Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier Christian Cambon, Président de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées et le Sénat de cette audition. Merci de votre présence aujourd'hui pour cette audition consacrée à la région du Kurdistan irakien.
Le soulèvement du printemps 1991 a permis aux Kurdes d'Irak d'avoir une région autonome grâce à la résolution 688 des Nations Unies, suite à l'initiative de la France. Après la chute de Saddam Hussein en avril 2003, la nouvelle constitution irakienne permit l'établissement de la région fédérale du Kurdistan. Le Kurdistan d'Irak obtint donc à cette période le droit légal de s'auto-administrer. Le pays commence à reconnaître assez timidement l'identité spécifique et l'autonomie du peuple kurde.
Les Kurdes représentent approximativement 20 à 25 % de la population totale du pays c'est-à-dire 5 à 6 millions et demi d'habitants. État fédéral depuis 2005, l'Irak reconnaît officiellement dans sa Constitution la « Région du Kurdistan » en tant que région fédérée et accepte l'existence d'un gouvernement régional autonome pour les Kurdes d'Irak, fonctionnant sous le régime d'une démocratie parlementaire.
La région du Kurdistan irakien comprend différents partis politiques qui reflètent la diversité des peuples qui y vivent : Chaldéens, Assyriens, Turkmènes, Kurdes de confession musulmane, Yézidis et d'autres composantes. Ils tendent à vivre ensemble dans un climat de tolérance et de compréhension mutuelle. Depuis mars 2003, on n'a déploré dans les zones administrées par le Gouvernement régional du Kurdistan aucune victime parmi les soldats de la coalition internationale, ni aucun enlèvement d'étranger.
Depuis mai 2014, Le Kurdistan irakien traverse une grave crise économique, politique et militaire. La baisse des prix mondiaux du pétrole, l'effort de guerre contre Daesh et l'accueil de déplacés et réfugiés, les coupes sur le budget de la région par le gouvernement central irakien, ont provoqué une importante récession de l'économie locale. Afin de faire face à cette crise, le Gouvernement régional a lancé plusieurs chantiers de réformes économiques et de restructuration de son administration dont les effets seront visibles à moyen terme.
En ce qui concerne la crise des réfugiés et des personnes déplacées, on compte aujourd'hui plus de 950 000 réfugiés et déplacés internes dans la région du Kurdistan. Nous avons connu un pic en 2015 de 1,5 million à 1,8 million de déplacés internes et de réfugiés, dont une majorité de Syriens. Environ 130 000 réfugiés kurdes de Turquie et d'Iran sont au Kurdistan d'Irak depuis 1991. La majorité des réfugiés déplacés vivent dans les villes avec une carte de résident et sont répartis, à hauteur de 40 %, dans 36 camps sur le territoire du Kurdistan. Cette crise a coûté environ 900 millions de dollars par an au Gouvernement kurde, qui les finance sur son propre budget, épaulé par les Nations unies et environ 200 ONG, mais sans aucune aide du gouvernement irakien.
Si l'on s'attache à la situation économique, le Gouvernement régional du Kurdistan a investi depuis 2006 un peu plus de 50 milliards de dollars dans différents secteurs. Mais force est de constater que depuis la chute du prix du baril de pétrole, la guerre contre l'État islamique, et l'afflux de réfugiés, la situation est beaucoup plus compliquée. Par ailleurs, la crise du coronavirus a des effets aussi graves que dans les autres pays du monde. La majorité des importations vers le Kurdistan et le reste de l'Irak passe par la Turquie, mais les portes d'entrée depuis l'Iran sont aussi très actives.
Aujourd'hui les premiers investisseurs directs de la région sont les Émirats Arabes Unis avec 3,3 milliards de dollars, suivis de la Turquie avec 1,9 milliard de dollars. Malheureusement, malgré la forte francophilie des autorités et du peuple kurde, les investissements français représentent moins de 3 % du total.
Malgré le contexte global, le tourisme constitue une manne économique importante avec plus de 3 millions de visiteurs en 2019, provenant des autres régions de l'Irak, mais aussi des pays voisins. Une loi d'investissement très favorable a par ailleurs été mise en place depuis 2010.
Si l'on considère la situation politique actuelle de la région du Kurdistan, la majorité de l'opposition irakienne y habitait avant 2003. Dans les deux conférences de l'opposition irakienne de 2002 à Londres et de 2003 à Erbil, tous les partis politiques irakiens étaient d'accord sur un Irak fédéral, pluraliste et démocratique.
La région du Kurdistan a joué un rôle crucial pour mettre en oeuvre la nouvelle administration irakienne et consolider son armée après la chute de Saddam Hussein en 2003. Malheureusement, 17 ans après la création du nouvel Irak, nous constatons que le pays se dirige vers le totalitarisme et le confessionnalisme à dominante chiite.
L'Irak actuel ne respecte plus la constitution irakienne qui a été ratifiée par 80 % de la population en 2005 et a tendance à négliger certaines composantes de la population, dont les Sunnites et les Kurdes, ainsi qu'à concentrer les pouvoirs entre certaines mains.
Nous voyons que depuis 2014 les leaders irakiens essaient sérieusement d'affaiblir la région du Kurdistan économiquement, politiquement et militairement. En février 2014, l'ex-Premier ministre Nouri al-Maliki a coupé le budget du Kurdistan sans raison légale et a écarté les Kurdes de l'administration gouvernementale et militaire irakienne.
Après le référendum de 2017, l'ancien Premier ministre Haïdar al-Abadi a attaqué les Kurdes avec les armes de la coalition internationale. Nous rappelons que ce référendum démocratique n'était que l'illustration de la volonté pacifique du peuple kurde.
Le gouvernement irakien a déployé des efforts pour supprimer les structures du Gouvernement régional du Kurdistan et a dans le même temps modifié ses éléments de langage en évitant le mot « Kurdistan » dans les communiqués officiels, lui préférant le terme de « nord de l'Irak ». Un embargo très dur a été placé sur la région, et les aéroports internationaux ont été fermés pendant plusieurs mois après le référendum de 2017.
La situation actuelle irakienne est très préoccupante et le gouvernement du nouveau Premier ministre, Mustafa al-Kadhimi, que nous soutenons, souhaite rétablir une bonne relation entre les composantes irakiennes. Il se heurte malheureusement à des forces contraires et une grande partie du pouvoir reste entre les mains d'autres leaders politiques irakiens, sous influence étrangère. Aujourd'hui la région du Kurdistan est un centre pour la stabilité de l'ensemble de la région et un refuge pour les autres composantes recherchant la paix et la stabilité.
Les milices qui se sont créés dès 2003, se sont formées en groupes militaires religieux avec l'arrivée de Daesh en 2014. Le leader religieux chiite Ali al-Sistani créa, via une fatwa, les groupes Hashd al-Shaabi pour combattre l'État islamique. Ces groupes ont joué un rôle essentiel dans la guerre contre Daesh.
Nous constatons aujourd'hui que ces groupes sont intégrés à l'armée irakienne, mais ils ne se soumettent pas aux ordres du gouvernement irakien dont ils bénéficient du budget et des équipements. Ces groupes se montrent belliqueux vis-à-vis des autres composantes irakiennes. Les milices Asaib Ahl al-Haq, Nojaba et Hezbollah appellent même à la soumission des Kurdes sous leur autorité. Ces groupent chassent les Kurdes, Yézidis, Chrétiens et d'autres composantes dans les zones contestées et les spolient de leurs biens. Ils exigent que leurs lieux de culte soient construits dans les régions sunnite, yézidi et kurde.
Considérant les relations entre Bagdad et Erbil, la Région du Kurdistan souhaite depuis le début un accord avec Bagdad dans le respect des principes de la constitution irakienne afin de travailler ensemble pour bâtir le nouvel Irak. Les menaces terroristes sont encore présentes. On a dénombré en 2020 près de 950 attaques de Daesh dans les zones contestées, tuant plus de 1 200 civils.
Pour ce faire, plusieurs délégations kurdes se sont rendues à Bagdad afin de trouver un consensus sur plusieurs sujets de désaccord entre les deux gouvernements. Malheureusement, les résultats sont souvent négatifs. Certains responsables à Bagdad préférant gagner du temps, pensant ainsi affaiblir la Région du Kurdistan, surtout au niveau économique. Un accord entre Bagdad et Erbil permettrait un développement primordial pour l'ensemble de l'Irak et deviendrait un facteur essentiel pour la stabilité du pays.
Même si le gouvernement central n'accorde que 5 % du budget au lieu des 17 % prévus par la Constitution, la région du Kurdistan continue d'afficher une stabilité et met en place des réformes pour développer ses secteurs économiques. En comparaison, le reste de l'Irak souffre encore malheureusement de lacunes en matière de développement et de sécurité.
Il y a trois mois, un accord a été signé entre Bagdad et Erbil sous l'égide de la mission d'assistance pour l'Irak (UNAMI) pour résoudre les problèmes dans le district de Sinjar et nous soutenons fortement cet accord. Mais nous constatons que le gouvernement irakien peine à l'appliquer. Les milices des Hashd al-Shaabi et le PKK sont toujours présents, tandis que 80 % de la population de Sinjar sont encore réfugiés dans la région du Kurdistan. Nous appelons tous les acteurs à respecter cet accord afin de permettre un retour des populations dans un climat de sécurité.
Pour ce qui est de la situation politique actuelle, le Gouvernement régional du Kurdistan souhaite que tous les différends avec le gouvernement de Bagdad soient résolus par le biais de la coopération, en accord avec la constitution irakienne. Il est inquiet de voir l'émergence de groupes et de comportements dangereux représentant une véritable menace pour la paix et la sécurité en Irak. Il soutient le gouvernement central de Bagdad ainsi que la commission électorale qui a pour mission d'organiser le scrutin à venir.
Le Gouvernement régional estime que certains pays ne respectent pas le principe de non-ingérence et interfèrent dans les affaires internes de l'Irak. Il s'inquiète des tentatives de sabotage du pouvoir irakien, qui entraînent l'affaiblissement du pays entier et se rendent complices de violations en tous genres. Il souhaite approfondir sa coopération avec les pays de la communauté internationale dans les domaines économique, social, culturel, diplomatique ainsi que dans la lutte contre le terrorisme.
Le Gouvernement régional accorde une grande importance aux relations d'amitié et de fraternité qui le lient aux pays voisins et aux autres pays. Il espère développer davantage ces relations autour d'intérêts communs. Il attend de la communauté internationale qu'elle le soutienne dans son grand projet de loi de réforme visant à moderniser la région du Kurdistan et l'Irak, à enraciner une véritable culture démocratique, ainsi qu'à permettre la liberté des échanges.
Le Gouvernement régional croit profondément à la coexistence pacifique et à la culture de la tolérance. La région du Kurdistan, qui abrite différents groupes ethniques et religieux, compte demeurer un berceau de paix et de stabilité.
Le Gouvernement régional est reconnaissant envers tous les acteurs qui l'ont aidé dans la lutte contre Daesh, et plus spécialement envers la France qui a joué un rôle important dans cette guerre. Il se souvient du geste du Président de la République française, Emmanuel Macron, après le référendum de 2017, alors que la région était soumise à un embargo diplomatique et politique. Il souhaite une union de tous pour battre Daesh, qui représente une menace non seulement pour la région, mais aussi pour le reste du monde.
Le gouvernement régional est confronté, comme beaucoup d'autres, à la crise sanitaire liée à la Covid-19. Les ministres de la santé et de l'intérieur, ainsi que toutes les autorités compétentes mettent tout en oeuvre afin de limiter la propagation du virus. Les résultats sont assez satisfaisants au regard des mesures prises. La population est appelée à continuer à respecter les consignes sanitaires.
La région du Kurdistan est fortement impactée par la situation liée au coronavirus. Les échanges commerciaux s'en trouvent affaiblis, mais le gouvernement tente d'assurer la continuité des services publics et de poursuivre les projets qu'il a entrepris avant le début de cette pandémie. Il fait son possible pour limiter les conséquences néfastes de la pandémie sur les secteurs de l'industrie, de l'agriculture et du tourisme.
Notre gouvernement mène aussi une politique basée sur la négociation et le dialogue en vue de trouver une solution d'ensemble pour les Kurdes qui vivent en Turquie, en Iran et en Syrie.