Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 3 mars 2021 à 15h00
Accord de commerce et de coopération entre le royaume-uni et l'union européenne — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2016, nous subissions deux coups durs qui obscurcissaient notre horizon : l’avènement de Donald Trump aux États-Unis et le choix du Brexit par une majorité de Britanniques.

Ces deux événements successifs ont été lourds de conséquences : le repli, le désengagement des valeurs communes et le rejet des responsabilités solidaires avaient pris la main. Aujourd’hui, l’horizon se dégage quelque peu : les États-Unis engagent une nouvelle trajectoire et la mise en œuvre du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne s’engage de façon ordonnée.

Si nous déplorons le choix du Royaume-Uni, nous ne pouvons pas le remettre en cause. L’Union européenne se retrouve diminuée d’un grand pays, lequel est, pour sa part, dorénavant nettement plus seul. Le Brexit provoquera de considérables changements sans effacer pour autant les logiques de l’histoire et de la géographie : l’Union européenne et le Royaume-Uni entretiendront toujours une relation privilégiée et les chances de coopération ne sont pas liquidées.

Sur une planète où l’interdépendance est de rigueur, le moyen pour les démocraties de prendre la main est de coopérer. C’est donc, en ce sens, une évolution encourageante qu’après le temps des outrances et des propos à l’emporte-pièce le gouvernement britannique ait admis qu’un accord avec son très proche et très grand voisin était dans l’intérêt de ses propres citoyens. Cet accord ne modifiera pas les conséquences mécaniques du Brexit : dans de nombreux domaines, il y aura désormais des barrières entre nous. Cela a été dit et répété : ce ne sera plus comme avant.

L’objet de cet accord est, avant tout, de cadrer nos relations pour réduire des dégâts collatéraux : c’est à l’usage que cet accord fera ou non ses preuves. D’ores et déjà, les préoccupations sont sérieuses et nécessiteront une vigilance solide de l’Union européenne qui, jusqu’à présent, n’en avait guère fait preuve dans la gestion de ses accords commerciaux largement marqués par l’ultralibéralisme.

Michel Barnier nous annonce avec force que cet accord est beaucoup plus ambitieux qu’un accord classique de libre-échange et que l’absence de tout tarif douanier et de tout quota est contrebalancée par des règles contre les dumpings sociaux, environnementaux, fiscaux, économiques. Il serait en effet tentant de mettre le tampon « origine britannique » sur des assemblages de pièces importées produites dans des conditions sociales et environnementales inacceptables pour pouvoir ensuite les répandre dans le marché unique et détruire ainsi nos emplois.

Toutefois, l’encadrement sera robuste, nous dit-on, pour empêcher des distorsions de concurrence provoquées par des aides d’État ou par des divergences réglementaires qui régresseraient par rapport au niveau de 2020.

On le sait, l’enfer est dans les détails et il est toujours pavé de bonnes intentions. Tout dépendra de la gouvernance et de sa réactivité : notre exigence est forte dans ce domaine.

Chacun sait combien nos normes environnementales sont appelées à progresser pour tenir nos engagements. La clause de non-régression ne suffira pas à éviter les divergences dommageables. Il faudra faire preuve d’une grande rigueur. Les instruments sont dans le texte. Tout dépendra de la manière dont la Commission européenne les mettra en œuvre. Il faudra que le Parlement ait la possibilité effective de réagir s’il se trouvait que l’on reste l’arme au pied.

La faiblesse des mesures contre le blanchiment d’argent et contre l’évasion fiscale pose problème. Sur cette dernière, l’accord se borne aux règles de l’OCDE et non à celles de l’Union européenne, qui sont plus strictes. L’accord ne prévoit aucune disposition à l’encontre du réseau britannique de zones offshore, qui représente tout de même plus du tiers des dommages causés par les paradis fiscaux à l’échelon mondial – excusez du peu ! L’Union européenne elle-même a encore le ménage à faire en son sein.

L’accès des services financiers britanniques au marché unique n’est pas pour demain. S’il devait en être question à l’avenir, il devrait être conditionné à des engagements sans ambiguïté de la part de Londres en faveur de la lutte contre l’évasion fiscale et de la transparence financière. Au moment où la pandémie creuse nos déficits publics, il serait irresponsable de laisser faire ces pratiques fiscales et, pour reprendre les mots d’Éric Bocquet, de laisser s’instaurer un « Singapour sur Tamise » à nos portes.

Sur la protection des données, nos inquiétudes sont très sérieuses, puisque, au-delà du 1er juillet prochain, le cadre n’est pas fixé. Il serait inacceptable que le Royaume-Uni puisse maintenir les flux de données avec l’Union européenne, alors qu’il s’éloignerait considérablement du modèle européen de protection des données basé sur les droits.

Enfin, le débat sur cet accord nous amène plus globalement à considérer les motivations populaires qui ont amené à cette volonté britannique de divorce. Les mécanismes sont toujours à l’œuvre au sein de l’Union européenne : désindustrialisation, relégation sociale, délitement des biens communs et des services publics, crise démocratique… Autant de béances qu’il faut réparer.

Je conclurai sur les mots d’une petite fille, Stella, qui, du haut de ses 10 ans, m’a lâché dimanche, en jetant un coup d’œil sur mon écran : « Le Brexit, c’est tout pourri : si on continue comme cela, on se retrouvera chacun tout seul. » À elle et à tous les autres, notre Europe doit faire comprendre que l’on ne continuera pas ainsi !

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