Nous nous félicitons de l'élection de Joe Biden, qui connaît très bien la région et s'est rendu 13 fois à Bagdad et Erbil. Il entretient de bonnes relations avec les leaders irakiens et les leaders kurdes et est entouré de personnes qui connaissent bien la région. C'est important, car si nous avions aussi de bonnes relations avec la présidence Trump, les membres de l'administration qui travaillaient au Moyen-Orient, et particulièrement en Irak et en Syrie ne connaissaient pas, ou mal, notre région. Les Américains ont commis l'erreur d'envoyer à Badgad après la chute de Saddam Hussein en 2003 un représentant qui, ignorant tout de cette région, a décidé de démanteler brutalement l'armée irakienne, ce qui a conduit à un véritable chaos. Nous espérons qu'avec l'arrivée de Joe Biden une solution d'ensemble pourra être trouvée pour le Moyen-Orient.
La situation du Rojava et des Kurdes de Syrie est spécifique. Elle restera bloquée tant que la communauté internationale échouera, comme c'est le cas depuis deux ans, à trouver une solution d'ensemble pour la Syrie. Le retrait des Américains d'Irak et de Syrie serait une catastrophe pour la région.
S'agissant de la situation entre la Turquie et le PKK, le processus de paix initié en 2015 a échoué. Nous négocions depuis avec la Turquie, qui est membre de l'OTAN et dotée d'une armée très puissante, pour préserver les droits du peuple kurde, comme avec tous les pays dans lesquels ils vivent, dont la Syrie. Le ministre de la défense turc s'est rendu il y a deux semaines à Erbil et à Bagdad pour trouver une solution et appliquer l'accord de Sinjar. Le soutien de la communauté internationale est nécessaire. Je vous rappelle que les Yézidis qui vivent dans la région de Sinjar, une ville située à la frontière de la Syrie, de l'Irak et de la Turquie, ont subi un génocide de la part de l'État islamique en 2014. L'accord de Sinjar est exemplaire pour le règlement de l'ensemble des problèmes qui existent entre Badgad et Erbil sur les zones contestées. Il est donc essentiel pour la stabilité de l'Irak.
Pour ce qui est du budget, il n'y aurait aucune difficulté si l'Irak respectait la constitution, dont les articles 211 et 212 octroient à chaque région le droit d'exporter leur pétrole. Le problème est que le gouvernement de Mustafa al-Kazimi, que nous soutenons, est privé du pouvoir effectif par d'autres leaders irakiens, au point que l'on parle d'un « double gouvernement ». L'un de ces leaders a récemment déclaré que Kurdes et Sunnites devaient désormais obéir aux Chiites... C'est très inquiétant.
On nous accuse de vendre du pétrole via la Turquie sans passer par Bagdad, mais nous y avons été contraints, quatre mois après que l'ancien premier ministre Nouri Al-Maliki eut supprimé le budget du Kurdistan sans aucun prétexte, pour subvenir aux besoins de notre peuple. Nous sommes aujourd'hui favorables à la recherche d'une solution sur les revenus pétroliers avec le gouvernement irakien.
Alors que l'Irak exporte environ 4,5 millions de barils de pétrole, seuls 3,5 millions de barils alimentent le budget irakien, sans que l'on sache à quoi est utilisée la quantité manquante. On accuse les Kurdes de vendre 450 000 barils, alors que les besoins propres du Kurdistan s'élèvent à 250 000 barils, mais nous sommes prêts à restituer la totalité du pétrole si on nous verse les 17 % du budget irakien qu'attribue la constitution au Kurdistan. Sinon comment couvrir les besoins de nos 5,5 millions d'habitants, auxquels s'ajoute 1,5 million de réfugiés, sachant que l'on ne nous verse aucune aide ?
Il est à noter que le gouvernement irakien n'équipe ni ne forme les Peshmergas, alors qu'ils font partie depuis 2005, toujours selon la constitution, de l'armée irakienne. Il n'a rien versé pour eux depuis trois ans, alors que ces combattants ont mené la guerre contre Daesh, au prix de 1 800 martyrs et plus de 10 000 blessés. Les Américains ont un peu financé les Peshmergas, mais pas de façon suffisante, avant de cesser leurs concours. On ne peut qu'espérer que l'arrivée de Joe Biden au pouvoir permettra de relancer le soutien à ces troupes, alors que la menace de Daesh persiste.
Le fait que le Kurdistan soit un lieu de stabilité et de bonne cohabitation des communautés explique le nombre de réfugiés chrétiens qui s'y trouvent, mais aussi le fait que la majorité des familles des dirigeants irakiens ont des maisons et viennent passer leurs vacances à Erbil, qui n'était qu'une petite ville sans infrastructures en 2003, en raison des troubles régnant à Bagdad et Mossoul. On a ainsi dénombré 3 millions de visiteurs en 2020.
Malgré le génocide des Kurdes perpétré par le gouvernement irakien en 1988, qui a fait 200 000 morts et fait disparaître 5 000 villages, nous n'avons jamais exercé de vengeance, malgré le fait que 12 000 soldats irakiens aient été fait prisonniers par les Peshmergas en 1991. Ils sont rentrés chez eux sains et saufs.
Heureusement, il n'a pas de guerre entre Kurdes et Arabes. Et nous avons la même volonté de paix avec les Turques et les Iraniens. Encore faut-il que la communauté internationale empêche nos voisins de s'immiscer dans nos affaires intérieures. Nous ne pouvons accepter que l'Iran utilise notre territoire pour attaquer la Turquie, obligeant l'évacuation de 400 villages à cause des bombardements. À cet égard, le processus de 2015 était la meilleure solution pour que le PKK et les autres acteurs reprennent le dialogue avec Ankara. À nos yeux, 2 ans de négociation c'est toujours mieux que 2 jours de guerre.
Force est de constater que 100 ans après sa signature, le traité de Sèvres n'a toujours pas tenu sa promesse de donner un pays aux Kurdes. Après un siècle de lutte, ceux-ci ne renonceront pas et il faut trouver une solution qui donne des droits aux Kurdes en Iran, en Turquie et en Syrie. Si la communauté internationale se retirait de Syrie et d'Irak, comme la crise de la Covid-19 l'y encourage, cela ouvrirait la voie à Daesh, qui dispose encore de milliers de combattants dans la zone, dont certains se forment aux attentats.
N'oublions pas qu'avec les attentats de 2015, les Français et les Kurdes ont été les principales victimes de l'État islamique. Et nous n'oublions pas les deux visites historiques de François Hollande, alors Président de la République française, au Kurdistan d'Irak qui ont beaucoup compté pour nous sur le plan moral. Depuis 2015, votre soutien politique est encore plus important que votre soutien militaire, car la guerre est d'abord idéologique dans notre région. C'est pourquoi je vous remercie pour tous les gestes d'amitié du gouvernement et du peuple français à l'égard du peuple kurde. En invitant une délégation du gouvernement kurde à Paris en 2017, la France a offert à notre gouvernement une reconnaissance sur la scène internationale et ouvert ainsi certaines portes.
Une loi de l'Assemblée nationale du Kurdistan garantit le droit de manifester, pourvu que ce soit sans violence. Or nous avons constaté depuis quelque temps que des manifestations étaient perturbées par de pseudo-journalistes qui travaillent pour les services secrets d'autres pays. Ceux-ci ont été emprisonnés, après avoir été jugé dans les règles par un tribunal. Ils ont des avocats, ainsi qu'un droit de visite, comme peuvent le constater les Nations-unies et des associations de défense de la liberté de la presse et des droits de l'Homme. Encore une fois le Kurdistan est un havre de paix. Je vous invite à venir sur place pour le vérifier.
En réponse à Jacques Le Nay, je dirai que l'épidémie de la Covid-19 a évidemment un impact très négatif sur l'économie du Kurdistan, tout comme en France. La politique de relance initiée par notre gouvernement nécessitera de longs mois pour produire ses effets. Compte tenu des nombreuses frontières que l'Irak possède avec la Turquie, la Syrie et l'Iran, nous ne pourrons faire face efficacement à la crise sanitaire sans un minimum de coordination avec nos voisins.