Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni est le résultat d’un processus long et pénible de plus de quatre ans.
Il convient de féliciter Michel Barnier de l’excellent travail réalisé, d’abord pour ce qui concerne l’accord de sortie, et ensuite pour ce qui concerne l’accord de commerce et de coopération.
Cependant, on peut difficilement parler de « succès » : comme Michel Barnier l’a souvent souligné, il s’agit d’un scénario « perdant-perdant » dans lequel tant l’Union européenne à vingt-sept que le Royaume-Uni se retrouvent dans une situation dégradée par rapport au statu quo ante.
Sur le plan commercial, un accord de libre-échange n’est pas une union douanière et la circulation des marchandises, même en exonération de droits de douane, est beaucoup moins fluide, notamment en raison des règles d’origine, des formalités douanières et du contrôle du respect des normes sanitaires et phytosanitaires. Les opérateurs commerciaux des deux côtés s’en sont déjà rendu compte et les choses ne sont malheureusement pas appelées à s’améliorer.
Sur le plan politique, les deux parties ressortent affaiblies de l’exercice : le Royaume-Uni perd toute une série d’avantages liés à sa participation aux politiques et programmes de l’Union, ainsi qu’à tout le réseau des accords internationaux conclus par l’Union au fil des années ; et l’Union européenne, quant à elle, « pèse moins lourd » à vingt-sept qu’à vingt-huit et se retrouve flanquée d’un nouveau concurrent et d’un partenaire difficile à ses portes.
La négociation de l’accord bilatéral de commerce et de coopération a donc essentiellement consisté en un exercice de limitation des dégâts. Il n’a pas été facile et, à plusieurs reprises, les deux parties se sont fait peur en voyant approcher la terrifiante possibilité d’une « chute de la falaise » – cliff edge –, c’est-à-dire d’un no deal.
L’accord obtenu est un accord d’association assez classique, lequel, à certains égards, va même moins loin, en termes de coopération, que certains accords avec d’autres partenaires de l’Union. Il est néanmoins sans précédent sur le plan commercial par le fait qu’il permet des échanges de marchandises sans aucun droit de douane ni quota, sans la moindre exception ou période transitoire, pour l’agriculture et la pêche, par exemple.
Je me réjouis que l’Union européenne ait imposé un cadre juridique et institutionnel unique pour la gestion de tous les volets de la relation bilatérale. Le précédent suisse, notamment, a démontré combien l’option d’une série d’accords bilatéraux plus ou moins bien reliés les uns aux autres est problématique, à la fois sur le plan technique et sur le plan politique. Le « saucissonnage » aurait été dramatique pour l’Union européenne.
La question délicate de la circulation des personnes était déjà réglée par l’accord de retrait en ce qui concerne les droits acquis des citoyens britanniques dans l’Union européenne et ceux des citoyens européens au Royaume-Uni. Dans le futur, l’accès des citoyens européens au territoire et au marché du travail britanniques sera plus difficile que par le passé – c’était sans doute l’un des principaux objectifs du Brexit –, mais des garanties minimales réciproques ont été obtenues en matière de visas et de protection sociale.
La participation du Royaume-Uni à certains programmes européens reste possible si les deux parties le souhaitent et à des conditions appropriées pour un pays tiers, notamment en termes de participation financière. La sortie du Royaume-Uni du programme Erasmus+, pour des raisons essentiellement politiques, est cependant une énorme déception pour tous les jeunes potentiellement concernés de part et d’autre.
Une autre grande déception concerne les garanties d’une concurrence loyale, ce qu’il est convenu d’appeler le level playing field, qui ne sont pas à la hauteur de ce que nous aurions pu espérer. La négociation a mis en évidence l’intention du Royaume-Uni de concurrencer l’Union en activant tous les leviers à sa disposition et en tirant pleinement parti de sa souveraineté recouvrée en matière réglementaire. L’Union devra donc rester vigilante et ne pas hésiter à protéger ses intérêts.
Le dossier de la pêche, comme vous le savez, me tient particulièrement à cœur, comme à certains autres collègues. Il aura été, jusqu’au bout, l’un des plus difficiles à négocier en raison non seulement de l’importance des intérêts économiques en jeu, mais aussi de sa charge symbolique et politique particulièrement élevée.
L’équation à résoudre était très complexe. Le compromis trouvé est forcément source de frustration pour nos pêcheurs puisque, comme dans d’autres domaines, il représente une dégradation sensible par rapport au statu quo ante. On peut néanmoins considérer que le résultat aurait pu être bien pire, puisque le transfert de quotas au profit du Royaume-Uni ne concernera finalement que 25 % des possibilités actuelles sur cinq ans au lieu des 80 % réclamés initialement par Boris Johnson.
Il faudra surtout bien veiller à préserver nos possibilités d’accès aux eaux britanniques, qui ne seront plus garanties au-delà du 30 juin 2026, en n’hésitant pas alors à refermer le marché de l’Union aux produits britanniques si nous ne sommes pas satisfaits de l’accueil réservé à nos pêcheurs.
Je conclurai, comme plusieurs de nos collègues, en disant mon inquiétude pour la viabilité du protocole sur l’Irlande. Ce protocole n’est pas le résultat de la négociation qui vient de s’achever : il a été conçu dans le cadre de la négociation précédente sur l’accord de retrait. Le problème de sa mise en œuvre effective ne se pose cependant que depuis le 1er janvier dernier, alors que le Royaume-Uni est désormais sorti de l’union douanière et du marché unique.
Pour éviter le rétablissement d’une frontière visible entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, le protocole a mis en place des dispositions extrêmement complexes qui, pour l’essentiel, maintiennent le territoire d’Irlande du Nord dans l’union douanière et le marché unique, imposent des contrôles stricts sur les échanges entre ce territoire et le reste du monde, y compris la Grande-Bretagne, et s’en remettent aux autorités douanières britanniques présentes en Irlande du Nord pour les exercer.
Ce système n’est pas dénué de failles intrinsèques. L’une d’entre elles s’est déjà révélée de manière spectaculaire au sujet des contrôles que l’Union européenne a récemment voulu instaurer sur les exportations de vaccins. Pire encore, son efficacité dépend entièrement de la bonne coopération d’autorités britanniques, qui ont fait preuve jusqu’ici d’une extrême mauvaise volonté.
Je crains donc que l’intégrité de l’union douanière et du marché unique, qui était l’un des grands objectifs des négociations, ne soit pas assurée à travers cette véritable « usine à gaz » du protocole sur l’Irlande. Je prévois malheureusement de sérieux dysfonctionnements dans les mois qui viennent avec le risque de répercussions importantes sur la situation politique en Irlande – notamment sur l’accord du Vendredi saint, très important en Irlande – et sur la relation bilatérale entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans son ensemble.
N’oublions jamais que nous avons affaire à la perfide Albion !