Je rappellerai, pour la défense de cet amendement, le contexte qui a présidé à la mise en place, en 1996, des CDEC. La loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat a en effet reproduit, pour la création ou l’extension d’un complexe de salles d’exploitation cinématographique de plus de 300 places, la procédure d’autorisation administrative par une commission départementale instituée par la loi Royer du 27 décembre 1973 pour l’implantation des grandes surfaces.
Cette évolution de la procédure d’implantation des salles de cinéma soumise à autorisation, avant délivrance du permis de construire par la CDEC, répondait alors à la recrudescence d’ouvertures de multiplexes cinématographiques dans des complexes commerciaux en périphérie des villes, cette prolifération non maîtrisée ayant pour effet d’entraîner la fermeture de nombreuses petites salles de centres villes, seules structures à diffuser des œuvres de producteurs indépendants.
Toutefois, les limites de ce système sont connues, et peut-être faudra-t-il un jour songer à le revoir et à instaurer d’autres limitations. En effet, les cinémas de centre-ville continuent de fermer. Certaines villes de grande taille ne possèdent plus un seul cinéma en centre-ville : Avignon, Mulhouse, Vannes, etc., et la liste pourrait être longue. Ces cinémas sont pourtant indispensables à l’animation des centres-villes, ainsi qu’à la pérennité d’un cinéma de qualité, souvent issu de la production dite indépendante, et que seul ce type de structures diffuse encore. À terme, si rien n’est fait, c’est la mort programmée de tout un pan de la production cinématographique...
Les alternatives à cette politique de fermeture de salle en centre-ville consistent en l’ouverture de salles gérées par les collectivités territoriales ou en la mise en place, certes paradoxale, de multiplexes en centre-ville !
Le dispositif que l’on nous propose aujourd’hui d’approuver, sous couvert de codification des textes existants, ne fera qu’accentuer les travers du système. Aux anciens critères, qui tenaient compte de l’équilibre global des différentes salles de la zone concernée, de leur fréquentation par rapport à la fréquentation nationale moyenne, du taux de pénétration des films dans les salles et de la densité d’équipement cinématographique de la zone, sont substitués des critères purement locaux.
Ainsi, pour retenir les projets d’établissement, la commission départementale cinématographique devra désormais utiliser divers critères de nature urbanistique et environnementale de même nature que ceux qui existent déjà pour l’ouverture d’hypermarchés.
En outre, de vagues critères d’ordre culturel sont ajoutés : le projet doit ainsi concourir à la « nature et à la diversité culturelle de l’offre cinématographique » et satisfaire aux besoins des spectateurs, ainsi qu’à la modernisation du parc de salles cinématographiques.
Ces nouveaux critères, purement locaux – effet sur la zone en termes de programmation, diversité de l’offre dans la zone compte tenu de la fréquentation locale, rapports locaux entre distributeurs et exploitants –, et donc beaucoup moins objectifs, risquent d’être source d’importantes disparités de traitement, qui iront d’ailleurs croissant, sur le territoire national. On risque ainsi d’assister à un « nivellement par le bas » de l’offre cinématographique dans certaines zones, ainsi qu’à la disparition d’un certain type de productions dans certaines localités.
Cet aménagement de la législation ne répond pas aux préoccupations du rapport Perrot-Leclerc, rendu le 28 mars 2008 à Christine Albanel et à Christine Lagarde, qui préconisait, à l’inverse d’un système d’autorisation très localisé, l’instauration d’une procédure propre au cinéma, avec la constitution de commissions au niveau régional et national. Ce rapport souhaitait par ailleurs que les engagements de programmation soient étendus, notamment aux multiplexes.
Il semble donc que, désormais, l’objectif principal soit l’aménagement du territoire en termes d’urbanisme et d’environnement, au détriment de la diffusion d’une offre cinématographique riche et diversifiée sur l’ensemble du territoire national.
Le dispositif proposé constitue l’illustration d’une politique ultralibérale qui traite les biens culturels de la même manière que les autres biens de consommation, mettant ainsi en danger la sauvegarde de l’exception culturelle.
Nous ne saurions cautionner une telle vision de la culture. C’est pourquoi nous proposons un retour aux critères instaurés par la loi de 1996, tout en retenant les nouvelles exigences urbanistiques et environnementales qui figurent dans le projet de loi, en attendant que soit trouvée une solution satisfaisante pour l’ensemble des parties.