Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’emblée de remercier la délégation sénatoriale à la prospective, en particulier son rapporteur, Olivier Jacquin, d’avoir demandé l’organisation de ce débat. Votre rapport sur les mobilités dans les espaces peu denses à l’horizon 2040 est riche et de grande qualité et je suis heureux de représenter le Gouvernement à ce débat en ma qualité de secrétaire d’État chargé de la ruralité.
La mobilité est l’un des grands enjeux de l’attractivité des territoires ruraux ; elle constitue à ce titre un volet important de l’agenda rural que je suis chargé de mettre en œuvre et de suivre.
Je suis un ancien élu de ces espaces peu denses évoqués dans votre rapport : j’ai été maire durant près de trente ans d’une petite commune de montagne. J’ai donc une connaissance concrète des problématiques que vous décrivez. D’ailleurs, j’ai moi-même participé à la création, dans les années 1990, et non sans difficulté je l’avoue, d’une autorité organisatrice de transport de deuxième niveau pour compléter l’offre de transport scolaire vers des villages qui n’étaient pas inclus dans le schéma départemental, mais aussi pour desservir des zones touristiques ou écologiquement sensibles.
Vous ne serez donc pas étonné, monsieur le rapporteur, que je partage beaucoup de vos constats. Je mesure parfaitement le poids de la voiture individuelle en ruralité : comme vous l’avez souligné, elle représente à elle seule 80 % des déplacements. L’un des urbanistes que vous avez auditionnés définit d’ailleurs l’espace peu dense comme celui où l’on se déplace en voiture et pas à pied, car son échelle n’est pas à la mesure du piéton.
Les espaces peu denses, dans lesquels vivent un tiers des habitants du pays, nécessitent une politique de transport adaptée à cette réalité qui est bien différente de celle que connaissent les citadins.
Il serait vain et contreproductif de désigner la voiture individuelle comme une ennemie à éradiquer. Pour autant, tout l’enjeu de nos politiques, c’est de ne pas se résigner à ce que certains ont nommé « l’autosolisme », un néologisme pas très élégant. Il s’agit non pas d’éliminer la voiture, mais d’en favoriser un usage plus collectif, ainsi que les alternatives.
L’enjeu est de réduire la dépendance à la voiture, car elle est source de fragilités et d’inégalités. Elle est d’abord source de fragilités pour les territoires qui perdent en attractivité faute d’une offre de mobilité suffisante et adaptée. Elle est ensuite source d’inégalités pour les habitants, en particulier les publics fragiles qui sont privés d’automobile ou pour lesquels l’utilisation de celle-ci pèse lourdement sur les finances du ménage.
Nous partageons donc l’objectif de diversification de l’offre de transport – il correspond parfaitement au scénario n° 5 envisagé à la fin du rapport, celui d’une transition organisée.
C’est d’ailleurs tout l’objet de la loi d’orientation des mobilités (LOM) qui prévoit des investissements sans précédent et fixe comme priorité les transports du quotidien. Il s’agit de la loi la plus importante sur ce sujet depuis la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI), adoptée en 1982, et la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de 2000.
La LOM prévoit de couvrir l’ensemble du territoire par une autorité organisatrice de la mobilité, une AOM. Désormais, et c’est un acquis important de ce quinquennat, il n’y aura plus de zone blanche en ce qui concerne la mobilité. Les communautés de communes sont ainsi encouragées à délibérer pour se saisir de cette compétence avant le 31 de ce mois ; à défaut, la région assurera ce rôle d’AOM locale pour déployer une offre de proximité au niveau des bassins de mobilité.
Sur ce sujet, je veux rappeler la responsabilité des collectivités locales dans l’exercice de cette compétence. En voyage officiel la semaine dernière, j’ai pu constater les tensions entre EPCI et régions sur la définition et le financement des transports de proximité. L’esprit de la LOM est bien de construire un maillage territorial et une complémentarité entre les services de mobilité offerts à tous les échelons – local, régional et national. Il ne s’agit pas, par exemple, comme il nous a été rapporté à l’occasion de ce déplacement, d’appeler les intercommunalités rurales à cofinancer les services ferroviaires régionaux au motif qu’elles en bénéficient.
Le législateur a voulu que les territoires soient en première ligne pour définir leurs offres de mobilité au plus près des besoins. Pour autant, l’État ne livre pas les territoires à eux-mêmes. Ainsi, le Gouvernement a développé la démarche France Mobilités, bras opérationnel de la LOM : elle a pour mission d’identifier les solutions de mobilité, d’en faciliter l’expérimentation, de contribuer à leur montée en puissance et de les déployer largement, lorsque c’est possible.
Je me réjouis d’ailleurs de l’engouement que j’observe sur les appels à manifestation d’intérêt de France Mobilités : via les appels à projets Territoires de nouvelles mobilités durables (Tenmod), nous avons déjà financé 92 projets pour un total de 6, 7 millions d’euros, tous en zone peu dense.
Nous croyons aussi à toutes les formes de socialisation de la voiture, comme le covoiturage ou l’autopartage. Les différents appels à projets permettent de soutenir, en lien avec les collectivités, l’expérimentation de nouvelles solutions de plateforme de mobilité permettant, grâce à l’intelligence artificielle, de renouveler les offres de covoiturage ou de transport à la demande développées par un tissu de start-up innovantes.
Afin d’inciter les gens à s’approprier ces nouvelles formes de mobilité, le forfait mobilités durables, introduit dans la LOM, permet aux employeurs de verser, sans charges ni impôts, jusqu’à 500 euros par an à leurs salariés qui viennent au travail à vélo ou en covoiturage, par exemple.
Au-delà de cette incitation financière bienvenue, le Gouvernement a mis en œuvre plusieurs outils budgétaires pour redynamiser le vélo, un mode de transport pratique, écologique, économique et, accessoirement, bon pour la santé… Le vélo a aussi sa place en zone peu dense, dès lors bien évidemment que la géomorphologie le permet.
Nous avons par exemple doté de 215 millions d’euros le fonds national Mobilités actives pour soutenir les projets structurants des collectivités qui prévoient de créer des axes cyclables sécurisés. Ce sont ainsi 119 millions qui ont été alloués à 259 projets en milieu rural. De plus, le coup de pouce « vélo », doté de 200 millions d’euros, a permis d’aider tous ceux qui ont souhaité réparer leur vélo pour en faire leur moyen de déplacement quotidien.
Parallèlement, nous investissons sur le ferroviaire. Conformément à la priorité affichée dès le début du quinquennat en faveur des transports du quotidien et du réseau existant, le Gouvernement a décidé d’investir massivement dans le réseau ferroviaire. Les besoins d’investissements pour la régénération de ces lignes se chiffrent à 7, 5 milliards d’euros pour la décennie qui s’ouvre. Près de 1, 5 milliard d’euros sont financés dès la période 2020-2022, l’État apportant plus de 500 millions, dont 300 millions dans le cadre du plan de relance.
Cet investissement conjoint avec les régions devra se poursuivre tout au long de la décennie pour atteindre nos objectifs. La remise à niveau de nos infrastructures ferroviaires est une politique de long terme.
Je soutiens par ailleurs le redéploiement d’une offre attractive de trains Intercités de jour et de nuit qui permettra des relations entre territoires en dehors du réseau à grande vitesse. Il nous faut aussi proposer une offre de transport attractive et alternative à la voiture pour ceux qui, à la suite du confinement, ont choisi de s’éloigner des grandes villes pour s’installer dans la ruralité et y télétravailler.
Il nous faudra également faire en sorte d’améliorer l’information des voyageurs au niveau national pour garantir à tous l’accès à l’information sur l’ensemble des offres disponibles, et ce jusqu’au dernier kilomètre. Cette information est trop morcelée entre différents sites.
Ces politiques, si elles ne montrent pas encore tous leurs effets, vont permettre d’offrir dans la durée de véritables alternatives à l’emprise de la voiture individuelle.
Pour conclure, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons en commun la conviction que l’enjeu de la mobilité dans les espaces peu denses est majeur pour notre politique d’aménagement du territoire. Il s’agit de répondre à un impératif : le devoir républicain de garantir l’équité et la cohésion des territoires.
Voilà ce que je tenais à vous dire en prélude à ce débat. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.