires. Nous avons des retours d’entreprises qui bénéficient aujourd’hui de la clémence britannique. Elles craignent un retour de bâton après le 1er avril prochain. À ce titre, nous avons l’expérience douloureuse de l’embargo avec la Russie.
Je m’inquiète aussi des différences de contrôles entre les États membres. L’organisation des contrôles dans les ports européens les plus concernés, du Havre jusqu’à Hambourg, n’est pas aussi rigoureuse. Certains de ces ports sont tentés de réduire les contrôles pour attirer la marchandise. Nos ports doivent s’organiser face à la concurrence des autres ports européens, d’autant que s’y ajoutera bientôt celle des ports francs annoncés par les Britanniques.
Je suis surtout préoccupé par les difficultés que soulèvent les nouveaux contrôles organisés en mer d’Irlande. Le protocole irlandais annexé à l’accord de retrait a évité le pire, à savoir le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande. Reste que le statut hybride de l’Irlande du Nord, incluse à la fois dans le marché unique et dans le territoire douanier britannique, crée de nouvelles tensions. En voulant activer l’article 16 pour contrôler les exportations de vaccins, la Commission européenne a malheureusement mis de l’huile sur le feu irlandais. La paix n’étant jamais acquise, il s’agit là d’un sujet de vigilance prioritaire…
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous nous inquiétons de l’accompagnement financier des conséquences du Brexit. L’Union européenne y consacrera une ligne budgétaire de 5 milliards d’euros. La part qui revient à la France doit compenser l’impact du Brexit qui affecte tout spécialement notre pays, en raison de sa proximité géographique, historique et économique avec le Royaume-Uni. Nous savons que la négociation ne sera pas aisée pour partager cette enveloppe entre les Vingt-Sept. Aussi Christian Cambon et moi-même proposerons-nous bientôt au Sénat une résolution européenne pour appuyer les demandes françaises.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous d’ores et déjà nous assurer que des critères justes et transparents présideront à la répartition des fonds obtenus entre les secteurs et les régions les plus touchés de France ?
Je resituerai, pour terminer, notre débat d’aujourd’hui dans une perspective plus large, comme l’a fait Christian Cambon. N’oublions pas de nous interroger sur ce qui a conduit au Brexit. Comme nous y a invités Michel Barnier, il importe de tirer les leçons du Brexit et de réfléchir ensemble à la manière de rapprocher Bruxelles des citoyens européens et de leur donner à toucher l’Europe à la maison.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, presque cinq ans après le vote des Britanniques exprimant leur volonté de sortir de l’Union européenne et à l’issue d’un an de négociations difficiles entrecoupées par la crise sanitaire, un accord a enfin été trouvé. La performance mérite d’être soulignée tant la situation est inédite.
Ainsi, l’Union européenne a dû faire avec un gouvernement Johnson aux abois jouant, durant tout le processus, son avenir et sa crédibilité. La situation est également historique : un pays – et pas n’importe lequel – a fait le choix de quitter l’Union européenne. Puissance économique et diplomatique, Londres en était un pilier. Ce constat impose une réflexion sur l’organisation de l’Union européenne elle-même et les réticences qu’elle peut susciter. Je partage ainsi pleinement le souhait du président de la commission des affaires étrangères de bien analyser les causes profondes du choix de nos amis britanniques, choix qui a un effet direct sur la construction européenne.
Plus qu’un espace de solidarité et d’harmonisation, l’Union européenne est de plus en plus vue comme une machine technocratique et un espace de concurrence déloyale. La France, pourtant aux origines mêmes de la communauté européenne, n’est pas épargnée : « Même atténuée, l’ombre du Frexit demeure », comme le titrait Le Monde au mois de décembre dernier. La privatisation passée ou à venir de plusieurs entreprises et services publics et la gestion parfois erratique de la crise sanitaire n’ont fait que donner des arguments supplémentaires aux tenants de la sortie.
À bien des égards, cet accord post-Brexit comporte des dispositions essentielles qui vont dans le bon sens. Toutefois, elles doivent encore être interrogées.
En premier lieu, contrairement à ce que souhaitait Boris Johnson, l’Europe n’aura pas, à ses portes, un concurrent britannique non tenu par les normes sanitaires, sociales et environnementales. Cela aurait été une catastrophe à tous les niveaux pour les Européens et leurs entreprises.
En second lieu – c’est un nouvel élément à mettre au crédit de Michel Barnier –, les eaux les plus poissonneuses de l’espace européen ne seront pas fermées. Mieux, l’abandon de 60 % des prises des pêcheurs européens a été largement revu à la baisse : il a été fixé à 25 % pour les cinq prochaines années. Cette situation reste toutefois moins favorable aux pêcheurs que la politique commune européenne. Si la Commission européenne commence à rattraper son retard, les délivrances de licences aux pêcheurs ont traîné.
Les ports des Hauts-de-France ont fortement pâti de cette situation. Il faut rappeler que 70 % de la pêche artisanale et 96 % de la pêche hauturière de Boulogne-sur-Mer, par exemple, se font dans les eaux britanniques. Or, il y a quinze jours, seuls seize des cent cinquante bateaux avaient obtenu le précieux sésame leur permettant de travailler. À Dunkerque, la pêche artisanale, déjà dramatiquement affaiblie par la concurrence et la diminution des ressources halieutiques causée par la pêche électrique, risque de disparaître totalement.
Sur ces deux sujets, et c’est mon premier point d’inquiétude, cet accord n’est que temporaire. La bonne nouvelle est que cela implique un dialogue nourri entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ; la mauvaise est que la situation reste instable et pourrait se dégrader.
Ainsi, les Européens ont échoué à mettre en place un mécanisme d’alignement dynamique des normes. Je parlais tout à l’heure des évolutions que devait opérer l’Union européenne pour maintenir l’adhésion volontaire des États membres. La question de la production responsable doit faire partie des chantiers prioritaires et nous pouvons espérer un renforcement des normes dans les années à venir.
De fait, l’absence de mécanisme de réalignement risque de conduire à des normes britanniques en deçà des standards européens. Il ne faudrait pas que, d’un côté, l’Union européenne se résigne à ne pas renforcer la protection des Européens et que, de l’autre, on se retrouve dans la situation tant redoutée de dumping.
En matière de pêche, ne risquons-nous pas d’assister, en 2026, à une reprise en main britannique de ses eaux poissonneuses ? La question se pose. L’Union européenne peut-elle garantir la protection des pêcheurs européens, lorsque Londres pourra renégocier annuellement avec, à n’en pas douter, l’ambition d’augmenter le taux d’abandon des prises européennes ?
Tout reste à faire dans ce domaine. La City reste une plaque tournante essentielle de la finance mondiale. Les annonces récentes de Boris Johnson doivent nous inquiéter. Il envisage en effet de créer dix ports francs sur son territoire, à l’instar de ceux qui existent au Luxembourg ou en Suisse. Nous pourrions ainsi avoir à nos portes un « Singapour sur Tamise ».
Il y a bien eu quelques transferts en direction d’Amsterdam, de Dublin et même de Paris, mais la suprématie de la City n’est pas entamée sur le fond. Les récentes révélations OpenLux doivent, plus que jamais, appeler l’Union européenne à agir résolument contre les paradis fiscaux en son sein. Voilà encore un axe sur lequel l’Union européenne doit impérativement travailler. Comment s’étonner d’un rejet de l’Union européenne quand on assiste, dans le même temps, à une chasse aux services publics à l’échelon européen, à un refus permanent de politiques fiscales ambitieuses et solidaires comme la taxation des transactions financières et, trop souvent, à une indifférence coupable en ce qui concerne les paradis fiscaux ?
Cet accord de coopération constitue, à bien des égards, la conclusion d’un épisode qui marquera l’histoire européenne. Ce dernier doit nous obliger à réinterroger le fonctionnement et la visée de l’Union européenne. C’est d’autant plus central quand on voit avec quelle difficulté le moindre acte de solidarité entre ses pays membres est âprement négocié, à l’image du plan de relance européen.
Mme Michelle Gréaume applaudit.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 24 décembre dernier, un accord de commerce et de coopération a été trouvé de justesse entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Il a permis d’éviter un no deal et une sortie brutale du Royaume-Uni de l’Union européenne, mais certains points de l’accord et leurs effets suscitent toujours inquiétudes et interrogations.
Je pense à l’accord conclu sur la pêche ainsi qu’à l’impact du Brexit sur les ports du nord-ouest de la France, particulièrement ceux de Normandie, région dont je suis élue tout comme cinq collègues de mon groupe.
Ces ports sont aujourd’hui affaiblis, voire en difficulté économique, en raison de la perte brutale d’activité sans précédent liée à la covid-19. Quasiment toutes les compagnies ferries transmanche annoncent ou mettent en œuvre des plans sociaux et les exploitants portuaires comme la régie de Dieppe, la chambre de commerce et d’industrie de Caen ou encore le port de Cherbourg SAS ont affiché, en 2020, des pertes substantielles. Il y a quelques semaines, monsieur le secrétaire d’État, au cours d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, je vous ai déjà alerté sur la situation de Brittany ferries, mais on peut également évoquer celle de DFDS Seaways, qui assure la liaison Dieppe-Newhaven, ainsi que les compagnies de croisières qui sont à l’arrêt total.
Au-delà de cette crise, compagnies et ports transmanche sont confrontés, depuis le 1er janvier dernier, à la mise en œuvre du Brexit. Pour toutes ces structures, le départ annoncé du Royaume-Uni de l’Union européenne les a obligées à anticiper la mise en œuvre de lourds travaux d’aménagement des terminaux pour pouvoir répondre aux nouvelles exigences en matière de circulation des marchandises et des personnes. Pour les ports normands, la facture s’élève déjà à 8 millions d’euros et elle risque de largement s’alourdir par la nécessité d’installer un poste de contrôle vétérinaire sur le terminal du port d’Ouistreham.
Consciente de ces impacts économiques, l’Union européenne a proposé, au mois de décembre dernier, la création d’un fonds d’ajustement au Brexit ayant pour objet de fournir une aide simple et rapide aux secteurs les plus durement touchés par le Brexit. Cette initiative est louable, mais les critères arrêtés pour la répartition de ce fonds entre les États membres posent question. Par exemple, la période de référence pour l’admissibilité des dépenses démarre actuellement au 31 juillet 2020. Or, monsieur le secrétaire d’État, vous imaginez bien que les ports français n’ont pas attendu l’été dernier pour engager de lourdes modifications de leurs infrastructures. Nous espérons que leurs dépenses pourront être éligibles et bénéficier des crédits de ce fonds, et ce rapidement. Cette question est absolument cruciale !
Dans ce contexte, j’appelle votre attention sur le fait que les ports et compagnies devront, en plus, mettre en œuvre dans quelques mois la directive dite Entry Exit System, ou système d’entrée et de sortie de l’Union européenne, avec le risque d’un encombrement des terminaux déjà soumis à de fortes tensions.
D’ores et déjà, les échanges, notamment en ce qui concerne les produits frais, sont nettement moins fluides. Les installations de l’industrie française de transformation font d’ailleurs état de difficultés significatives. Durant le mois de janvier 2021, les importations de poissons britanniques auraient diminué en volume, mais également en qualité.
Si, dans le domaine de la pêche, sujet évoqué par le président de la commission des affaires européennes, l’accord est plutôt satisfaisant, il reste provisoire et n’est que partiellement mis en œuvre. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les pistes de négociations pour le secteur après le mois de juin 2026 ?
Reste le cas des îles anglo-normandes, dont le statut particulier au sein même des zones de pêche britanniques a été remis en cause par l’accord de commerce et de coopération, ayant pour conséquence de fragiliser l’accord de la baie de Granville entre la France et le Royaume-Uni.
Les navires français se trouvent désormais dans l’obligation d’obtenir une autorisation pour opérer dans ces eaux. Des licences ont été délivrées sans trop de difficultés sur une base provisoire par les autorités de Guernesey, mais il n’en est pas de même pour le gouvernement de Jersey. Au mois de janvier 2021, ce dernier a accordé cinquante-sept autorisations, alors que trois cents navires y pêchent habituellement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le constatez : ces sujets sont concrets. Ils remontent directement du terrain et d’acteurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer, notamment au mois décembre dernier, lors d’une réunion d’information sur le Brexit organisée à Rouen par le préfet de Seine-Maritime, préfet de Normandie. Nous attendons donc des réponses très concrètes !
Mon dernier mot sera pour Michel Barnier, auditionné au Sénat il y a quinze jours, dont je tiens à saluer l’implication sans faille et le travail déterminé depuis 2016. Il aura permis, en dépit des conséquences malheureuses qu’engendre et que continuera, hélas, d’engendrer le Brexit, une sortie par le haut, avec un accord de coopération le plus juste possible.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre du contenu de l’accord de partenariat entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, obtenu à l’arraché le 24 décembre dernier et en application provisoire depuis le 1er janvier 2021, en attendant sa ratification par le Parlement européen au mois d’avril prochain, alors que celle-ci devait avoir lieu au mois de février dernier.
Comme pour toute négociation, cet accord est un compromis, qui permet à l’Union européenne de préserver les principes essentiels du marché unique et d’éviter un dumping sauvage de nos voisins, et qui permet à la Grande-Bretagne de sauver la face tout en renonçant à revoir à la baisse l’ensemble des législations et normes sociales, environnementales et climatiques européennes, contrairement aux annonces initiales du gouvernement Johnson.
Les clauses de sauvegarde, clauses miroirs, mesures unilatérales de rééquilibrage et clauses de revoyure sont autant d’outils à la disposition de l’Union européenne pour maintenir une concurrence équitable dans la durée. Si certains verrous ont pu être posés, des interrogations, des fragilités et des angles morts dans l’accord demeurent toutefois.
Tout d’abord, il y a ce qui ne s’y trouve pas : la politique étrangère, la sécurité extérieure et la coopération en matière de défense, la politique spatiale, l’enseignement supérieur, les politiques d’asile et d’immigration avec la fin de l’application de l’accord de Dublin, ainsi que l’avenir des services financiers à la suite de la perte de passeport européen. Autant de sujets qui devront faire l’objet de futures négociations.
Ensuite, il y a ce qui a été acté, mais qui fait déjà l’objet de remise en cause, en particulier la question nord-irlandaise et le fameux backstop. D’entrée, la mise en œuvre du protocole s’est heurtée à la réalité, aux difficultés techniques, à l’engorgement des circuits de distribution et a amené les uns et les autres à invoquer l’article 16 du protocole, renforçant ainsi les doutes sur l’applicabilité de celui-ci.
D’autres sujets devront retenir notre vigilance comme l’accord provisoire sur la pêche, dont les négociations pluriannuelles risquent de remettre en cause les fragiles équilibres de la politique commune, les inconnues concernant les droits des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni, les interrogations pesant sur les appellations d’origine insuffisamment protégées et la protection des données personnelles pour lesquelles le RGPD ne restera applicable que jusqu’au mois de juillet 2021.
La Grande-Bretagne est bien devenue un pays tiers et cet accord vise non pas, comme les précédents, à organiser une convergence réglementaire, mais bien à contrôler de possibles et futures divergences. Soyons conscients du fait que notre partenaire continue de vouloir suivre son propre chemin.
J’en viens au contrôle démocratique de cet accord. Si la Commission européenne affirme qu’il « peut être conclu avec l’Union européenne exclusivement étant donné qu’il couvre uniquement des domaines relevant de la compétence de l’Union », il est plus vraisemblable que les États membres, au regard de l’urgence, aient renoncé à demander que soient vérifiées les dispositions qui pourraient relever de la mixité et donc de la ratification par les parlements nationaux.
Si l’on peut en comprendre la nécessité politique, il ne faudrait pas, pour autant, que cela crée un précédent juridique et que l’on renonce, pour les futurs accords commerciaux – par exemple l’accord qui s’annonce entre l’Union européenne et la Chine –, à tout droit de regard national.
De même, face à l’intransigeance de la Grande-Bretagne, il est regrettable qu’en cas de différend entre les parties toute possibilité d’intervention de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait été écartée. Il faudra en évaluer les conséquences.
Le suivi de l’accord sera donc assuré par un conseil de partenariat coprésidé par le commissaire Maroš Šefčovič et le ministre britannique Michael Gove. Ce conseil supervisera la mise en place de multiples comités de pilotage et groupes de travail composés de fonctionnaires qui échapperont à tout contrôle parlementaire. Là encore, j’appelle à la vigilance, car ce contrôle ne concerne pas uniquement une mise en œuvre technique de l’accord, il couvre de réels enjeux politiques.
Pour reprendre les mots de l’ancien négociateur en chef Michel Barnier, le Brexit nous aura donc conduits à un accord « perdant-perdant ». Nous devons en tirer toutes les conséquences.
Si notre envie d’avancer ensemble à vingt-sept doit rester inébranlable, il est nécessaire de nous interroger sur ce qui a conduit à cette séparation. Il s’agit non pas de se tourner vers le passé, mais d’identifier les failles qui ont conduit nos amis britanniques au Brexit, de sorte d’être capable de désamorcer le sentiment d’éloignement de l’Europe, d’en tirer les leçons pour l’avenir, afin que le projet européen suscite à nouveau l’adhésion de nos concitoyens.
Après la création de l’euro, l’Union européenne a fonctionné sur ses acquis. Elle a, pour l’essentiel, accompagné une libéralisation sans frein, une dérégulation tous azimuts, l’abandon des services publics, la montée des inégalités et le risque climatique. Cette posture idéologique ne l’a pas prémunie contre une mondialisation exacerbée dont ses citoyens paient le prix, tout comme les territoires de l’Union européenne dont les inégalités de développement opposent de plus en plus villes et territoires ruraux.
Le Brexit doit nous servir d’alerte et nous permettre d’envisager une réorientation de l’Union européenne qui réenchante le rêve européen. La conférence sur l’avenir de l’Europe et la présidence française de l’Union européenne en 2022 doivent en être les tremplins.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa création, l’Union européenne poursuit un rapprochement toujours plus fort entre ses peuples et ses membres.
Le Brexit va totalement à rebours de l’histoire de la construction européenne. Le départ de l’un de ses membres oblige l’Union européenne à analyser ses faiblesses et ses échecs. La première des faiblesses est la règle de l’unanimité sur certains sujets majeurs. Force est de constater que ce qui fut longtemps un atout est désormais synonyme de prise d’otage, comme l’a mis en lumière le blocage du plan de relance européen par la Pologne et la Hongrie. L’unanimité contribue malheureusement plus à la division qu’à l’union.
En outre, la complexité de l’Union européenne et l’absence d’une bonne communication avec ses citoyens conduisent ces derniers à se sentir de plus en plus éloignés de l’Europe. Et ce ne sont là que quelques exemples.
Je salue le travail vertigineux accompli par le négociateur et son équipe pour conclure l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne : ce fut un véritable tour de force jusque dans les derniers instants.
Toutefois, à côté de la durée exceptionnellement courte des négociations, les discussions sont, elles aussi, inédites. C’est en effet la première fois que l’Union européenne travaille à l’éloignement plutôt qu’au rapprochement de l’un de ses partenaires. Michel Barnier l’a très bien exprimé lors de sa récente audition, en déclarant que nous avons négocié la divergence réglementaire et non la convergence.
C’est pourquoi l’application de l’accord est à mon sens cruciale. Les tensions entre Britanniques et Européens sont palpables et le moindre incident peut prendre des proportions telles que l’équilibre s’en trouvera fragilisé. De ce point de vue, la mise en œuvre pour le moins compliquée du protocole concernant l’Irlande du Nord est symptomatique. Nous sommes encore loin d’une relation apaisée et il faudra probablement quelques années et d’autres crises pour parvenir à plus de stabilité.
Nous devrons être vigilants pour protéger nos intérêts. Il ne faudra pas faiblir si les règles ne sont pas respectées et si nos peuples sont lésés. En effet, si nous sommes encore dans des règles communes, la divergence réglementaire nous guette. À ce titre, les parlements nationaux auront un rôle d’alerte essentiel, tout comme les citoyens. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes prêts à prendre notre part pour la mise en œuvre stricte de cet accord. Quels sont nos moyens concrets d’action ?
Sur l’accord lui-même, qui est beaucoup trop riche pour pouvoir en explorer tous les aspects, je me limiterai à quatre points centraux.
D’abord, sur la pêche, mon groupe a récemment posé une question au Gouvernement sur les perspectives post-2026. Le Brexit signifie une diminution des échanges avec le Royaume-Uni et les ports maritimes français de la façade atlantique, par exemple le grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire, en subissent les conséquences. Il faudra prêter une attention particulière à l’organisation des liaisons commerciales et des contrôles de produits venant du Royaume-Uni, que ce soit via les ports français, belges ou néerlandais.
Ensuite, ces derniers mois, la France a subi plusieurs cyberattaques qui ont touché des collectivités territoriales et des centres hospitaliers. Elles rappellent que la sécurité est essentielle et qu’une coopération dans ce domaine est inévitable. J’espère que le dialogue régulier prévu par l’accord permettra un espace d’échange et d’innovation. Le Gouvernement venant de publier sa stratégie sur le sujet, monsieur le secrétaire d’État, comptez-vous aborder ces questions dans le dialogue entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ?
Par ailleurs, permettez-moi d’aborder deux points exclus des discussions, pour lesquels il faudra absolument trouver un cadre commun de coopération.
Le premier point concerne les frontières et la politique d’asile et d’immigration. Alors que le règlement de Dublin ne s’applique plus au Royaume-Uni, quelles sont les réflexions sur la possibilité d’un accord futur avec l’Union européenne ? La France et le Royaume-Uni travaillent de concert sur ce sujet depuis longtemps. Monsieur le secrétaire d’État, comment envisagez-vous les prochains mois et des discussions sont-elles prévues sur ces sujets ?
Le second point s’articule autour de la politique extérieure, de sécurité et de défense. Bien que ce domaine ait été exclu des négociations, nous allons devoir coopérer. Le contexte international actuel nous oblige à développer une action concrète et commune. L’Union européenne doit regagner en autonomie et les discussions avec le Royaume-Uni ne peuvent pas se faire exclusivement à travers les accords de Lancaster House. Cette question soulève, une nouvelle fois, les problématiques de l’Europe de la défense ou d’un volet européen au sein de l’OTAN. Quelles sont les pistes de réflexion du côté tant français qu’européen ?
Après avoir travaillé à la sortie des Britanniques de l’Union européenne, nous devons nous concentrer sur nous, Européens. Michel Barnier l’a très justement souligné, il faut se rendre compte de la valeur ajoutée de l’Europe. Nous devons continuer à créer cette valeur ajoutée : de nombreux sujets réclament notre attention et notre coopération. Le rêve européen se poursuit, mais il est gravement menacé. Le Brexit nous donne l’occasion de nous interroger sur nous-mêmes et sur la logique européenne. Comme l’écrivait Jean Monnet, « ce qui est important, ce n’est ni d’être optimiste, ni d’être pessimiste, mais d’être déterminé ».
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2016, nous subissions deux coups durs qui obscurcissaient notre horizon : l’avènement de Donald Trump aux États-Unis et le choix du Brexit par une majorité de Britanniques.
Ces deux événements successifs ont été lourds de conséquences : le repli, le désengagement des valeurs communes et le rejet des responsabilités solidaires avaient pris la main. Aujourd’hui, l’horizon se dégage quelque peu : les États-Unis engagent une nouvelle trajectoire et la mise en œuvre du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne s’engage de façon ordonnée.
Si nous déplorons le choix du Royaume-Uni, nous ne pouvons pas le remettre en cause. L’Union européenne se retrouve diminuée d’un grand pays, lequel est, pour sa part, dorénavant nettement plus seul. Le Brexit provoquera de considérables changements sans effacer pour autant les logiques de l’histoire et de la géographie : l’Union européenne et le Royaume-Uni entretiendront toujours une relation privilégiée et les chances de coopération ne sont pas liquidées.
Sur une planète où l’interdépendance est de rigueur, le moyen pour les démocraties de prendre la main est de coopérer. C’est donc, en ce sens, une évolution encourageante qu’après le temps des outrances et des propos à l’emporte-pièce le gouvernement britannique ait admis qu’un accord avec son très proche et très grand voisin était dans l’intérêt de ses propres citoyens. Cet accord ne modifiera pas les conséquences mécaniques du Brexit : dans de nombreux domaines, il y aura désormais des barrières entre nous. Cela a été dit et répété : ce ne sera plus comme avant.
L’objet de cet accord est, avant tout, de cadrer nos relations pour réduire des dégâts collatéraux : c’est à l’usage que cet accord fera ou non ses preuves. D’ores et déjà, les préoccupations sont sérieuses et nécessiteront une vigilance solide de l’Union européenne qui, jusqu’à présent, n’en avait guère fait preuve dans la gestion de ses accords commerciaux largement marqués par l’ultralibéralisme.
Michel Barnier nous annonce avec force que cet accord est beaucoup plus ambitieux qu’un accord classique de libre-échange et que l’absence de tout tarif douanier et de tout quota est contrebalancée par des règles contre les dumpings sociaux, environnementaux, fiscaux, économiques. Il serait en effet tentant de mettre le tampon « origine britannique » sur des assemblages de pièces importées produites dans des conditions sociales et environnementales inacceptables pour pouvoir ensuite les répandre dans le marché unique et détruire ainsi nos emplois.
Toutefois, l’encadrement sera robuste, nous dit-on, pour empêcher des distorsions de concurrence provoquées par des aides d’État ou par des divergences réglementaires qui régresseraient par rapport au niveau de 2020.
On le sait, l’enfer est dans les détails et il est toujours pavé de bonnes intentions. Tout dépendra de la gouvernance et de sa réactivité : notre exigence est forte dans ce domaine.
Chacun sait combien nos normes environnementales sont appelées à progresser pour tenir nos engagements. La clause de non-régression ne suffira pas à éviter les divergences dommageables. Il faudra faire preuve d’une grande rigueur. Les instruments sont dans le texte. Tout dépendra de la manière dont la Commission européenne les mettra en œuvre. Il faudra que le Parlement ait la possibilité effective de réagir s’il se trouvait que l’on reste l’arme au pied.
La faiblesse des mesures contre le blanchiment d’argent et contre l’évasion fiscale pose problème. Sur cette dernière, l’accord se borne aux règles de l’OCDE et non à celles de l’Union européenne, qui sont plus strictes. L’accord ne prévoit aucune disposition à l’encontre du réseau britannique de zones offshore, qui représente tout de même plus du tiers des dommages causés par les paradis fiscaux à l’échelon mondial – excusez du peu ! L’Union européenne elle-même a encore le ménage à faire en son sein.
L’accès des services financiers britanniques au marché unique n’est pas pour demain. S’il devait en être question à l’avenir, il devrait être conditionné à des engagements sans ambiguïté de la part de Londres en faveur de la lutte contre l’évasion fiscale et de la transparence financière. Au moment où la pandémie creuse nos déficits publics, il serait irresponsable de laisser faire ces pratiques fiscales et, pour reprendre les mots d’Éric Bocquet, de laisser s’instaurer un « Singapour sur Tamise » à nos portes.
Sur la protection des données, nos inquiétudes sont très sérieuses, puisque, au-delà du 1er juillet prochain, le cadre n’est pas fixé. Il serait inacceptable que le Royaume-Uni puisse maintenir les flux de données avec l’Union européenne, alors qu’il s’éloignerait considérablement du modèle européen de protection des données basé sur les droits.
Enfin, le débat sur cet accord nous amène plus globalement à considérer les motivations populaires qui ont amené à cette volonté britannique de divorce. Les mécanismes sont toujours à l’œuvre au sein de l’Union européenne : désindustrialisation, relégation sociale, délitement des biens communs et des services publics, crise démocratique… Autant de béances qu’il faut réparer.
Je conclurai sur les mots d’une petite fille, Stella, qui, du haut de ses 10 ans, m’a lâché dimanche, en jetant un coup d’œil sur mon écran : « Le Brexit, c’est tout pourri : si on continue comme cela, on se retrouvera chacun tout seul. » À elle et à tous les autres, notre Europe doit faire comprendre que l’on ne continuera pas ainsi !
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour une sorte de débat préalable à celui qui aura lieu au Parlement européen. En effet, il ne nous revient pas de nous prononcer sur l’accord qui a été trouvé : c’est le Parlement européen qui le fera. Cela n’empêche pas de formuler des remarques et de donner un certain nombre d’orientations.
C’est d’abord une bonne chose que nous ayons trouvé un accord. L’absence d’accord aurait été une catastrophe majeure pour les deux parties.
En même temps, le Brexit en lui-même est une mauvaise affaire.
Le Brexit est une mauvaise affaire pour le Royaume-Uni, qui perd les bénéfices des politiques communes, de sa participation au marché unique et à l’union douanière. Ses exportations vers l’Union européenne doivent être soumises aux différents contrôles douaniers et sanitaires. On voit déjà que la mise en œuvre de ces contrôles n’est pas chose aisée. Malheureusement, ces contrôles existeront aussi dans l’autre sens.
Les transports aériens et maritimes seront moins faciles, moins fluides. Pour le moment, le raccordement au réseau électrique est garanti, mais il est renégociable d’ici quelques années.
La vision, très XIXe siècle, de Boris Johnson est celle de la Global Britain : le Royaume-Uni au centre du monde et passant des accords de libre-échange bilatéraux avec un ensemble d’autres pays ou d’autres régions – les États-Unis, les pays du Commonwealth et l’Asie.
Pour l’instant, le succès de cette politique ne saute pas aux yeux et, pour ceux qui aiment le Royaume-Uni et la culture britannique, il est un peu triste de voir cette grande nation historique et culturelle se fixer aujourd’hui pour ambition d’être un petit îlot de libre-échange et de fiscalité facile aux côtés de l’Europe. Une telle ambition n’est pas digne de ce grand pays.
Le Brexit est aussi une mauvaise affaire pour la France. Le Royaume-Uni quitte les politiques communes, qui sont le cœur de la construction européenne : la politique extérieure et la politique de défense – si les accords de Lancaster House restent le cadre, qu’en restera-t-il à l’avenir ? –, les politiques coordonnées d’immigration et de droit d’asile.
Les plus optimistes peuvent espérer que la fin de la participation du Royaume-Uni aux décisions relatives aux politiques communes européennes cesse de freiner et de bloquer la mise en œuvre de ces dernières et nous permette d’avancer plus rapidement.
Plusieurs difficultés se trouvent devant nous.
Je pense d’abord au problème de frontière lié à l’application de l’accord concernant l’Irlande du Nord. Cette frontière est un peu difficile à appréhender, puisqu’elle se situe au milieu du bras de mer qui sépare le Royaume-Uni de l’Irlande du Nord. Concrètement, les contrôles sont réalisés à l’arrivée à Belfast par des groupes de douaniers britanniques, mais aussi européens.
Je veux pour preuve de cette difficulté le fait que les Britanniques eux-mêmes aient demandé la prolongation de la période de « grâce » – le mot est lourd de sens – jusqu’en 2023. On sent que ce sera l’un des points difficiles de l’application de l’accord.
Je pense aussi à la législation financière. Pour l’instant, la Commission européenne a été très prudente et n’a accordé que très peu d’équivalences financières, ces certificats qui permettent à une institution britannique d’exercer et d’offrir ses services au sein de l’Union européenne. Elle restera selon moi assez ferme.
Bien évidemment, les Britanniques s’en plaignent, même si c’est moyennement douloureux pour eux. Au demeurant, je me demande s’ils ne se réjouissent pas in fine de pouvoir développer leur propre législation financière, qui serait différente de celle de l’Union européenne et évidemment plus attractive, moins sévère, moins rude.
Les questions pendantes ont été évoquées.
Pour ma part, j’aborderai le problème de la propriété intellectuelle et des indications d’origine. Si j’ai bien compris, le stock existant sera validé, mais on ignore ce qui sera décidé pour l’avenir. Or les indications d’origine sont très importantes pour la France.
En conclusion, beaucoup dépendra de la volonté de réussir à trouver un accord que le Royaume-Uni voudra bien accepter. La France doit jouer un rôle majeur et montrer sa détermination à faire fonctionner l’accord et à garder de bonnes relations avec le Royaume-Uni. C’est dans son intérêt.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est une heureuse initiative.
Au terme d’efforts méritoires d’un négociateur en chef, Michel Barnier, dont il faut saluer la ténacité, cet accord nous a assuré d’éviter une absence d’accord, expression devenue synonyme de « cauchemar » depuis le référendum du 23 juin 2016.
Dans quelques semaines, un premier bilan de l’accord entré en vigueur le 1er janvier de cette année sera dressé. Quoi de plus naturel ?
Évidemment, chacun a conscience des effets de la crise sanitaire, dont la gravité et la durée masquent les perspectives.
Récemment, monsieur le secrétaire d’État, tout en saluant les mérites de l’accord, vous avez utilisé un fort joli mot pour qualifier ce qu’il n’abordait pas ou ce qu’il abordait peu : vous avez évoqué ses « incomplétudes ». Belle manière de ne pas nommer ses carences, pour le dire plus directement !
M. le secrétaire d ’ État sourit.
Il en est une que les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ne peuvent que souligner : celle des questions de défense, comme l’a souligné Christian Cambon, son président.
Si je regrette, ô combien, le départ de l’Union européenne de nos amis britanniques avec fracas et non sans tourments, je me rappelle que d’autres l’ont fait sans bruit, sur la pointe des pieds, sur les plaines enneigées et glacées du Groenland, en 1982.
Vous auriez raison de me dire que comparaison n’est pas raison. La France et le Royaume-Uni sont deux puissances nucléaires, ont un siège au Conseil de sécurité des Nations unies et représentent 60 % des dépenses européennes de défense et 80 % des dépenses de recherche et développement dans ce secteur.
Parler d’« incomplétudes » dans ce dossier me semble inapproprié. J’irai beaucoup plus loin, avec force et conviction.
Je mesure l’insistance de M. Barnier pour intégrer ces questions à l’accord, mais Londres, face à ses demandes, n’a pas jugé « urgent » d’inclure le volet relatif à la défense dans les discussions. C’est somme toute regrettable et loin d’être sans conséquence sur cet épineux sujet, objet de longues et complexes discussions entre la France, l’Allemagne et les vingt-cinq autres pays de l’Union européenne.
Faut-il convoquer les discours qui ont accompagné naguère l’impérieuse nécessité de construire l’Europe de la paix ? Doit-on se remémorer l’intelligence collective qu’il a fallu déployer pour la reconstruction de l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ?
Aujourd’hui, le rêve d’une défense européenne – je n’ose utiliser le mot « armée » – reste une chimère et laissons de côté la brigade franco-allemande, à laquelle il faudra bien un jour donner corps. Or il apparaît clairement que la France ne peut supporter seule le poids de la défense de l’Union européenne ni celui de la dissuasion nucléaire, alors que le Brexit est acté ! Surtout, que l’on ne nous oppose pas l’existence de l’OTAN et que l’on ne soutienne pas que le départ des Britanniques ne change rien, puisqu’ils refusaient de concourir pleinement à la politique de sécurité et de défense commune, alors même qu’ils l’avaient relancée par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo de 1998.
L’OTAN a été sérieusement affectée par les errements de la présidence Trump et son successeur a bien des chantiers à entreprendre pour que nous puissions espérer un retour rapide à la normale.
Or, dans ce monde où les dangers se multiplient, à l’heure où les crises régionales prospèrent et menacent les équilibres élaborés au lendemain de la chute du mur de Berlin, il ne nous est pas permis d’attendre. C’est l’une des leçons que nous devons tirer de cette « incomplétude » du Brexit. Vous aurez remarqué, monsieur le secrétaire d’État, que j’ai employé ce terme trois fois…
L’Europe des Vingt-Sept n’est pas seulement un grand marché. Elle n’a pas à se préoccuper uniquement des droits des consommateurs et de la libre concurrence. Elle a aussi une citoyenneté à bâtir et à défendre. Pour cela, s’il est indispensable d’analyser le départ du Royaume-Uni, nous devons travailler rapidement, sérieusement, concrètement à l’élaboration de cette défense européenne. Ce chantier n’est pas seulement nécessaire : il est incontournable à l’heure où le multilatéralisme doit être reconstruit. Il est vital pour que la puissance européenne ne soit pas un simple tigre de papier.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Richard Yung applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la sortie du Royaume-Uni n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe, mais c’est la réponse des Britanniques à un pari politique hasardeux lancé par le gouvernement Cameron. Il nous faut désormais faire avec, en respectant leur volonté, mais en conservant à l’esprit la nécessité d’une coopération dans de nombreux domaines avec nos voisins d’outre-Manche. Je rappelle la position unique du Royaume-Uni par sa proximité géographique et ses volumes d’échanges avec l’Union européenne.
Certes, nous avons vécu les derniers mois de 2020 au rythme des aléas, des doutes et des postures dans les négociations en vue d’obtenir un accord. Le no deal, c’est-à-dire le scénario du pire, a été évité de justesse, mais rien ne sera plus comme avant. De profonds changements sont en cours, qui affectent les citoyens, les entreprises, les administrations publiques et de nombreux acteurs, aussi bien dans l’Union européenne qu’au Royaume-Uni. Ce ne sera plus business as usual, comme le souligne le négociateur Michel Barnier.
De chaque côté du Channel, chacun se rassure et personne ne veut perdre la face, même si, pour le Royaume-Uni, les compromis au cours des négociations n’ont jamais conduit à déroger à l’objectif de restauration de la souveraineté nationale, objectif central de la sortie de l’Union européenne.
Pourtant, je le crois, le Brexit est une situation perdant-perdant. Il affaiblit l’Europe à l’heure où les États-Unis sont fragilisés et où d’autres puissances décomplexées émergent et s’entendent. Je pense notamment aux rapprochements russo-chinois ou russo-turc.
Dans ce contexte, il nous faut poursuivre de manière organisée, comme le prévoit le présent accord, sur de nombreux sujets.
Toutefois, des craintes demeurent, notamment liées à l’altération de la confiance au cours des négociations et aux aléas des premières heures d’application. Nous avons pu, avec quelques collègues du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, constater les difficultés et les lourdeurs lors d’une visite à Calais et à Boulogne-sur-Mer.
Jusqu’au dernier moment, la question du droit de pêcher dans les eaux du Royaume-Uni a été un obstacle à la conclusion de l’accord. En Normandie, comme Catherine Morin-Desailly l’a justement souligné, mais c’est vrai dans d’autres départements et régions, comme dans celle du président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, la pêche est une activité importante. Si les nouvelles règles âprement négociées ont d’abord été ressenties comme un soulagement, elles suscitent des inquiétudes de la part des pêcheurs français et de toute la filière, déjà affectée par la crise du covid.
Malgré une réduction de 25 % des prises et les couacs de début d’année, l’accès aux eaux britanniques est maintenu. Qu’adviendra-t-il dans quelques années, lorsque l’accord devra être renégocié ? Les pêcheurs britanniques, qui se sont sentis floués, ne désarment pas sur les questions de souveraineté et se plaignent des prises perdues ou gâchées en raison des nouvelles contraintes administratives. Comme l’a signalé Jean-François Rapin, la question des licences persiste.
Cette question de l’horizon est cruciale pour la profession, car le coût considérable d’acquisition d’un bateau de pêche implique une longue durée d’amortissement. Dès lors, quel jeune voudra se former et s’engager dans le métier ? Quel banquier voudra lui accorder des crédits importants ? La reconversion, même subventionnée, n’est pas souhaitable. En effet, on sait que la souveraineté alimentaire est l’un des défis du siècle, ce qui fait basculer le sujet de l’économie locale à la préoccupation stratégique.
Quel sera l’avenir des ports français dans ce contexte post-Brexit et dans celui d’une économie maritime globale qui continuera d’exploser ? La volonté affichée de faire de la France le « hub de l’Europe » nécessitera beaucoup d’efforts. Les ports d’Anvers et de Rotterdam, déjà leaders, sortiront-ils renforcés à notre détriment ? Les ports sont des actifs stratégiques. Les Chinois, avant nous, l’ont bien compris, eux qui investissent partout dans le monde et prennent progressivement le contrôle des opérateurs portuaires et du transport de conteneurs.
Je note avec intérêt la coopération étroite prévue par l’accord entre les autorités policières et judiciaires nationales et l’échange rapide de données essentielles. Cela permettra, en outre, une coopération efficace entre le Royaume-Uni, Europol et Eurojust. La criminalité internationale, le terrorisme et la cybercriminalité sont, hélas, des secteurs en croissance, qui menacent nos sociétés. Face à ces dangers, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme doivent rester des priorités.
Enfin, si les questions de défense ne figurent pas dans le présent accord, elles représentent un autre volet de la nécessaire coopération avec les Britanniques, comme le président de la commission des affaires étrangères l’a à juste titre parfaitement rappelé. Nous devons poursuivre dans l’esprit des accords de Lancaster House, qui ont fêté leurs dix ans récemment. Les enjeux opérationnels et industriels sont importants.
En conclusion, nous avons de nombreux points de convergence et des intérêts communs avec les Britanniques. Le bon sens nous commande de poursuivre dans cette voie coopérative, mais les relations privilégiées avec les États-Unis et le Commonwealth assurent déjà à ces derniers une grande ouverture sur le monde.
De plus, le Royaume-Uni entend bien revenir « au-delà de Suez » par sa demande d’adhésion à l’Accord de partenariat transpacifique, pour se rapprocher des économies asiatiques en forte croissance, et son récent accord de libre-échange avec le Japon. Son intérêt stratégique pour l’Indopacifique se confirme, de même que sa présence militaire, grâce à des capacités augmentées de projection de puissance.
Dès lors, compte tenu de la marche du monde, y aura-t-il une véritable volonté de la part des Britanniques d’investir durablement dans la relation avec l’Union européenne ou d’opérer, comme les Américains ou les Russes avant eux, leur « pivot asiatique » ? That is the question !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 24 décembre dernier, l’Union européenne et le Royaume-Uni sont parvenus à un accord de commerce et de coopération. Le groupe Union Centriste s’en réjouit. Cet accord vient compléter l’accord de retrait entré en vigueur le 31 janvier 2020.
Nous saluons les efforts du Gouvernement pour protéger nos intérêts et, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de la fermeté dont vous avez fait preuve sur le sujet à chacune de vos interventions.
Je souhaite également souligner la qualité de l’action de Michel Barnier. Son sens du collectif a permis aux Vingt-Sept de rester soudés de bout en bout de la négociation. Face aux tergiversations des Britanniques, qui ont toujours peiné à fixer l’objectif à atteindre, Michel Barnier a souvent répété : « L’horloge tourne ! » En effet, ce sont les Britanniques qui nous ont imposé le 31 décembre 2020 comme date butoir pour la négociation d’un accord.
Boris Johnson a annoncé la conclusion d’un traité à la veille de Noël et n’a laissé que trois jours ouvrables avant la date de son entrée en vigueur.
Les entrepreneurs ne remercient pas le Premier ministre britannique. « Johnson, we have a problem ! Personne ne sait comment faire et nous découvrons des problèmes partout ! », m’a confié hier un expert-comptable britannique qui s’occupe de dizaines de PME.
À titre d’exemple, nous avons vu apparaître, côté britannique, des frais de douane applicables aux envois dont la valeur dépasse 130 livres sterling.
De nombreuses entreprises n’ont pas anticipé de se retrouver devant une telle lourdeur des démarches relatives à la TVA. Ainsi, certaines ont payé la TVA à deux reprises. Elles m’ont dit avoir cessé de commander en ligne pour se fournir depuis l’Union européenne, car elles ne maîtrisent plus leurs coûts d’approvisionnement.
Comment le Gouvernement prévoit-il de mesurer l’impact de l’accord sur les PME françaises ? Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous prévu des mesures d’accompagnement spécifiques afin de leur éviter une perte de compétitivité outre-Manche ?
Autre difficulté, nos entreprises établies en Grande-Bretagne ne peuvent plus accueillir de jeunes étudiants stagiaires venant de France. Il en va de même pour les familles qui veulent employer nos jeunes au pair. Un dispositif dans le système d’immigration britannique permet un accord réciproque sur la mobilité des jeunes qui pourrait constituer une opportunité pour nos compatriotes et s’appliquer aux volontaires internationaux en entreprise (VIE). Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous entrepris une démarche bilatérale en ce sens, comme l’ont fait d’autres pays européens ?
Les services financiers ne font pas partie de l’accord alors que l’industrie des services financiers pèse très lourd : elle représente 7 % du PIB britannique. Les entreprises britanniques du secteur ont délocalisé au moins 7 500 emplois du Royaume-Uni vers Paris, Francfort, Dublin ou Amsterdam.
Comment les places financières européennes comptent-elles pérenniser les avantages acquis grâce à la migration des activités d’investment bank de certaines grandes banques internationales ? Comment peuvent-elles fidéliser ces hauts cadres dirigeants fortement touchés par la fiscalité européenne ?
Dans ce secteur dématérialisé qu’est la finance, le Brexit fait d’autant plus peur qu’il semble une opportunité de s’affranchir des règles européennes. Comment éviter que la rupture de cadre et d’équivalence entre Londres et l’Europe ne donne lieu à une concurrence déloyale ?
Les grands groupes financiers ont mis leurs œufs dans différents paniers et implanté leurs activités dans différents pays européens, notamment par crainte de voir un autre pays sortir à son tour de l’Union européenne. Comment leur donner confiance en la solidité et la pérennité de l’Union européenne ?
Nous ne sommes pas au bout du chemin. L’accord de commerce et de coopération laisse de nombreux points sectoriels à négocier.
Certains observent que les relations commerciales après le Brexit sont comme un oignon : chaque fois que vous enlevez une couche, vous en découvrez une autre, qui vous fait pleurer un peu plus.
Sourires.
La combinaison Brexit-covid rend la situation très difficile à supporter pour ceux qui vivent à cheval entre les deux pays. À quelle date le Royaume-Uni et la France prévoient-ils de supprimer la raison impérieuse pour pouvoir passer d’un pays à l’autre ?
Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Richard Yung applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon court propos sera consacré aux conséquences du Brexit sur la défense européenne, sur la problématique irlandaise ainsi que sur les règles relatives au regroupement familial des demandeurs d’asile.
Monsieur le secrétaire d’État, après le Brexit, doit-on dire que la défense européenne est affaiblie ou qu’elle est libérée par exemple pour établir d’autres coopérations ?
Aujourd’hui, les dispositifs existent et la question de l’ambition de l’Europe ne tient pas tant à l’argent qu’elle attribuera au Fonds qu’à la vision de ce que doit être son autonomie stratégique, à l’heure où la puissance américaine a fait d’elle un théâtre périphérique.
Le contexte récent a permis de clarifier plusieurs points, et non des moindres.
Les années Trump auront eu le mérite d’obliger l’Union européenne à mesurer l’impérieuse nécessité d’exister sur les terrains pourtant privilégiés de la souveraineté nationale : la défense et la politique étrangère.
La crise sanitaire a tristement ouvert les yeux des Vingt-Sept quant à la nécessité d’une plus grande indépendance dans des domaines clés, comme la santé ou encore les technologies de l’avenir.
Quant au Brexit, il a privé les Vingt-Sept du paravent britannique bien utile pour cacher leurs divisions et leurs degrés d’ambition variables sur les questions de défense.
Un Conseil européen a eu lieu voilà quelques jours, offrant l’occasion d’aborder de nouveau ces questions. Qu’en a-t-il été, monsieur le secrétaire d’État ? Par-delà et au sein du restrictif bouclier otanien, les Vingt-Sept ont-ils décidé de montrer que, avec la France comme seul acteur majeur depuis le Brexit, la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne pouvait être relancée, voire renouvelée ?
J’en viens à l’Irlande. L’épisode avorté d’un retour des contrôles à la frontière irlandaise pour surveiller les exportations de vaccins en dehors de l’Union européenne a agi comme un révélateur. Michel Barnier l’a déclaré et nous sommes nombreux à partager ce constat : « L’activation de la clause article 16 était une erreur. »
N’était-ce qu’une erreur de méthode ? Le problème est bien plus profond. L’accord de retrait négocié en 2019 et dans lequel a été organisée la question de la frontière irlandaise préconisait une relation future plus étroite que ce que prévoit l’accord commercial signé au mois de décembre 2020.
Monsieur le secrétaire d’État, s’il nous faut trouver des solutions pour limiter les impacts du Brexit sur le processus de paix en Irlande, il nous faut surtout maintenir un front commun européen, une union qui nous permettra de faire face à la longue série d’épisodes à venir. Ne nous y trompons pas : il y en aura !
J’en viens au regroupement familial des demandeurs d’asile. Depuis le 1er janvier 2021, les seules options qui s’offrent aux demandeurs d’asile pour rejoindre le Royaume-Uni depuis la France, quels que soient leur âge, leur vulnérabilité ou leurs attaches outre-Manche, sont des voies irrégulières et dangereuses, tout particulièrement pour les enfants.
En effet, les dispositions du règlement communautaire dit Dublin III ont cessé de s’appliquer. Il s’agissait pourtant d’un dispositif légal et reconnu pour combattre les passeurs et les filières de criminalité organisée.
Deux mois après le Brexit et la publication de la déclaration conjointe sur l’asile, nous ne disposons d’aucune précision quant à l’agenda ou au cadre dans lequel des discussions seront engagées. Il semble qu’aucun consensus n’ait été trouvé en France, même au sein du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent que les autorités françaises clarifient leur position sur cette question et agissent au plus vite pour mettre en place un nouveau mécanisme garantissant le droit à la réunification familiale. À défaut, nous ne pouvons que redouter encore davantage de tragédies sur le littoral français. Le grand Calaisis en sait quelque chose…
Mes chers collègues, depuis 2018, les traversées sur des embarcations de fortune ont été multipliées par dix. Vous l’aurez compris, la mobilisation des autorités est vitale et essentielle, associée à la plus grande vigilance sur l’efficacité de l’accord en question.
Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni est le résultat d’un processus long et pénible de plus de quatre ans.
Il convient de féliciter Michel Barnier de l’excellent travail réalisé, d’abord pour ce qui concerne l’accord de sortie, et ensuite pour ce qui concerne l’accord de commerce et de coopération.
Cependant, on peut difficilement parler de « succès » : comme Michel Barnier l’a souvent souligné, il s’agit d’un scénario « perdant-perdant » dans lequel tant l’Union européenne à vingt-sept que le Royaume-Uni se retrouvent dans une situation dégradée par rapport au statu quo ante.
Sur le plan commercial, un accord de libre-échange n’est pas une union douanière et la circulation des marchandises, même en exonération de droits de douane, est beaucoup moins fluide, notamment en raison des règles d’origine, des formalités douanières et du contrôle du respect des normes sanitaires et phytosanitaires. Les opérateurs commerciaux des deux côtés s’en sont déjà rendu compte et les choses ne sont malheureusement pas appelées à s’améliorer.
Sur le plan politique, les deux parties ressortent affaiblies de l’exercice : le Royaume-Uni perd toute une série d’avantages liés à sa participation aux politiques et programmes de l’Union, ainsi qu’à tout le réseau des accords internationaux conclus par l’Union au fil des années ; et l’Union européenne, quant à elle, « pèse moins lourd » à vingt-sept qu’à vingt-huit et se retrouve flanquée d’un nouveau concurrent et d’un partenaire difficile à ses portes.
La négociation de l’accord bilatéral de commerce et de coopération a donc essentiellement consisté en un exercice de limitation des dégâts. Il n’a pas été facile et, à plusieurs reprises, les deux parties se sont fait peur en voyant approcher la terrifiante possibilité d’une « chute de la falaise » – cliff edge –, c’est-à-dire d’un no deal.
L’accord obtenu est un accord d’association assez classique, lequel, à certains égards, va même moins loin, en termes de coopération, que certains accords avec d’autres partenaires de l’Union. Il est néanmoins sans précédent sur le plan commercial par le fait qu’il permet des échanges de marchandises sans aucun droit de douane ni quota, sans la moindre exception ou période transitoire, pour l’agriculture et la pêche, par exemple.
Je me réjouis que l’Union européenne ait imposé un cadre juridique et institutionnel unique pour la gestion de tous les volets de la relation bilatérale. Le précédent suisse, notamment, a démontré combien l’option d’une série d’accords bilatéraux plus ou moins bien reliés les uns aux autres est problématique, à la fois sur le plan technique et sur le plan politique. Le « saucissonnage » aurait été dramatique pour l’Union européenne.
La question délicate de la circulation des personnes était déjà réglée par l’accord de retrait en ce qui concerne les droits acquis des citoyens britanniques dans l’Union européenne et ceux des citoyens européens au Royaume-Uni. Dans le futur, l’accès des citoyens européens au territoire et au marché du travail britanniques sera plus difficile que par le passé – c’était sans doute l’un des principaux objectifs du Brexit –, mais des garanties minimales réciproques ont été obtenues en matière de visas et de protection sociale.
La participation du Royaume-Uni à certains programmes européens reste possible si les deux parties le souhaitent et à des conditions appropriées pour un pays tiers, notamment en termes de participation financière. La sortie du Royaume-Uni du programme Erasmus+, pour des raisons essentiellement politiques, est cependant une énorme déception pour tous les jeunes potentiellement concernés de part et d’autre.
Une autre grande déception concerne les garanties d’une concurrence loyale, ce qu’il est convenu d’appeler le level playing field, qui ne sont pas à la hauteur de ce que nous aurions pu espérer. La négociation a mis en évidence l’intention du Royaume-Uni de concurrencer l’Union en activant tous les leviers à sa disposition et en tirant pleinement parti de sa souveraineté recouvrée en matière réglementaire. L’Union devra donc rester vigilante et ne pas hésiter à protéger ses intérêts.
Le dossier de la pêche, comme vous le savez, me tient particulièrement à cœur, comme à certains autres collègues. Il aura été, jusqu’au bout, l’un des plus difficiles à négocier en raison non seulement de l’importance des intérêts économiques en jeu, mais aussi de sa charge symbolique et politique particulièrement élevée.
L’équation à résoudre était très complexe. Le compromis trouvé est forcément source de frustration pour nos pêcheurs puisque, comme dans d’autres domaines, il représente une dégradation sensible par rapport au statu quo ante. On peut néanmoins considérer que le résultat aurait pu être bien pire, puisque le transfert de quotas au profit du Royaume-Uni ne concernera finalement que 25 % des possibilités actuelles sur cinq ans au lieu des 80 % réclamés initialement par Boris Johnson.
Il faudra surtout bien veiller à préserver nos possibilités d’accès aux eaux britanniques, qui ne seront plus garanties au-delà du 30 juin 2026, en n’hésitant pas alors à refermer le marché de l’Union aux produits britanniques si nous ne sommes pas satisfaits de l’accueil réservé à nos pêcheurs.
Je conclurai, comme plusieurs de nos collègues, en disant mon inquiétude pour la viabilité du protocole sur l’Irlande. Ce protocole n’est pas le résultat de la négociation qui vient de s’achever : il a été conçu dans le cadre de la négociation précédente sur l’accord de retrait. Le problème de sa mise en œuvre effective ne se pose cependant que depuis le 1er janvier dernier, alors que le Royaume-Uni est désormais sorti de l’union douanière et du marché unique.
Pour éviter le rétablissement d’une frontière visible entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, le protocole a mis en place des dispositions extrêmement complexes qui, pour l’essentiel, maintiennent le territoire d’Irlande du Nord dans l’union douanière et le marché unique, imposent des contrôles stricts sur les échanges entre ce territoire et le reste du monde, y compris la Grande-Bretagne, et s’en remettent aux autorités douanières britanniques présentes en Irlande du Nord pour les exercer.
Ce système n’est pas dénué de failles intrinsèques. L’une d’entre elles s’est déjà révélée de manière spectaculaire au sujet des contrôles que l’Union européenne a récemment voulu instaurer sur les exportations de vaccins. Pire encore, son efficacité dépend entièrement de la bonne coopération d’autorités britanniques, qui ont fait preuve jusqu’ici d’une extrême mauvaise volonté.
Je crains donc que l’intégrité de l’union douanière et du marché unique, qui était l’un des grands objectifs des négociations, ne soit pas assurée à travers cette véritable « usine à gaz » du protocole sur l’Irlande. Je prévois malheureusement de sérieux dysfonctionnements dans les mois qui viennent avec le risque de répercussions importantes sur la situation politique en Irlande – notamment sur l’accord du Vendredi saint, très important en Irlande – et sur la relation bilatérale entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans son ensemble.
N’oublions jamais que nous avons affaire à la perfide Albion !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le président Christian Cambon, monsieur le président Jean-François Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion de répondre à vos nombreuses questions sur cet accord complexe. Vous avez rappelé la difficulté et la longueur de la négociation, témoignages de cette complexité. Je vais m’efforcer de vous répondre le plus précisément possible.
Je veux souligner à mon tour combien nous devons à Michel Barnier, le négociateur des vingt-sept États membres, qui a su préserver notre unité européenne et sauvegarder l’essentiel de nos intérêts fondamentaux. Il a incarné cette fermeté, cette unité européenne tout au long de la négociation.
C’est un long feuilleton qui s’est déroulé depuis le mois de juin 2016 et le référendum britannique, qui a sonné en Europe comme un choc. Voilà un peu plus de quatre ans, au moment d’entamer cette négociation, nous avons dû définir quels étaient les intérêts communs, les intérêts fondamentaux de l’Union européenne à vingt-sept. Ce signal d’unité a été donné à un moment où les Cassandre annonçaient, sans doute légitimement, que l’heure d’un délitement de l’Union européenne était venue avec cette grande première d’un pays qui ne frappait pas à la porte de notre club pour le rejoindre, mais pour le quitter, après un référendum, expression de la souveraineté populaire, remporté avec une majorité sans appel.
Nous avions alors été extrêmement clairs sur la nécessité de préserver le marché intérieur, le marché unique et son fonctionnement et de défendre – c’est notre intérêt, au-delà de celui de notre partenaire irlandais – la paix et la stabilité en Europe. Les accords du Vendredi saint sont fondés dans un enracinement européen : c’est grâce au marché intérieur et aux règles européennes que cette dissociation entre deux entités politiques et une entité économique avait été rendue possible, voilà un peu plus de vingt ans. N’oublions pas le rôle qu’avait joué notre cadre européen dans cet accord de paix.
La négociation s’est conclue en deux étapes : une première, qui a eu lieu à la fin de 2019, avec un accord de retrait dont nous ne devons pas, aujourd’hui encore, minimiser l’importance. Il a permis de régler durablement trois sujets.
Il s’agit tout d’abord des intérêts financiers de l’Union européenne. Le Royaume-Uni ayant été membre pendant plus de quarante ans de notre club, il lui incombe encore un certain nombre d’obligations financières qui s’étalent dans le temps et sur lesquelles nous serons évidemment vigilants.
Il s’agit ensuite des droits de nos citoyens. Comme l’ont notamment rappelé M. le président Rapin et M. Cadic, plus de 3 millions et demi d’Européens, dont plus de 300 000 Français, résident au Royaume-Uni. Nous avons garanti leurs droits : tous ceux établis depuis plus de cinq ans ne doivent pas voir leur situation ni leurs droits remis en question par ce choix britannique, même si des complexités demeurent. Cet accord de retrait les sécurise.
Il s’agit enfin de la question de l’Irlande, à travers un protocole, certes complexe, mais absolument nécessaire. Je veux être précis sur les développements récents, puisque nous allons vivre durablement avec ce protocole et ces complexités.
Les frictions que nous constatons parfois dans le commerce entre la Grande-Bretagne et l’île d’Irlande, et particulièrement l’Irlande du Nord, ne sont pas le résultat de ce protocole, qui protège, mais d’un choix britannique dont nous devons tirer des conséquences, en essayant de les minimiser pour l’Irlande et pour l’Union européenne, mais dont nous ne pouvons faire fi, comme si le Royaume-Uni était resté dans le marché unique, dans l’union douanière et dans l’Union européenne. Nous ne devons pas nous tromper quant aux responsabilités à cet égard.
Nous ne devons pas être dupes de l’activation de l’article 16 de l’accord sur le Brexit, brandie par les Britanniques quand, par maladresse, la Commission européenne a encadré les exportations de vaccins – ce qui était nécessaire, mais n’aurait pas dû être fait avec ce codicille supplémentaire. Il n’est dans l’intention de personne au sein de l’Union européenne, ni de la Commission ni d’aucun État membre, de remettre en cause ce protocole. Nous devons être clairs : aujourd’hui, c’est aux Britanniques de l’appliquer intégralement ; et c’est l’application intégrale de l’accord qui peut permettre une discussion pragmatique sur d’éventuelles flexibilités, notamment pour les périodes de grâce. Nous ne devons pas inverser l’ordre des paramètres.
À l’instant où nous parlons, nous apprenons que le Royaume-Uni a déclaré vouloir unilatéralement prolonger les périodes de grâce, pour reprendre votre expression, monsieur le sénateur Yung, c’est-à-dire les périodes de flexibilité.
C’est évidemment illégal et inacceptable. C’est seulement dans le cadre d’une discussion, lorsque le respect du protocole aura été préalablement garanti, que nous pourrons envisager des flexibilités, mais certainement pas de manière unilatérale. Je tenais à le rappeler à cette tribune.
En ce qui concerne la négociation, nous avons ensuite essayé de forger le cadre d’une relation future avec le Royaume-Uni : ce fut le dernier épisode – est-ce vraiment le dernier ? – à la fin du mois de décembre 2020, où furent abordés la question de la pêche et d’autres sujets de grande sensibilité.
L’accord trouvé le 24 décembre, qui doit encore être définitivement adopté, est protecteur des intérêts de l’Union européenne et de la France en particulier, conformément au mandat de notre négociateur, qui l’a tenu et que nous avons soutenu.
Cet accord de plus de 1 200 pages est protecteur de nos intérêts fondamentaux. Nous avons mis en place un système complexe qui garantit l’accès de nos bateaux aux eaux britanniques pour plus de cinq ans et six campagnes de pêche, jusqu’au 30 juin 2026. Ce système aboutit certes à une baisse progressive des quotas, et ce n’est pas une bonne nouvelle, mais nous avons su préserver l’essentiel.
Ce système doit également nous conduire à préparer « l’après ». Comme l’a souligné Michel Barnier devant votre assemblée, nous courons le risque, après juin 2026, de voir les Britanniques entrer dans un système de décision unilatérale annuelle d’accès à leurs eaux.
Mais nous avons d’autres leviers pour mener les futures négociations. Notre souhait est évidemment que l’accès aux eaux britanniques soit durablement maintenu, au-delà de ces cinq ans et demi, avec le niveau de quotas défini dans l’accord. Nous avons les moyens de défendre ces intérêts fondamentaux dans le cadre de l’accord.
Autre intérêt fondamental, le level playing field, ou les conditions de concurrence équitable, qui valent pour tous les secteurs économiques, y compris la pêche. Pour la première fois dans un accord à caractère économique et commercial, une capacité de vérification et de rétorsion a été prévue en cas de divergences sur des sujets fondamentaux – normes sociales, fiscales, alimentaires, sanitaires… Toute divergence réglementaire jugée significative peut donner lieu, de part et d’autre, à des mesures de compensation à la main de l’autre partie, sous le contrôle de différents mécanismes d’arbitrage, avec des délais encadrés.
C’est absolument fondamental pour que l’accès au marché unique accordé aux Britanniques ne se traduise pas, comme plusieurs l’ont souligné, par une stratégie de dumping, parfois appelée « Singapour sur Tamise ». Si la tentation existait, nous aurions les moyens de la contrer.
Cet accord présente aussi l’avantage d’avoir maintenu l’unité européenne. N’ayons pas, a posteriori, un romantisme du no deal. Il aurait conduit non seulement à une détérioration de notre relation avec le Royaume-Uni, que nous pouvions assumer, mais aussi à un risque de désagrégation européenne très fort. Sur de nombreux sujets comme la défense ou l’ambition climatique, nous avons durablement besoin de cette solidité européenne, que le Brexit n’a heureusement pas mise à mal.
Il importait enfin de trouver un cadre de coopération avec le Royaume-Uni. Comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, nous aurons besoin de lui, notamment en matière de sécurité et de défense, dans les années à venir. La géographie est têtue, le Royaume-Uni reste notre voisin ; l’histoire est aussi têtue et le Royaume-Uni reste notre partenaire, notre allié et notre ami.
Le Royaume-Uni reste lié à la France, à l’Union européenne et à l’Europe par des liens humains, affectifs, culturels et par des valeurs communes que nous partagerons encore. Il était important de ne pas se tourner le dos à l’issue de cette période de négociations difficiles.
Nous entrons maintenant dans une période de vérité. Nous devrons nous assurer avec vigilance et exigence du respect et de la bonne mise en œuvre de l’accord. La question de la pêche est un test : nous obtenons, parfois avec difficulté, mais avec détermination, les licences qui correspondent à l’accès aux eaux jusqu’en 2026. Il en manque encore une cinquantaine, principalement pour les pêcheurs des Hauts-de-France, dans la zone des six à douze milles. Nous les avons obtenues pour la zone économique exclusive et pour les îles de Jersey et Guernesey. Nous aurons encore à consolider et à compléter l’octroi de ces licences. Comme vous, je pense que c’est trop long, mais nous les obtiendrons.
Au-delà de ce système provisoire, nous devrons négocier, à la fin du semestre, un accord durable pour les cinq ans et demi qui viennent.
Il est nécessaire d’être vigilant sur l’exécution, mais aussi sur les conditions de concurrence équitable. Il reste encore beaucoup à faire. L’Union européenne à vingt-sept doit encore définir les mécanismes de suivi et de rétorsion.
La France a deux demandes à cet égard : tout d’abord, la mise en place un système de suivi concret et d’alerte par les entreprises, par les opérateurs économiques, lesquels pourraient ainsi signaler toute difficulté, tout écart, toute divergence dans l’application de cet accord et le respect des normes. Vous avez raison, monsieur Bocquet, il n’y a pas d’alignement dynamique au sens strict, mais les divergences peuvent être recensées et sanctionnées. Encore faut-il que nous ayons un retour du terrain, notamment des entreprises. La Commission s’est engagée à mettre en place ce mécanisme de signalement que nous réclamons.
Notre deuxième demande, encore plus fondamentale, est l’instauration d’un mécanisme législatif de l’Union européenne pour nous permettre d’organiser nos procédures de réaction et de rétorsion – par des droits de douane, par exemple – en cas de divergences avec le Royaume-Uni. Nous devrions disposer de ces mécanismes au cours de cette année.
Je tiens à souligner que cet accord économique et commercial, qui intègre pour la première fois ce niveau d’exigence en matière de conditions de concurrence, peut servir de modèle à une réforme de la politique commerciale européenne à l’égard d’autres partenaires. Nous connaissons les débats sur le respect des normes environnementales et sociales, en particulier, que nous avons légitimement avec d’autres partenaires commerciaux plus éloignés géographiquement. La politique commerciale européenne mérite d’être réformée en s’inspirant de cet accord.
Vient enfin la question, vous l’avez souligné à plusieurs reprises, de ce qui ne figure pas dans cet accord. Cela ne veut pas dire que nous ne trouverons pas de solution de coopération, mais que nous devons y travailler.
J’ai évoqué avec peut-être trop de poésie ou de pudeur ces « incomplétudes ». Je m’excuse auprès du sénateur Guérini d’avoir employé ce terme : puisqu’il est essentiellement utilisé en psychologie et en arithmétique, j’y voyais un augure pour nos futures relations avec le Royaume-Uni. Au-delà de ces considérations psychologiques, je suis prêt à assumer les termes de « carences » ou de « manques », s’ils sont plus clairs.
De quel domaine s’agit-il ? Beaucoup d’entre vous, en particulier le président Cambon, ont évoqué la sécurité et la défense. Disons-le clairement : notre relation bilatérale avec le Royaume-Uni est essentielle et ne sera pas mise à mal par le Brexit. Nous devons toutefois attendre, si vous me permettez l’expression, que la poussière retombe : si la négociation a permis de construire une coopération, elle a aussi laissé un certain nombre de traces dans nos relations. Nous avons perdu des habitudes de travail en commun que nous devons retrouver. Je ne pense pas que nous les ayons perdues en matière de sécurité et de défense, notamment en matière opérationnelle, mais nous devons sécuriser cette relation, un peu plus de dix ans après les accords de Lancaster House et préparer un sommet bilatéral pour évoquer cette coopération dans les prochains mois.
Il faudra aussi définir un cadre de coopération, non pas seulement franco-britannique, mais euro-britannique, qui n’existe pas aujourd’hui. Ce sont les Britanniques qui n’ont pas souhaité intégrer cette dimension dans l’accord. Regrettons-le, mais travaillons sur la suite. La France a fait un certain nombre de propositions, dont certaines ont déjà eu une traduction concrète. Je pense notamment à l’initiative européenne d’intervention, cadre de coopération informelle entre armées en matière de planification, d’analyse des menaces. Le Président de la République l’a présentée dans son discours de la Sorbonne. Le Royaume-Uni y est associé. Nous devons sans doute aller plus loin dans ce cadre d’organisation de notre coopération de sécurité, de défense et de politique étrangère.
En mars 2019, le Président de la République avait proposé la création d’un Conseil européen de sécurité. Quel que soit le terme ou le format exact, il s’agit de mettre en place une structure de consultation régulière avec le Royaume-Uni pour répondre aux menaces extérieures ou discuter de sujets de politique étrangère sensibles comme ceux que nous voyons en Birmanie, en Chine, en Russie ou ailleurs. Nous devons coopérer avec le Royaume-Uni sur ces questions, nous coordonner. Ce type de format devra être défini dans les mois qui viennent, probablement à travers un sommet euro-britannique que nous devons encore inventer.
À côté des sujets de sécurité et de défense, les questions d’asile ne figurent pas non plus dans cet accord. Plusieurs options se présentent pour y travailler.
Tout d’abord, notre coopération bilatérale se poursuit. Quelques jours avant la conclusion de l’accord sur la relation future, les ministres de l’intérieur français et britannique ont signé un nouvel accord de coopération avec un renforcement des financements britanniques pour les actions que nous menons sur la côte, en particulier dans les Hauts-de-France. Sans doute ces actions de coopération en matière de renseignement et d’interception sont-elles encore insuffisantes, mais nous devons continuer d’y travailler. C’est ce que fait Gérald Darmanin.
Sur les questions spécifiques d’asile, notamment celle du retour, puisque nous ne sommes plus dans le cadre du règlement de Dublin, nous avons le choix entre la voie d’un accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et celle d’un accord bilatéral. Il me semble que la plus pragmatique serait celle d’un accord bilatéral spécifique pour que les règles de reconduite soient similaires à celles de Dublin.
Parmi les incomplétudes ou les manques, la question de la protection des données et celle des services financiers ont été soulevées par plusieurs intervenants. Ces deux sujets, très différents, relèvent de compétences unilatérales de l’Union européenne. C’est donc aussi un levier de négociation, raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité les inclure dans l’accord. C’est à l’Union européenne d’évaluer, à tout instant, si la législation britannique assure une protection équivalente aux opérateurs européens en matière de régulation financière et de protection des données personnelles.
La Commission européenne est en train de conduire ces deux évaluations. En ce qui concerne la protection des données, il semble que le Royaume-Uni soit suffisamment protecteur et que l’équivalence sera garantie. Le transfert de données pourra ainsi être maintenu dans les deux sens.
Les choses sont moins claires en matière financière. Le Royaume-Uni pourrait suivre une stratégie potentielle de déréglementation. Ce risque existe, raison pour laquelle nous devons conduire, dans les prochains mois, une évaluation sur ce qu’envisage le Royaume-Uni en matière de services financiers. Nous ne donnerons accès à notre marché que produit par produit, segment financier par segment financier, si nous obtenons des garanties sur une réglementation financière aussi protectrice que la nôtre. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.
Dans ces deux domaines, les décisions européennes sont révocables, puisque unilatérales. La Commission européenne évaluera « en continu » si les Britanniques restent à un niveau de protection équivalent à celui de l’Union européenne.
Comme vous l’avez souligné, monsieur Allizard, je regrette que rien ne figure dans cet accord sur la coopération étudiante, notamment pour le programme Erasmus. C’est un choix britannique. Cela n’empêchera pas probablement d’autres coopérations en matière académique, scientifique ou étudiante à l’avenir. C’est notre intérêt commun. À court terme, nous devons renforcer notre programme Erasmus, notre programme Horizon Europe en matière de recherche dans l’Union européenne, avec des pays tiers qui cherchent à s’y associer. C’est ainsi que nous faciliterons la mobilité de nos étudiants et le financement de notre recherche.
Vous l’avez souligné par différentes formules, toutes également évocatrices, le Brexit aurait pu sonner le début d’un délitement européen. Ce ne fut pas le cas. Au contraire, l’Union européenne s’est renforcée : toutes les enquêtes d’opinion, toutes les élections qui ont eu lieu depuis, montrent le recul des forces qui défendent la sortie de l’union monétaire ou de l’Union européenne. Mais il ne faut pas nous rendormir. Le Brexit a été un signal d’alarme, un choc, qui a réveillé l’Europe. Nous avons démontré, dans cette négociation, notre capacité à défendre notre unité – peut-être au-delà de ce que nous espérions –, notre capacité à imaginer. Je suis convaincu que le plan de relance européen, qui a été acté voilà neuf mois, n’aurait jamais été possible sans le Brexit. Les Britanniques s’y seraient sans doute opposés, mais surtout, la conscience d’une action européenne forte n’aurait pas été aussi nette.
Nous avons consolidé notre unité et témoigné de notre force. Nous devons maintenant démontrer notre agilité face au Brexit et à ce que d’éminents responsables politiques auraient appelé, en d’autres temps, des « expérimentations hasardeuses ». Nous devons prouver que l’Europe est suffisamment réactive et créative pour que son action collective soit non pas un handicap, mais au contraire un atout et une force. Nous avons tous les moyens pour y parvenir.
Je reprendrai pour terminer la formule utilisée par le nouveau président du Conseil Mario Draghi devant vos homologues du Sénat italien : « Il n’y a pas de souveraineté dans la solitude. » C’est à l’Union européenne de le démontrer, en renforçant, au-delà du Brexit, non seulement sa capacité de coopération avec le Royaume-Uni, parce que nous ne serons forts qu’ensemble, mais surtout ses procédures et ses politiques, pour relever de nouveaux défis.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, U C et Les Républicains.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Je demande à chacun d’entre vous de rester concis. En effet, vous le savez, un deuxième débat suivra celui-ci.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.
Monsieur le secrétaire d’État, le maintien d’une certaine exigence en matière de normes environnementales, sociales et fiscales impose, en toute logique, une augmentation des contrôles aux frontières.
Bonne nouvelle, les embouteillages craints du côté français semblent avoir été anticipés intelligemment. Entre le recrutement de 700 fonctionnaires, les 40 millions d’euros investis par les opérateurs transmanche et les aménagements des ports, notamment dans mon département, à Dunkerque, la fluidité du trafic semble être assurée. Toutefois, c’est un point de vigilance, le trafic est encore fortement perturbé. Au cours du mois de janvier, Londres a ainsi enregistré une baisse de 68 % des exportations. Quelle sera la situation des ports français à plein régime ?
Mauvaise nouvelle, le passage entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord bloque. La zone prend une nouvelle dimension. Ainsi, Dunkerque vient d’inaugurer une nouvelle ligne réservée aux poids lourds et reliant directement Dunkerque à Rosslare. Mais cela conduit aussi à une augmentation du trafic entre les deux Irlande. Les conséquences s’en font déjà ressentir, puisqu’on note de nombreuses pénuries dans les supermarchés nord-irlandais.
De plus, à compter du 1er avril, chaque transport de produits alimentaires nécessitera un certificat sanitaire. Étant donné l’intensité des relations commerciales entre les deux territoires, on risque de se retrouver avec des blocages. C’est d’autant plus problématique que, à l’intérieur d’un même camion, on peut trouver 300 à 400 produits alimentaires, ce qui nécessiterait autant de certificats sanitaires différents.
Monsieur le secrétaire d’État, l’Union européenne a rejeté le délai demandé par Londres pour normaliser le transit nord-irlandais. Malheureusement, ce sont bien les Nord-Irlandais et les Nord-Irlandaises qui payent le tribut de l’intransigeance de Bruxelles et de Londres. La France compte-t-elle peser de son poids diplomatique pour rapprocher les deux positions ?
Madame la sénatrice, vous posez plusieurs questions en une seule. J’essaierai d’y apporter les éléments de réponse les plus complets possible.
Concernant le trafic, au début de l’année, quand les nouveaux dispositifs se sont mis en place, certaines difficultés sont inévitablement apparues. Alors même qu’il s’agit traditionnellement des trois semaines durant lesquelles le trafic est le plus faible de l’année, nous avons constaté une forte baisse du trafic dans le tunnel sous la Manche et dans le cadre des différentes liaisons avec le Royaume-Uni.
Depuis la mi-février, nous sommes revenus à un nombre quotidien de poids lourds comparable au niveau d’avant le Brexit, signe que les dispositifs sont mieux connus, mieux compris et que la fluidité est assurée. Si j’additionne le contrôle des passagers par la police aux frontières, les contrôles douaniers, que nous avons préparés, et les contrôles vétérinaires, que nous avons également préparés : nous avons recruté plus de 1 300 personnes supplémentaires sur l’ensemble de la façade pour fluidifier au maximum la situation, sans compter les investissements informatiques.
Pour ce qui concerne les flux du Royaume-Uni vers la France, les choses se passent bien. Nous rencontrons des difficultés dans l’autre sens, parce que les procédures ont été moins organisées, ce qui gêne les exportations de la France vers le Royaume-Uni. Par ailleurs, la situation pourra se compliquer après le 1er avril, puis après le 1er juillet, puisque les contrôles britanniques seront alors pleinement mis en place. Nous discutons avec les autorités britanniques pour que ces formalités soient préparées le mieux possible.
Vous avez raison de le rappeler, le développement de nouveaux itinéraires ou de nouvelles lignes constituent autant d’opportunités. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour compléter ma réponse à Mme la sénatrice Morin-Desailly sur la situation de Brittany Ferries. La ligne Rosslare-Dunkerque est un bon exemple d’une opportunité économique nouvelle qui se développe entre l’Irlande et la France. Cela ne compensera pas toutes les difficultés que connaissent, au-delà de la question du Brexit et de la crise sanitaire, nos compagnies. Vous le savez, nous avons aidé notamment Brittany Ferries. Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) est saisi du dossier pour étudier toutes les options de soutien, parce que ce sujet relève de la souveraineté nationale.
S’agissant de l’Irlande du Nord, il ne faut pas inverser les choses. Si le protocole crée des frictions dans le commerce, il constitue notre meilleure protection. Des flexibilités seront introduites pour étendre les périodes dites « de grâce » que nous avions mises en place avec le Royaume-Uni à la fin de l’année dernière. Mais il faut au préalable respecter parfaitement le protocole : c’est l’obligation instaurée par les Britanniques.
Décréter unilatéralement l’extension d’une période de grâce n’est pas acceptable. Revenons à la discussion avec le Royaume-Uni.
Pour les questions suivantes, pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, respecter les temps de parole ? Ces questions sont en effet très nombreuses !
La parole est à M. Yves Détraigne.
Monsieur le secrétaire d’État, après la prochaine année scolaire, les jeunes Européens ne pourront plus étudier au Royaume-Uni grâce à Erasmus. Les étudiants britanniques ne pourront donc plus obtenir de bourses de l’Union européenne pour étudier sur le continent, et les étudiants européens ne pourront plus accéder aux établissements britanniques grâce à un financement de l’Union européenne.
Les Britanniques ont en effet considéré qu’ils perdaient trop d’argent avec ce programme, car ils accueillaient plus d’étudiants européens qu’ils n’envoyaient de jeunes Britanniques sur le continent.
Pourtant, en rapportant ces dépenses à la participation du Royaume-Uni pour financer Erasmus, le pays engrangeait un bénéfice net, les étudiants étrangers consommant sur place et contribuant à la vie économique du pays.
Boris Johnson a d’ailleurs annoncé la mise en place d’un programme propre au Royaume-Uni, intitulé Alan Turing, pour permettre aux étudiants britanniques d’accéder aux universités européennes, mais aussi aux meilleures universités du monde.
À l’inverse, les étudiants européens devront s’acquitter de frais de scolarité aussi élevés que les autres étudiants étrangers – plus de 10 000 euros l’année – pour venir étudier au Royaume-Uni.
Depuis trente-trois ans, ce pays s’était imposé comme l’un des principaux pays d’accueil des étudiants européens au sein d’Erasmus. C’est donc une décision qui aura des conséquences non négligeables sur les mobilités des étudiants européens, plus particulièrement s’ils sont issus de milieux défavorisés.
Par conséquent, pouvez-vous m’indiquer, monsieur le secrétaire d’État, comment le gouvernement français et ses partenaires européens envisagent de pallier cette défection du Royaume-Uni, afin que nos étudiants ne soient pas les sacrifiés du Brexit ?
Je l’ai dit, et je n’y reviendrai donc pas, je regrette ce choix. Selon moi, il pénalise le Royaume-Uni plus encore que l’Union européenne, parce qu’il était le pays qui accueillait le plus d’étudiants et qui était le plus attractif au sein du programme Erasmus.
Les étudiants français et européens aujourd’hui engagés dans un cursus britannique – obtention d’un bachelor ou d’un master – pourront le poursuivre en s’acquittant des droits de scolarité qu’ils payaient jusqu’alors. Ils ne seront pas concernés par les nouveaux frais d’inscription.
Pour ce qui concerne Erasmus et la mobilité étudiante en général, nous doublons, pour le court terme, au sein de l’Union européenne, les moyens sur la nouvelle période budgétaire qui commence en 2021. Par conséquent, dans les prochains mois, un plus grand nombre de bourses Erasmus seront disponibles pour poursuivre ses études non plus au Royaume-Uni, ce que je regrette, mais dans d’autres pays, y compris des pays anglophones. Je pense à l’Irlande ou à d’autres pays hors Union européenne, car ce programme dépasse les frontières de l’Union.
Au total, Erasmus bénéficiera de financements plus importants. Je souhaite que nous puissions reprendre, à un moment donné, une discussion avec le Royaume-Uni, en vue de sa réintégration en tant que pays tiers ou d’une autre solution. Nous devrons retrouver les moyens d’une coopération étudiante académique et scientifique absolument indispensable.
Monsieur le secrétaire d’État, l’accord prévoit un système de coopération ouvert fondé sur un dialogue régulier, afin d’échanger des informations sur les évolutions des politiques liées au cyberespace, notamment sur la gouvernance de l’internet, la cybersécurité et la cyberdéfense.
Des mécanismes de coopération avec les pays tiers sont prévus, mais ce type de procédure est contraignant et entraîne souvent des délais supplémentaires.
Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que cette coopération a minima, fondée sur le volontariat, permettra de répondre au mieux aux enjeux stratégiques de cybersécurité ? Quel dispositif est prévu pour le signalement des incidents de sécurité, alors que la directive NIS – Network and Information Security –, qui établit un niveau commun de protection des données, ne prévoit pas de coopération renforcée avec les pays tiers ?
Le Royaume-Uni risque-t-il d’être confronté à des difficultés en matière d’enquête sur des actes de cybercriminalité ? Quid de la participation britannique aux exercices de cybersécurité en Europe ? Ne craignez-vous pas une coopération moins performante en matière de lutte contre la cybercriminalité ? Enfin, le Brexit ne risque-t-il pas de fragiliser la coopération en matière de cyberdéfense ?
Monsieur le sénateur, c’est l’un des sujets sur lesquels l’accord est incomplet ou ambigu. En effet, il prévoit fort heureusement des éléments de dialogue, vous l’avez rappelé, en matière de cybersécurité. Cela fait partie des sujets de sécurité ou de défense intégrés dans l’accord. Toutefois, il s’agit d’une coopération assez limitée. Ainsi, le Royaume-Uni pourra être convié au groupe de coopération fondé sur la directive NIS, dont vous venez d’évoquer l’importance.
À ce stade, il ne s’agit pas d’associer le Royaume-Uni à nos exercices futurs de cybersécurité ni de notifier des incidents de cybersécurité, comme le prévoit la directive NIS. Est-ce la fin de la discussion en matière de cybersécurité avec le Royaume-Uni ? Je ne le souhaite pas ! Cela fera partie des sujets que nous aurons à construire, en matière de sécurité, bilatéralement, mais surtout dans le cadre de la relation euro-britannique, dans les mois qui viennent.
L’accord constitue donc un socle, en permettant un dialogue organisé en matière de cybersécurité, ainsi que quelques éléments de coopération au titre de la directive NIS et un renforcement de nos outils de coopération en matière de cybersécurité, qui sont surtout dans l’intérêt du Royaume-Uni, mais aussi dans le nôtre.
Ce sujet fera partie des « incomplétudes » à combler au cours de la suite de notre discussion.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question concerne les difficultés des pêcheurs de la côte ouest du département de la Manche, depuis l’abrogation, à la surprise générale, du traité de la baie de Granville, à la suite des accords du Brexit.
Signé en juillet 2000, ce traité entre la France et le Royaume-Uni réglementait la pêche à proximité de Jersey et faisait de ce secteur transfrontalier une entité juridique unique permettant de se partager la mer entre voisins.
De moins en moins nombreux, les bateaux français sont soumis à des réglementations restrictives : leur accès est encadré par des conditions de licence, de matériel et de quotas.
La proximité géographique entre Jersey et les côtes normandes est un cas unique et non délocalisable. Les bateaux qui pêchent dans les trois à douze milles forment une flotte composée de petites unités qui ne peuvent pêcher plus au large. L’accès à cette zone leur est donc indispensable.
Dès le mois de janvier, des inquiétudes ont vu le jour et il a été décidé d’une période de cent vingt jours, jusqu’au 30 avril, pour trouver un accord. Cependant, plusieurs incidents ont émaillé les relations avec Jersey.
Les licences données jusqu’alors par le comité de pêche sont désormais délivrées par Jersey aux bateaux pouvant justifier d’un nombre de dix jours de pêche. Sur 340 bateaux recensés, 57 ont obtenu leur licence. Les autres ne disposent que de licences provisoires expirant au 1er mai 2021.
À la suite d’un nouveau revirement de la Commission européenne, la débarque de bulots pêchés par des bateaux jersiais est interdite pour un pays tiers, car ces coquillages sont prélevés dans des eaux classées en B. Alors que les pêcheurs normands pêchent ces produits dans les mêmes eaux et débarquent sans problème, les bateaux de Jersey sont refoulés vers Ouistreham ou Saint-Malo, causant un préjudice économique aux ports de Granville et de Carteret.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d’État, cette situation n’est pas tenable et nos pêcheurs ne doivent pas être les grands sacrifiés sur l’autel de l’accord du Brexit.
Qu’entendez-vous faire pour remédier à cette profonde injustice, qui pourrait déboucher sur une situation sociale et économique explosive ?
Sur le sujet des licences, madame la sénatrice, deux choses sont importantes : il convient d’obtenir, à court terme, les licences les plus complètes ou les plus nombreuses possible. Pour la zone économique exclusive, nous les avons obtenues jusqu’au 30 avril. Pour les îles anglo-normandes, nous les avons également obtenues jusqu’au 30 avril. Nous devons encore les obtenir, et ce le plus vite possible, pour la bande des six à douze milles, qui concerne avant tout les Hauts-de-France.
Au-delà du 30 avril, c’est le point que vous souleviez, nous devrons évidemment nous engager dans un système de licences stables et d’autorisations durables, pour la période qui court jusqu’à la fin du mois de juin 2026. Avec Annick Girardin, nous exerçons une forte pression sur la Commission, en particulier sur le commissaire à la pêche, pour que ce système soit défini rapidement.
Toutes les autorisations valables jusqu’au 30 avril entreront rapidement dans la deuxième phase de négociation, dans le but de les prolonger.
S’agissant du traité de la baie de Granville, vous le savez, l’accord global entre l’Union européenne et le Royaume-Uni permet, pour être très précis, deux options : soit la renégociation d’un nouvel accord, soit son prolongement. Nous avons jusqu’au début du mois d’avril pour faire part de l’option que nous privilégions et, le cas échéant, négocier ensuite.
Nous voulons évidemment préserver le maximum, voire l’intégralité, de l’acquis de l’accord de la baie de Granville, que cela se fasse par un accord spécifique ou par un complément à l’accord global avec le Royaume-Uni. Nous serons vigilants à maintenir le même niveau d’accès par les licences et par l’accord ultérieur.
Sur le sujet de réglementation sanitaire très spécifique des mollusques bivalves, il est exigé, pour les pays tiers, un passage supplémentaire en bassin de purification. Dans la mesure où le Royaume-Uni est devenu pays tiers, nous devons respecter cette exigence. Un changement de notre réglementation sanitaire serait difficile à comprendre. Nous cherchons, avec la Commission européenne, le moyen de ne pas perturber cet approvisionnement, la situation que vous avez décrite étant à notre détriment, notamment pour les deux ports que vous avez cités, mais également au détriment du Royaume-Uni.
Monsieur le secrétaire d’État, le programme Erasmus+ ne fait pas partie de l’accord de commerce et de coopération négocié avec le Royaume-Uni. Cette volonté de dernière minute des Britanniques, nous ne pouvons que la regretter. Erasmus est l’un des symboles de la réussite européenne, c’est l’esprit de notre volonté de vivre ensemble.
Depuis toujours, pour le Royaume-Uni, l’adhésion et la participation à l’Union européenne coûtent trop cher. Selon les Britanniques, Erasmus ne fait pas exception, particulièrement parce qu’ils accueillaient deux fois plus d’étudiants qu’ils n’en envoyaient dans le reste de l’Union européenne. On peut s’interroger légitimement sur le coût réel de l’accueil de participants Erasmus dans nos pays et son impact sur les économies nationales. C’est ce qu’a fait l’Autriche dans un rapport de recherche publié en juin 2018. Le résultat est sans appel : Erasmus est bénéfique pour les pays d’accueil. Plus intéressant encore, l’analyse conclut même que la balance économique est positive quand il y a plus de participants entrants que de participants sortants.
Nous devrions encore voir des participants britanniques et européens bénéficier d’Erasmus+ jusqu’en 2023, le temps que la programmation 2014-2020 soit achevée. Mais la suite est incertaine, ce qui n’est pas sans morceler le Royaume-Uni lui-même. Le pays a décidé de développer son propre programme, le Turing Scheme, qui se veut concurrent, mais ne prévoirait pas l’accueil d’étudiants étrangers. Il concernerait 35 000 étudiants dès septembre 2021, pour un montant de 100 millions de livres. Les moyens alloués paraissent insuffisants en comparaison d’Erasmus+.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les cas de l’Écosse et du Pays de Galles, qui ont manifesté leur intérêt pour continuer à participer au programme Erasmus+ ? L’Irlande du Nord semble déjà avoir trouvé une solution. Comment cela peut-il fonctionner, en particulier dans la situation de tension autour du protocole nord-irlandais ?
Madame la sénatrice, je ne reviens pas sur ce que j’ai dit sur le programme Erasmus. Vous avez rappelé mieux que je ne l’ai fait son importance et son impact économique positif, même quand il se traduit par un plus grand nombre d’« entrées » que de « sorties » étudiantes.
Nous ne nous résignons pas à ce que la situation reste ainsi avec le Royaume-Uni. Mais notre priorité, c’est que le programme Erasmus+ se développe sans le Royaume-Uni, grâce à un doublement de ses financements.
Le gouvernement britannique a mis en place plusieurs programmes. Vous avez cité le Youth Mobility Scheme, qui est une réponse potentielle au point évoqué par Olivier Cadic sur les volontaires internationaux en entreprise (VIE), cadre dans lequel nous pourrions réintégrer une possibilité d’accès. Vous avez également évoqué le programme Turing, qui permettrait aux étudiants britanniques de partir en mobilité internationale.
Nous pourrons avoir cette discussion bilatérale, mais je crois que c’est aujourd’hui aux Britanniques de préciser leurs intentions sur leur volonté ou non d’avoir une coopération universitaire avec nous. Dans le cadre de nos échanges bilatéraux, nous pourrons renforcer d’autres dispositifs spécifiques, comme celui des Young Leaders ou des bourses Fulbright, que nous menons avec les États-Unis.
Nous examinons toutes ces options. Un choix politique malheureux visant à se désengager d’un programme européen a été fait par le Royaume-Uni. Essayons désormais de consolider notre programme et tentons ensuite de « rattraper », si les Britanniques en ont la volonté, cette coopération.
Monsieur le secrétaire d’État, quelques semaines après l’entrée en vigueur du Brexit, les inconnues et les questionnements sont encore légion. Parmi les causes de ce choix du peuple britannique, la question migratoire a joué un rôle important. Or, malgré les promesses des tenants de la sortie de l’Union européenne, le départ du Royaume-Uni ne signifie pas la fin de l’immigration sur son sol, car nous savons que les considérations légales pèsent peu face à la détermination des personnes migrantes.
Les chiffres le prouvent : en 2020, plus de 9 500 passages ou tentatives de passage de la Manche ont été recensés, soit quatre fois plus qu’en 2019. Dans ce cadre, on déplore au moins six morts et trois disparus. La mise en œuvre d’une politique migratoire orientée avant tout vers la sécurité humaine est donc absolument nécessaire, ma collègue Gisèle Jourda l’a parfaitement rappelé.
L’accord dont nous discutons aujourd’hui passe pourtant sous silence l’ensemble de ces questions. Le règlement de Dublin ne s’appliquant plus au Royaume-Uni, l’incertitude prévaut quant à la gestion du renvoi de migrants illégaux vers l’Union européenne. Les conditions de regroupement familial pour les mineurs non accompagnés restent aussi en suspens. Quel est l’avenir des accords de Sandhurst de 2018 ? Faute d’un cadre de regroupement clair, ces mineurs prennent aujourd’hui de gros risques pour traverser la Manche.
Cette nouvelle situation illustre davantage encore l’ineptie de la politique migratoire communautaire et ravive nos inquiétudes. Nos interrogations portent sur deux points.
Entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, quels mécanismes de coopération régiront les flux migratoires et le renvoi des migrants illégaux ? Entre le Royaume-Uni et la France, dans la mesure où la sécurisation massive des frontières ne dissuade personne de faire la traversée et ne fait que menacer des vies humaines, comment envisager une coopération future dans le respect des droits humains fondamentaux, notamment dans le cas de renvois systématiques vers la France ?
Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, nous ne sommes plus dans le cadre, en vertu du Brexit, des règles de Dublin, ce qui signifie qu’un certain nombre d’accords bilatéraux continuent à s’appliquer. Je pense aux accords du Touquet, au protocole de Sangatte ou à l’accord de Sandhurst sur les mineurs isolés. Nous pourrons les adapter, je reviendrai sur ce point.
Il n’y a plus de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni à cet égard. De deux choses l’une, soit nous souhaitons donner la priorité à la coopération Union européenne-Royaume-Uni pour prolonger ou adapter les règles de Dublin, soit nous commençons, l’un n’excluant pas l’autre dans la durée, par une discussion bilatérale. La France étant concernée au premier chef par ce sujet, cette dernière option semble aujourd’hui la plus pragmatique.
Dans les mois qui viennent, nous devrions, en lien avec nos partenaires européens, proposer au Royaume-Uni un accord dupliquant ou adaptant les règles de Dublin en matière de reconduite. Surtout, il conviendra de renforcer, au-delà de l’application de ces règles de reconduite, la coopération bilatérale qui nous unit au Royaume-Uni, pas seulement par les accords et protocoles que j’ai signalés, mais par des coopérations très opérationnelles. Je pense à celles que Priti Patel et Gérald Darmanin, les deux ministres de l’intérieur, ont conclues à la fin du mois de décembre, afin d’éviter les traversées de la Manche en renforçant nos moyens communs. Ces traversées ont quadruplé entre 2019 et 2020. En les empêchant, nous sommes à la fois plus efficaces dans la lutte contre l’immigration illégale et plus humains, parce que nous empêchons des drames.
Nous avons refusé, comme le Royaume-Uni l’avait proposé, des interceptions en mer qui seraient humainement extrêmement dangereuses. Nous nous refusons à retenir une telle option. En revanche, nous sommes prêts à mener toutes les discussions nécessaires pour adapter sous une forme bilatérale le système de Dublin et pour renforcer notre coopération opérationnelle en matière migratoire avec le Royaume-Uni.
Monsieur le secrétaire d’État, vous venez d’évoquer les accords bilatéraux franco-britanniques. Toutefois, le dernier accord de novembre 2020 contre les tentatives de traversée de la Manche est un échec. Vous le dites vous-même, les traversées sont en augmentation constante.
On le voit bien, en matière de migrations, la politique européenne ne fonctionne pas. Nous continuons de faire l’autruche, de ne pas vouloir voir. À un moment donné, il faudra regarder les choses en face et en tirer les conséquences.
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons rester dans l’inaction. Nous devons continuer à discuter avec le Royaume-Uni.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons pu observer ces dernières années un soutien actif et une contribution substantielle du Royaume-Uni à la mise en place d’une stratégie européenne de cybersécurité.
L’expérience et l’expertise de ce pays dans le domaine de la cybersécurité sont largement respectées en Europe, le Royaume-Uni allant jusqu’à se positionner parfois en chef de file sur certains projets majeurs.
Le Royaume-Uni a également permis une belle avancée en Europe dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité, en fournissant du personnel et de l’expertise à Europol et à l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information, l’Enisa.
Enfin, il a également efficacement travaillé avec les pays européens partageant sa vision, celle qui consiste à rechercher clairement la responsabilité de certaines grandes cyberattaques récentes, en encourageant d’autres pays à nommer les groupes responsables, parfois même les États commanditaires, mais aussi celle qui recherche une sanction à la hauteur des crimes commis.
Désormais, avec un Brexit effectif, la stratégie de sécurité nationale du Royaume-Uni, qui reposait jusqu’à présent, sur trois piliers – relations privilégiées avec les États-Unis, qualité de membre de l’OTAN et statut d’État membre de l’Union européenne –, devrait évoluer. En effet, l’affaiblissement du dernier pilier risque de se faire mathématiquement au profit des deux premiers, même si nous espérons que cela ne se passera pas ainsi, surtout dans le contexte international actuel, où le risque en matière de cybersécurité est plus important que jamais.
Monsieur le secrétaire d’État, bien que nous ayant déjà rassurés sur de nombreux points en commission, pourriez-vous nous dire si le Royaume-Uni a sollicité une invitation à participer à certaines activités de l’Enisa, notamment en matière de renforcement des capacités, connaissances et informations, ainsi que de sensibilisation et d’éducation, comme le prévoit l’accord ?
Le cas échéant, des contacts ont-ils déjà pu être mis en place entre Londres et l’Enisa, afin d’évoquer les contours de cette future participation ? Qu’en sera-t-il de la participation britannique aux exercices de cybersécurité menés en Europe, comme l’exercice Cyber Europe, organisé par l’Enisa, qui alimente la coopération entre les États européens ?
Enfin, plus généralement, par rapport au fonds Brexit, ce fameux fonds d’ajustement de 5 milliards d’euros, pourriez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, la position de la France dans le cadre des négociations ?
Monsieur le sénateur, je serai bref sur la partie relative à la cybersécurité, ayant déjà donné quelques éléments. Vous ajoutez toutefois un point important sur la relation du Royaume-Uni avec l’agence européenne Enisa après le Brexit. À ma connaissance, à ce jour, le Royaume-Uni n’a pas encore sollicité de coopération avec l’agence, comme il a la possibilité de le faire aux termes de l’accord. À ce stade, la participation du Royaume-Uni à l’exercice de cybersécurité de 2022 n’est donc pas prévue, mais, s’il en fait la demande, il peut encore nous rejoindre.
S’agissant du fonds d’ajustement, la France a soutenu sa création pour les secteurs et les régions les plus touchés par l’impact du Brexit, notamment le secteur de la pêche. Cinq milliards d’euros ont été prévus pour les deux prochaines années dans la programmation budgétaire européenne. Nous discutons actuellement des critères et, je le dis très clairement, à ce stade, ils ne sont pas satisfaisants pour la France, car l’enveloppe dont nous bénéficierions, tous secteurs confondus, serait trop limitée. Nous parlons de plusieurs centaines de millions d’euros, ce n’est pas négligeable, mais nous devrions être mieux dotés. Nous y travaillons.
Le secteur de la pêche est la priorité de ce fonds d’ajustement, tous États membres confondus. Mais, là encore, il nous semble que les critères devraient mieux rendre justice à l’impact du Brexit sur la pêche française.
En complément de ce fonds d’ajustement, je veux souligner aussi que le Gouvernement, par la voix d’Annick Girardin, a présenté un plan de soutien de court, moyen et long terme au secteur de la pêche. Ce plan a commencé à être mis en œuvre partiellement, mais, pour l’être complètement, il doit être autorisé par les autorités européennes, et Annick Girardin et moi-même y travaillons en urgence.
Monsieur le secrétaire d’État, afin de répondre à la crainte de dumping économique que pourrait exercer le Royaume-Uni au détriment de l’Union européenne, l’accord du 24 décembre comporte des garanties sur la concurrence loyale en matière de commerce et d’investissement. Je rappelle les deux principales, celle de non-régression en matière sociale, qui pourrait viser notamment le projet britannique de réforme du temps de travail, et celle concernant les principes de bonne gouvernance dans le domaine fiscal.
On ne peut que souscrire à ces clauses protectrices pour l’Europe. Mais il faut reconnaître aussi que l’on a rarement vu des mesures aussi contraignantes et dures dans un accord de libre-échange. Nous n’en demandons pas autant à la Chine, par exemple.
En outre, certains États membres de l’Union, comme les Pays-Bas ou l’Irlande, offrent des accords de complaisance fiscale à des multinationales pour les attirer sur leur sol. Sur le plan social, là aussi, chacun joue sa propre partition. Le salaire mensuel minimum, par exemple, est de 312 euros seulement en Bulgarie. Le Parlement européen s’est d’ailleurs prononcé, le mois dernier, pour un salaire minimum européen.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : l’Union européenne est-elle prête à s’attaquer plus frontalement aux logiques fiscales et sociales concurrentielles qui s’affrontent à l’intérieur de l’Union européenne, comme elle le fait à l’égard du Royaume-Uni, devenu un État tiers ?
Monsieur le sénateur Guérini, vous avez raison, cet accord, dans sa dimension économique et commerciale, qui en constitue le cœur, comporte des avancées très substantielles sur la vérification du respect de nos règles, qu’il s’agisse des contrôles à l’entrée sur le territoire de l’Union européenne ou plus largement du respect de l’ensemble des niveaux de réglementation européenne. Ces principes doivent servir de modèle, me semble-t-il, pour les futurs accords commerciaux.
En interne, au sein de l’Union européenne, nous devons également être lucides, le risque de compétition existe. Déjà présent avant le Brexit, il demeure, et nous devons renforcer nos propres standards sociaux et fiscaux.
C’est la bataille que nous avons engagée sur le travail détaché depuis 2017, avec une directive qui limite les possibilités ou la durée des détachements. J’espère que nous aurons dans les prochaines semaines un accord supplémentaire sur un règlement dit de sécurité sociale qui permettra de renforcer la lutte contre la fraude, notamment contre les sociétés « boîtes aux lettres », responsables d’une large partie du détachement en Europe. Si ces standards s’appliquent à l’Union européenne, nous serons capables de les faire respecter dans le cadre de notre relation économique avec le Royaume-Uni.
En matière fiscale, c’est sans doute plus difficile encore, car la règle de l’unanimité s’applique, mais sur des sujets très concrets, comme la taxation du numérique, nous pouvons malgré tout obtenir une juste taxation dans les mois qui viennent, en espérant que cet exemple ouvrira la voie à plus de convergence fiscale. Même si cela reste à confirmer, le Royaume-Uni figure toujours parmi les États ambitieux en matière de taxation des entreprises numériques. Tant mieux !
Monsieur le secrétaire d’État, si l’accord sur le Brexit a permis d’éviter le no deal tant redouté, notamment grâce à la pugnacité de Michel Barnier, notre négociateur, le secteur de l’industrie financière demeure le grand oublié de l’accord, alors même que c’est un domaine d’activité primordial outre-Manche.
Dans ce cadre, j’appelle tout particulièrement votre attention sur une thématique bien spécifique, celle des chambres de compensation. Créées après la crise des subprimes en 2008, ces institutions servent d’intermédiaires entre les acheteurs et les vendeurs de titres financiers. Sur un marché financier, toutes les opérations transitent par ces dernières, dont le rôle est de garantir la bonne tenue des transactions en assurant le règlement et la livraison des titres. Or la plupart de ces chambres, ou du moins les plus influentes, se trouvent au Royaume-Uni, désormais considéré comme un pays tiers.
En effet, nous le savons tous, Londres reste une place financière incontournable, y compris pour l’Union européenne. L’autorité de supervision de ces chambres de compensation et leur réglementation posent problème, car de nombreux échanges de l’Union européenne transitent par des chambres londoniennes qui se voient appliquer le droit britannique. Une éventuelle faillite d’une chambre de compensation londonienne aurait de lourdes conséquences financières et économiques pour l’Union européenne.
Cette situation m’appelle à vous poser deux questions, monsieur le secrétaire d’État.
Premièrement, si le règlement EMIR – European Market Infrastructure Regulation – pose un cadre pour les chambres européennes, qu’en est-il pour les chambres de compensation basées au Royaume-Uni ?
Deuxièmement, quelles actions le Gouvernement mène-t-il face à cet angle mort de l’accord post-Brexit ?
Monsieur le sénateur, le sujet des chambres de compensation et des services financiers en général est évidemment majeur, compte tenu de leur rôle dans l’économie britannique, de l’importance de la place de Londres, mais aussi de leur impact économique systémique, selon l’expression consacrée. C’est donc un domaine dans lequel nous conservons, à l’égard du Royaume-Uni comme des autres pays tiers, une capacité de décision unilatérale, à travers cet outil appelé « décision d’équivalence », qui reste toujours entre nos mains, de caractère provisoire et révocable.
Pour les chambres de compensation en particulier, au regard de leur concentration au Royaume-Uni et de leur importance pour la continuité des services financiers, à la fin de l’année 2020, la Commission européenne avait donné une équivalence courant jusqu’à la mi-2022, permettant l’accès de nos opérateurs aux chambres de compensation britanniques. D’ici là, nous devons faire deux choses que vous évoquiez dans votre référence au règlement EMIR, monsieur le sénateur.
D’abord, en l’assumant pleinement, nous devons encourager tout mouvement de relocalisation des chambres de compensation, car c’est un véritable élément de souveraineté financière de l’Union européenne. La relocalisation ne sera sans doute jamais complète, et elle ne se fera pas d’un seul coup, mais nous devons l’encourager dans cette période de transition que permet l’équivalence jusqu’en 2022. Nous y travaillons avec les autres grandes places financières européennes, notamment celles d’Allemagne.
Ensuite, nous devrons nous demander si le Royaume-Uni garde le même niveau d’encadrement et de régulation de ses chambres de compensation. Ce sera en effet la condition sine qua non d’un éventuel prolongement de la décision d’équivalence au-delà de l’été 2022.
Monsieur le secrétaire d’État, l’incursion de l’Union européenne dans le domaine de la pêche s’était initialement développée avec l’ambition commune d’une pêche durable, innovante et compétitive. Elle était née de la volonté d’assurer la pérennité des pêcheries et de garantir des revenus et des emplois stables aux pêcheurs.
Je souhaite à mon tour vous faire part de mes inquiétudes sur les négociations inachevées du volet pêche dans les accords du Brexit. Ce dernier affecte en effet plus de 600 navires français, dont les prises en eaux britanniques représentent 30 % du chiffre d’affaires.
Pas moins de 92 % des pêcheurs britanniques auraient voté pour le Brexit. Compte tenu de leur insatisfaction et de leur volonté de retrouver une totale souveraineté sur leurs eaux, je crains que le secteur de la pêche ne soit sacrifié au profit d’autres domaines. Le saut dans l’inconnu que représente l’après-30 juin 2026 est préoccupant.
Quelques semaines après l’entrée en vigueur de l’accord, nous percevons déjà une oscillation dans son application. Je pense ici au cas des îles anglo-normandes et à la perte de droits historiques séculaires applicables entre nos deux pays, qui nous donne un avant-goût de ce que pourraient devenir nos relations en termes de pêche à partir du 1er juillet 2026.
Monsieur le secrétaire d’État, indépendamment de votre plan d’engagements à court terme, ma question est double. Après cette période de transition, ne doit-on pas redouter une diminution significative de l’accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques ? À ce jour, quelle est l’avancée des négociations entre nos pays pour l’accès aux eaux britanniques territoriales et à celles des îles anglo-normandes ?
Monsieur le sénateur, je le redis – on ne le répète jamais assez –, la question de la pêche était centrale dans la négociation. Elle le reste dans la mise en œuvre de l’accord et dans la perspective de l’après-juin 2026.
Nous avons démontré collectivement – ce fut le travail de notre négociateur Michel Barnier, de l’État, du Président de la République lui-même, des élus et des fédérations professionnelles, avec lesquels nous avons étroitement travaillé – le degré de priorité que nous accordons à la préservation de la filière pêche. Je le dis sans excès de gravité : celle-ci aurait pu disparaître dans plusieurs régions si nous avions eu un no deal ou un mauvais accord. C’est avec le même degré d’engagement que nous préparerons l’échéance de l’après-juin 2026.
Avant cela, nous devons nous concentrer sur la mise en œuvre immédiate de l’accord, car nous avons encore près de six campagnes de pêche garanties. Les quotas vont certes baisser progressivement de 25 %, mais, pour les espèces qui intéressent le plus la France, la diminution sera légèrement inférieure. Quant aux licences, nous en avons déjà obtenu beaucoup, mais pas suffisamment. Nous nous battons pour en obtenir environ cinquante supplémentaires, qui sont absolument vitales pour nous.
Pour préparer l’après-juin 2026, j’insiste sur le fait que nous disposons dans l’accord de leviers pour discuter avec le Royaume-Uni. Si les Britanniques voulaient fermer l’accès à leurs eaux après l’été 2026, nous pourrions bien sûr imposer des droits de douane spécifiques sur l’ensemble des produits halieutiques, mais aussi, le cas échéant, toute une série de droits de douane sur des produits que nous choisirions, en fonction de l’impact économique, territorial et social constaté. Enfin, nous pourrons remettre en cause symétriquement un accord de coopération en matière énergétique, qui représente un enjeu économique essentiel pour le Royaume-Uni.
Nous mènerons ce combat, en le préparant de façon anticipée, sans attendre « l’effet de falaise » de l’été 2026.
Nous avons les moyens de défendre les intérêts de la pêche française, comme nous l’avons fait dans la négociation. Nous le ferons avec la même vigueur.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.
Simplement, si j’ose dire, ce qui pèche pour ce secteur et son développement, c’est quand même l’incertitude de son devenir dans moins de six ans…
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est relative aux droits des citoyens figurant dans l’accord de retrait, qu’il s’agisse des citoyens de l’Union européenne établis au Royaume-Uni ou des Britanniques établis dans l’Union européenne.
Je pense en particulier aux Français qui vivent au Royaume-Uni. Selon le registre des Français établis hors de France, ils sont plus de 144 000. Toutefois, l’inscription au registre n’étant pas obligatoire, l’estimation réelle de la présence française au Royaume-Uni se situe plutôt entre 200 000 et 250 000 Français. Pour préserver leurs droits, il est nécessaire de faire une demande de statut de résident permanent – settled ou pre-settled status. C’est un système d’enregistrement obligatoire extrêmement important, qui, selon les termes de l’accord de retrait, garantit les droits au travail, au séjour et aux prestations sociales.
Or une date butoir a été fixée pour procéder à cette demande, le 30 juin 2021. La pandémie de covid-19 et la crise économique qui s’ensuit font parfois un peu oublier le Brexit. Quel sera le niveau d’indulgence du Home Office, le ministère de l’intérieur britannique, à l’égard des retardataires ? Quel sort leur sera réservé ?
Monsieur le secrétaire d’État, ne pourrions-nous pas envisager un protocole relatif aux demandes tardives, afin d’assurer une forme de flexibilité en cas de retard justifié par une raison valable ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur Le Gleut, votre question est très importante, car elle touche à la vie quotidienne de nos concitoyens à l’étranger. Vous l’avez dit, ils ne sont pas tous inscrits sur les registres consulaires. C’est vrai au Royaume-Uni comme ailleurs.
Un peu moins de 150 000 de nos compatriotes sont inscrits sur les listes consulaires, alors que nous estimons à 300 000 personnes environ la population française au Royaume-Uni. Nos autorités consulaires ont déjà recensé près de 200 000 demandes de settled ou de pre-settled status, signe que même des gens qui ne sont pas inscrits sur les listes ont connaissance de la démarche et l’ont engagée.
Nous ne ménagerons pas nos efforts, que nous avons déjà engagés au moyen d’une information la plus détaillée possible sur le site internet brexit.gouv.fr et par l’intermédiaire de notre consulat et de notre ambassade pour ceux qui n’ont pas forcément accès à internet. Nous avons aussi au Royaume-Uni des compatriotes en situation fragile, qui n’ont pas accès à toutes les informations. Nous menons toutes les actions possibles pour les trouver et leur signaler cette date limite.
Faut-il la repousser ? Honnêtement, je ne crois pas à ce stade, car ce serait prolonger l’incertitude. Nous avons encore quatre mois pour que chacun accomplisse cette démarche. Les chiffres sont d’ores et déjà importants. Nous pouvons, me semble-t-il, atteindre la quasi-intégralité, voire l’intégralité de l’accès au settled ou au pre-settled status pour nos compatriotes. Accordons-nous cette forme de pression du temps pour atteindre notre cible. Si nous constatations que des difficultés demeuraient, nous pourrions alors discuter d’une forme de flexibilité avec les autorités britanniques.
Concentrons-nous sur cet objectif qui, s’il est tenu, donnera le plus de sécurité possible à nos compatriotes après le 30 juin. Je rappelle que c’est aussi la date limite que nous imposons aux ressortissants britanniques présents sur le territoire européen, et donc en France. C’est aussi notre intérêt de stabiliser cette situation.
M. Ronan Le Gleut. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Vos propos sont parfaitement exacts sur le rôle que jouent notre ambassade et nos consulats pour informer au mieux les Français au Royaume-Uni. Les remontées du terrain qui me parviennent sont excellentes, je peux en témoigner. Mais vous avez vous-même avancé l’estimation de 300 000 Français établis au Royaume-Uni. Or seuls 200 000 auraient engagé la démarche. Ce sont ainsi quelque 100 000 Français qui n’auraient plus que quatre mois pour faire cette demande absolument essentielle pour leur avenir. Permettez-moi d’insister sur le fait qu’il faudra être particulièrement vigilant et faire preuve d’indulgence pour les demandes tardives.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Monsieur le secrétaire d’État, la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne a été un choc pour les ressortissants français et européens qui résident dans ce pays.
La stupeur des premiers mois a été suivie par d’interminables négociations. Elles ont abouti, fort heureusement, à un accord de commerce et de coopération qui nous réunit aujourd’hui.
Désormais, les ressortissants européens doivent faire face à cette nouvelle réalité et à ses nombreuses conséquences pour leur vie quotidienne.
Si un grand nombre de difficultés persistent, l’un des sujets majeurs, qui cristallise les tensions, a trait au nouveau statut d’immigration, dont la demande doit impérativement être formulée avant le 30 juin 2021, sous peine, pour les personnes concernées, de basculer dans l’illégalité.
La procédure d’enregistrement, entièrement dématérialisée, a été plébiscitée par de nombreux compatriotes. Une inquiétude persiste toutefois pour les personnes vulnérables, âgées ou isolées, qui ne maîtrisent pas forcément l’outil informatique. L’absence d’attestation confirmant ce nouveau statut est aussi une source d’inquiétude.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous apporter des éclaircissements – vous l’avez déjà fait en partie en répondant à notre collègue Le Gleut – sur les difficultés que peuvent rencontrer nos compatriotes et les ressortissants européens au Royaume-Uni ? Comment pouvons-nous les aider dans cette nouvelle problématique d’immigration ?
Ma deuxième question portait sur les étudiants, le Royaume-Uni ayant fait le choix regrettable de quitter le programme Erasmus. Vous avez toutefois déjà répondu à plusieurs de mes collègues sur ce sujet.
Madame la sénatrice, je ne reviendrai donc pas sur la situation des étudiants.
Pour compléter ma réponse à votre collègue Ronan Le Gleut, nos autorités consulaires font un travail très minutieux et très complet d’accompagnement pour que nos concitoyens les plus éloignés d’internet, en particulier les personnes âgées, que vous avez citées, puissent effectuer ces démarches dématérialisées. Je le redis, nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour renforcer cet accompagnement et aider les personnes les plus en difficulté.
Nous devons aussi traiter la situation spécifique d’un certain nombre de mineurs qui résident durablement au Royaume-Uni dans des familles d’accueil. Nous avons engagé des démarches ad hoc pour les repérer et les accompagner.
Nous traiterons tous ces cas individuels particuliers, parfois difficiles et, si nous devons demander des flexibilités ou renforcer nos moyens d’accompagnement, nous le ferons. Avec Jean-Baptiste Lemoyne, je fais régulièrement le point avec notre consulat à Londres et notre ambassadrice pour assurer cet accompagnement. Croyez bien que c’est notre priorité.
Bien entendu, si vous voulez signaler des démarches et des cas particuliers, nous tenterons de les prendre en compte au mieux et au plus vite.
Monsieur le secrétaire d’État, l’accord commercial signé en décembre dernier est le plus ambitieux jamais conclu par l’Union européenne, puisqu’il ne prévoit ni tarifs ni quotas.
Cette liberté des échanges, conjuguée à la proximité géographique du Royaume-Uni, à la taille de son économie et à son imbrication dans les chaînes de valeur du marché unique, rend l’exigence d’une concurrence équitable plus fondamentale que jamais pour ne pas saper la compétitivité de nos entreprises.
Or la fiscalité, qui en est un levier fondamental, est largement absente des dispositions de l’accord, alors même que les autorités britanniques ont régulièrement affiché leur volonté de mener une stratégie fiscale agressive.
Certes, un chapitre vient encadrer l’octroi des aides d’État, mais les autres pans de la fiscalité, notamment l’imposition sur les sociétés, n’entrent pas dans le champ d’application des mécanismes de résolution des différends et des mesures de rééquilibrage. Ils ne sont pas non plus concernés par le principe de non-régression convenu pour certaines normes sociales ou environnementales.
Dans ces conditions, le spectre d’un dumping fiscal britannique semble désormais un danger bien réel.
Monsieur le secrétaire d’État, l’encadrement des aides d’État intégrera-t-il des éléments tels que l’établissement de ports francs, que le gouvernement britannique souhaite développer, ou l’octroi de rescrits fiscaux, qui sont parfois utilisés comme des aides d’État déguisées ?
La situation fiscale au Royaume-Uni sera-t-elle examinée au titre de la « liste noire des paradis fiscaux » de l’Union européenne ? Les dépendances de la Couronne – Jersey, Guernesey, île de Man – feront-elles l’objet d’une attention particulière ?
Surtout, l’Europe et ses États membres vous paraissent-ils suffisamment armés, dans le cadre de cet accord, pour protéger leurs entreprises et répondre efficacement à un éventuel dumping fiscal britannique, qui viendrait s’ajouter aux difficultés déjà rencontrées à l’intérieur même du marché unique dans ce domaine ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur, vous avez raison de rappeler cet enjeu.
L’accord comporte un principe de non-régression, y compris en matière fiscale, et l’obligation de respecter les grandes conventions internationales en matière de fiscalité et de lutte contre le blanchiment et la corruption. Les normes de l’OCDE devront donc être impérativement respectées par le Royaume-Uni.
Mais soyons honnêtes, le corpus juridique de l’Union européenne en matière d’harmonisation fiscale est assez limité. Vous l’avez rappelé à la fin de votre intervention, l’enjeu, au sein même de l’Union, est d’aller vers davantage d’harmonisation. La compétition fiscale et sociale préexistait au Brexit, et l’harmonisation est particulièrement difficile en matière fiscale, car la règle de l’unanimité s’applique. Nous menons toutefois le combat, notamment en matière de taxation du numérique.
Le Royaume-Uni sera traité en fonction du respect d’un certain nombre de règles, comme tout pays tiers. L’Union européenne dispose désormais d’outils, en particulier les listes que vous avez citées. Si celles-ci devaient être complétées pour certains territoires liés au Royaume-Uni, nous le ferions. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Enfin, pour finir sur une note plus positive, le Royaume-Uni, sur les questions de taxation du numérique et de transparence fiscale, a toujours été proche de nos positions et actif à nos côtés dans les instances internationales, qu’il s’agisse du G20, du G7 ou de l’OCDE. Je n’ai pas de raisons de penser que ce ne sera plus le cas à l’avenir. Nous continuerons à travailler ensemble.
Monsieur le secrétaire d’État, nous débattons d’un accord qui ne peut être qualifié que d’historique, en raison de la rapidité avec laquelle il a été conclu, mais aussi du cadre dans lequel il a pris place, celui du départ d’un État membre de l’Union européenne.
Nous n’avions jamais été confrontés à ce cas de figure depuis la création des communautés européennes, il y a près de soixante-dix ans. Nous étions probablement nombreux à penser que jamais un État ne quitterait l’Union. Le Royaume-Uni nous a pourtant donné tort, et l’Union européenne a su s’adapter en conséquence.
Si nous devons nous réjouir d’être parvenus à trouver un terrain d’entente plutôt que d’avoir pris la voie d’un hard Brexit et des conséquences catastrophiques qui en auraient découlé, rappelons-nous toutefois que personne n’est gagnant avec cet accord. Il s’agissait simplement de recoller les pots cassés provoqués par la décision du Royaume-Uni. L’Union européenne a réussi à négocier un accord avec le moins possible de conséquences fâcheuses, mais il n’en reste pas moins que le départ du Royaume-Uni n’a que de mauvaises conséquences. Aucun bénéfice ne peut en être tiré par l’Union européenne comme par la France.
Je ne citerai pas un à un les impacts du Brexit sur notre pays ; ils l’ont déjà été à maintes reprises. Mais je souhaite insister sur la nécessité et l’obligation qu’a le Gouvernement d’en réduire au maximum les effets. Maintenant qu’un accord a été conclu, il convient d’accompagner les acteurs économiques français face aux conséquences de la sortie du Royaume-Uni du marché unique. Les entreprises françaises ont déjà été largement frappées par la crise sanitaire, nous ne pouvons pas les laisser subir également les effets du Brexit.
Ma question, monsieur le secrétaire d’État, porte donc sur la façon dont le Gouvernement entend accompagner les entreprises françaises pour qu’elles s’adaptent aux nouvelles implications de cet accord et qu’elles en souffrent le moins possible. Le Gouvernement compte-t-il aider les entreprises qui perdront des parts de marché au Royaume-Uni face aux pays tiers ? Soutiendra-t-il les pêcheurs qui devront reverser une part de leurs prises et qui subiront en conséquence une perte de chiffre d’affaires ? Facilitera-t-il la délivrance de titres de séjour pour les saisonniers britanniques qui viennent travailler dans nos stations de ski ? En résumé, le Gouvernement s’engage-t-il à limiter le plus possible les conséquences négatives de cet accord pour l’économie française ?
Monsieur le sénateur, tout d’abord, l’existence même de l’accord limite l’impact économique négatif du Brexit. C’était l’un de ses objectifs, même si nous ne voulions pas d’un accord à tout prix. Nous devions préserver les intérêts de certains secteurs, en particulier la pêche, que j’ai mentionnée.
Sans accord, notre estimation macroéconomique, forcément approximative, était un impact de 0, 1 point de PIB sur la croissance française au cours de l’année 2021. L’impact macroéconomique était donc limité, mais l’existence d’un accord rend cet impact encore plus faible.
Toutefois, quand on examine plus précisément la situation par région et par secteur – la macroéconomie n’existe que dans les discussions générales ! –, il en va différemment, bien évidemment. Même avec un accord qui préserve nos intérêts, des difficultés subsistent, en particulier dans le domaine de la pêche. Nous les avons évoquées, et c’est pourquoi nous avons prévu des aides directes immédiates dès 2021 pour ce secteur, et que nous nous battons pour que le fonds Brexit soit disponible le plus vite possible, avec un maximum de retours financiers pour la France, en particulier pour sa pêche.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué d’autres sujets très importants.
Tout d’abord, l’accompagnement à l’export. C’est une question de formalités, mais aussi, parfois, de soutien financier. Franck Riester et moi-même avons mobilisé Bpifrance et Business France sur ce dossier.
Sur le sujet très concret des visas de travail, je veux préciser le cadre existant : selon le droit commun, tout séjour de moins de quatre-vingt-dix jours d’un ressortissant du Royaume-Uni dans l’Union européenne est autorisé sans visa, les séjours d’une durée supérieure y étant soumis.
Par ailleurs, l’accord prévoit spécifiquement le maintien pour le Royaume-Uni du régime de détachement des travailleurs en vigueur dans l’Union européenne, y compris les nouvelles règles que nous avons défendues ces derniers mois – je pense notamment à l’encadrement de la durée du détachement. Ce régime apporte de la fluidité et peut être utile pour les emplois très qualifiés, ce qui facilitera, je l’espère, notre vie économique.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Je voudrais tout d’abord remercier nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et ceux de la commission des affaires européennes d’avoir demandé l’organisation de ce débat. Je souhaite aussi souligner, comme plusieurs de mes collègues, la ténacité de Michel Barnier dans ces négociations.
Ma question concerne la participation de la France au budget de l’Union européenne. Selon la loi de finances pour 2021, la contribution totale de la France à ce budget atteint cette année un montant record : 28, 5 milliards d’euros, dont 26, 9 milliards en prélèvements sur recettes et 1, 6 milliard en droits de douane nets versés par la France.
Cette année 2021 constitue une année charnière, puisqu’il s’agit du premier exercice budgétaire du nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 qui découle de l’accord trouvé par le Conseil européen le 21 juillet 2020. La crise sanitaire a évidemment bousculé le cours des négociations entre les vingt-sept États membres.
Le plan de relance européen sera financé par des emprunts réalisés par la Commission européenne sur les marchés, dont le remboursement ne serait effectif qu’à compter de 2028.
Il existe beaucoup d’incertitudes sur les prévisions de recettes du budget de l’Union européenne en raison de perspectives économiques dégradées et de ressources – droits de douane, TVA – très sensibles à la conjoncture.
Dans ces conditions, quelles sont les perspectives d’évolution du montant de la contribution de la France au budget de l’Union européenne ?
Monsieur le sénateur, votre question va au-delà de celle relative au Brexit.
Vous le savez, la contribution française au budget de l’Union européenne va augmenter chaque année de 4 à 5 milliards d’euros en moyenne sur la période 2021-2027. Évidemment, les retours financiers augmenteront eux aussi.
Ce qu’on appelle notre contribution nette au budget européen est d’environ 9 milliards d’euros par an. Ce montant est important, mais il faut le rapprocher d’autres avantages que je ne développe pas ici : participation au marché unique – je rappelle que 55 % de nos exportations vont vers l’Union européenne –, activité des entreprises françaises dans des pays qui bénéficient des fonds structurels européens, etc.
Il faut aussi prendre en compte, naturellement, le plan de relance européen qui apportera à la France sur les trois prochaines années plus de 40 milliards d’euros, sans nécessité d’un remboursement immédiat – j’espère d’ailleurs que ce remboursement se fera par de futures ressources propres, c’est le combat que nous engageons et pour lequel il existe un accord politique. Le plan de relance est donc un apport significatif !
Enfin, dans la perspective des prochaines perspectives financières, nous menons un autre combat, celui de la fin des rabais.
Voilà quelques éléments, les plus complets possible, sur notre contribution budgétaire pour 2021 et les années à venir.
Je vous remercie pour vos informations, monsieur le secrétaire d’État, elles nous rassurent un peu, mais je me permets d’insister sur toutes les incertitudes que j’ai mentionnées.
Nous évoquons souvent cette question en commission des finances, notamment dans le cadre de nos auditions. D’une part, le Royaume-Uni continue de contribuer au budget communautaire en 2021 à hauteur de 7 milliards d’euros, si ma mémoire est bonne, mais cette contribution déclinera dans les prochaines années. D’autre part, la participation des vingt-sept États membres résulte de calculs très techniques.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, en prévoyant une absence de droits de douane et de contingents tarifaires sur les marchandises, l’accord conclu avec Londres a permis d’éviter la perturbation massive et immédiate des flux commerciaux qu’aurait inévitablement engendrée un hard Brexit.
Le soulagement d’avoir évité le scénario du pire ne doit pas nous faire perdre de vue que le Brexit est avant tout, pour les autorités britanniques, le moyen de mettre en œuvre leur projet de Global Britain et de tourner leur regard vers d’autres régions du monde. Cette évolution aura des conséquences pour les producteurs du continent exportant outre-Manche.
Le secteur du sucre, qui vient de connaître une année 2020 catastrophique, est à ce titre particulièrement concerné, car les producteurs français de betterave exportent 10 % de leur sucre et 15 % de leur éthanol au Royaume-Uni. Or celui-ci a décidé d’augmenter considérablement ses importations de sucre brut depuis les zones de production les plus compétitives au monde afin de les raffiner sur le territoire britannique.
Le risque est donc grand de voir les parts de marché françaises s’y éroder avec le temps, mais aussi le sucre de betterave britannique, devenu excédentaire, se diriger à terme vers le marché européen.
Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous anticipé cette recomposition du commerce du sucre et prévu d’éventuelles mesures d’accompagnement ? L’accord de commerce et de coopération contient-il des clauses de sauvegarde, nous permettant de limiter les importations en cas de perturbation du marché intérieur ?
Madame la sénatrice, nous évoquions précédemment les cas où des divergences pourraient apparaître, si le Royaume-Uni choisissait de modifier sa réglementation dans certains domaines pour se créer un avantage compétitif.
Votre question est un peu différente : y aura-t-il recomposition des flux commerciaux, si le Royaume-Uni importe des produits dont les coûts sont inférieurs à ceux de l’Union européenne ?
Pour être très honnête, ce sujet nous préoccupe, mais il est très difficile d’anticiper aujourd’hui une telle situation. Le sucre fait partie des produits que nous avons identifiés à ce titre, parce que le Royaume-Uni pourrait procéder de cette manière, même si nous ne l’avons pas encore constaté.
Les protections mises en place contre les divergences réglementaires ne nous aideraient pas en l’espèce, mais il existe d’autres mécanismes, notamment des clauses de sauvegarde. Ainsi, l’accord économique et commercial conclu à la fin du mois de décembre inclut une clause de sauvegarde spécifique sur les produits agricoles ; nous pourrions l’activer, si un secteur était soumis à une forte pression économique supplémentaire.
Si une telle situation survenait, nous pourrions aussi activer des mesures européennes de marché ou de soutien financier à l’égard de nos producteurs, même s’il est parfois difficile de le faire, comme nous l’avons vu récemment dans le secteur viticole.
Vous le voyez, nous sommes vigilants sur ce sujet, même s’il n’existe pas, à ce stade, d’alerte concrète. Nous suivrons avec la Commission européenne le secteur du sucre, dont la recomposition doit être suivie de près.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, mais je vous demande de surveiller ce dossier comme le lait sur le feu, si vous me permettez cette expression.
En effet, les agriculteurs du secteur du sucre et la filière betteravière dans son ensemble se débattent aujourd’hui dans de grandes difficultés : fin des quotas, concurrence exacerbée, néonicotinoïdes, aléas climatiques, Brexit, etc. Ils n’en peuvent plus ! Je vous rappelle que deux usines françaises de l’allemand Südzucker, l’une près de chez moi, dans la Somme, l’autre en Normandie, ont fermé.
Ce secteur a vraiment besoin d’être défendu. Si vous ne le faites pas, c’est que vous n’en avez rien à faire de l’agriculture dans notre pays ! La filière betteravière était un fleuron français et il sera excessivement compliqué de la remplacer à ce titre, si vous estimez qu’elle n’est pas suffisamment importante pour être défendue.
Monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Nous en avons terminé avec le débat sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures trente.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions du rapport d’information Mobilités dans les espaces peu denses à l ’ horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd ’ hui.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Olivier Jacquin, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective, qui a demandé ce débat.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier pour leur confiance l’ancien président de la délégation sénatoriale à la prospective, Roger Karoutchi, et l’actuel président, Mathieu Darnaud – je tiens à les saluer.
L’idée de ce rapport est venue à l’issue de l’adoption de la loi d’orientation des mobilités, qui a prévu, de manière intelligente, un droit à la mobilité pour tous et, conséquemment, que tous les territoires devaient être couverts par une autorité organisatrice de la mobilité (AOM).
Néanmoins, certains territoires sont sans ressources ni modèle économique : l’égalité des territoires n’est pas assurée. Refusons des mobilités à deux vitesses et les fractures territoriales et sociales ainsi provoquées.
Nous avons voulu envisager à long terme, de manière prospective, ce qu’il pouvait advenir des espaces peu denses du point de vue des mobilités. Il va de soi que les conclusions de ce rapport auraient été très différentes sans cette incroyable expérience de « démobilité » qu’a été le confinement.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis ravi que ce soit vous qui soyez présent ce soir au banc du Gouvernement, vous qui portez haut et fort la question de la ruralité.
Les espaces dont nous traitons dans notre rapport représentent, selon l’Insee, 90 % du territoire national, un tiers de ses habitants tout de même.
Les mobilités s’organisent d’une manière très différente entre les espaces denses et peu denses. Dans un cas, la massification est possible – tramways, métros, TGV, transports en commun en site propre, etc. –, les flux peuvent être concentrés et la rentabilité parfois être au rendez-vous. Dans l’autre, les flux sont faibles ou disparates, les lignes régulières sont moins remplies et, depuis les trente glorieuses, ces territoires ont perdu des équipements en termes de petites lignes ferroviaires et de lignes régulières de cars interurbains.
D’ailleurs, certains des intervenants et experts que nous avons auditionnés définissent ces territoires peu denses comme étant ceux où il n’y a que la voiture pour se déplacer ou encore ceux dans lesquels le transport coûte cher dans le budget des ménages.
La situation est radicalement différente en fonction de la situation dans laquelle on se trouve : dans le rural polarisé autour d’un centre, l’organisation sera différente par rapport à celle qui prévaudra dans le rural isolé ou le périurbain. Quant à la problématique des espaces très peu denses, elle est également très complexe.
Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez les vallées de montagne : la situation de celles où existe une station de ski et où il faut traiter les problèmes de congestion n’est pas du tout la même que la situation de celles où le traitement des mobilités se contente d’organiser la « descente » habituelle des habitants du territoire.
Il est par conséquent nécessaire de mettre en place des politiques publiques sur mesure, ce qui nécessite un minimum d’ingénierie intégrée et des moyens financiers.
Quelles peuvent être les solutions de mobilité en fonction de ces différents territoires ?
Nous sommes partis de trois postulats essentiels.
Le premier, c’est l’impérieuse nécessité d’opérer la transition écologique et de décarboner les motorisations.
Le deuxième, c’est l’accessibilité des services et des activités : comment effectuer moins de déplacements subis grâce à un bon positionnement des services par rapport à l’habitat ? Cela nécessite des politiques audacieuses d’aménagement du territoire et d’urbanisme, la prise en compte de la gestion des temps, et donc une bonne échelle de gouvernance, proche des bassins de mobilité qui dépassent souvent le périmètre administratif d’une intercommunalité.
Le troisième est une évidence : le déploiement de la couverture numérique sur l’ensemble du territoire.
Dès lors, nous avons dégagé trois séries de solutions qui constituent une sorte de bouquet.
La première : utiliser l’existant et le renforcer, qu’il s’agisse des petites lignes ferroviaires ou des services réguliers de cars interurbains, le cas échéant en organisant des rabattements, en les modernisant, en les cadençant et en utilisant des voies réservées à proximité des villes pour les cars interurbains.
La deuxième : socialiser l’usage des voitures, en tout cas d’une partie d’entre elles – cela suffira. Les moyens technologiques et numériques actuels permettent de penser le covoiturage sur courte distance d’une manière très efficace. Des expérimentations de lignes virtuelles avec des arrêts le montrent. Il en est de même pour la gestion de l’autopartage. Il est tout à fait possible aujourd’hui de développer des solutions extrêmement audacieuses. Socialiser la voiture, c’est aussi le transport à la demande, des transports solidaires, mais aussi le taxi – des experts nous disaient que, dans les espaces très peu denses, les politiques publiques ne devaient pas écarter le taxi, puisque les flux sont très limités.
La troisième : les mobilités actives. Pour beaucoup de personnes, les espaces peu denses ne seraient pas adaptés aux mobilités actives, mais une bonne partie des trajets du quotidien – près de 50 % d’entre eux – fait moins de trois kilomètres. Dès lors, la marche et le vélo, à assistance électrique ou non, doivent être stimulés et pris en compte pour certains types de déplacements.
Nos hypothèses d’évolution se déclinent dans huit scénarios.
Je n’en citerai qu’un seul, intitulé « rien de neuf ! », où la puissance politique n’interviendrait qu’a minima ; par conséquent, les évolutions proviendraient des ruptures technologiques et de la logique de marché. La décarbonation serait le fait des véhicules électriques. Le reproche fait à la voiture d’être coûteuse serait traité par le développement de petits véhicules électriques, peu coûteux. La situation des « assignés territoriaux », expression étonnante du sociologue Éric Le Breton – pour lui, 15 % à 20 % de nos concitoyens sont dans cette situation, parce qu’ils n’ont pas le permis de conduire, subissent un handicap ou n’ont pas suffisamment de revenus pour avoir un véhicule – serait réglée à la marge par un transport à la demande.
Ce scénario pose clairement la question du risque de perte d’attractivité de ces territoires. En effet, il n’y aurait pas d’alternative à la voiture, dans l’hypothèse où le désamour vis-à-vis de ce mode de transport se généraliserait, ce que l’on peut observer aujourd’hui parmi les jeunes générations.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons besoin d’un modèle économique pour financer cette politique publique maintenant imposée. C’est une question d’égalité !
Je conclurai mon intervention en citant l’un des meilleurs spécialistes des mobilités, Gilles Dansart : « Il ne s’agit pas non plus d’opposer la mobilité individuelle aux transports collectifs, ce qui empoisonne le débat et ralentit les mutations. »
En effet, une mobilité moderne et décarbonée est possible, y compris pour les espaces peu denses, en s’appuyant sur le triptyque proximité-intermodalité-accessibilité pour lutter contre les mobilités à deux vitesses entre territoires urbains bien pourvus et espaces peu denses déséquipés et sans autre solution que le recours à la voiture. Il s’agit donc bien de lutter contre les fractures territoriales et sociales actuelles.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’emblée de remercier la délégation sénatoriale à la prospective, en particulier son rapporteur, Olivier Jacquin, d’avoir demandé l’organisation de ce débat. Votre rapport sur les mobilités dans les espaces peu denses à l’horizon 2040 est riche et de grande qualité et je suis heureux de représenter le Gouvernement à ce débat en ma qualité de secrétaire d’État chargé de la ruralité.
La mobilité est l’un des grands enjeux de l’attractivité des territoires ruraux ; elle constitue à ce titre un volet important de l’agenda rural que je suis chargé de mettre en œuvre et de suivre.
Je suis un ancien élu de ces espaces peu denses évoqués dans votre rapport : j’ai été maire durant près de trente ans d’une petite commune de montagne. J’ai donc une connaissance concrète des problématiques que vous décrivez. D’ailleurs, j’ai moi-même participé à la création, dans les années 1990, et non sans difficulté je l’avoue, d’une autorité organisatrice de transport de deuxième niveau pour compléter l’offre de transport scolaire vers des villages qui n’étaient pas inclus dans le schéma départemental, mais aussi pour desservir des zones touristiques ou écologiquement sensibles.
Vous ne serez donc pas étonné, monsieur le rapporteur, que je partage beaucoup de vos constats. Je mesure parfaitement le poids de la voiture individuelle en ruralité : comme vous l’avez souligné, elle représente à elle seule 80 % des déplacements. L’un des urbanistes que vous avez auditionnés définit d’ailleurs l’espace peu dense comme celui où l’on se déplace en voiture et pas à pied, car son échelle n’est pas à la mesure du piéton.
Les espaces peu denses, dans lesquels vivent un tiers des habitants du pays, nécessitent une politique de transport adaptée à cette réalité qui est bien différente de celle que connaissent les citadins.
Il serait vain et contreproductif de désigner la voiture individuelle comme une ennemie à éradiquer. Pour autant, tout l’enjeu de nos politiques, c’est de ne pas se résigner à ce que certains ont nommé « l’autosolisme », un néologisme pas très élégant. Il s’agit non pas d’éliminer la voiture, mais d’en favoriser un usage plus collectif, ainsi que les alternatives.
L’enjeu est de réduire la dépendance à la voiture, car elle est source de fragilités et d’inégalités. Elle est d’abord source de fragilités pour les territoires qui perdent en attractivité faute d’une offre de mobilité suffisante et adaptée. Elle est ensuite source d’inégalités pour les habitants, en particulier les publics fragiles qui sont privés d’automobile ou pour lesquels l’utilisation de celle-ci pèse lourdement sur les finances du ménage.
Nous partageons donc l’objectif de diversification de l’offre de transport – il correspond parfaitement au scénario n° 5 envisagé à la fin du rapport, celui d’une transition organisée.
C’est d’ailleurs tout l’objet de la loi d’orientation des mobilités (LOM) qui prévoit des investissements sans précédent et fixe comme priorité les transports du quotidien. Il s’agit de la loi la plus importante sur ce sujet depuis la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI), adoptée en 1982, et la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de 2000.
La LOM prévoit de couvrir l’ensemble du territoire par une autorité organisatrice de la mobilité, une AOM. Désormais, et c’est un acquis important de ce quinquennat, il n’y aura plus de zone blanche en ce qui concerne la mobilité. Les communautés de communes sont ainsi encouragées à délibérer pour se saisir de cette compétence avant le 31 de ce mois ; à défaut, la région assurera ce rôle d’AOM locale pour déployer une offre de proximité au niveau des bassins de mobilité.
Sur ce sujet, je veux rappeler la responsabilité des collectivités locales dans l’exercice de cette compétence. En voyage officiel la semaine dernière, j’ai pu constater les tensions entre EPCI et régions sur la définition et le financement des transports de proximité. L’esprit de la LOM est bien de construire un maillage territorial et une complémentarité entre les services de mobilité offerts à tous les échelons – local, régional et national. Il ne s’agit pas, par exemple, comme il nous a été rapporté à l’occasion de ce déplacement, d’appeler les intercommunalités rurales à cofinancer les services ferroviaires régionaux au motif qu’elles en bénéficient.
Le législateur a voulu que les territoires soient en première ligne pour définir leurs offres de mobilité au plus près des besoins. Pour autant, l’État ne livre pas les territoires à eux-mêmes. Ainsi, le Gouvernement a développé la démarche France Mobilités, bras opérationnel de la LOM : elle a pour mission d’identifier les solutions de mobilité, d’en faciliter l’expérimentation, de contribuer à leur montée en puissance et de les déployer largement, lorsque c’est possible.
Je me réjouis d’ailleurs de l’engouement que j’observe sur les appels à manifestation d’intérêt de France Mobilités : via les appels à projets Territoires de nouvelles mobilités durables (Tenmod), nous avons déjà financé 92 projets pour un total de 6, 7 millions d’euros, tous en zone peu dense.
Nous croyons aussi à toutes les formes de socialisation de la voiture, comme le covoiturage ou l’autopartage. Les différents appels à projets permettent de soutenir, en lien avec les collectivités, l’expérimentation de nouvelles solutions de plateforme de mobilité permettant, grâce à l’intelligence artificielle, de renouveler les offres de covoiturage ou de transport à la demande développées par un tissu de start-up innovantes.
Afin d’inciter les gens à s’approprier ces nouvelles formes de mobilité, le forfait mobilités durables, introduit dans la LOM, permet aux employeurs de verser, sans charges ni impôts, jusqu’à 500 euros par an à leurs salariés qui viennent au travail à vélo ou en covoiturage, par exemple.
Au-delà de cette incitation financière bienvenue, le Gouvernement a mis en œuvre plusieurs outils budgétaires pour redynamiser le vélo, un mode de transport pratique, écologique, économique et, accessoirement, bon pour la santé… Le vélo a aussi sa place en zone peu dense, dès lors bien évidemment que la géomorphologie le permet.
Nous avons par exemple doté de 215 millions d’euros le fonds national Mobilités actives pour soutenir les projets structurants des collectivités qui prévoient de créer des axes cyclables sécurisés. Ce sont ainsi 119 millions qui ont été alloués à 259 projets en milieu rural. De plus, le coup de pouce « vélo », doté de 200 millions d’euros, a permis d’aider tous ceux qui ont souhaité réparer leur vélo pour en faire leur moyen de déplacement quotidien.
Parallèlement, nous investissons sur le ferroviaire. Conformément à la priorité affichée dès le début du quinquennat en faveur des transports du quotidien et du réseau existant, le Gouvernement a décidé d’investir massivement dans le réseau ferroviaire. Les besoins d’investissements pour la régénération de ces lignes se chiffrent à 7, 5 milliards d’euros pour la décennie qui s’ouvre. Près de 1, 5 milliard d’euros sont financés dès la période 2020-2022, l’État apportant plus de 500 millions, dont 300 millions dans le cadre du plan de relance.
Cet investissement conjoint avec les régions devra se poursuivre tout au long de la décennie pour atteindre nos objectifs. La remise à niveau de nos infrastructures ferroviaires est une politique de long terme.
Je soutiens par ailleurs le redéploiement d’une offre attractive de trains Intercités de jour et de nuit qui permettra des relations entre territoires en dehors du réseau à grande vitesse. Il nous faut aussi proposer une offre de transport attractive et alternative à la voiture pour ceux qui, à la suite du confinement, ont choisi de s’éloigner des grandes villes pour s’installer dans la ruralité et y télétravailler.
Il nous faudra également faire en sorte d’améliorer l’information des voyageurs au niveau national pour garantir à tous l’accès à l’information sur l’ensemble des offres disponibles, et ce jusqu’au dernier kilomètre. Cette information est trop morcelée entre différents sites.
Ces politiques, si elles ne montrent pas encore tous leurs effets, vont permettre d’offrir dans la durée de véritables alternatives à l’emprise de la voiture individuelle.
Pour conclure, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons en commun la conviction que l’enjeu de la mobilité dans les espaces peu denses est majeur pour notre politique d’aménagement du territoire. Il s’agit de répondre à un impératif : le devoir républicain de garantir l’équité et la cohésion des territoires.
Voilà ce que je tenais à vous dire en prélude à ce débat. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. François Bonneau.
Monsieur le secrétaire d’État, effectivement, les déplacements en zone peu dense constituent un enjeu majeur.
Depuis plusieurs années, le covoiturage est en plein essor. Ce moyen de transport, qui réunit en moyenne 3, 5 personnes, contre seulement 1, 3 personne par véhicule individuel, permet de multiplier les offres de mobilité grâce à une certaine flexibilité et à une convivialité reconnue.
Dans les zones moins denses, où les solutions de mobilité sont réduites, le partage du quotidien nécessite de la réactivité et une technologie développée pour effectuer une réservation et une mise en relation des populations intéressées.
Ces initiatives s’articulent autour de deux principes : le covoiturage et le copartage. Pour le premier mode de transport, il s’agit de mettre en relation des citoyens effectuant des trajets courts. Le second se caractérise par le partage d’un véhicule entre plusieurs personnes.
Une solution innovante de copartage a d’ailleurs vu le jour dans une communauté de communes de mon département, plus précisément dans le sud de la Charente. Une expérimentation a été mise en place pour accompagner le prêt de véhicules de personnes qui ne les utilisent plus, souvent du fait de leur âge, au profit de personnes qui n’en ont pas. Cette coordination solidaire permet à chacun de se rendre chez le médecin, dans un service public ou, encore, dans les commerces de proximité.
Ces services doivent être qualifiés de services publics. Aussi, il convient d’engager l’État dans une réflexion afin de proposer une coordination de différents services de transport. Cette application pourrait être accessible à tous, y compris au sein des maisons France Services.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement envisage-t-il d’harmoniser l’ensemble de ces initiatives ? Comptez-vous mettre en place rapidement un budget pour travailler sur ces moyens d’avenir ? Accompagnerez-vous les zones rurales dans leur transition pour laquelle les particuliers sont l’indispensable maillon ?
Monsieur le sénateur Bonneau, face aux difficultés de mobilité d’un nombre croissant de nos concitoyens, de nombreuses collectivités, souvent des intercommunalités, parfois des régions, ont été amenées à développer des solutions de mobilité dite solidaires. Celles-ci s’appuient souvent sur le bénévolat, comme vous le soulignez, ou sur la mise à disposition de véhicules. De nombreux montages peuvent exister sur les territoires.
Aujourd’hui, il y a un cadre juridique qui le permet et l’encourage. La loi d’orientation des mobilités a créé très clairement une compétence mobilités solidaires, qui impose la mise en place systématique, à l’échelle de chaque bassin de mobilité, d’un plan d’action commun en faveur des mobilités solidaires pour rendre nos services plus inclusifs par la tarification, l’information et l’accompagnement des personnes qui en ont besoin. Il s’agit de mettre en place de nouvelles solutions de transport d’utilité sociale, des garages solidaires, du covoiturage solidaire ou encore le prêt de véhicule.
Alors qu’elles sont seulement en train de se déployer, je crois très sincèrement qu’il n’est pas nécessaire de les harmoniser, leur diversité faisant aujourd’hui leur richesse. Vous nous en donnez justement une belle illustration avec l’exemple d’une solution innovante de copartage qui est développée par l’association CAR 47 dans une communauté de communes du sud Charente que j’ai visitée. J’ai pu en voir l’intérêt et me rendre compte du cœur qu’avait mis l’ancien président de l’intercommunalité à mettre en place ce service.
À mon sens, véritablement, l’enjeu est non pas de créer un service public clé en main, imposé nationalement, mais de favoriser l’émergence de services qui sont adaptés aux réalités de chaque territoire. Dans cette mise en œuvre d’une politique décentralisée, l’État entend être un facilitateur. C’est le sens, d’ailleurs, de la création de France Mobilités, de très nombreux appels à projets que nous avons lancés, ou, encore, du site « Tous Mobiles », qui est une véritable boîte à outils des mobilités solidaires.
Monsieur le secrétaire d’État, nous le savons tous, le changement climatique nous oblige à des actions urgentes.
Nous devons impérativement travailler à une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre, et le secteur des transports en produit une part importante. La stratégie nationale bas-carbone vise une réduction de 28 % des émissions de ce secteur d’ici à 2030, c’est-à-dire dans seulement neuf ans.
Les zones peu denses sont révélatrices non seulement de notre retard en la matière, mais également, et je le regrette, du désintérêt porté à nos territoires ruraux : abandon des petites lignes, faiblesse des investissements, report multimodal en berne.
Ce manque d’action se fait non seulement au détriment de notre avenir climatique, mais aussi au mépris de la moitié de la population française, qui vit et habite dans des territoires à faible densité et n’a souvent pas d’autre solution que la voiture.
Ce rapport le montre, nous sommes face à un véritable défi de diversification des mobilités. Il pointe aussi les dérives qui s’installent : ainsi, pendant les trente dernières années, la proportion des déplacements effectués à pied pour se rendre à l’école ou au collège est passée de 52 % à 32 % ; dans le même temps, la proportion des déplacements à vélo a diminué de plus de moitié, passant de 7, 5 % à 3, 3 %. Il y a là un vrai sujet !
Le plan Vélo, lancé en 2020, n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux. L’aménagement des infrastructures doit être un levier de cette politique, car un des freins est bien lié à la sécurité, notamment pour les parents. Or les aménagements de voirie restent coûteux et les départements, les communes n’ont souvent pas les finances nécessaires pour envisager un plan ambitieux de construction de cheminements doux, en particulier des pistes cyclables. Cette question du financement est cruciale et déterminera l’atteinte ou non de nos objectifs environnementaux.
Monsieur le secrétaire d’État, quand et comment allez-vous réellement permettre l’essor d’une solution alternative au « tout-voiture » dans nos territoires peu denses ? Quelles solutions envisagez-vous pour sécuriser, notamment, les trajets pour se rendre à l’école et généraliser la marche à pied ou la circulation à vélo, ce qui est excellent pour la santé, vertueux pour l’environnement et bon pour le porte-monnaie des parents ?
Madame la sénatrice, vous prenez des exemples d’actions qui sont souvent mises en place par des collectivités territoriales. Je le sais, pour avoir été maire près de trente ans.
Les opérations « marcher vers l’école » étaient particulièrement intéressantes, avec des coûts extrêmement limités, y compris dans des territoires comme le mien, où il y a quand même beaucoup de neige. Les enfants apprenaient ainsi à marcher sur la neige, ce qui était une très bonne chose…
Sourires.
Il y a également le vélo, que vous avez cité à l’instant, et qui a un fort potentiel, dans les zones peu denses comme dans les zones urbaines. Quel que soit le type de territoire, entre 30 % et 50 % des déplacements font entre 1 kilomètre et 5 kilomètres. Les collectivités locales se sont vraiment emparées de ce mode de transport pour déployer des politiques publiques de soutien local. Je tiens à saluer cet engagement, qui est nécessaire.
Vous avez raison, un premier enjeu consiste à multiplier les itinéraires cyclables sécurisés. C’est ce que finance précisément le Fonds mobilités actives, qui a été mis en place dès 2019. Nous venons d’annoncer la liste des lauréats de la troisième édition. Au total, ce sont 533 projets qui ont été soutenus, pour 215 millions d’euros de subventions. La moitié est en zone peu dense et en outre-mer, avec des taux de subvention bonifiés qui vont de 40 % à 70 %.
D’autres financements sont accessibles aux collectivités, avec la dotation régionale d’investissement, qui est déployée à l’occasion du plan de relance, et des aides qui sont recensées sur la plateforme aides.francemobilités.fr.
Il y a également le programme AVELO, qui est piloté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et qui aide les petits territoires à développer des pistes cyclables. Après 220 territoires aidés à hauteur de 15 millions d’euros en 2019-2020, ce sont 400 territoires qui vont être aidés dans les trois prochaines années, à hauteur de 25 millions d’euros.
D’autres outils doivent être développés par les territoires : le stationnement, l’aide à l’achat, la location. Là encore, l’État prévoit des mesures d’accompagnement.
Enfin, chaque territoire est invité à faire la promotion du vélo auprès des habitants et des employeurs. Je les invite tous à se joindre à l’opération « Mai à vélo » pour donner envie de vélo. Il s’agit d’encourager nos concitoyens à adopter ce mode de transport qui, je le rappelle, est à la fois écologique, pratique, mais également, vous l’avez dit, madame la sénatrice, économique et, surtout, bon pour la santé.
Sourires.
Tout ce qui est mis en place est louable, mais est-ce que cela sera suffisant ? Les appels à projets permettent, certes, à beaucoup de territoires de trouver des solutions, mais il faudrait que tous aient maintenant des solutions.
On ne peut plus se contenter de brandir de beaux projets limités à quelques territoires seulement. La transition écologique nous oblige à avoir des projets partout. C’est un sujet d’équité !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, je vais vous donner un exemple très concret. La région Grand Est, en superficie, représente une fois et demie la Belgique. En 2007 a été fait le choix de l’irrigation par le TGV Grand Est, du milieu urbain vers les territoires peu denses.
C’est la première fois que les collectivités et les contribuables, y compris de territoires peu denses, ont cofinancé ce type d’investissement, à hauteur de 1, 377 milliard d’euros.
Si je prends cet exemple très concret, c’est parce que, en complément, toute une politique de maillage territorial a été mise en œuvre pour que les TGV ne s’arrêtent pas uniquement dans les gares urbaines, mais irriguent des gares dans les Ardennes, la Meuse, les Vosges, par exemple à Saint-Dié-des-Vosges, Épinal, Remiremont. Des travaux d’électrification ont notamment été nécessaires et une véritable politique d’aménagement du territoire s’est déclinée, avec des investissements de la collectivité régionale. Ainsi, on va rouvrir des lignes aujourd’hui fermées, faute d’entretien, comme la ligne Épinal-Saint-Dié-des-Vosges et la ligne qui va de Nancy à Vittel et Contrexéville.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d’État, tout cela repose sur des engagements et, aujourd’hui, on ne comprendrait pas que ceux-ci soient remis en cause. Aussi, ma question est la suivante : quelle garantie apportez-vous aujourd’hui aux collectivités, aux contribuables qui ont cofinancé cet aménagement du territoire, cet investissement de mobilité sur un espace aussi vaste, qu’il n’y aura pas de remise en cause du contrat passé ?
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Joël Giraud, secrétaire d ’ État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Gremillet, je comprends, au travers de votre question, que vous ressentez une certaine déception quant à l’exploitation d’un certain nombre de vos lignes. Il faut savoir que la pandémie de la covid-19 entraîne des restrictions de circulation, notamment sur des lignes qui irriguent vraiment les territoires. Je connais bien ce problème pour en être victime chaque fois que je tente de rentrer chez moi.
Sourires.
Ce qui est clair, c’est que le Gouvernement, d’une manière très nette, fera en sorte que la SNCF soit particulièrement surveillée par le ministère et l’ensemble des régulateurs des transports, qui sont d’ailleurs représentés ici, pour que nous revenions au système antérieur à la pandémie.
Je tenais à vous le dire, parce que je sais ce qui se passe sur un certain nombre de lignes. On croit souvent que l’on est la seule victime, mais je puis vous dire que, pour aller simplement de Paris à Chamonix, qui est une station célèbre et fréquentée, la situation est pratiquement ingérable actuellement, le trajet étant très long, avec des heures de car complémentaires. C’est un peu fou !
Monsieur le sénateur, sachez que nous veillerons particulièrement à ce que les financements qui vous ont été promis soient bien évidemment inscrits. Je ne vais pas vous faire une longue litanie des financements qui ont été prévus dans le Grand Est, notamment sur l’année 2020. Cet effort va se poursuivre en 2021, avec encore de nouveaux financements, pour près de 15 millions d’euros, sur les petites lignes du Grand Est.
Nous n’abandonnerons pas ces lignes et nous surveillerons attentivement les problématiques de la desserte fine des territoires que la SNCF doit mettre en place. A minima, nous exigerons que l’on revienne à la situation ex ante, qui était plus favorable que celles que vous connaissez aujourd’hui.
Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas de souci : à situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles ! On peut comprendre la situation très particulière qu’occasionne cette pandémie. En revanche, nous n’accepterons pas que le pacte passé sur les arrêts, sur l’irrigation des territoires par le TGV dans le Grand Est soit remis en cause. Ce n’est pas seulement une question de financement.
Je prends un autre exemple, qui fait écho aux précédents propos de l’un de nos collègues. Aujourd’hui, la région Grand Est, sur un budget de 3 milliards d’euros, consacre plus de 940 millions d’euros aux mobilités. C’est une véritable toile d’araignée à partir d’un contrat passé entre les collectivités, les citoyens et l’État.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, nous voulons tous faire de la crise que nous traversons une occasion de relance vers un vrai projet d’avenir pour nos territoires, un projet qui répondrait à l’autre grande crise à laquelle nous sommes confrontés, à savoir le changement climatique.
Je suis persuadée que cela passe par la décarbonation de nos déplacements, le transport collectif et la multimodalité. Le biogaz, l’électricité, l’hydrogène et toutes sortes de mobilités douces sont primordiaux, tout comme l’innovation industrielle française dans ces secteurs. La clé de réussite se trouve dans le développement des infrastructures et dans un maillage territorial répondant aux nécessités de l’aménagement et de la transition écologique.
Dans notre région Grand Est, nous expérimentons la multimodalité. Si j’appelle de mes vœux la décarbonation du secteur routier, je crois aussi que le transport des marchandises doit s’appréhender différemment. C’est pourquoi je soutiens l’expérimentation du train à hydrogène et la mise à grand gabarit du canal de la Seine jusqu’à Nogent-sur-Seine. Ce projet prouve que le report modal est très pertinent. Il relève d’une modernisation plus large des infrastructures, où les échanges entre territoires via le fluvial deviennent une réalité. C’est le genre de cercle vertueux dont la France a besoin.
Les idées et les innovations dans le domaine de la mobilité sont nombreuses et émanent souvent des acteurs locaux. La solution viendra des territoires et sera déterminante pour notre souveraineté industrielle.
Monsieur le secrétaire d’État, tout ce que je viens d’évoquer requiert des efforts financiers et des capitaux énormes. Les secteurs public et privé, les échelons national et locaux doivent s’associer pour réussir cette relance. Quelles sont vos solutions, hors plan de relance, pour mobiliser ces moyens à court et moyen termes, pour le bénéfice de nos territoires, surtout les moins denses ?
Madame la sénatrice Paoli-Gagin, les crédits relatifs aux mobilités proviennent à la fois de la loi de finances, via le programme 203, et de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Ensemble, ils financent toutes les actions qui sont engagées par l’État pour les modes routier, ferroviaire, fluvial et portuaire.
Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2021, près de 3, 7 milliards d’euros sont dévolus au programme 203, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2020. Ce budget sera complété par des investissements apportés par l’Afitf, à hauteur de 2, 8 milliards d’euros en 2021, hors plan de relance. Ce montant comprend la trajectoire financière inscrite dans la loi d’orientation des mobilités, que nous respectons donc, à laquelle s’ajoute l’engagement financier de l’État sur le canal Seine-Nord Europe.
Conformément aux principes définis dans la LOM, la priorité est donnée à la maintenance des réseaux et au report modal. S’agissant spécifiquement de la poursuite de la mise à grand gabarit de la Seine, à travers le projet de canal entre Bray et Nogent-sur-Seine, je me réjouis de votre soutien. Ce projet de développement du réseau fluvial, dont le financement est projeté à partir de 2028 en application de la LOM, a fait l’objet d’une approbation ministérielle en juillet 2020. L’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique s’est déroulée du 18 janvier au 18 février, et cette dernière pourra donc intervenir dans les prochains mois.
Comme vous le soulignez, c’est un investissement qui doit vraiment stimuler le développement économique local en bénéficiant aux chargeurs, aux industriels, dans un contexte de croissance continue des trafics à grand gabarit sur cet axe de la Seine. L’objectif est de l’ordre de 3 millions de tonnes par an, contre 1, 7 million de tonnes sans le projet, et 1, 5 million de tonnes aujourd’hui. Ce trafic additionnel correspond pour l’essentiel à un report modal, que vous appelez de vos vœux, par rapport à la route. Il a été estimé que 27 000 trajets de camions seront ainsi évités chaque année.
Madame la sénatrice, soyez assurée que, sur l’ensemble de ces dispositifs et projets, nous serons au rendez-vous des engagements qui ont été pris dans la trajectoire financière de la LOM.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie, mais les fonds que vous évoquez ne seront pas suffisants pour de nouvelles infrastructures au service de nouvelles mobilités, telles que la mobilité hydrogène. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi en vue de créer des fonds souverains régionaux, qui seraient abondés partiellement par la sur-épargne des Français pendant la crise sanitaire. Je souhaite que nous puissions débattre prochainement de cet instrument complémentaire, qui pourrait servir la cause des nouvelles mobilités dans les territoires.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question s’inscrit dans le prolongement de celle d’Angèle Préville.
Le rapport d’information d’Olivier Jacquin sur les mobilités dans les espaces peu denses met en valeur, parmi la palette d’alternatives à la voiture, le potentiel du vélo, qu’il s’agisse du vélo classique, du vélo électrique, mais aussi des innovations de type tricycle caréné, en devenir.
Ces dernières années, et encore plus ces tout derniers mois, nous avons assisté à un développement du vélo et à une avancée nette dans l’opinion. Même si cette progression récente a été plus marquée en ville, elle a aussi concerné la campagne. Le rapport de notre collègue Jacquin a d’ailleurs, entre autres mérites, celui de démonter cette idée reçue de l’inaptitude supposée du vélo à se faire sa place à la campagne pour les mobilités du quotidien.
Le rapport pointe cependant les difficultés spécifiques au développement du vélo en zone peu dense : la nécessité d’un véritable « système vélo », intégrant des aménagements de voiries, d’autant plus indispensables que le différentiel de vitesse avec les autres usagers est bien plus marqué qu’en zone urbaine, des possibilités sécurisées de stationnement et de bonnes conditions de rabattement et d’embarquement vers les modes collectifs. Surmonter ces difficultés nécessite une étroite collaboration des niveaux de collectivités, une ingénierie de qualité et des moyens importants, tant pour les investissements que pour l’entretien des réseaux cyclables, qui n’est pas à négliger.
Bien que les efforts réalisés ces dernières années méritent d’être salués, le niveau des investissements actuels ne permettra pas d’atteindre nos objectifs, particulièrement dans ces espaces peu denses. Les financements accordés par l’État doivent augmenter. Vous l’avez dit, le fonds national pour le vélo existe. Il a encore été abondé cette année de 100 millions d’euros : c’est précisément ce que l’Eurométropole de Strasbourg à elle seule compte investir lors de cette mandature en infrastructures cyclables.
Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des appels à projets, le Gouvernement envisage-t-il une réelle montée en puissance pour généraliser les aménagements cyclables de voiries, et, plus globalement, pour massifier de nouvelles dynamiques de report sur les mobilités actives ? Si oui, quelles solutions avancez-vous ?
Monsieur Fernique, le Gouvernement, vous le savez, a l’objectif de tripler les mobilités à vélo de 3 % à 9 % d’ici à 2024, et nous mettons en œuvre des moyens considérables pour y arriver.
Il s’agit de moyens d’ingénierie, d’une part, parce que le premier levier pour encourager la pratique du vélo, c’est quand même d’aménager des pistes cyclables sécurisées. Nous en parlions à l’instant. À cet égard, les collectivités auront besoin d’un appui technique important et fiable, dont elles ne disposent pas toujours. J’ai créé des réseaux de voies vertes et de véloroute sur un secteur, et je vous prie de croire que nous avons rencontré des difficultés pour bénéficier d’ingénierie en la matière. Je suis très heureux qu’aujourd’hui ces moyens puissent exister. Des cellules locales de France Mobilités, appuyées par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Ademe, sont des points de contact privilégiés pour faire en sorte que ces projets soient vraiment dessinés. Les créations de stationnements sécurisés vont également se multiplier aux abords des gares et nous invitons les collectivités à en implanter aussi. C’est vrai, l’est du pays a une certaine avance sur ce point, compte tenu de ce qui se passe outre-Rhin, dans un pays que je connais bien par ailleurs. À partir des expériences menées, nous devons faire en sorte qu’il y ait un échange de savoir-faire pour que certaines collectivités comprennent l’intérêt de mener ce type de politique.
Il faut des moyens financiers, d’autre part. À cet égard, votre question me permet de rappeler les principaux dispositifs d’accompagnement pour désenclaver les territoires peu denses. L’État dispose de la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), mais également de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), que les élus connaissent bien avec le plan de relance, puisque c’est presque 1 milliard d’euros complémentaires qui ont été mis sur la table.
Les projets sont largement finançables dans ce cadre-là et beaucoup vont d’ailleurs sortir prochainement.
Sur le développement des voies cyclables, qui relèvent de la compétence voirie des communes et des départements, nous avons enfin le Fonds mobilités actives, qui a déjà permis de financer 533 projets, dont 199 dans la ruralité. Aujourd’hui, ce sont des modes de financement courants, réguliers et récurrents.
Monsieur le secrétaire d’État, pour cette question, vous me permettrez de m’appuyer sur le département du Nord, et plus particulièrement sur un territoire bien plus connu aujourd’hui pour son apport à notre excellence agroalimentaire et brassicole que pour les questions de mobilité : je veux ici parler des Flandres, plus précisément de la communauté de communes de Flandre intérieure (CCFI).
Son tout jeune président, Valentin Belleval, s’est saisi, dès son élection, voilà quelques mois, de la problématique des mobilités sur son territoire, et il est en passe, avec ses collègues de la CCFI, de prendre la compétence mobilités au 31 mars.
Voilà un territoire rural et périurbain, composé de 50 communes réparties sur un territoire de 630 kilomètres carrés, avec environ 105 000 habitants pour lesquels les déplacements quotidiens portent sur des distances importantes, souvent supérieures à 30 kilomètres. L’usage de la voiture personnelle y est prédominant, faute, à ce jour, de solutions alternatives efficaces.
Sur ce type de territoire, la faculté de se déplacer est un enjeu capital, car elle conditionne l’accès aux différents services, de santé, d’éducation, de consommation, et également à l’emploi. L’exigence de mobilité est devenue une norme et celles et ceux qui ne peuvent y répondre voient leurs capacités d’intégration sociale et professionnelle minorées.
Pourtant, cette communauté de communes dispose d’atouts non négligeables, avec une collectivité déjà fortement impliquée dans les questions de mobilité, un réseau ferré très développé et un réseau interurbain complémentaire.
Néanmoins, ce territoire a aussi ses faiblesses : six de ses communes sont des zones blanches de mobilité ; le réseau interurbain est à fort usage scolaire et les zones d’emploi sont difficiles à desservir.
Par ailleurs, l’avenir de ce territoire en matière économique et, donc, en matière de mobilités, est fortement corrélé à son caractère frontalier. En effet, comme de nombreux territoires du Nord, la CCFI possède une longue frontière avec la Belgique, où sont recensées de nombreuses petites communes, elle aussi en zone blanche, qui souhaitent bénéficier des atouts de la ville centre, Hazebrouck, notamment pour la desserte ferroviaire.
La question des mobilités en espaces peu denses se joue non pas à l’horizon de 2040, mais dès aujourd’hui sur ce territoire, comme sur bien d’autres dans notre pays.
Ma question sera donc simple : quelles sont les possibilités qui s’offrent à la CCFI, mais aussi, au-delà, à tous nos territoires transfrontaliers, pour favoriser le transport dans les zones peu denses de chaque côté de la frontière avec la prise de compétence mobilités ?
Monsieur le sénateur Marchand, je partage avec vous la conviction qu’il faut agir maintenant afin de ne pas amplifier les fractures territoriales et sociales que certains de nos territoires connaissent déjà. À ce titre, la compétence mobilités, que vous avez indiqué vouloir prendre au travers de votre intercommunalité, est un choix fort.
Il faut bien comprendre que les évolutions de gouvernance portées par la LOM sont fondamentales, au sens où elles ne réduisent pas les enjeux de mobilité aux seules zones urbaines. Elles concernent également des zones peu denses. En encourageant les territoires ruraux à se saisir de la compétence, en instaurant un dialogue systématique à l’échelle du bassin de vie entre acteurs de la mobilité, la LOM permet de mettre à l’agenda politique et technique des problématiques des territoires ruraux, dont les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) seront les porte-parole auprès des territoires limitrophes et des régions, et de faire en sorte que les politiques de mobilités soient décloisonnées pour assurer une meilleure intermodalité.
Ces contrats de mobilité, qui pourront déboucher sur des structures de gouvernance ad hoc, sont des outils fédérateurs pour construire un système de mobilité plus intégré et plus cohérent au regard des pratiques quotidiennes des habitants des territoires, qui font fi des périmètres administratifs.
Pour ce qui est de l’amélioration de la mobilité transfrontalière, sujet que je connais bien, puisque j’habite à 11 kilomètres d’une frontière, il est d’ores et déjà possible de créer des groupements européens de coopération territoriale (GECT) afin d’opérer entre collectivités des services de mobilité transfrontaliers. À ce titre, d’ailleurs, la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) peut être d’une grande utilité pour aider à créer ce type d’outils. J’en ai connu un certain nombre, aux frontières belge et allemande, qui ont été particulièrement efficaces.
Enfin, j’ajouterai que la loi 4D, dont le Parlement devrait être saisi prochainement, va être un véhicule législatif pertinent pour renforcer les capacités des collectivités à s’entendre avec les autorités locales de nos voisins pour conforter cette coopération territoriale, qu’il s’agisse de mobilités, mais aussi d’autres sujets extrêmement importants. Je pense notamment au domaine de la santé.
Je remercie la délégation à la prospective de ce rapport, qui m’a appris beaucoup de choses. En creusant un peu, j’ai également découvert qu’en 1662 Blaise Pascal inventait le transport en commun, révolutionnant ainsi les mobilités.
Des siècles plus tard, il est nécessaire de continuer à nourrir la réflexion sur leur évolution, ce à quoi le rapporteur a entendu contribuer en se projetant dans l’avenir à l’aune des évolutions technologiques et sociétales.
Le rapport dresse des constats indéniables, que je partage, pointe le risque d’un progrès à deux vitesses entre les territoires urbains et ruraux, et dessine divers scénarios susceptibles de se réaliser.
La crise du covid-19 est passée par là, venant bousculer notre quotidien et nos certitudes dans nos relations avec les autres, nos loisirs, notre manière d’étudier, de travailler, de consommer, de consulter un professionnel de santé et, partant, de nous déplacer.
Alors que certaines discussions se bornaient aux grands chantiers d’infrastructures routières, les data sont venues bousculer nos habitudes et pallier les contraintes des mesures sanitaires qui nous sont imposées.
Le rapport souligne précisément ces transformations, avançant que nous pourrions entrer dans une nouvelle ère de la « démobilité », où nous verrions se réduire les mobilités subies au profit des mobilités choisies.
À l’heure du digital et à l’expérience de la crise du covid-19, ne vaut-il pas mieux faire transiter les données via les réseaux plutôt que les hommes sur les routes ? N’est-il pas préférable de traiter la cause des déplacements plutôt que leurs conséquences ? La « démobilité » n’est-elle pas à considérer comme un levier de développement pour les territoires ruraux et peu denses ?
Pour permettre à ces territoires de se réinventer, le développement de la couverture numérique en très haut débit, à l’instar du déploiement de la fibre optique en région Grand Est, est un préalable, tout comme l’accompagnement des populations vers l’accès aux services digitaux. J’ai bien conscience de prendre un peu le contre-pied du rapport, mais, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que mobilité et « démobilité » sont bien prises en compte par le Gouvernement dans une vision d’avenir de nos territoires ? Comment, et avec quels moyens, comptez-vous intégrer cette notion de « démobilité » dans la mobilité ?
Madame la sénatrice, vous avez raison : la crise de la covid-19 a conduit, partout dans le monde, à une montée en puissance inédite du télétravail. Cette période a été un laboratoire grandeur nature de la « démobilité », pour reprendre un terme employé dans le rapport de votre délégation. La majorité des entreprises où le télétravail est possible s’y sont mises, ce qui n’était pas gagné dans un pays comme la France, qui n’avait pas vraiment cette habitude : on a vécu un changement de paradigme.
Aujourd’hui, près des trois quarts des télétravailleurs occasionnels souhaitent pouvoir télétravailler davantage ; ce phénomène est appelé à s’intensifier. On constate aussi que de nombreux Français quittent les grands centres urbains et donnent ainsi une aura de précurseur au président Pompidou, qui écrivait ceci dans une lettre à Jacques Chaban-Delmas, en 1970 : « La vie moderne, dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d’évasion, de nature et de beauté. »
Ce phénomène est aussi rendu possible par l’investissement sans précédent réalisé par ce gouvernement, notamment dans le cadre du New Deal mobile, pour résorber les zones blanches téléphoniques.
Par ailleurs, les Français qui pratiquent l’exode rurbain ne vont pas pour autant cesser totalement de se rendre sur un lieu de travail. Probablement, une ou deux fois par semaine, ils devront prendre des transports ; il est donc nécessaire de poursuivre le maillage territorial en matière d’offre de mobilité, de manière à répondre aux besoins des habitants ruraux et à leur offrir une alternative au tout-voiture.
De plus en plus connectés, les habitantes et les habitants des territoires ruraux pourront ainsi facilement solliciter une offre de covoiturage, du transport à la demande, ou d’autres formes encore de mobilité innovante. Cela est rendu possible par la fin des zones blanches de la mobilité, puisque chaque territoire sera désormais couvert par une autorité compétente pour organiser une offre locale.
C’est vraiment en ce sens que le déploiement des technologies et du numérique contribue au développement de services de mobilité partout, pour tous et pour tout, au-delà des télétravailleurs. Il y a selon moi une grande cohérence entre ces deux ambitions : comme je le disais lors de mon voyage officiel dans la Nièvre, il faut dans un tel département disposer à la fois de trains convenables sur la ligne Paris-Nevers-Clermont-Ferrand et d’une offre numérique de qualité sur le territoire.
Monsieur le secrétaire d’État, j’articulerai mon intervention autour de trois observations.
En premier lieu, je relève que la loi d’orientation des mobilités a fixé un certain nombre d’ambitions visant à ne laisser aucune zone sur le bord de la route, si je puis dire. Très bien ! En même temps, la LOM pousse les intercommunalités à se saisir de la compétence mobilités et laisse le soin aux régions dites chef de file d’assumer la compétence là où les intercommunalités ne le feraient pas. Pardonnez-moi, mais ma grand-mère aurait appelé cela l’art de gérer les restes. Or il n’y a rien de plus compliqué à faire, du point de vue économique, que de gérer ce qui reste. Voilà une véritable difficulté à laquelle nous sommes confrontés ; se pose donc forcément la question des moyens qui seront donnés à ceux qui ont pour ambition de gérer ces restes, précisément pour qu’il n’y ait pas de restes !
Deuxièmement, nous savons tous ici ce que sont les territoires peu denses ; nous connaissons les désertifications qu’ils subissent. Je ne m’étendrai donc pas sur ce sujet, mais je ferai remarquer que la régionalisation des transports ferroviaires a tout de même été une bonne chose du point de vue de l’usage de ces lignes dans nos territoires, même si tout le nécessaire n’a pas été fait. En effet, cette régionalisation s’est traduite par l’affirmation d’une grande ambition publique ne laissant aucun territoire sur le bord de la route. Il eût été bon qu’on en tirât quelques enseignements !
Or, aujourd’hui, quand je défends des petites lignes ferroviaires, des lignes dites d’aménagement, ou de desserte fine du territoire – je crois que c’est ainsi qu’on les désigne désormais –, on me rétorque que nous sommes en train de désendetter la SNCF. Certes, mais on le fait en lui interdisant d’investir, ce qui revient à lui faire payer le prix de son désendettement. Voilà la vérité ! Dès que vous décrétez que, sur telle ou telle petite ligne, il est interdit d’investir plus de 8 %…
J’aurais voulu prendre comme dernier exemple tout ce qui se passe dans nos campagnes. Tout simplement, celles-ci souhaitent pouvoir accéder à tout : on ne peut donc pas se contenter de circonscrire un périmètre de mobilité qui interdirait à tous ces territoires d’accéder à l’Europe, au monde et au-delà !
Monsieur le sénateur Lahellec, vous indiquez en introduction de votre propos que vous allez devoir gérer les restes, mais des exemples sont nécessaires.
Comme je l’évoquais, pour ma part, j’ai créé une AOT de deuxième niveau, à une époque où c’était possible, mais tout de même très difficile. Je l’ai fait, tout simplement, parce qu’un certain nombre de sujets n’étaient pas pris en compte par l’autorité de niveau supérieur. Cette autorité, qui était départementale à l’époque et serait régionale maintenant, appliquait des critères selon lesquels un village où le nombre d’enfants d’âge scolaire était inférieur à cinq n’avait pas droit au transport scolaire. C’est pourquoi une intercommunalité a fait le choix d’assurer ce service, estimant qu’elle devait le faire si elle voulait conserver des enfants sur son territoire. Ajoutons qu’il s’agissait d’une zone qui connaissait un problème de gestion des flux de circulation – flux tout à fait considérables –, laquelle gestion aurait été impossible si nous n’avions pu « limiter la casse » en organisant la venue de véhicules de transport public sur ces zones, qui sont souvent écologiquement très sensibles, notamment dans les différents parcs.
Alors, il ne s’agit pas, selon moi, de gérer les restes, mais de faire en sorte que, quand une intercommunalité prend une initiative, on en tire les conséquences qui s’imposent sur ses rapports avec les autorités régionales qui géreront, dans les faits, tout ce qui ne sera pas proposé par les autres collectivités. Cela permettra d’ailleurs, peut-être, de modifier un certain nombre de critères appliqués au niveau régional d’une manière dont la mise en œuvre serait plus intéressante sur des territoires peu denses.
Sachez quand même une chose, monsieur le sénateur : nous suivons une logique de confiance aux territoires. Ceux-ci ont des besoins de transport, qui peuvent être effectivement exprimés par une volonté de mise en œuvre, au niveau local, de solutions spécifiques. Il s’agit par ailleurs souvent de solutions alternatives au transport public lourd ordinaire ; à mon avis, de telles initiatives enrichiront le dialogue entre l’autorité régionale et les autorités locales, dans le cadre de la décentralisation.
Je m’associe tout d’abord à l’ensemble de mes collègues pour saluer l’initiative et le travail toujours passionnant de la délégation à la prospective et particulièrement celui d’Olivier Jacquin, qui m’a beaucoup appris sur les initiatives prises par les territoires en matière de nouveaux modes de déplacement.
S’il reste nécessaire d’étudier la question des mobilités dans les espaces peu denses, c’est bien parce qu’elle est fondamentalement préoccupante, tant les écarts entre villes et campagnes se creusent. Le rapport de notre délégation à la prospective saisit avec justesse les domaines pour lesquels le monde rural peut légitimement s’inquiéter concernant ses possibilités de développement d’ici à 2040. Cependant, j’ose imaginer que nous n’en serons pas réduits à explorer des modes de déplacement alternatifs à la voiture par défaut ou par obligation ; je ne saurais croire que ce serait la seule chose qu’il nous reste à espérer !
Monsieur le secrétaire d’État, vous savez mieux que quiconque qu’il reste des fractures territoriales à réduire ; il reste même des frontières à franchir !
Je copréside depuis cinq ans le comité de massif du Jura, qui s’étend sur quatre départements : l’Ain, le Jura, le Doubs et le Territoire de Belfort. Unanimement, les 57 membres du comité réclament une voie rapide reliant le Jura à Lausanne. En effet, chaque jour, plus de 40 000 frontaliers empruntent des routes de misère pour aller travailler. Le covoiturage ou le bus ne peuvent résoudre notre manque flagrant d’infrastructures. Depuis plus de trente ans, élus français et suisses de l’arc jurassien demandent une voie rapide, mais puisqu’ils ne sont pas nombreux – autrement dit, ils sont eux aussi peu denses ! –, les gouvernements successifs les ont ignorés.
Monsieur le secrétaire d’État, est-ce donc une fatalité ? Les territoires mal desservis sont-ils condamnés à l’immobilisme, ou bien pouvons-nous compter sur le montagnard que vous êtes pour soutenir notre projet et franchir le massif du Jura ?
M. Joël Giraud, secrétaire d ’ État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, j’ai bien compris qu’il s’agissait d’une tentative de séduction de l’ancien président du comité de massif des Alpes par le comité de massif du Jura !
Sourires.
Je tiens, madame la sénatrice, à réaffirmer l’engagement de l’État pour améliorer les conditions de sécurité et de circulation sur les routes nationales dans le Jura. Vous savez que des travaux de sécurisation ont été notamment réalisés dans ce secteur entre Morez et Les Rousses, de 2014 à 2017. En outre, un programme d’amélioration de l’itinéraire de la nationale 5 a été approuvé ; il est intégralement financé par l’État, à hauteur de 20, 6 millions d’euros et sa réalisation s’échelonne sur la période 2018-2022 afin de minimiser la gêne pour les usagers.
Quant au projet de liaison routière Dijon-Lausanne, la demande déjà étudiée portait sur un itinéraire via Poligny et Vallorbe. Ce projet présentait un coût extrêmement élevé et des impacts environnementaux significatifs, compte tenu de l’environnement montagneux particulièrement fragile du secteur. Ce projet n’apparaissait pas en adéquation avec les trafics qu’il serait susceptible de capter ; plus généralement, comme vous le savez, l’essentiel des déplacements le long de cet axe correspond à du trafic local, alors que le trafic de transit vers Lausanne passe par Genève, en empruntant l’autoroute A40.
Si le projet de liaison routière via Poligny et Vallorbe n’a pas été retenu à ce jour parmi les priorités de l’État, son opportunité pourra être à nouveau discutée dans le cadre de l’élaboration de la prochaine contractualisation avec la région Bourgogne-Franche-Comté.
L’État reste par ailleurs soucieux du niveau de service qui est offert aux usagers du réseau routier national ; il est donc naturellement prêt à poursuivre l’amélioration des itinéraires existants, notamment du point de vue de la sécurité routière. Nous nous montrerons ouverts aux sollicitations des collectivités territoriales dans la perspective des possibilités qu’offrira sans doute le projet de loi 4D, dont vous ne manquerez pas de vous emparer.
Monsieur le secrétaire d’État, la loi d’orientation des mobilités généralise à l’ensemble du territoire les AOM, afin d’éviter les zones blanches où nulle solution intégrée de mobilité n’est proposée aux habitants. Reste à savoir si tous les outils offerts par cette loi pourront effectivement être utilisés par les acteurs locaux.
En effet, leur mise en œuvre dépend beaucoup de l’importance des moyens financiers mis à disposition des collectivités et, notamment, de leur capacité à lever le versement mobilité auprès des entreprises. Certaines collectivités ne disposent pas de bases fiscales suffisantes sur leur territoire et risquent de se retrouver démunies, leurs ressources s’avérant trop faibles pour pouvoir mettre en place des solutions de mobilités.
Par ailleurs, l’émergence de pratiques innovantes est parfois contrariée par le manque de compétences et d’expertises disponibles pour les collectivités.
S’il existe en théorie une palette de solutions alternatives à la voiture individuelle dans les zones peu denses, les difficultés techniques et juridiques rencontrées dans leur mise en place et leur fonctionnement constituent de réels freins.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles solutions envisagez-vous afin de pallier ces angles morts de la LOM et de combler ces trous dans la raquette ?
Madame la sénatrice, vous posez la question plus générale, si je puis dire, de l’accompagnement en ingénierie des territoires.
L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a justement vocation, au nom du ministère de la cohésion des territoires, à accompagner les projets des collectivités, selon trois modalités d’intervention. La première consiste en programmes nationaux tels que « Action cœur de ville », « Petites villes de demain », ou encore « France Services » ; un programme pour la montagne va par ailleurs prochainement être élaboré. La deuxième modalité est la contractualisation, avec les pactes territoriaux et les contrats de relance et de transition écologique, que je vous autorise à appeler « contrats ruraux et de transition écologique » ! Enfin, troisième modalité, l’ANCT offre un accompagnement sur mesure des projets qui n’entrent pas dans les deux précédentes catégories.
L’intervention de cette agence repose un certain nombre de principes, mais surtout sur une méthode de déconcentration au niveau des préfets, qui en sont les délégués territoriaux, et sur une simplification et une coordination des actions menées par les diverses agences de l’État. Il s’agit, si je puis dire, du bouquet de services proposé, services qui peuvent vous aider considérablement.
Un bon exemple de cet accompagnement est le programme de diagnostic des ponts dans les petites collectivités. Ce programme, lancé en janvier dernier, vise à répertorier tous les ouvrages d’art et à pallier le manque de ressources en ingénierie nécessaires pour leur diagnostic ; il est assuré par le Cerema.
Pour vous répondre plus spécifiquement sur l’organisation des mobilités, je ne saurais oublier de rappeler une nouvelle fois quelle est la démarche de France Mobilités. Les nouvelles solutions, dont je sais combien les plus petites collectivités peuvent avoir besoin, peinent à se développer faute de l’accompagnement nécessaire pour faire face à ces défis.
C’est pourquoi France Mobilités propose un soutien à l’ingénierie des collectivités, par la mise en place dans chaque région de cellules d’appui avec le concours du Cerema, de la Banque des territoires, de l’Ademe et des services déconcentrés de l’État. Ces cellules aident les collectivités, dans les domaines technique, financier et administratif, à innover dans les territoires peu denses pour rendre la LOM opérationnelle. Elles peuvent ainsi les aider à se saisir de la compétence mobilités, ce dont nous parlions à l’instant, ou encore à réaliser des projets par un apport d’expertise.
Je rappellerai pour terminer que l’offre de service France Mobilités se combine avec toutes les actions de l’ANCT ; ensemble, elles constituent vraiment un accompagnement fort des collectivités, d’une nature qui n’avait jamais été prévue jusqu’à présent.
Merci de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Nous serons d’accord sur au moins un point : l’ANCT a bien été créée pour apporter un soutien aux collectivités en matière d’ingénierie de projets. Pour autant, il semble qu’elle ne se soit pas saisie du sujet des mobilités et qu’elle ne dispose pas de moyens financiers suffisants pour le faire. En soi, cela pose vraiment question.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, l’avenir des mobilités est un défi pour nos territoires. Les mobilités seront notamment la clé de la sortie de crise, que nous espérons proche. Sans une offre polyvalente en la matière, nous ne pourrons envisager de reprise économique et sociale.
Comme le souligne le rapporteur de notre délégation à la prospective, que je salue, la combinaison des modes constitue la solution. Il ne faut pas opposer les mobilités classiques aux mobilités nouvelles, mais les développer et les améliorer ensemble, car tout frein apporté à une mobilité rejaillit inévitablement sur une autre.
Le temps est à l’intermodalité. Le département des Ardennes, où je suis élue, offre justement un panorama de ces mobilités complémentaires, qui nous interroge. Je peux notamment citer la mise en place d’une voie verte de plus de 100 kilomètres le long de la Meuse, infrastructure de mobilité qui présente un intérêt touristique et sportif, mais aussi, maintenant, pour les déplacements professionnels. Le vélotourisme peut être une solution pour l’attractivité de nos territoires : c’est le cas avec cette véloroute EuroVelo 19.
L’automobile reste indispensable, car elle est souvent le seul moyen d’accéder à nos centres-bourgs et aux services. Je ne me résous pas au phénomène d’assignation territoriale dû au fait que 20 % des personnes adultes vivant en zone peu dense ne disposent pas de voiture ! Réfléchissons à ses usages collectifs, comme l’autopartage, que nous pratiquons depuis deux ans.
Monsieur le secrétaire d’État, mon département est partie prenante des nouvelles mobilités. Il a fait des choix et s’y est engagé financièrement ; cela pèse encore sur les budgets. Ainsi, 14 kilomètres de cheminements doux, alternatifs et sécurisés ont été créés le long de la Meuse, en plein cœur de la ville de Charleville-Mézières ; 120 kilomètres de voies vertes ont été aménagés par le conseil départemental ; plus de 81 millions d’euros ont été engagés par le département pour l’autoroute A304, ouverte depuis deux ans, qui permet un itinéraire de délestage autoroutier entre le nord et le sud de l’Europe ; le département s’est enfin engagé dans la LGV Est pour plus de 12 millions d’euros, car c’est un gage d’attractivité pour notre territoire.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : que compte faire l’État, dans la mise en place des mobilités, pour accompagner les collectivités qui paient toujours ces équipements ? Les menaces sur le TGV et la dégradation du service qui s’annonce en sont un exemple. Les discours encouragent l’intermodalité, mais nous voulons des actes !
Madame la sénatrice Joseph, permettez-moi tout d’abord de saluer l’engagement dynamique des collectivités ardennaises pour le développement des mobilités modernes. Pour leur démarche exemplaire, elles profitent d’un réseau de voies navigables qui leur permet d’aménager de nouveaux espaces de circulation douce, comme ceux que vous avez cités. Votre département compte aussi deux lauréats de l’appel à projets du Fonds mobilités actives sur les continuités cyclables. Je tenais à souligner ce dynamisme local.
Concernant les véloroutes européennes, il n’y a pas de dispositif spécifique de soutien, mais tous les financements sont ouverts, en particulier la DSIL, la DSID, le plan de relance, ou encore la dotation régionale d’investissement. Le Fonds européen de développement régional (Feder) peut également intervenir, suivant les régions, mais le fléchage des projets est en ce cas une compétence régionale.
Ces aides sont répertoriées sur le site de France Mobilités, qui se tient à la disposition des élus locaux pour leur faciliter la tâche. Parmi les conseillers qui m’accompagnent ce soir dans cet hémicycle, certains représentent France Mobilités ! Cette ingénierie existe donc ; je l’ai même rencontrée.
Sourires.
Les territoires peuvent également s’appuyer sur l’ANCT et sur France Mobilités, qui disposent de cellules d’appui local alimentées par l’Ademe, le Cerema et la Banque des territoires.
Vous le voyez, l’État prend sa part tout en donnant cette responsabilité aux collectivités, qui sont les mieux à même d’adapter efficacement les politiques publiques à leur territoire, comme vous le faites d’ailleurs dans votre département. Toutes les bonnes volontés convergent pour développer de vraies offres de mobilité sur le territoire, les choses se concrétisent.
C’est bien ce qu’exprime le projet « Vers un Rézo Pouce Sud Ardennes » – j’ai cru à une faute d’orthographe sur ma fiche, mais c’est bien ainsi qu’est écrit « réseau » dans ce projet ! –, autre exemple de lauréat d’un appel à projets de France Mobilités dans votre département, qui a permis de créer un réseau d’autostop et de court voiturage sécurisé particulièrement performant.
Je comprends donc votre inquiétude, madame la sénatrice, mais je tiens à vous assurer de ma vigilance et de celle du Gouvernement pour le rétablissement complet des dessertes TGV. Comme je l’ai dit, nous surveillerons cela de très près.
Monsieur le secrétaire d’État, le rapport d’information de notre délégation à la prospective montre que la logistique demeure un angle mort des politiques de mobilité dans les zones peu denses.
Il est ainsi noté, à la page 54 de ce rapport : « Avec le développement des livraisons, la logistique du dernier kilomètre est plus compliquée et coûteuse à développer lorsque les distances entre plusieurs clients sont particulièrement longues à parcourir. Aucun marché de la livraison ne pourra se développer sans organisation, sans coordination entre acteurs. Des acteurs déjà présents sur le territoire, comme La Poste, pourraient être incités encore plus à se saisir de cette question pour développer un panel de services de livraison aux habitants. »
Le rapport souligne également que l’absence de service de livraison dans les espaces peu denses pourrait pénaliser l’attractivité de ces territoires.
Aussi, les plans de mobilité rurale, bien qu’orientés principalement aujourd’hui vers la mobilité des personnes, devraient s’intéresser aussi à la dimension logistique et aux flux qui en résultent, comme cela est proposé dans la LOM.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes à l’heure du développement du click and collect, des achats sur internet et des points de retrait associés, et des circuits courts et de proximité ; en outre, il faut reconnaître que La Poste est en grande difficulté dans nos espaces ruraux, avec la fermeture de ses bureaux, la réduction des amplitudes d’ouverture et le nouveau concept de facteur guichetier. Alors, sur quels leviers doit-on agir pour que La Poste, qui est déjà présente sur ce segment de service, en amont, avec « Ma ville mon shopping », comme en aval, avec GeoPost, puisse mieux se déployer dans le domaine de la logistique si vital pour nos territoires ruraux ?
Il faudrait que cela se fasse, bien évidemment, en garantissant une égalité de traitement territorial dans le niveau de la qualité du service apporté.
Monsieur le sénateur, dans le cadre de sa mission de service public, La Poste assure des livraisons de colis dans les zones peu denses. Ainsi, les véhicules de livraison ne sont pas toujours remplis à leur maximum et les tournées sont trop nombreuses, compte tenu des délais de livraison promis par les sites de vente en ligne. Cette situation engendre une pollution atmosphérique accrue ; de surcroît, ce type de livraison n’est pas rentable pour La Poste, ce qui met d’ailleurs en péril son modèle économique de livraison de colis en zone peu dense.
Il convient donc de mutualiser les livraisons afin de maximiser le taux de chargement des véhicules qui assurent ces rotations.
Une première solution, que nous mettons déjà en œuvre, consiste à inciter La Poste et les sites de vente en ligne à se coordonner pour regrouper les colis. Quitte à allonger les délais d’attente, cette solution permettrait d’assurer un meilleur remplissage et de rendre l’activité plus soutenable financièrement.
Une solution complémentaire serait la mise en place de plateformes de mutualisation des livraisons qui rassembleraient des acteurs locaux qui réalisent des livraisons – La Poste, par exemple – et un certain nombre d’artisans qui les font également. L’opérateur de la plateforme numérique pourrait être la collectivité territoriale, La Poste, ou un acteur privé.
La logistique du dernier kilomètre, qui est aussi importante pour les personnes que pour les marchandises, fait d’ailleurs partie des thèmes qui sont mis en avant dans la démarche « Action cœur de ville » que le ministère de la cohésion des territoires met en œuvre pour soutenir l’attractivité des villes moyennes. Le Cerema a également lancé un programme d’études pour élaborer de nouvelles solutions permettant aux collectivités de mieux gérer ces nouveaux flux logistiques.
Le numérique, vous le savez, engendre davantage de livraisons de colis, ce qui devient problématique, mais nul doute que le numérique apportera également une réponse rapide à ce problème, parce que tel est l’intérêt économique tant pour le secteur de la livraison, globalement, que pour la vente en ligne, dont la Poste fait bien sûr partie.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, les territoires ruraux vont-ils sortir de la malédiction qui les frappe en matière de mobilité ? Telle était l’ambition de la LOM : rayer de la carte de France les zones blanches.
Dans ce cadre, les transports ferrés connectés aux services de rabattement font figure de solution idéale. Pourtant, la question des dessertes fines ferrées rurales reste toujours soumise à un paradoxe et à une équation difficile.
Un paradoxe, d’abord, car la Cour des comptes s’interroge régulièrement sur la pertinence d’y consacrer des financements publics importants. Une équation difficile, ensuite, car le maintien d’une offre de transports publics en zone peu dense est compliqué par la concurrence de la route : ces transports apparaissent peu fréquentés en comparaison.
Des efforts sont faits pour sauver ces petites lignes ferroviaires. Je peux en témoigner dans la région Sud, notamment autour de l’étoile de Veynes, qui vous est chère, monsieur le secrétaire d’État, de la ligne de la côte bleue, ou encore de la ligne Breil-Tende.
Néanmoins, à l’échelle hexagonale, la question reste entière. En 2021, les crédits consacrés aux lignes de desserte fine du territoire s’élèvent à 620 millions d’euros. Si cet effort peut être salué, il reste bien inférieur aux besoins identifiés dans le rapport Philizot.
C’est pourquoi j’ai déposé, avec certains de mes collègues et au nom de la commission de l’aménagement du territoire, un amendement visant à augmenter de 300 millions d’euros le soutien prévu aux petites lignes, amendement qui n’a pas été retenu.
Monsieur le secrétaire d’État, comment répondre dès lors à cette attente de maintien de ces dessertes ferroviaires ?
Plus largement, cette question pose également la pérennité du dispositif de soutien à toutes les infrastructures de transport. Ce soutien n’est pas assuré au-delà du plan de relance. Du fait de l’absence des mandats transports dans les prochains contrats de plan État-région (CPER), un vrai sujet se pose quant aux opérations non financées par l’État au-delà de 2022. Comment dès lors, sur le long terme, assurer les investissements de transport nécessaires en milieu rural ?
Monsieur le sénateur Tabarot, comme vous le savez, l’État a engagé un effort significatif de financement des petites lignes sur la période 2020-2022, puisqu’il apporte plus de 500 millions d’euros sur ces trois années, dont 300 millions au titre du plan de relance. Ces financements se font dans le cadre d’investissements de régénération qui approchent 1, 5 milliard d’euros, en incluant les financements des régions et de SNCF Réseau.
Aucun projet n’est aujourd’hui bloqué faute de financement. Je crois que cet engagement constitue un signal collectif fort, dont il faut bien dire qu’il correspond à une forme de rattrapage après une longue période de sous-investissement.
Concernant la période suivante, à partir de 2023, sur laquelle vous m’interrogez, les protocoles d’accord avec les régions, qui sont dans leur majorité signés ou en passe de l’être, sont précisément le cadre de notre engagement commun à pérenniser ces lignes. La première garantie est le recensement exhaustif des besoins et des modalités de financement, ligne par ligne, financeur par financeur. Nul acteur ne pourra donc s’exonérer, qu’il s’agisse de l’État, des régions, dans le cadre des CPER, ou encore de SNCF Réseau.
L’entreprise s’est d’ailleurs engagée à reprendre à sa charge les investissements sur dix lignes considérées comme essentielles, lignes qui nécessitent souvent les investissements les plus importants, ce qui représente un effort très considérable de la part du gestionnaire d’infrastructures.
Par ailleurs, en bonne intelligence avec les instances régionales spécialisées, une structure nationale ad hoc de gouvernance va être mise en place cette année pour assurer la cohérence des volets investissements, offre de services et innovation technique.
Vous pouvez donc constater, monsieur le sénateur, que les conditions sont bien réunies pour que l’État, les régions et SNCF Réseau s’engagent sur le long terme pour la pérennité des petites lignes, à commencer par le prochain volet mobilité des CPER 2023-2027, dont l’élaboration est devant nous.
M. Philippe Tabarot. Je veux dire deux choses pour clore notre échange, monsieur le secrétaire d’État. D’abord, il faut vraiment éviter que l’État et la SNCF ne se défaussent sur les régions à l’avenir. Alors, s’il vous plaît, utilisez votre présence au Gouvernement afin de sanctuariser ces financements pour les lignes de desserte fine du territoire dans les années à venir !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, la LOM répond à un besoin prégnant et contemporain des territoires. Malheureusement, elle ne comporte pas le volet financier escompté pour les zones peu denses, pour lesquelles le versement transport reste insuffisant et devrait faire l’objet d’une péréquation nationale.
Cette grave lacune a jeté la ruralité dans un dilemme cornélien : laisser la compétence aux régions et s’en remettre à leur bon vouloir, ou bien prendre une autonomie illusoire, faute de moyens, avant le 31 mars ; qui plus est, ce choix est irrévocable !
Vous n’avez pas souhaité accorder de report des échéances, malgré la pandémie qui a empêché les discussions préalables entre les parties. Mais grâce à un texte non daté, que je qualifierais d’apocryphe s’il ne figurait pas sur le site Mobilités du ministère des transports, une faculté dérogatoire est accordée sine die, qui tord le cou à la loi et autorise tous les reports par un transfert de la compétence accompagné d’un maintien du statu quo.
Confirmez-vous la validité de ce texte ministériel d’un genre nouveau, que j’ai d’ailleurs transmis à vos services ? Doit-il être colporté d’élu à élu ou allez-vous le communiquer par circulaire à tous les préfets, afin de mettre fin à cette situation d’ici au 31 mars ? Enfin, le délai ainsi obtenu sera-t-il mis à profit pour préparer le volet financier, tant attendu ?
Monsieur le sénateur Charles Guené, le document que vous évoquez a été élaboré par la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM. Il vise à expliciter les termes de la loi d’orientation des mobilités.
Ce document est parfaitement public. Vous l’avez d’ailleurs trouvé sur un site public. Il engage bien évidemment la signature de celui qui l’a signé, à savoir l’État, et n’a donc pas le caractère apocryphe des Évangiles.
Sourires.
La LOM est une loi complexe, vous le savez. Elle comprend 189 articles et un long rapport annexé – je me souviens d’ailleurs que les annexes aux annexes devenaient de plus en plus nombreuses au fil de l’examen du texte. Le Gouvernement souhaite accompagner les territoires dans la mise en œuvre de cette loi, car ils en seront des acteurs clés.
Les principaux éléments de cette note ont été rappelés le 10 février dernier par la ministre Jacqueline Gourault et par le ministre délégué Jean-Baptiste Djebbari aux associations, qui ont d’ailleurs très clairement souligné leur fort besoin de pédagogie concernant la LOM et la compétence mobilités. Les deux ministres ont également adressé au début du mois de février une note à l’ensemble des préfets pour expliquer cette prise de compétence et les inciter à organiser l’information des communautés de communes.
Je vous confirme que cette note ne crée aucun report que la loi n’aurait pas prévu. L’échéance du 31 mars 2021, date à laquelle les communautés de communes devront s’être prononcées, est donc confirmée.
Concernant le transfert des services régionaux vers la communauté de communes, la note clarifie bien ce que la loi prévoit : le transfert de ces services n’est pas automatique, il est convenu entre les collectivités, uniquement sur demande de la communauté de communes. Il sera par ailleurs possible de prendre la compétence AOM sans reprendre les services régionaux internes au territoire. C’est très important.
Je vous confirme donc que cette note ne déroge pas à la loi qui a été votée par le Parlement – ce serait d’ailleurs complètement impossible – et qu’elle est largement diffusable pour répondre aux besoins d’information et d’éclairage des élus.
Je suis très heureux que vous confirmiez la validité de cette note, monsieur le secrétaire d’État, mais, je vous en conjure, essayez de l’expliciter un peu plus aux préfets. Pour ma part, je l’ai découverte il y a quelques jours, lors d’une visioconférence avec la région Grand Est, qui venait elle-même de la découvrir… Je suis sûr que, si les territoires comme les préfets en disposaient, vous ne ressentiriez pas les mêmes tensions sur le terrain.
Je tiens tout d’abord à remercier la délégation sénatoriale à la prospective et son président Mathieu Darnaud, ainsi que notre collègue Olivier Jacquin, pour ce rapport sur les mobilités dans les espaces peu denses. J’ai travaillé sur ce sujet en ma qualité de président d’une association défendant la LGV POCL. Ce projet d’aménagement du territoire vise à relier le Grand Centre et l’Auvergne au réseau européen.
En attendant que ce projet se fasse, j’ai mené une enquête sur la mobilité dans un grand bassin de vie comprenant trois départements ruraux, donc peu denses : le Cher, l’Indre et l’Allier. Les premiers résultats de l’enquête ont révélé une importante attente en matière de ferroviaire, notamment dans les secteurs les plus éloignés. Quand vous vivez aux confins de l’Indre, de la Creuse, de l’Allier ou du Cher, vous êtes au milieu de nulle part : il y a ni autoroute ni voies ferrées.
Les habitants des zones rurales ne veulent pas seulement des trains, ils souhaitent qu’une articulation multimodale soit mise en œuvre. Cela passe par une modernisation des lignes existantes, le réemploi des plus petites lignes fermées voilà quelques années et une meilleure desserte ferroviaire, à la fois d’un point de vue géographique et en termes d’horaires adaptés, ce qui n’est pas souvent le cas dans les territoires ruraux.
Mes questions sont donc les suivantes : quels moyens l’État compte-t-il engager pour que nos zones peu denses renouent avec la culture ferroviaire et la réouverture des petites lignes ? L’État et la SNCF envisagent-ils d’apporter leur soutien aux collectivités qui souhaitent mettre en place une politique de rabattement pour ramener les petites communes vers les gares les plus proches ? Le rabattement des territoires éloignés vers les gares les plus proches est un véritable problème.
Monsieur le sénateur, je connais bien les confins que vous évoquez. J’arrive même à m’y rendre, …
Sourires.
… comme à Saint-Amand-Montrond. J’y vais en transports, mais c’est vrai que c’est parfois difficile.
En début de mandat, le Président de la République s’est résolument prononcé en faveur d’une priorisation des transports du quotidien et d’une rénovation du réseau ferroviaire existant. Cette demande, qui était formulée par un certain nombre d’élus depuis fort longtemps, a enfin été entendue.
Après des décennies de sous-investissement dans les lignes de desserte fine du territoire, le Gouvernement a engagé avec les régions et SNCF Réseau un plan de revitalisation comprenant plusieurs outils.
D’abord, l’État, SNCF Réseau et les régions élaborent, en lien avec les contrats de plan État-région, des protocoles d’accord répartissant le financement des remises à niveau de ces lignes. Au total 7, 7 milliards d’euros seront investis d’ici à 2032 pour la régénération.
Ensuite, en réponse à une forte demande des territoires, un décret d’application de la loi LOM, publié à la fin du mois de décembre, autorise les transferts de gestion aux régions volontaires. Il leur permet d’adapter la gestion des lignes pour maintenir ou réinstaurer un service ferroviaire sur leur territoire.
Par ailleurs, des études sont menées sur le développement de trains que je qualifierais de frugaux-modulables, qui permettent de réduire les coûts d’exploitation et de maintenance. Ce plan participera à la redynamisation de l’offre et favorisera la participation de l’ensemble des petites lignes à l’intermodalité.
Sur le sujet plus global du rabattement vers les gares, la prise de compétence des autorités organisatrices de la mobilité par les EPCI peut provoquer un véritable déclic s’agissant des relations entre la région et ces EPCI et permettre l’élaboration d’une desserte plus fine.
Les choses ont évolué. Les départements avaient souvent des plans de transport plus adaptés que les plans régionaux, mais la prise de compétence devrait permettre demain, soyez-en sûr, une meilleure prise en compte non seulement des rabattements vers les gares, mais aussi des mobilités du quotidien dans les zones dépourvues de lignes ferroviaires, qu’elles soient petites ou grandes.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La question des mobilités dans les espaces à faible densité de population est un enjeu majeur d’aménagement du territoire. C’est aussi une question d’égalité sociale dans l’accès à la formation et l’emploi.
Beaucoup de nos concitoyens habitant à la campagne n’ont aujourd’hui d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour aller travailler. Leur dépendance à la voiture s’est même accrue ces dernières années avec la diminution de l’offre ferroviaire et de cars. D’autres sont contraints, faute de transport public, de renoncer à des emplois, souvent éloignés de leur domicile, parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter un véhicule. À cela s’ajoute une facture de carburant devenue insoutenable pour toute une partie de la France périphérique, celle qui, il y a quelques mois encore, était dans la rue en gilet jaune.
Nous ne réussirons à relever le défi des mobilités en milieu rural qu’en y consacrant des moyens massifs et en en faisant une véritable priorité politique. On ne peut donc que regretter que la question de la mobilité soit traitée avec tant de légèreté dans le projet de loi Climat, ou en tout cas uniquement sous l’angle de la coercition. Promouvoir la voiture propre, c’est bien ; donner à chaque Français le même droit à la mobilité partout où il se trouve, c’est mieux !
Dès lors, comment inciter les collectivités locales à lancer des plans de mobilité ambitieux quand on sait que leurs finances sont exsangues ? Comment encourager la voiture partagée dans un contexte sanitaire qui rend les Français réticents à cette pratique ? Comment promouvoir le véhicule électrique alors qu’il reste inabordable et souvent inadapté pour beaucoup de Français vivant en zone rurale ?
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement entend-il se saisir du texte sur le climat pour enfin doter notre pays d’une politique des mobilités ambitieuse, qui ne laisse personne au bord de la route ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la sénatrice Gruny, vous m’interrogez sur les mesures qui visent à favoriser l’employabilité des personnes en zone peu dense.
Nous avons agi pour faciliter l’accès au permis de conduire. La voiture individuelle est prédominante dans les territoires ruraux où, comme cela est rappelé dans le rapport, elle représentait 80 % des déplacements du quotidien en 2018. Rendre le permis de conduire plus accessible facilite l’accès à l’emploi.
Pour combattre le recours à l’autosolisme – néologisme ambigu… –, il est important de déployer des offres de mobilité solidaires, innovantes et sobres en carbone. Les collectivités territoriales sont le point d’ancrage du déploiement de la mobilité inclusive et solidaire dans les zones rurales.
Le site internet « Tous Mobiles » a récemment été lancé avec le soutien du ministère de la transition écologique. Il propose une palette complète d’outils aux élus locaux afin de favoriser le recours au covoiturage, mais également à l’autopartage, comme c’est déjà le cas dans votre territoire, madame la sénatrice. Je rappelle en effet que la communauté de communes de la Champagne picarde a été lauréate France Mobilités dès 2019. Son projet favorise la connaissance et l’assimilation par la population et les acteurs économiques des usages alternatifs à la voiture individuelle et des possibilités de rationaliser son utilisation à travers la promotion du télétravail, du covoiturage, de l’autostop organisé et de l’écomobilité des scolaires.
Nous voulons également que les employeurs s’emparent pleinement des enjeux de mobilité. Ils y contribuent financièrement avec le versement mobilité pour les services réguliers et peuvent désormais contribuer aux déplacements à vélo ou en covoiturage de leurs salariés.
Si le Gouvernement est aussi proactif et favorise l’émergence de solutions de mobilité partout et pour tous, c’est justement parce qu’il est insupportable, vous avez raison, qu’un Français sur quatre soit obligé de refuser un emploi, faute d’accès à une offre de mobilité adaptée.
Pour finir, je vous indique que le projet de loi Climat et résilience, dont l’Assemblée nationale est saisie, comprend un titre III intitulé : « Se déplacer ». Il vise justement à promouvoir les mobilités alternatives à la voiture individuelle. Je vous invite donc à vous saisir de ce paquet complet relatif à la mobilité lors de l’examen du texte au Sénat.
Après vous avoir écouté, monsieur le secrétaire d’État, je me dis que je vais inviter les habitants des territoires ruraux à rester chez eux, cela sera beaucoup mieux !
En tout cas, faites attention : le 17 novembre, jour où les « gilets jaunes » sont descendus dans la rue, n’est pas si loin ! L’écologie punitive, le pouvoir d’achat sont des questions non réglées.
Dans la Thiérache, se déplacer est compliqué. Je connais de nombreuses personnes qui refusent un emploi pour cette raison, mais aussi des jeunes qui ne peuvent pas suivre de formation, faute de bus ou de train, et qui restent donc chez eux.
Notre territoire est celui qui connaît le plus fort taux d’illettrisme en France ; l’Aisne est l’un des cinq départements les plus pauvres de France. C’est compliqué et, je vous l’ai dit, nos collectivités sont financièrement exsangues.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues qui sont intervenus ce soir. La teneur de leurs interventions montre, s’il en était besoin, que les mobilités, singulièrement en zones peu denses, sont des éléments de cohésion pour l’ensemble du territoire national.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des réponses que vous nous avez apportées. Il est une certitude : pour avancer sur les questions de mobilité, nous avons besoin du concours fort de l’État.
Je remercie enfin notre collègue Olivier Jacquin pour les éclairages qu’il nous a apportés dans son rapport et pour les pistes de réflexion qu’il nous a proposées pour nous projeter en 2040.
Le sujet des mobilités est en effet majeur pour nos territoires, où se déplacer est parfois compliqué, souvent coûteux, comme vient de le dire Pascale Gruny à l’instant, mais toujours nécessaire.
Nous le savons, les mobilités sont en pleine évolution, mais le constat est là : c’est dans les grandes agglomérations que les transformations ont lieu. Les espaces ruraux restent, pour l’essentiel, à l’écart de ce mouvement. C’est bien cela qui nous inquiète.
Plus les évolutions seront rapides, plus l’écart se creusera entre, d’un côté, les territoires où se déploieront une palette d’offres intéressantes et les innovations technologiques les plus abouties et, de l’autre, des territoires moins peuplés, au relief plus compliqué – c’est un élément important –, qui se sentiront de plus en plus éloignés du progrès et délaissés par ceux qui mettront en place les nouveaux services.
Devoir continuer à dépendre uniquement de sa voiture individuelle pendant que toutes sortes de modes de transports alternatifs et socialisés se mettent en place dans les villes contribuera malheureusement à accroître le sentiment de relégation que connaissent un certain nombre de nos concitoyens dans les territoires ruraux.
C’est pourquoi une attention particulière doit leur être portée.
Je retiens de ce débat que, pour préparer l’avenir, nous devrons prendre en compte trois contraintes.
La première est bien sûr la contrainte écologique. Il nous faut amorcer une transition et faire évoluer massivement les mobilités dans le sens de la décarbonation.
La deuxième est la contrainte numérique. De nombreuses innovations dans le domaine des mobilités reposent sur le numérique, nous l’avons mesuré ce soir. Il est donc impératif que la couverture numérique de notre territoire soit complète. Soyez assurés que l’Ardéchois qui vous parle mesure jour après jour le chemin qu’il reste à parcourir.
La troisième est la contrainte organisationnelle. La LOM prévoit que tout le territoire sera couvert par une autorité organisatrice de la mobilité à compter du 1er juillet prochain. C’est une chance pour permettre la conception de services adaptés aux spécificités des territoires – de tous les territoires. Encore faut-il que les acteurs locaux s’en saisissent pleinement et soient accompagnés. Des moyens humains, financiers, d’ingénierie territoriale seront nécessaires pour mettre en place des services efficaces et innovants.
Ces contraintes étant prises en compte, monsieur le secrétaire d’État, huit scénarios sont présentés dans le rapport de notre délégation. Ils sont très éclairants sur la manière dont on peut envisager à l’horizon de vingt ans l’évolution des mobilités dans les espaces peu denses. Pour ma part, j’en tire trois conclusions.
La première est que le statu quo n’est pas possible. Il ferait même peser un risque certain sur l’attractivité des territoires concernés.
La deuxième est qu’offrir une palette de solutions variées et adaptées doit être l’ambition des acteurs territoriaux de la mobilité. L’avenir reposera assurément, de plus en plus, sur des offres multiples, conçues au plus près des besoins du terrain et des pratiques locales.
La troisième, et c’est un aspect très enthousiasmant, est que la mobilité de demain pourra s’appuyer sur les initiatives de plus en plus nombreuses de nos concitoyens. Que ce soit dans un cadre professionnel ou associatif, organisé ou spontané, expérimental ou en voie de régulation, l’appropriation des outils des mobilités partagées est une réalité sur laquelle nous pourrons miser.
Comme le disait Pierre Massé, grand commissaire au Plan, « Le regard sur l’avenir est le premier temps de l’action ». C’est pourquoi la délégation à la prospective a voulu que ce débat ait lieu ce soir. Nous sommes convaincus, et nous le disons avec force, que c’est bien dès aujourd’hui que l’on doit commencer à préparer l’avenir des mobilités dans nos campagnes. Nous espérons que vous aurez entendu ce message, monsieur le secrétaire d’État.
La délégation à la prospective continuera de porter son regard sur l’avenir, de réfléchir aux transformations de la société et de l’économie, pour, conformément à sa mission, en informer le Sénat.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SER.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Mobilités dans les espaces peu denses à l ’ horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd ’ hui.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 8 mars 2021 :
À seize heures et le soir :
Proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, présentée par M. François-Noël Buffet (procédure accélérée ; texte de la commission n° 419, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt et une heures.
La liste des candidats désignés par la commission des finances pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l ’ assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement a été publiée conformément à l ’ article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai d ’ une heure prévu par l ’ article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, Albéric de Montgolfier, Vincent Segouin, Jean-Michel Arnaud, Mme Isabelle Briquet et M. Thani Mohamed Soilihi ;
Suppléants : M. Jérôme Bascher, Mme Christine Lavarde, MM. Arnaud Bazin, Bernard Delcros, Rémi Féraud, Christian Bilhac et Éric Bocquet.
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement, et d ’ administration générale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l ’ efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale a été publiée conformément à l ’ article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai d ’ une heure prévu par l ’ article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. François-Noël Buffet, Alain Marc, Mmes Brigitte Lherbier, Dominique Vérien, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Jérôme Durain et Thani Mohamed Soilihi ;
Suppléants : MM. François Bonhomme, Stéphane Le Rudulier, Mme Catherine Di Folco, MM. Hervé Marseille, Didier Marie, Mmes Maryse Carrère et Cécile Cukierman.
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale à la prospective.
Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai prévu par l ’ article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Patrick Chaize est proclamé membre de la délégation sénatoriale à la prospective, en remplacement de M. Marc-Philippe Daubresse, démissionnaire.