L'échange est très important s'agissant d'un projet de loi qui vise à conforter le respect des principes de la République et, ce faisant, notre école, enjeu essentiel de ce texte - dans notre pays, l'école c'est la République et la République c'est l'école.
Jules Ferry, dans sa célèbre conférence de 1870, disait : « Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle. » La centralité de l'école dans la République est ainsi résumée, et le sujet de la laïcité est aussi celui de l'égalité des citoyens devant la loi et de la neutralité du service public.
Les articles dont nous allons parler portent sur la défense à la fois de la République et des droits de l'enfant ; les deux vont ensemble. Dans ce contexte, dire « défense de la République » - ces mots sont assez abstraits à certaines oreilles -, c'est dire, tout simplement, « défense des intérêts supérieurs de l'enfant ». Personne n'a de droit absolu sur les enfants, et c'est l'honneur de la République que de se montrer bienveillante avec chaque enfant de France dans toutes les situations. C'est vrai, évidemment, pour le droit à l'éducation, qui est d'ailleurs consacré par des textes internationaux.
Il y a en France quatre façons de réaliser le droit à l'éducation de l'enfant : école publique, école privée sous contrat, école privée hors contrat, instruction en famille. Ces quatre modalités sont protégées.
Pour ce qui est de l'école publique, nous y avons beaucoup travaillé depuis le début du quinquennat. On m'a demandé pourquoi ce projet de loi ne parlait pas davantage de l'école publique. Mais nous n'avons fait que ça depuis trois ans : agir sur le terrain de l'école publique. Sur ce chapitre, le présent texte n'a donc vocation qu'à compléter ce qui a déjà été fait, les choses les plus fondamentales ayant déjà été réalisées.
La création du Conseil des sages de la laïcité nous a ainsi donné un corpus de normes qui permet aux professeurs de disposer d'un point de repère chaque fois qu'une question se pose dans la vie quotidienne. Je viens de charger l'inspecteur général honoraire Jean-Pierre Obin d'une mission sur la formation des professeurs à la laïcité à l'école. Ce rôle normatif et matriciel du Conseil des sages de la laïcité a produit de premiers fruits, qui sont ceux de la clarté. Nous avons en outre créé une équipe « valeurs de la République » dans chacun des trente rectorats de France.
Je m'inscris donc en faux contre tous ceux qui pensent encore que l'esprit de l'éducation nationale serait le fameux « pas de vagues ». C'est un cliché qui n'est ni vrai aujourd'hui ni ne doit l'être demain. C'est l'inverse du « pas de vagues » qui régit notre action : un système de signalement et d'alerte disponible pour tout personnel de l'éducation nationale. Tout personnel estimant que quelque chose ne va pas du point de vue de la laïcité dans son établissement dispose de l'appui de l'institution. Il ne s'agit pas de sujets abstraits ; l'assassinat de Samuel Paty nous l'a malheureusement rappelé.
Pour conforter les principes de la République, nous avons mis en oeuvre un ensemble de mesures qui ont trait aussi à l'école privée hors contrat, au travers de la loi Gatel. Cette loi nous permet d'être beaucoup plus efficaces désormais pour empêcher des ouvertures d'écoles hors contrat.
En revanche, le système prévu pour la fermeture de telles écoles a continué à montrer des limites : beaucoup trop complexe, il favorise les chicaneries - je pense à un exemple dans la région de Grenoble, un appel suspensif permettant à l'école concernée, reconnue comme posant problème, de continuer à rester ouverte. Le projet de loi qui vous est présenté renforce donc, pour l'autorité, la faculté de fermer les établissements de ce genre.
Quatrième modalité d'enseignement : l'instruction en famille. C'est le sujet qui a fait couler le plus d'encre. Notre but a été de combler un vide juridique, sachant que depuis les années 1880 très peu de choses ont été précisées en la matière, laissant prospérer une certaine anarchie. De même qu'il était plus facile en France, au début du quinquennat et depuis fort longtemps, d'ouvrir une école que d'ouvrir un bar, de même l'instruction en famille était régie par un dispositif extrêmement simple permettant les abus, qui se sont développés ces dernières années.
Vous avez pu mieux cerner ce phénomène en auditionnant la rectrice de l'académie de Versailles ou Mme Schnapper ; mais il est vrai que - cela fait partie du problème - nous le cernons mal : certains enfants sont sous le radar, mal identifiés. On ne saurait supporter que des écoles clandestines ouvrent en France, sachant en outre que plus de la moitié des enfants que nous avons découvert dans les structures clandestines que nous avons pu démanteler ces derniers temps étaient officiellement inscrits à l'instruction en famille.
Tout cela ne signifie pas que nous voulons en finir avec l'instruction en famille. Nous avons été très à l'écoute du Conseil d'État et des associations concernées. Je n'ignore pas l'émotion que le texte a suscitée chez certains ; nous l'avons donc fait évoluer afin que les exceptions envisagées permettent de maintenir l'instruction en famille dans l'ensemble des cas qui ne posent pas de problème particulier. Mais nous devons non seulement garantir à l'enfant une pédagogie de qualité, mais aussi le protéger contre toute forme d'emprise qui obèrerait ses droits - c'est encore plus vrai, peut-être, pour les petites filles que pour les petits garçons.
La disposition de l'article 21 nous permet d'agir contre toutes les formes de scolarisation clandestine et, de façon plus générale, contre les abus de l'instruction en famille. Il s'agit d'agir, autrement dit, contre un abus de droit, ce qui est plus que classique dans le domaine juridique, l'abus de droit étant le risque qui accompagne chaque liberté. Préciser une liberté n'est pas l'affaiblir, mais la conforter, en la définissant davantage. En l'espèce, cette définition manquait. Je considère donc que ce qui vous est présenté conforte les droits de l'enfant autant que les principes de la République. Il n'y a là aucune atteinte à la liberté de l'enseignement, bien au contraire : comme toutes les libertés, y compris les plus précieuses, celle-ci nécessite un cadre.