Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier pour leur confiance l’ancien président de la délégation sénatoriale à la prospective, Roger Karoutchi, et l’actuel président, Mathieu Darnaud – je tiens à les saluer.
L’idée de ce rapport est venue à l’issue de l’adoption de la loi d’orientation des mobilités, qui a prévu, de manière intelligente, un droit à la mobilité pour tous et, conséquemment, que tous les territoires devaient être couverts par une autorité organisatrice de la mobilité (AOM).
Néanmoins, certains territoires sont sans ressources ni modèle économique : l’égalité des territoires n’est pas assurée. Refusons des mobilités à deux vitesses et les fractures territoriales et sociales ainsi provoquées.
Nous avons voulu envisager à long terme, de manière prospective, ce qu’il pouvait advenir des espaces peu denses du point de vue des mobilités. Il va de soi que les conclusions de ce rapport auraient été très différentes sans cette incroyable expérience de « démobilité » qu’a été le confinement.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis ravi que ce soit vous qui soyez présent ce soir au banc du Gouvernement, vous qui portez haut et fort la question de la ruralité.
Les espaces dont nous traitons dans notre rapport représentent, selon l’Insee, 90 % du territoire national, un tiers de ses habitants tout de même.
Les mobilités s’organisent d’une manière très différente entre les espaces denses et peu denses. Dans un cas, la massification est possible – tramways, métros, TGV, transports en commun en site propre, etc. –, les flux peuvent être concentrés et la rentabilité parfois être au rendez-vous. Dans l’autre, les flux sont faibles ou disparates, les lignes régulières sont moins remplies et, depuis les trente glorieuses, ces territoires ont perdu des équipements en termes de petites lignes ferroviaires et de lignes régulières de cars interurbains.
D’ailleurs, certains des intervenants et experts que nous avons auditionnés définissent ces territoires peu denses comme étant ceux où il n’y a que la voiture pour se déplacer ou encore ceux dans lesquels le transport coûte cher dans le budget des ménages.
La situation est radicalement différente en fonction de la situation dans laquelle on se trouve : dans le rural polarisé autour d’un centre, l’organisation sera différente par rapport à celle qui prévaudra dans le rural isolé ou le périurbain. Quant à la problématique des espaces très peu denses, elle est également très complexe.
Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez les vallées de montagne : la situation de celles où existe une station de ski et où il faut traiter les problèmes de congestion n’est pas du tout la même que la situation de celles où le traitement des mobilités se contente d’organiser la « descente » habituelle des habitants du territoire.
Il est par conséquent nécessaire de mettre en place des politiques publiques sur mesure, ce qui nécessite un minimum d’ingénierie intégrée et des moyens financiers.
Quelles peuvent être les solutions de mobilité en fonction de ces différents territoires ?
Nous sommes partis de trois postulats essentiels.
Le premier, c’est l’impérieuse nécessité d’opérer la transition écologique et de décarboner les motorisations.
Le deuxième, c’est l’accessibilité des services et des activités : comment effectuer moins de déplacements subis grâce à un bon positionnement des services par rapport à l’habitat ? Cela nécessite des politiques audacieuses d’aménagement du territoire et d’urbanisme, la prise en compte de la gestion des temps, et donc une bonne échelle de gouvernance, proche des bassins de mobilité qui dépassent souvent le périmètre administratif d’une intercommunalité.
Le troisième est une évidence : le déploiement de la couverture numérique sur l’ensemble du territoire.
Dès lors, nous avons dégagé trois séries de solutions qui constituent une sorte de bouquet.
La première : utiliser l’existant et le renforcer, qu’il s’agisse des petites lignes ferroviaires ou des services réguliers de cars interurbains, le cas échéant en organisant des rabattements, en les modernisant, en les cadençant et en utilisant des voies réservées à proximité des villes pour les cars interurbains.
La deuxième : socialiser l’usage des voitures, en tout cas d’une partie d’entre elles – cela suffira. Les moyens technologiques et numériques actuels permettent de penser le covoiturage sur courte distance d’une manière très efficace. Des expérimentations de lignes virtuelles avec des arrêts le montrent. Il en est de même pour la gestion de l’autopartage. Il est tout à fait possible aujourd’hui de développer des solutions extrêmement audacieuses. Socialiser la voiture, c’est aussi le transport à la demande, des transports solidaires, mais aussi le taxi – des experts nous disaient que, dans les espaces très peu denses, les politiques publiques ne devaient pas écarter le taxi, puisque les flux sont très limités.
La troisième : les mobilités actives. Pour beaucoup de personnes, les espaces peu denses ne seraient pas adaptés aux mobilités actives, mais une bonne partie des trajets du quotidien – près de 50 % d’entre eux – fait moins de trois kilomètres. Dès lors, la marche et le vélo, à assistance électrique ou non, doivent être stimulés et pris en compte pour certains types de déplacements.
Nos hypothèses d’évolution se déclinent dans huit scénarios.
Je n’en citerai qu’un seul, intitulé « rien de neuf ! », où la puissance politique n’interviendrait qu’a minima ; par conséquent, les évolutions proviendraient des ruptures technologiques et de la logique de marché. La décarbonation serait le fait des véhicules électriques. Le reproche fait à la voiture d’être coûteuse serait traité par le développement de petits véhicules électriques, peu coûteux. La situation des « assignés territoriaux », expression étonnante du sociologue Éric Le Breton – pour lui, 15 % à 20 % de nos concitoyens sont dans cette situation, parce qu’ils n’ont pas le permis de conduire, subissent un handicap ou n’ont pas suffisamment de revenus pour avoir un véhicule – serait réglée à la marge par un transport à la demande.
Ce scénario pose clairement la question du risque de perte d’attractivité de ces territoires. En effet, il n’y aurait pas d’alternative à la voiture, dans l’hypothèse où le désamour vis-à-vis de ce mode de transport se généraliserait, ce que l’on peut observer aujourd’hui parmi les jeunes générations.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons besoin d’un modèle économique pour financer cette politique publique maintenant imposée. C’est une question d’égalité !
Je conclurai mon intervention en citant l’un des meilleurs spécialistes des mobilités, Gilles Dansart : « Il ne s’agit pas non plus d’opposer la mobilité individuelle aux transports collectifs, ce qui empoisonne le débat et ralentit les mutations. »
En effet, une mobilité moderne et décarbonée est possible, y compris pour les espaces peu denses, en s’appuyant sur le triptyque proximité-intermodalité-accessibilité pour lutter contre les mobilités à deux vitesses entre territoires urbains bien pourvus et espaces peu denses déséquipés et sans autre solution que le recours à la voiture. Il s’agit donc bien de lutter contre les fractures territoriales et sociales actuelles.