Dans le cadre de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, nous avons le plaisir d'auditionner ce matin M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Monsieur le ministre, il s'agit, comme vous pouvez l'imaginer, d'une audition très attendue par les membres de la commission, et je tiens dès à présent à vous remercier pour votre disponibilité et pour le temps que vous pourrez consacrer à nos échanges.
Comme vous le savez sans doute, notre commission est chargée de l'examen au fond de l'ensemble des dispositions du texte relatives à l'éducation et aux sports. Il s'agit plus précisément des articles 1er bis, 4 bis, 19 ter et 21 à 25 bis.
L'article 21, modifiant profondément le régime de l'instruction en famille, polarise tous les regards. Je note d'ailleurs que la commission spéciale de l'Assemblée nationale y a consacré une journée entière de débats...
Nous sommes ainsi nombreux à avoir été interpellés par des familles de nos départements qui, recourant à cette modalité d'enseignement, s'inquiètent de cette évolution législative ; celle-ci leur apparaît disproportionnée au regard de l'objectif à atteindre, à savoir la lutte contre le radicalisme islamiste. Nous souhaiterions donc, monsieur le ministre, que vous nous exposiez en détail le lien qu'établit le Gouvernement entre l'instruction en famille, l'affaiblissement des principes de la République, l'islamisme et les écoles de fait.
Mais l'intérêt de ce projet de loi ne se résume pas, loin s'en faut, à la seule problématique de l'instruction en famille. L'article 22, qui prévoit la fermeture administrative des écoles hors contrat ne respectant pas la loi et le durcissement des peines encourues par leurs directeurs, nous interpelle également. Vous le savez, les régimes d'ouverture - et de fermeture - de celles-ci sont des sujets particulièrement sensibles au Sénat. Nous avions pris l'initiative, par l'intermédiaire de Françoise Gatel, d'un texte qui fait désormais référence en matière de dispositifs de contrôle de ces établissements.
Le sujet est délicat ; depuis 1999, le Conseil constitutionnel estime en effet que l'enseignement privé est une composante du principe constitutionnel de liberté de l'enseignement. L'article 22 touche ainsi une liberté fondamentale.
Des questions seront sans doute posées, par ailleurs, sur l'article 25 et la situation des activités sportives. Nous avons auditionné, il y a quelques semaines, Dominique Schnapper, présidente du Conseil des sages de la laïcité, qui nous a indiqué que ce dernier travaillait à un vade-mecum sur la laïcité dans le domaine du sport. Cette initiative est bienvenue tant le monde sportif semble avoir pris du retard sur ces thématiques. Peut-être nous donnerez-vous quelques éléments complémentaires à ce sujet dans votre propos liminaire.
L'échange est très important s'agissant d'un projet de loi qui vise à conforter le respect des principes de la République et, ce faisant, notre école, enjeu essentiel de ce texte - dans notre pays, l'école c'est la République et la République c'est l'école.
Jules Ferry, dans sa célèbre conférence de 1870, disait : « Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle. » La centralité de l'école dans la République est ainsi résumée, et le sujet de la laïcité est aussi celui de l'égalité des citoyens devant la loi et de la neutralité du service public.
Les articles dont nous allons parler portent sur la défense à la fois de la République et des droits de l'enfant ; les deux vont ensemble. Dans ce contexte, dire « défense de la République » - ces mots sont assez abstraits à certaines oreilles -, c'est dire, tout simplement, « défense des intérêts supérieurs de l'enfant ». Personne n'a de droit absolu sur les enfants, et c'est l'honneur de la République que de se montrer bienveillante avec chaque enfant de France dans toutes les situations. C'est vrai, évidemment, pour le droit à l'éducation, qui est d'ailleurs consacré par des textes internationaux.
Il y a en France quatre façons de réaliser le droit à l'éducation de l'enfant : école publique, école privée sous contrat, école privée hors contrat, instruction en famille. Ces quatre modalités sont protégées.
Pour ce qui est de l'école publique, nous y avons beaucoup travaillé depuis le début du quinquennat. On m'a demandé pourquoi ce projet de loi ne parlait pas davantage de l'école publique. Mais nous n'avons fait que ça depuis trois ans : agir sur le terrain de l'école publique. Sur ce chapitre, le présent texte n'a donc vocation qu'à compléter ce qui a déjà été fait, les choses les plus fondamentales ayant déjà été réalisées.
La création du Conseil des sages de la laïcité nous a ainsi donné un corpus de normes qui permet aux professeurs de disposer d'un point de repère chaque fois qu'une question se pose dans la vie quotidienne. Je viens de charger l'inspecteur général honoraire Jean-Pierre Obin d'une mission sur la formation des professeurs à la laïcité à l'école. Ce rôle normatif et matriciel du Conseil des sages de la laïcité a produit de premiers fruits, qui sont ceux de la clarté. Nous avons en outre créé une équipe « valeurs de la République » dans chacun des trente rectorats de France.
Je m'inscris donc en faux contre tous ceux qui pensent encore que l'esprit de l'éducation nationale serait le fameux « pas de vagues ». C'est un cliché qui n'est ni vrai aujourd'hui ni ne doit l'être demain. C'est l'inverse du « pas de vagues » qui régit notre action : un système de signalement et d'alerte disponible pour tout personnel de l'éducation nationale. Tout personnel estimant que quelque chose ne va pas du point de vue de la laïcité dans son établissement dispose de l'appui de l'institution. Il ne s'agit pas de sujets abstraits ; l'assassinat de Samuel Paty nous l'a malheureusement rappelé.
Pour conforter les principes de la République, nous avons mis en oeuvre un ensemble de mesures qui ont trait aussi à l'école privée hors contrat, au travers de la loi Gatel. Cette loi nous permet d'être beaucoup plus efficaces désormais pour empêcher des ouvertures d'écoles hors contrat.
En revanche, le système prévu pour la fermeture de telles écoles a continué à montrer des limites : beaucoup trop complexe, il favorise les chicaneries - je pense à un exemple dans la région de Grenoble, un appel suspensif permettant à l'école concernée, reconnue comme posant problème, de continuer à rester ouverte. Le projet de loi qui vous est présenté renforce donc, pour l'autorité, la faculté de fermer les établissements de ce genre.
Quatrième modalité d'enseignement : l'instruction en famille. C'est le sujet qui a fait couler le plus d'encre. Notre but a été de combler un vide juridique, sachant que depuis les années 1880 très peu de choses ont été précisées en la matière, laissant prospérer une certaine anarchie. De même qu'il était plus facile en France, au début du quinquennat et depuis fort longtemps, d'ouvrir une école que d'ouvrir un bar, de même l'instruction en famille était régie par un dispositif extrêmement simple permettant les abus, qui se sont développés ces dernières années.
Vous avez pu mieux cerner ce phénomène en auditionnant la rectrice de l'académie de Versailles ou Mme Schnapper ; mais il est vrai que - cela fait partie du problème - nous le cernons mal : certains enfants sont sous le radar, mal identifiés. On ne saurait supporter que des écoles clandestines ouvrent en France, sachant en outre que plus de la moitié des enfants que nous avons découvert dans les structures clandestines que nous avons pu démanteler ces derniers temps étaient officiellement inscrits à l'instruction en famille.
Tout cela ne signifie pas que nous voulons en finir avec l'instruction en famille. Nous avons été très à l'écoute du Conseil d'État et des associations concernées. Je n'ignore pas l'émotion que le texte a suscitée chez certains ; nous l'avons donc fait évoluer afin que les exceptions envisagées permettent de maintenir l'instruction en famille dans l'ensemble des cas qui ne posent pas de problème particulier. Mais nous devons non seulement garantir à l'enfant une pédagogie de qualité, mais aussi le protéger contre toute forme d'emprise qui obèrerait ses droits - c'est encore plus vrai, peut-être, pour les petites filles que pour les petits garçons.
La disposition de l'article 21 nous permet d'agir contre toutes les formes de scolarisation clandestine et, de façon plus générale, contre les abus de l'instruction en famille. Il s'agit d'agir, autrement dit, contre un abus de droit, ce qui est plus que classique dans le domaine juridique, l'abus de droit étant le risque qui accompagne chaque liberté. Préciser une liberté n'est pas l'affaiblir, mais la conforter, en la définissant davantage. En l'espèce, cette définition manquait. Je considère donc que ce qui vous est présenté conforte les droits de l'enfant autant que les principes de la République. Il n'y a là aucune atteinte à la liberté de l'enseignement, bien au contraire : comme toutes les libertés, y compris les plus précieuses, celle-ci nécessite un cadre.
L'exposition médiatique du sujet de l'instruction en famille (IEF) est inversement proportionnelle à l'ampleur du phénomène. Je ne partage pas votre analyse, en revanche, sur l'absence de volonté d'interdire l'instruction en famille de la part du Gouvernement : telle était bien l'intention initiale du Président de la République. Nous sommes revenus, avec ce texte, à un régime d'autorisation, un risque constitutionnel pesant sur une interdiction pure et simple.
À la rentrée 2020, un peu plus de 62 000 enfants étaient instruits en famille ; 17 000 d'entre eux bénéficient d'une instruction en famille au Centre national d'enseignement à distance (CNED) en classe à inscription réglementée, c'est-à-dire pour des motifs médicaux ou de pratique sportive ou artistique de haut niveau. Ces 17 000 élèves pourront continuer à bénéficier de cette instruction en famille de manière quasi automatique en tant qu'ils relèvent des critères 1, 2 et 3 de l'actuel article 21 du projet de loi.
Il y a donc 45 000 élèves pour lesquels l'IEF relève d'un « choix libre » des parents - choix pédagogique, choix de conviction, choix de vie. Le texte a beaucoup évolué depuis son examen par le Conseil d'État : le quatrième critère a été élargi. Votre ministère dispose-t-il d'une estimation du nombre d'enfants, parmi ces 45 000 élèves, qui répondent sans problème au quatrième critère et seront donc éligibles à l'instruction en famille ? D'après l'étude d'impact, 29 000 enfants devraient être rescolarisés. Beaucoup de familles craignent une forte restriction de leur liberté de choix.
Deuxième sujet : les articles 25 et 25 bis relatifs au sport. Les acteurs du monde sportif que nous avons auditionnés nous ont fait part de leurs inquiétudes concernant le contrat d'engagement républicain, en raison de l'absence d'information précise quant à son contenu. Rendre obligatoire la signature d'un document dont on ne sait ce qu'il contiendra, sinon qu'il emportera des conséquences juridiques, n'est pas sans poser question. Les acteurs du monde sportif seront-ils associés à l'élaboration de ce contrat ?
Troisième question : peut-on imaginer un système de médecins agréés pour lutter contre les certificats de complaisance de dispense d'éducation physique et sportive, forme de séparatisme avérée, émis pour des motifs fallacieux ? Vous avez confié une mission sur l'allergie au chlore au Conseil des sages de la laïcité. Pouvez-vous nous préciser à quelle échéance ses conclusions seront-elles remises ?
Vous me demandez quelles seront les conséquences de l'établissement d'une telle liste de critères pour l'instruction en famille. Il est évident que cela ne dépendra pas seulement de la loi qui résultera de vos travaux, mais aussi de ce que nous ferons d'un point de vue pratique, sur les plans réglementaire et organisationnel notamment.
J'ai déjà pris un engagement : celui d'étoffer les équipes des rectorats. J'ai mentionné tout à l'heure les équipes « valeurs de la République », qui sont là notamment pour répondre aux problèmes de violation de la laïcité dans l'école publique. De nouvelles équipes vont se structurer pour accompagner l'instruction en famille. Dès lors qu'on passe d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, il faudra examiner les dossiers et effectuer un travail de terrain. Les mesures entreront en vigueur en 2022 ; l'année 2021-2022 sera une année transitoire qui permettra de développer le contrôle.
Notre approche est donc très ouverte : il s'agit, d'une part, de professionnaliser la question pour combler le vide juridique et administratif qui prévalait jusqu'à présent et, d'autre part, de poser un diagnostic très précis sur l'ampleur qualitative du phénomène et la nature des cas problématiques, ce que nous peinons à faire pour l'instant - mais nous savons que problème il y a. Le député de l'Essonne Francis Chouat le disait à l'Assemblée nationale : « comme par hasard », l'instruction en famille se développe tout particulièrement dans des communes où l'on repère des phénomènes de radicalisation. Le préfet de l'Essonne me disait lui aussi que l'instruction en famille se développe en particulier dans les milieux radicalisés. Mais il est impossible d'en dire davantage. Tel est d'ailleurs le sens de ce que nous faisons : gagner en précision et en professionnalisation sur ces enjeux.
Plusieurs milliers d'enfants seront « sauvés » par ce nouveau cadre. Le dispositif est conçu pour lutter contre le terrorisme islamiste, mais aussi contre les dérives sectaires et contre d'autres abus qui malmènent les droits des enfants. On brandit le faible nombre d'enfants concernés ; je ne pense pas, quant à moi, que ce nombre soit si faible et, de toute façon, chaque enfant compte ! Nous allons renforcer notre capacité à protéger les droits de l'enfant dans un cadre démocratique et républicain. Une famille qui respecte parfaitement la loi et le bien-être de l'enfant n'a pas lieu de s'inquiéter ; je lance donc un appel à la sérénité : les bonnes pratiques seront confortées.
Pour ce qui est du domaine sportif, la logique du contrat d'engagement républicain consiste à responsabiliser les acteurs, et notamment les fédérations. Nous avons beaucoup consulté le mouvement sportif - je pense au Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et au Comité paralympique et sportif français (CPSF) - et nous nous sommes engagés à écrire le contrat en étroite liaison avec lui. Les thèmes auxquels nous tenons sont les suivants : valeurs de la République, égalité entre les hommes et les femmes, lutte contre la radicalisation, dans une logique de responsabilisation de la chaîne des acteurs de terrain, fédérations et clubs.
Les valeurs du sport rejoignent les valeurs de la République : esprit d'équipe, engagement, respect d'autrui. C'est ce qui se joue via le contrat d'engagement républicain : la fidélité du sport à lui-même et aux valeurs qu'il affiche depuis toujours. Voyez la charte olympique : la laïcité, quel que soit le nom qu'on lui donne, n'est pas une lubie franco-française désuète, mais un concept très moderne et adapté aux enjeux de notre époque. Il est naturel que le sport ne soit pas envahi par des éléments qui enfreignent la neutralité politique et religieuse.
Concernant les certificats médicaux de complaisance, nous avons missionné des inspecteurs généraux pour rendre compte du phénomène de l'allergie au chlore notamment. Nous savons que le problème existe ; le sénateur Grosperrin m'a déjà alerté sur cette question. Le diagnostic reste à parfaire, mais une enquête a été lancée par la direction générale de l'enseignement scolaire pour compléter les remontées empiriques du terrain.
L'enjeu de l'accès aux piscines est un enjeu d'égalité hommes-femmes et de sécurité - vous savez combien la ministre déléguée Roxana Maracineanu est attachée au « savoir nager ». Si l'on défend l'égalité hommes-femmes, on ne peut que défendre la laïcité. Nous attendons les résultats de cette mission d'ici à l'été ; nous pourrons ainsi en déduire des éléments opérationnels pour la rentrée prochaine.
Monsieur le ministre, je suis profondément attachée à la fois à la liberté d'enseignement et, comme nous tous, à la protection des enfants. C'est à travers ce prisme que j'ai étudié le texte qui nous est proposé.
La loi Gatel, dont je fus rapporteure, a montré son efficacité. On constate des problèmes lorsqu'il s'agit de fermer rapidement une école ; la fermeture administrative reste la seule solution pour protéger les enfants. L'application de cette loi montre la difficulté du contrôle : les inspecteurs ne sont pas toujours formés aux méthodes pédagogiques alternatives, et ce déficit de connaissance fait que ces contrôles sont parfois à charge. Le diagnostic posé sur l'instruction en famille ou les écoles privées hors contrat peut s'en trouver faussé.
Les collectivités locales ont un rôle à jouer dans le contrôle de l'instruction en famille ; or j'ai pu constater que les élus connaissaient très mal la nature de ce rôle : ils se sentent démunis. Ne faut-il pas revoir ce rôle ?
Le 25 février dernier, le ministère de l'éducation nationale a annoncé que les élèves inscrits au CNED et les élèves des lycées hors contrat devraient tous passer leurs épreuves de spécialité sur table en juin 2021. Nous avons été assaillis de messages après l'annonce de ces nouvelles modalités. Lors du bac 2020, tous les élèves étaient logés à la même enseigne ; cela ne va pas être le cas cette année. Cette mesure est vécue comme une profonde injustice.
Je vois une forme de contradiction entre vos propos actuels et ceux que vous teniez au cours de nos débats autour de la loi Gatel. Vous dites que cette loi vous a permis de fermer certains établissements ; je dis que vous auriez pu ne pas les autoriser à ouvrir si vous aviez accepté certains de nos amendements à l'époque.
Ce que vous proposez de faire sur l'instruction en famille - mon groupe politique vous soutiendra pour substituer l'autorisation à la déclaration - pourrait être fait de la même manière pour les établissements scolaires hors contrat. Pourquoi faire un sort particulier à l'IEF ? L'école, pour nous, c'est d'abord l'école républicaine, l'école publique et l'école privée sous contrat. Avec l'instruction en famille, on n'est plus dans ce cadre. On sait bien quelles raisons dérogatoires, certes justifiées, peuvent motiver le choix de cette forme de scolarisation, mais beaucoup de choses échappent à la fois au contrôle et à la raison ; or personne n'a de droit absolu sur ses propres enfants. Tout enfant a le droit de vivre avec ses pairs dans un environnement socialement mixte.
Les régimes du CNED réglementé et du CNED libre sont soumis à des modalités particulières en matière de baccalauréat ; or il semble que des problèmes se posent pour la session 2021.
Quant à la charte d'engagement républicain, elle suscite des inquiétudes dans de nombreuses associations qui, d'ailleurs, touchent des subventions de montants très divers. Une « charte des engagements réciproques » existe depuis 2001. Je pense que l'on pourrait s'en tenir à cette charte tout en étant plus sévères envers ceux qui ne la respecteraient pas.
J'ai apprécié ce que vous avez dit sur les droits de l'enfant. L'école fonde l'éducation publique non plus sur le séparatisme confessionnel, mais sur la fraternité nationale. Toute foi est respectable ; c'est la haine qui est mauvaise - relisons Émile Littré par exemple. Notre défi, aujourd'hui, est de réduire par tous les moyens le séparatisme confessionnel musulman. Le mot « séparatisme » ne me gêne pas : ce n'est pas stigmatiser que de dire les choses et d'aider les jeunes à se construire. Le mot « Nation » non plus n'est pas un gros mot, et l'école doit transmettre cet héritage.
Un mot sur le rôle des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) : on a expliqué pendant longtemps aux enseignants, qui l'ont répété aux élèves, que l'histoire française était coloniale, que la langue française était sexiste, qu'il fallait déconstruire la culture, que celle-ci était contre-nature et porteuse de stéréotypes. Il y a un vrai problème, en France, au niveau de la formation, c'est-à-dire de la transmission du savoir.
Concernant l'IEF, je crains que ceux qui n'auront plus la possibilité d'y recourir créent des écoles privées, sous contrat ou hors contrat. J'avais visité, avec Françoise Laborde, un lycée portant le nom d'Averroès. Entrés par la porte de sortie, nous nous étions rendu compte que les garçons étaient en réalité séparés des filles en cours d'éducation physique, ce qui contredisait les propos lénifiants du directeur. Interrogés sur ce qu'ils pensaient de la Shoah, les enfants ne trouvaient à répondre que : « c'est au programme, monsieur. » Autrement dit, des écoles sous contrat sont capables de maquiller ce qu'elles font. Mais je sais que vous n'êtes pas dans le déni, monsieur le ministre.
Ne pourrait-on pas imaginer, enfin, des équipes départementales mobiles en liaison avec le second degré, construites autour d'un binôme fort composé d'un inspecteur de l'éducation nationale (IEN) et d'un inspecteur pédagogique régional (IPR), afin de mieux contrôler ce qui se passe dans les familles ?
Nous vous rejoignons sur la centralité de l'école dans la République. Mais nous avons un peu plus de mal à vous suivre sachant que, dans certains quartiers populaires de Seine-Saint-Denis, un élève perd, sur l'ensemble de sa scolarité, une année complète à cause du manque de moyens et de l'absentéisme.
Ce texte, globalement, frappe fort et plus largement que sa cible initiale. Les débats autour de l'instruction en famille l'ont fait évoluer, mais il frappe une liberté que vous avez qualifiée de « vide juridique ». Nous avons bien compris qu'il n'existait pas d'étude d'impact sur la déscolarisation pour radicalisation religieuse. Vous avez construit cet article sans disposer de données chiffrées. Dominique Schnapper a balayé l'intérêt de telles données : comme vous, elle nous a expliqué qu'une exception justifiait de produire un texte aussi large.
Vous allez renforcer les contrôles de l'instruction en famille ; quels moyens comptez-vous y consacrer ? Je m'interroge sur la proportionnalité de cet encadrement très strict de l'IEF compte tenu du caractère très vague de votre estimation du nombre d'enfants concernés par la radicalisation.
J'entends ce que vous dites sur la difficulté de faire un diagnostic chiffré précis concernant l'instruction en famille. Dans mon département, on constate une progression qui pourrait être en partie corrélée à l'instruction obligatoire à trois ans. Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs, quelles sont les capacités réelles de contrôle ?
Si ces 62 000 enfants allaient à l'école, où iraient-ils ? À l'école publique ou à l'école privée, hors contrat ou sous contrat ?
Sur les certificats médicaux de complaisance, j'irai plus loin que ce que suggérait le rapporteur Piednoir : ne pourrait-on pas faire en sorte que ce soient les médecins scolaires qui délivrent les certificats de dispense ? Cela voudrait dire considérablement augmenter les moyens de la médecine scolaire.
Pour ce qui est du contrat d'engagement républicain, je me contente de pointer le caractère particulier du moment dans lequel nous sommes : le mouvement sportif est en sale état compte tenu de l'épidémie.
Nous avons auditionné, hier, Jean-Pierre Obin, que vous avez missionné. Dans ce texte, nous a-t-il dit - cela me parle -, il manque un volet « mixité sociale », pourtant absolument essentiel pour lutter contre les séparatismes de tous ordres. Des réflexions sont-elles engagées sur ce problème de fond ? À défaut, nous n'aurons même pas fait la moitié du chemin.
Par-delà les manques éventuels, je voudrais saluer un texte qui trouve un point d'équilibre entre la préservation des libertés et la lutte contre les séparatismes. Y sont traités beaucoup de problèmes majeurs qui restaient jusqu'alors pendants.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que ce projet de loi était un texte pour et non un texte contre : pour la République, pour l'école, pour le droit de chaque enfant à l'instruction. Il est bon de le souligner.
Nous sommes nous aussi sollicités par les associations qui défendent l'instruction en famille ; elles évoquent un régime d'interdiction assorti d'exceptions plutôt qu'un régime d'autorisation. Personne aujourd'hui ne peut ne pas souhaiter un contrôle plus strict de l'enseignement à domicile ; or cela passe par les mesures qui figurent dans ce texte.
Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que l'on n'ait pas réussi à lutter contre le détournement de la possibilité d'une instruction en famille ? Par le laxisme ? Par le déni ? Qu'en est-il des contrôles aujourd'hui effectués ?
Pour ce qui est du mouvement sportif et du contrat d'engagement républicain, on voit bien qu'il existe des dérives ; cette exigence me paraît donc positive.
Quelques mots sur les certificats médicaux de complaisance : en tant que médecin du sport, je voudrais rappeler que ces certificats répondent parfois à une véritable souffrance des adolescents concernés. Il ne faut donc pas trop fantasmer à leur propos. D'ailleurs, en vertu du secret médical, les raisons de la dispense ne sont pas révélées, et le médecin scolaire n'est consulté que si elle dure plus de trois mois.
Une grande partie des problèmes de santé sont aussi des problèmes sociaux ; on aurait donc tout à gagner à fusionner les moyens de la protection maternelle et infantile (PMI) et de la médecine scolaire.
Par ailleurs, les enseignants peuvent demander aux élèves dispensés d'assister au cours plutôt que d'aller en étude. Je crois à la vertu de l'exemple ; les enseignants doivent accueillir ces élèves.
Je partage ce qui a été dit par François Patriat. D'une manière générale, comme sénateur radical, c'est-à-dire radicalement républicain, j'attends de l'école de la République qu'elle soit une école exemplaire et une école d'excellence, qu'elle donne envie à chaque famille d'y mettre ses enfants. Si tel était le cas, beaucoup de problèmes seraient réglés. Il faut donc en priorité donner des moyens à l'éducation nationale. L'instruction en famille n'existerait pas si tout le monde était convaincu de la qualité de l'instruction publique.
Le niveau de recrutement est en cause également : je suis stupéfait d'entendre des principaux de collèges consternés par les courriers qu'ils reçoivent de la part d'enseignants de primaire. Veut-on vraiment redonner des moyens à l'éducation nationale ? Il faudrait passer à la vitesse supérieure.
Nous avons auditionné hier matin M. Jean-Pierre Obin. Il a décrit devant nous une menace réelle : celle d'une idéologie totalitaire qui a profondément pénétré l'école - disant cela, je n'accuse personne, surtout pas vous, monsieur le ministre. Un cancer s'est introduit au coeur même de l'école publique. C'est le résultat de toutes petites lâchetés cumulées dont chacune est inoffensive, mais aussi d'une forme de connivence de la part de certaines élites intellectuelles, y compris dans les lieux où l'on forme les professeurs de demain, où règnent parfois le relativisme et la déconstruction du concept même de laïcité.
Les éléments qui concernent l'instruction à domicile et l'école privée hors contrat sont immédiatement visibles dans ce texte. Mais en quoi ce projet de loi permet-il de lutter contre l'islamisme au coeur même de l'école publique où, vu le nombre d'élèves, le mal est beaucoup plus profond que partout ailleurs ?
Je n'aurai pas la cruauté de rappeler, monsieur le ministre, qu'en juin vous indiquiez au Sénat disposer de tous les outils nécessaires pour lutter contre les dérives éventuelles de l'instruction en famille. Je m'en tiendrai aux principes : préciser une liberté par la définition des modalités de son exercice est un fondement de l'État de droit - il n'y a pas de liberté sans cadre. En revanche, pensez-vous qu'une liberté fondamentale s'exerce en démocratie sous régime d'autorisation ? Ne pensez-vous pas qu'il serait plus conforme à nos principes républicains de renforcer les contrôles plutôt que de rompre avec nos valeurs fondamentales ?
Vous corrélez renforcement de l'IEF et radicalisme islamiste ; mais cette modalité d'instruction se développe aussi dans bien d'autres territoires, y compris ruraux, pour bien d'autres raisons, cette fois légitimes, qui ne sauraient être ignorées et méritent tout autant d'attention, puisque chaque enfant compte.
Avec sérénité, donc, je vous demande s'il ne serait pas de meilleure politique d'opter pour un renforcement de la réactivité et de l'efficience des contrôles plutôt que de jeter la suspicion sur tous.
Je regrette moi aussi que, malgré l'absence de chiffres, on décide de « classer » ces familles qui préfèrent instruire leurs enfants à domicile.
Mon collègue député de l'Essonne Francis Chouat dit que c'est dans les quartiers difficiles que ce phénomène est le plus prégnant. Les centaines de témoignages que j'ai reçus disent exactement l'inverse : choix de vivre en milieu rural, problèmes de transports, mais également, sur le plateau de Saclay, volonté de la part de familles CSP+ de donner à leurs enfants une instruction personnalisée introuvable dans le public. Ces familles sont par ailleurs très bien insérées dans le tissu économique et associatif communal, et les enfants sont très bien dans leur peau. Ceux-là ne comprennent pas qu'on jette la suspicion sur eux et qu'on fasse d'eux, au mieux, des exceptions.
Ne pourrait-on pas durcir l'autorisation préalable, mais la rendre « naturelle » pour ces familles sur lesquelles ne saurait peser aucune suspicion ?
N'allez pas voir dans mon propos autre chose que des paroles constructives, monsieur le ministre, et entendez la colère de moins en moins sourde qui anime le sénateur de l'Essonne que je suis.
Parcourons la chronologie.
Le 4 septembre 2020, lors du discours prononcé à l'occasion du 150e anniversaire de la République, Emmanuel Macron dit des choses très précises, extrêmement sensées et très importantes.
Le 2 octobre, le Président de la République, toujours lui, prononce aux Mureaux un discours sur la lutte contre le « séparatisme », qui revient dans notre vocabulaire.
Le 16 octobre, c'est le drame absolu, avec la décapitation de Samuel Paty.
S'ensuit un hommage national, le 21 octobre, en Sorbonne.
Le 9 décembre, le projet de loi est présenté en conseil des ministres. On n'y parle plus de « séparatisme », heureusement, mais de « conforter le respect des principes de la République ».
Albert Camus disait : « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. » Je suis frappé de l'erreur profonde, gravissime, parfois délibérée, commise par certains : il y a une différence fondamentale entre les valeurs de la République et les principes de la République. Vous-même, monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure commis cette erreur : vous avez parlé d'équipes « valeurs de la République ». Non ! La laïcité n'a jamais été une valeur de la République ; c'est un principe républicain - c'est la Constitution de 1958 qui nous le dit : la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Le 4 septembre dernier, le Président de la République a affirmé le principe, en plaçant la laïcité sous le chef de la liberté.
Or, cette loi d'émotion cible un groupe sans le nommer, et se donne même quelques alibis pour ne pas le nommer ; j'ai du mal à l'accepter comme parlementaire, comme Français, ayant en héritage cette République que nous aimons tant.
L'olympisme et la laïcité sont liés, ils ont été forgés dans le pays des Lumières et ce n'est pas un hasard si Pierre de Coubertin était un Français... Aujourd'hui, l'olympisme est attaqué par les mêmes qui attaquent la laïcité, ceux qui demandent que les footballeuses soient voilées, et qui veulent la fin de la République.
Albert Camus a dit que tout ce qu'il savait de la morale, c'est au football qu'il le devait. Pensez-vous que les contrats d'engagement républicain que vous allez demander aux clubs sportifs, vont empêcher les prières islamistes dans les couloirs des vestiaires de foot, qui sont des lieux publics ? Pensez-vous que les fédérations vont avoir les moyens de demander aux clubs de mettre fin à ces pratiques ? Comment empêcher des gestes sans équivoque, comme celui de se signer en entrant sur un stade, ou de prier dans les enceintes sportives ?
Je sais qu'au fond vous ne méconnaissez pas ces problèmes, car vous aimez la République - mais il faut bien faire comprendre à tous que la cible de ces pratiques, c'est la République elle-même, ou bien on risque de s'en apercevoir quand il sera trop tard.
Les élèves qui sont inscrits au CNED pourraient-ils participer aux évaluations nationales au CP et au CE1, comme les autres élèves ? Le point d'étape au lycée ne suffit pas...
Ce projet de loi modifie les relations entre l'État et les acteurs du sport, le modèle passera de la tutelle au contrôle : pourquoi ne pas avoir inscrit ce changement dans la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, dont l'Assemblée nationale va discuter la semaine prochaine ? Le Gouvernement annonce quatre décrets en Conseil d'État pour préciser les règles du contrôle, le mouvement sportif se plaint de ne pas avoir été associé à leur élaboration : qu'en est-il ? Quant aux contrats d'engagement républicain, on attend de voir quels en seront les contenus, les indicateurs : ne pensez-vous pas qu'il faille dépoussiérer le guide « Laïcité et fait religieux dans le champ du sport », qui n'est pourtant guère ancien ?
Enfin, où en est-on avec le pass'Sports ?
Le maire a un rôle très important vis-à-vis de l'instruction en famille, mais ce rôle est nécessairement limité et c'est à l'État de contrôler si, comme la loi le prévoit, la famille a les moyens requis pour cette instruction à la maison. Le contrôle lui-même gagne à une bonne coopération entre les services municipaux et l'État, mais aussi avec les services départementaux, compétents en matière d'enfance.
La réforme du baccalauréat est en cours, j'assume tout à fait la décision d'avoir prévu 60 % de contrôle terminal et 40 % de contrôle continu, ce qui est une façon d'associer les vertus des deux modes de contrôle des connaissances. L'an passé a été une année hors du commun, et il a été très difficile, jusqu'en juin, de dire comment le bac se déroulerait - puis nous avons décidé un contrôle continu, c'était exceptionnel et assumé comme tel. Cette année est différente, j'ai dit qu'il était difficile d'envisager les épreuves de spécialité telles que prévues en mars, et donc que nous les ferions en contrôle continu, je l'ai dit dès janvier pour ne surprendre personne. En revanche, je maintiens les épreuves terminales en juin pour la philosophie, le français et le grand oral. Les élèves qui suivent l'instruction à domicile sont dans une situation différente, l'enseignement de spécialité à la maison ne saurait faire l'objet d'un contrôle continu, c'est pourquoi l'épreuve finale est maintenue, de même, d'ailleurs, pour les élèves hors contrat.
Pourquoi se scandaliser du rôle confié au contrôle terminal ? Il n'y a nulle stratégie de favoriser telle ou telle catégorie d'élèves, en fonction d'une qualité intrinsèque du contrôle terminal. L'an passé, d'ailleurs, des voix demandaient le rétablissement du contrôle terminal, alors même qu'on me prêtait je ne sais quelles intentions en organisant un baccalauréat en contrôle continu... Je ne voudrais pas que s'installe l'idée d'une défaveur quelconque du fait du contrôle continu. J'ai toujours soutenu le contrôle final, et le fait de reporter des épreuves au mois de juin ne lèse personne. Cela dit, je reste à l'écoute des arguments, je veux assurer chacun de ma bienveillance et aussi que la solution retenue ne lèsera pas les élèves des établissements hors contrat et ni ceux de l'enseignement à distance.
Pourquoi ne passe-t-on pas à un régime d'autorisation pour les écoles hors contrat ? En réalité, le régime d'autorisation n'est pas plus rigoureux que le régime de déclaration tel que nous l'avons assorti d'informations très précises ; le régime d'autorisation ne doit pas devenir une sorte de fétiche, car un régime de déclaration suffisamment précis suffit à cerner le projet de l'école, la qualité de ses enseignements - qu'il faut, par la suite, contrôler.
La charte des engagements réciproques, ensuite, n'est qu'un des outils d'action, d'autres mesures seront prises et il est certain que la charte ne résoudra pas tous les problèmes, ce n'est pas ce que l'on attend d'elle.
L'action dans le domaine du sport est comparable, avec maintes différences, d'où l'importance de l'adaptation. Si la loi ne saurait s'en prendre à telle ou telle tradition, comme par exemple le fait de se signer après un but au foot, elle doit s'en prendre au prosélytisme dans les stades, qui, effectivement, prend un tour nouveau. Je rappelle aussi que si la lettre de la loi établit des règles, son esprit envoie aussi un signal à l'ensemble du monde sportif, il ne faut pas le négliger. Ce projet de loi n'est certainement pas à qualifier « d'émotion », aucun fait divers ne l'a enclenché, il suit une orientation forte donnée par le Président de la République - l'assassinat de Samuel Paty est survenu postérieurement, ce qui a pu faire interpréter la loi comme successive, mais ce n'est pas le cas.
La formation des professeurs sur la laïcité est un enjeu important, c'est l'objet de la mission que j'ai confiée à l'inspecteur général honoraire de l'éducation nationale Jean-Pierre Obin ; je reçois, au moment de sa nomination, chaque directrice ou directeur d'Inspé pour l'encourager à tirer le meilleur parti des outils à disposition. Je rappelle que, si la formation des professeurs des écoles se déroule dans le cadre universitaire - ce choix a été fait il y a une vingtaine d'années pour que cette formation soit d'excellence -, les étudiants qui sont inscrits en Inspé sont dans une situation particulière puisqu'ils n'ont en fait qu'un seul employeur, et nous avons à ce titre un mot à dire sur le contenu de la formation : nous sommes très attentifs à ce que l'enseignement sur les principes de la République et la laïcité soit clair, volontariste et homogène. Nous faisons face, vous l'avez dit, à des idéologies qui déconstruisent la laïcité, c'est certain, qui s'inscrivent contre les Lumières, contre l'idée républicaine ; nous ne voulons pas que ces idéologies aient leur place dans l'enseignement, nous sommes favorables à la liberté académique, au débat, mais opposés à ce que les théories qui parlent d'un État raciste et d'autres billevesées dangereuses, entrent dans la formation des maîtres, ni qu'aucune pression ne soit exercée contre les professeurs au nom de ces théories, par ceux qui veulent déconstruire la République.
L'école de la République délivre un savoir, mais aussi des valeurs, et si l'on a parlé des maîtres des écoles comme des « hussards noirs de la République », c'est parce qu'ils avaient les valeurs de la République chevillées au corps, ce qui n'était nullement incompatible avec l'existence de valeurs familiales très diverses.
Faut-il mettre en place des équipes départementales pour faire vivre la laïcité ? Oui, c'est ce que nous programmons, et nous pensons anticiper dès la rentrée prochaine.
Les inégalités concrètes de terrain sont à regarder de près, effectivement. Il faut avancer sur la mixité sociale, l'égalité réelle, autant que sur les valeurs : il faut tenir sur les deux jambes. Vous citez avec raison la Seine-Saint-Denis, parce que les difficultés y sont particulièrement fortes, mais il faut dire aussi que, en matière d'éducation prioritaire, jamais autant n'a été fait que sous ce quinquennat, en particulier avec le dédoublement des classes de CP-CE1 et de grande section de maternelle, avec l'augmentation des primes REP+, portées à 2 000 euros à la dernière rentrée : la Seine-Saint-Denis en bénéficie directement et, s'il y a beaucoup à faire, il n'y a pas d'oubli.
La loi est-elle disproportionnée compte tenu du faible nombre d'enfants directement concernés par le sujet ? Quel qu'en soit le nombre, qui est du reste difficile à connaître précisément, le fait même est important et mérite d'être pris en compte ; l'instruction en famille se développe et une partie est empreinte d'idéologie séparatiste ; prenons date : vous verrez le fruit de l'action.
Quelle est l'incidence de l'instruction obligatoire à 3 ans, sur l'augmentation de l'instruction en famille ? On estime qu'elle compterait pour moitié de la hausse, c'est important, mais cela n'explique pas tout - dans tous les cas de figure, nous devons contrôler cette instruction, parce que les retards peuvent être importants à six ans. Où iront les enfants interdits d'instruction en famille ? Nous incitons à ce qu'ils aillent à l'école publique, tout en préservant l'entière liberté des familles. Quand nous avons démantelé des structures, comme à Grenoble, nous avons aussi enjoint à scolariser. J'espère que les parents trouveront des formules qui leur plaisent, nous sommes dans une logique de liberté.
Les certificats médicaux doivent-ils être délivrés par les médecins scolaires ? Je crois que ce serait ajouter à leurs charges, alors que nous savons tous qu'il manque de médecins scolaires. Tout ce que nous faisons en la matière est concerté avec l'Ordre des médecins, nous recherchons le décloisonnement entre la médecine scolaire et la médecine de ville, nous voulons renforcer la coopération avec les équipes de protection maternelle et infantile (PMI).
Ce projet de loi ajoute-t-il des difficultés au monde sportif, alors que la période est déjà ardue ? Les temps présents sont certes difficiles, mais je suis convaincu que la renaissance se prépare et que les liens se resserrent entre les acteurs, nous constatons partout une bienveillance envers le sport, un état d'esprit très favorable pour la suite - et je veux dire que les institutions publiques sont très attentives à ce que le sport sorte renforcé des épreuves actuelles. Nous avons un dialogue très constructif avec le monde sportif. Quant au pass'Sports, il devrait être opérationnel pour la rentrée prochaine, avec une dimension sociale forte.
La mixité sociale, encore une fois, est un enjeu central. Il faut agir partout, y compris à Paris : nous travaillons avec le recteur de Paris, ce qui fait couler beaucoup d'encre, mais nous travaillons à réduire les écarts importants au sein de la capitale. Cela suppose de requalifier certains établissements, pour rendre l'enseignement plus homogène, mais aussi la sécurité.
Ce texte recherche l'équilibre, dans le sillage de la loi de 1905, c'est un texte « pour » et non pas « contre ». Pourquoi n'a-t-on pas réussi à empêcher que l'instruction en famille double ses effectifs ? Je crois que nous vivions un peu trop avec l'idée que l'existence du CNED garantissait une forme de contrôle, mais aussi que l'instruction en famille concernait surtout des enfants ayant des problèmes de santé qui ne pouvaient pas aller à l'école ; nous savons bien, maintenant, que ce n'est pas le cas, il faut s'adapter et travailler sur le facteur humain.
Les exemptions doivent être fondées sur des règles claires et explicites, il faut regarder les choses en face et, oui, l'école de la République doit faire envie, cette formule revient souvent dans le débat : c'est le défi de l'attractivité. L'État lui en donne-t-il les moyens ? Je m'y emploie, parce que je crois que la société du futur repose sur l'éducation et la santé, et c'est pourquoi le Gouvernement concentre l'argent public sur ces enjeux : l'augmentation des moyens budgétaires pour l'éducation n'a jamais été aussi forte que sous ce quinquennat, avec des choix sur l'école primaire et sur la revalorisation de la fonction enseignante - on peut en contester les choix, mais pas la réalité, et je vous renvoie aux travaux du Grenelle de l'éducation, en particulier, au rapport de synthèse du colloque « Quels professeurs au XXIe siècle » ?
Ce texte apporte-t-il des outils nouveaux pour lutter contre le séparatisme islamiste ? Il comble des vides juridiques, complétant des mesures que nous avons déjà prises en particulier dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.
Le régime d'autorisation peut-il encadrer l'exercice d'une liberté fondamentale ? Certainement, c'est déjà le cas avec le droit de propriété, qui est l'un des fondements de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qui se trouve déjà encadré par un régime d'autorisation - par exemple, en matière de droit de construire, car la liberté, c'est encore dans la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ne faut-il pas renforcer les contrôles sur l'application des principes de la laïcité ? Certainement, c'est le rôle que nous confions aux équipes dédiées.
En réalité, les familles qui ne posent pas de problème au regard des critères de l'enseignement, ne seront nullement inquiétées pour leur choix de l'instruction en famille, elles pourront continuer à le faire conformément au principe de liberté auquel nous sommes très attachés - il y aura simplement davantage de contrôles, mais la plupart des familles qui s'inquiètent seront rassurées.
Je suis parfaitement d'accord pour dire que la laïcité est sous le signe de la liberté et, je le répète, je suis convaincu que cette loi n'est pas d'émotion. Ciblons-nous un groupe sans le nommer ? Je ne le crois pas, et je ne pense pas non plus que, pour reprendre Albert Camus, nous ajoutions au malheur du monde en nommant mal les choses. Car, dans son discours des Mureaux, le Président de la République a précisément nommé l'islamisme, il a clairement dit que les pouvoirs publics faisaient la différence entre une religion, l'islam, et une idéologie, l'islamisme politique. Jamais un Président de la République ne s'était exprimé si clairement sur ce sujet et cette distinction entre la religion et l'idéologie est demandée par la majorité des musulmans de France, qui sont en première ligne face aux pressions ; je pense en particulier aux jeunes filles qui se sentent obligées de porter le voile parce qu'il y a une pression prosélyte autour d'elles. Mais nous disons aussi qu'il y a d'autres vecteurs de séparatisme dans la République.
Nous savons aussi que la loi, dans un État de droit, est par nature universelle, qu'elle ne saurait désigner un groupe en particulier, mais viser la généralité, et ici le séparatisme, dont l'islamisme est un point saillant.
Le contrat d'engagement républicain devrait aider contre les débordements de radicalisme religieux dans le sport, je crois que la responsabilisation des acteurs aura plus de portée que le simple contrôle de la part de l'État. Quant à l'olympisme, il est effectivement menacé, le sujet se pose à l'échelle internationale et cela nous démontre encore combien le modèle français n'a rien de désuet, et qu'il est même inspirant dans le monde actuel.
Les élèves qui suivent l'école en famille peuvent déjà participer aux évaluations nationales dès le primaire ; le pouvoir réglementaire peut en faire une obligation, il est possible d'examiner ce point plus avant.
Le monde sportif a-t-il été concerté pour la définition des nouvelles règles ? Oui, nous avons beaucoup travaillé ensemble et nous avons été pragmatiques, en cherchant à ne prendre que des dispositions réalisables, le travail se poursuivra pour la mise en oeuvre.
Enfin, le guide intitulé Laïcité et fait religieux dans le champ du sport mérite effectivement une actualisation, nous bénéficions de la fusion des ministères de l'éducation nationale et du sport. Le Conseil des sages de la laïcité a travaillé sur le sujet, ses réflexions seront bientôt rendues publiques.
Merci pour ces réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 h 5.