Intervention de Bernard Jomier

Mission commune d'information Effets des mesures en matière de confinement — Réunion du 4 mars 2021 à 10h35

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, président :

Vous avez entendu l'ensemble de nos intervenants, Monsieur le professeur. Nos salles de spectacle continueraient-elles de représenter de vrais dangers, avec les protocoles qui existent ? Votre vision internationale nous serait utile.

Pr. Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'Université de Genève. - Il me paraît important de rappeler, à titre liminaire, que l'accès à la culture fait partie des droits fondamentaux de l'homme. Cela dépasse largement la question de ses droits économiques ainsi que celle de son éligibilité aux différents amortisseurs sociaux que les gouvernements mettent en oeuvre en période de crise.

La covid-19 a trois voies de transmission principales, qui sont aujourd'hui bien documentées. En premier lieu, celle des aérosols que nous expulsons lorsque nous respirons, parlons, chantons ou crions, et dont les particules les plus légères peuvent se maintenir dans l'air pendant plusieurs heures. Une autre voie de transmission, assez peu documentée, réside dans les aérosols les plus lourds qui peuvent, sous la forme de postillons, retomber sur les surfaces et contaminer ces dernières. Enfin, le partage d'instruments de musique, surtout ceux dépourvus de labyrinthes intermédiaires, ou de papiers divers constitue une dernière voie directe de transmission. Comme pour n'importe quelle autre occurrence, des personnes asymptomatiques ou pré-symptomatiques présentes dans une salle de spectacle peuvent être des agents contaminants, à la double condition d'une dose infectieuse et une durée d'infectiosité suffisantes.

Le problème des rassemblements à caractère culturel est bien connu. L'existence de clusters culturels est abondamment documentée : les troupes, y compris de danse, les choeurs, les chanteurs solistes ont été à l'origine de petits clusters, de même pour les karaokés au Japon, ou pour une multitude de manifestations culturelles de tous types qui ont impacté les États-Unis, la Russie, le Canada, la Corée du Sud, les Pays-Bas, l'Allemagne... À chaque fois, ces événements ont entraîné la fermeture des établissements.

Les lieux de contamination doivent être compris de façon large : ils ne désignent pas seulement la salle de spectacle en tant que telle, mais aussi les espaces de circulation, les vestiaires, les bars... La contamination peut également venir des instruments de musique.

Cela étant, pour être plus optimiste, je veux aussi rappeler que des mesures de prévention efficaces existent. L'exemple le plus probant en est l'Espagne, qui a laissé au secteur culturel la possibilité de poursuivre ses activités à certaines conditions. Évidemment, ces dernières comprennent l'imposition d'une jauge réduite, du port obligatoire du masque, d'un écart minimal entre les spectateurs, d'une fermeture des vestiaires et des bars et, surtout, d'un investissement important sur la ventilation.

J'insiste sur ce dernier point. Contrairement à l'intuition, il est désirable dans le contexte actuel de s'inspirer le plus possible des modes de ventilation des transports aériens ou ferroviaires, qui pratiquent les protocoles les plus aboutis en matière de régénération de l'air : une régénération totale toutes les 3 à 5 minutes pour le cas de l'avion. En effet, des centaines de millions de passagers ont emprunté ces voies de transport en 2020 et vous n'avez pas plus de 44 cas de contamination recensés dans le monde entier au cours d'un trajet aérien par l'Association internationale du transport aérien (IATA).

C'est évidemment irréalisable dans des locaux dédiés à des activités culturelles, mais au moins pourrait-on tenter de s'en approcher. Nous pourrions favoriser leur équipement en filtres à air à haute efficacité - filtres HEPA (high-efficiency particulate air). Des moyens de purification de l'air et d'augmentation de la ventilation peuvent être travaillés.

Outre ces mesures, des dispositifs de traçage des cas contact peuvent être rendus obligatoires. À Barcelone, une expérimentation menée à partir d'un échantillon de 500 spectateurs, tous tracés et tous testés, a montré l'efficacité de ces initiatives. Les conclusions sont les mêmes en ce qui concerne les représentations données à l'Opéra royal de Madrid, rempli aux deux tiers, à l'issue desquelles, grâce à un traçage précis, des contaminations ont pu être empêchées. Je signale à cet égard que l'épidémie en Espagne régresse résolument, à un rythme bien plus affirmé qu'en France.

Le dépistage des artistes pourrait être également largement proposé. On peut imaginer, à l'instar de ce qui se fait pour les sportifs professionnels, des programmes de tests de grande ampleur. Je ne préconise pas, pour ce cas particulier, les tests PCR qui, s'ils sont trop fréquemment réalisés, peuvent être nuisibles pour les cloisons nasales. Les tests salivaires, à l'instar de ce qui se pratique en Suisse, doivent être privilégiés.

Sous réserve de ces précautions, une réouverture des lieux culturels pourrait être envisagée, à la condition d'un strict respect des gestes barrières sous peine d'expulsion de la salle, d'une distanciation particulière permettant aux familles de rester ensemble et d'une certaine jauge. La durée du spectacle pourrait également être adaptée suivant la qualité de la ventilation : si la régénération de l'air est similaire à celle de l'avion ou du train, on pourra produire un spectacle de 3 heures ; sinon, on privilégiera des spectacles plus courts.

Je terminerai mon propos en évoquant évidemment la vaccination, qui concourra efficacement à la réduction des risques, notamment pour les personnes âgées.

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