Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 3 mars 2021 à 15h00
Accord de commerce et de coopération entre le royaume-uni et l'union européenne — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la sortie du Royaume-Uni n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe, mais c’est la réponse des Britanniques à un pari politique hasardeux lancé par le gouvernement Cameron. Il nous faut désormais faire avec, en respectant leur volonté, mais en conservant à l’esprit la nécessité d’une coopération dans de nombreux domaines avec nos voisins d’outre-Manche. Je rappelle la position unique du Royaume-Uni par sa proximité géographique et ses volumes d’échanges avec l’Union européenne.

Certes, nous avons vécu les derniers mois de 2020 au rythme des aléas, des doutes et des postures dans les négociations en vue d’obtenir un accord. Le no deal, c’est-à-dire le scénario du pire, a été évité de justesse, mais rien ne sera plus comme avant. De profonds changements sont en cours, qui affectent les citoyens, les entreprises, les administrations publiques et de nombreux acteurs, aussi bien dans l’Union européenne qu’au Royaume-Uni. Ce ne sera plus business as usual, comme le souligne le négociateur Michel Barnier.

De chaque côté du Channel, chacun se rassure et personne ne veut perdre la face, même si, pour le Royaume-Uni, les compromis au cours des négociations n’ont jamais conduit à déroger à l’objectif de restauration de la souveraineté nationale, objectif central de la sortie de l’Union européenne.

Pourtant, je le crois, le Brexit est une situation perdant-perdant. Il affaiblit l’Europe à l’heure où les États-Unis sont fragilisés et où d’autres puissances décomplexées émergent et s’entendent. Je pense notamment aux rapprochements russo-chinois ou russo-turc.

Dans ce contexte, il nous faut poursuivre de manière organisée, comme le prévoit le présent accord, sur de nombreux sujets.

Toutefois, des craintes demeurent, notamment liées à l’altération de la confiance au cours des négociations et aux aléas des premières heures d’application. Nous avons pu, avec quelques collègues du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, constater les difficultés et les lourdeurs lors d’une visite à Calais et à Boulogne-sur-Mer.

Jusqu’au dernier moment, la question du droit de pêcher dans les eaux du Royaume-Uni a été un obstacle à la conclusion de l’accord. En Normandie, comme Catherine Morin-Desailly l’a justement souligné, mais c’est vrai dans d’autres départements et régions, comme dans celle du président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, la pêche est une activité importante. Si les nouvelles règles âprement négociées ont d’abord été ressenties comme un soulagement, elles suscitent des inquiétudes de la part des pêcheurs français et de toute la filière, déjà affectée par la crise du covid.

Malgré une réduction de 25 % des prises et les couacs de début d’année, l’accès aux eaux britanniques est maintenu. Qu’adviendra-t-il dans quelques années, lorsque l’accord devra être renégocié ? Les pêcheurs britanniques, qui se sont sentis floués, ne désarment pas sur les questions de souveraineté et se plaignent des prises perdues ou gâchées en raison des nouvelles contraintes administratives. Comme l’a signalé Jean-François Rapin, la question des licences persiste.

Cette question de l’horizon est cruciale pour la profession, car le coût considérable d’acquisition d’un bateau de pêche implique une longue durée d’amortissement. Dès lors, quel jeune voudra se former et s’engager dans le métier ? Quel banquier voudra lui accorder des crédits importants ? La reconversion, même subventionnée, n’est pas souhaitable. En effet, on sait que la souveraineté alimentaire est l’un des défis du siècle, ce qui fait basculer le sujet de l’économie locale à la préoccupation stratégique.

Quel sera l’avenir des ports français dans ce contexte post-Brexit et dans celui d’une économie maritime globale qui continuera d’exploser ? La volonté affichée de faire de la France le « hub de l’Europe » nécessitera beaucoup d’efforts. Les ports d’Anvers et de Rotterdam, déjà leaders, sortiront-ils renforcés à notre détriment ? Les ports sont des actifs stratégiques. Les Chinois, avant nous, l’ont bien compris, eux qui investissent partout dans le monde et prennent progressivement le contrôle des opérateurs portuaires et du transport de conteneurs.

Je note avec intérêt la coopération étroite prévue par l’accord entre les autorités policières et judiciaires nationales et l’échange rapide de données essentielles. Cela permettra, en outre, une coopération efficace entre le Royaume-Uni, Europol et Eurojust. La criminalité internationale, le terrorisme et la cybercriminalité sont, hélas, des secteurs en croissance, qui menacent nos sociétés. Face à ces dangers, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme doivent rester des priorités.

Enfin, si les questions de défense ne figurent pas dans le présent accord, elles représentent un autre volet de la nécessaire coopération avec les Britanniques, comme le président de la commission des affaires étrangères l’a à juste titre parfaitement rappelé. Nous devons poursuivre dans l’esprit des accords de Lancaster House, qui ont fêté leurs dix ans récemment. Les enjeux opérationnels et industriels sont importants.

En conclusion, nous avons de nombreux points de convergence et des intérêts communs avec les Britanniques. Le bon sens nous commande de poursuivre dans cette voie coopérative, mais les relations privilégiées avec les États-Unis et le Commonwealth assurent déjà à ces derniers une grande ouverture sur le monde.

De plus, le Royaume-Uni entend bien revenir « au-delà de Suez » par sa demande d’adhésion à l’Accord de partenariat transpacifique, pour se rapprocher des économies asiatiques en forte croissance, et son récent accord de libre-échange avec le Japon. Son intérêt stratégique pour l’Indopacifique se confirme, de même que sa présence militaire, grâce à des capacités augmentées de projection de puissance.

Dès lors, compte tenu de la marche du monde, y aura-t-il une véritable volonté de la part des Britanniques d’investir durablement dans la relation avec l’Union européenne ou d’opérer, comme les Américains ou les Russes avant eux, leur « pivot asiatique » ? That is the question !

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