Madame la présidente, monsieur le président Christian Cambon, monsieur le président Jean-François Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion de répondre à vos nombreuses questions sur cet accord complexe. Vous avez rappelé la difficulté et la longueur de la négociation, témoignages de cette complexité. Je vais m’efforcer de vous répondre le plus précisément possible.
Je veux souligner à mon tour combien nous devons à Michel Barnier, le négociateur des vingt-sept États membres, qui a su préserver notre unité européenne et sauvegarder l’essentiel de nos intérêts fondamentaux. Il a incarné cette fermeté, cette unité européenne tout au long de la négociation.
C’est un long feuilleton qui s’est déroulé depuis le mois de juin 2016 et le référendum britannique, qui a sonné en Europe comme un choc. Voilà un peu plus de quatre ans, au moment d’entamer cette négociation, nous avons dû définir quels étaient les intérêts communs, les intérêts fondamentaux de l’Union européenne à vingt-sept. Ce signal d’unité a été donné à un moment où les Cassandre annonçaient, sans doute légitimement, que l’heure d’un délitement de l’Union européenne était venue avec cette grande première d’un pays qui ne frappait pas à la porte de notre club pour le rejoindre, mais pour le quitter, après un référendum, expression de la souveraineté populaire, remporté avec une majorité sans appel.
Nous avions alors été extrêmement clairs sur la nécessité de préserver le marché intérieur, le marché unique et son fonctionnement et de défendre – c’est notre intérêt, au-delà de celui de notre partenaire irlandais – la paix et la stabilité en Europe. Les accords du Vendredi saint sont fondés dans un enracinement européen : c’est grâce au marché intérieur et aux règles européennes que cette dissociation entre deux entités politiques et une entité économique avait été rendue possible, voilà un peu plus de vingt ans. N’oublions pas le rôle qu’avait joué notre cadre européen dans cet accord de paix.
La négociation s’est conclue en deux étapes : une première, qui a eu lieu à la fin de 2019, avec un accord de retrait dont nous ne devons pas, aujourd’hui encore, minimiser l’importance. Il a permis de régler durablement trois sujets.
Il s’agit tout d’abord des intérêts financiers de l’Union européenne. Le Royaume-Uni ayant été membre pendant plus de quarante ans de notre club, il lui incombe encore un certain nombre d’obligations financières qui s’étalent dans le temps et sur lesquelles nous serons évidemment vigilants.
Il s’agit ensuite des droits de nos citoyens. Comme l’ont notamment rappelé M. le président Rapin et M. Cadic, plus de 3 millions et demi d’Européens, dont plus de 300 000 Français, résident au Royaume-Uni. Nous avons garanti leurs droits : tous ceux établis depuis plus de cinq ans ne doivent pas voir leur situation ni leurs droits remis en question par ce choix britannique, même si des complexités demeurent. Cet accord de retrait les sécurise.
Il s’agit enfin de la question de l’Irlande, à travers un protocole, certes complexe, mais absolument nécessaire. Je veux être précis sur les développements récents, puisque nous allons vivre durablement avec ce protocole et ces complexités.
Les frictions que nous constatons parfois dans le commerce entre la Grande-Bretagne et l’île d’Irlande, et particulièrement l’Irlande du Nord, ne sont pas le résultat de ce protocole, qui protège, mais d’un choix britannique dont nous devons tirer des conséquences, en essayant de les minimiser pour l’Irlande et pour l’Union européenne, mais dont nous ne pouvons faire fi, comme si le Royaume-Uni était resté dans le marché unique, dans l’union douanière et dans l’Union européenne. Nous ne devons pas nous tromper quant aux responsabilités à cet égard.
Nous ne devons pas être dupes de l’activation de l’article 16 de l’accord sur le Brexit, brandie par les Britanniques quand, par maladresse, la Commission européenne a encadré les exportations de vaccins – ce qui était nécessaire, mais n’aurait pas dû être fait avec ce codicille supplémentaire. Il n’est dans l’intention de personne au sein de l’Union européenne, ni de la Commission ni d’aucun État membre, de remettre en cause ce protocole. Nous devons être clairs : aujourd’hui, c’est aux Britanniques de l’appliquer intégralement ; et c’est l’application intégrale de l’accord qui peut permettre une discussion pragmatique sur d’éventuelles flexibilités, notamment pour les périodes de grâce. Nous ne devons pas inverser l’ordre des paramètres.
À l’instant où nous parlons, nous apprenons que le Royaume-Uni a déclaré vouloir unilatéralement prolonger les périodes de grâce, pour reprendre votre expression, monsieur le sénateur Yung, c’est-à-dire les périodes de flexibilité.