Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre du contenu de l’accord de partenariat entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, obtenu à l’arraché le 24 décembre dernier et en application provisoire depuis le 1er janvier 2021, en attendant sa ratification par le Parlement européen au mois d’avril prochain, alors que celle-ci devait avoir lieu au mois de février dernier.
Comme pour toute négociation, cet accord est un compromis, qui permet à l’Union européenne de préserver les principes essentiels du marché unique et d’éviter un dumping sauvage de nos voisins, et qui permet à la Grande-Bretagne de sauver la face tout en renonçant à revoir à la baisse l’ensemble des législations et normes sociales, environnementales et climatiques européennes, contrairement aux annonces initiales du gouvernement Johnson.
Les clauses de sauvegarde, clauses miroirs, mesures unilatérales de rééquilibrage et clauses de revoyure sont autant d’outils à la disposition de l’Union européenne pour maintenir une concurrence équitable dans la durée. Si certains verrous ont pu être posés, des interrogations, des fragilités et des angles morts dans l’accord demeurent toutefois.
Tout d’abord, il y a ce qui ne s’y trouve pas : la politique étrangère, la sécurité extérieure et la coopération en matière de défense, la politique spatiale, l’enseignement supérieur, les politiques d’asile et d’immigration avec la fin de l’application de l’accord de Dublin, ainsi que l’avenir des services financiers à la suite de la perte de passeport européen. Autant de sujets qui devront faire l’objet de futures négociations.
Ensuite, il y a ce qui a été acté, mais qui fait déjà l’objet de remise en cause, en particulier la question nord-irlandaise et le fameux backstop. D’entrée, la mise en œuvre du protocole s’est heurtée à la réalité, aux difficultés techniques, à l’engorgement des circuits de distribution et a amené les uns et les autres à invoquer l’article 16 du protocole, renforçant ainsi les doutes sur l’applicabilité de celui-ci.
D’autres sujets devront retenir notre vigilance comme l’accord provisoire sur la pêche, dont les négociations pluriannuelles risquent de remettre en cause les fragiles équilibres de la politique commune, les inconnues concernant les droits des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni, les interrogations pesant sur les appellations d’origine insuffisamment protégées et la protection des données personnelles pour lesquelles le RGPD ne restera applicable que jusqu’au mois de juillet 2021.
La Grande-Bretagne est bien devenue un pays tiers et cet accord vise non pas, comme les précédents, à organiser une convergence réglementaire, mais bien à contrôler de possibles et futures divergences. Soyons conscients du fait que notre partenaire continue de vouloir suivre son propre chemin.
J’en viens au contrôle démocratique de cet accord. Si la Commission européenne affirme qu’il « peut être conclu avec l’Union européenne exclusivement étant donné qu’il couvre uniquement des domaines relevant de la compétence de l’Union », il est plus vraisemblable que les États membres, au regard de l’urgence, aient renoncé à demander que soient vérifiées les dispositions qui pourraient relever de la mixité et donc de la ratification par les parlements nationaux.
Si l’on peut en comprendre la nécessité politique, il ne faudrait pas, pour autant, que cela crée un précédent juridique et que l’on renonce, pour les futurs accords commerciaux – par exemple l’accord qui s’annonce entre l’Union européenne et la Chine –, à tout droit de regard national.
De même, face à l’intransigeance de la Grande-Bretagne, il est regrettable qu’en cas de différend entre les parties toute possibilité d’intervention de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait été écartée. Il faudra en évaluer les conséquences.
Le suivi de l’accord sera donc assuré par un conseil de partenariat coprésidé par le commissaire Maroš Šefčovič et le ministre britannique Michael Gove. Ce conseil supervisera la mise en place de multiples comités de pilotage et groupes de travail composés de fonctionnaires qui échapperont à tout contrôle parlementaire. Là encore, j’appelle à la vigilance, car ce contrôle ne concerne pas uniquement une mise en œuvre technique de l’accord, il couvre de réels enjeux politiques.
Pour reprendre les mots de l’ancien négociateur en chef Michel Barnier, le Brexit nous aura donc conduits à un accord « perdant-perdant ». Nous devons en tirer toutes les conséquences.
Si notre envie d’avancer ensemble à vingt-sept doit rester inébranlable, il est nécessaire de nous interroger sur ce qui a conduit à cette séparation. Il s’agit non pas de se tourner vers le passé, mais d’identifier les failles qui ont conduit nos amis britanniques au Brexit, de sorte d’être capable de désamorcer le sentiment d’éloignement de l’Europe, d’en tirer les leçons pour l’avenir, afin que le projet européen suscite à nouveau l’adhésion de nos concitoyens.
Après la création de l’euro, l’Union européenne a fonctionné sur ses acquis. Elle a, pour l’essentiel, accompagné une libéralisation sans frein, une dérégulation tous azimuts, l’abandon des services publics, la montée des inégalités et le risque climatique. Cette posture idéologique ne l’a pas prémunie contre une mondialisation exacerbée dont ses citoyens paient le prix, tout comme les territoires de l’Union européenne dont les inégalités de développement opposent de plus en plus villes et territoires ruraux.
Le Brexit doit nous servir d’alerte et nous permettre d’envisager une réorientation de l’Union européenne qui réenchante le rêve européen. La conférence sur l’avenir de l’Europe et la présidence française de l’Union européenne en 2022 doivent en être les tremplins.