Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 11 mars 2021 à 11h00
Projet de loi confortant le respect des principes de la république — Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale

Jean-Michel Blanquer, ministre :

Le maire a un rôle très important vis-à-vis de l'instruction en famille, mais ce rôle est nécessairement limité et c'est à l'État de contrôler si, comme la loi le prévoit, la famille a les moyens requis pour cette instruction à la maison. Le contrôle lui-même gagne à une bonne coopération entre les services municipaux et l'État, mais aussi avec les services départementaux, compétents en matière d'enfance.

La réforme du baccalauréat est en cours, j'assume tout à fait la décision d'avoir prévu 60 % de contrôle terminal et 40 % de contrôle continu, ce qui est une façon d'associer les vertus des deux modes de contrôle des connaissances. L'an passé a été une année hors du commun, et il a été très difficile, jusqu'en juin, de dire comment le bac se déroulerait - puis nous avons décidé un contrôle continu, c'était exceptionnel et assumé comme tel. Cette année est différente, j'ai dit qu'il était difficile d'envisager les épreuves de spécialité telles que prévues en mars, et donc que nous les ferions en contrôle continu, je l'ai dit dès janvier pour ne surprendre personne. En revanche, je maintiens les épreuves terminales en juin pour la philosophie, le français et le grand oral. Les élèves qui suivent l'instruction à domicile sont dans une situation différente, l'enseignement de spécialité à la maison ne saurait faire l'objet d'un contrôle continu, c'est pourquoi l'épreuve finale est maintenue, de même, d'ailleurs, pour les élèves hors contrat.

Pourquoi se scandaliser du rôle confié au contrôle terminal ? Il n'y a nulle stratégie de favoriser telle ou telle catégorie d'élèves, en fonction d'une qualité intrinsèque du contrôle terminal. L'an passé, d'ailleurs, des voix demandaient le rétablissement du contrôle terminal, alors même qu'on me prêtait je ne sais quelles intentions en organisant un baccalauréat en contrôle continu... Je ne voudrais pas que s'installe l'idée d'une défaveur quelconque du fait du contrôle continu. J'ai toujours soutenu le contrôle final, et le fait de reporter des épreuves au mois de juin ne lèse personne. Cela dit, je reste à l'écoute des arguments, je veux assurer chacun de ma bienveillance et aussi que la solution retenue ne lèsera pas les élèves des établissements hors contrat et ni ceux de l'enseignement à distance.

Pourquoi ne passe-t-on pas à un régime d'autorisation pour les écoles hors contrat ? En réalité, le régime d'autorisation n'est pas plus rigoureux que le régime de déclaration tel que nous l'avons assorti d'informations très précises ; le régime d'autorisation ne doit pas devenir une sorte de fétiche, car un régime de déclaration suffisamment précis suffit à cerner le projet de l'école, la qualité de ses enseignements - qu'il faut, par la suite, contrôler.

La charte des engagements réciproques, ensuite, n'est qu'un des outils d'action, d'autres mesures seront prises et il est certain que la charte ne résoudra pas tous les problèmes, ce n'est pas ce que l'on attend d'elle.

L'action dans le domaine du sport est comparable, avec maintes différences, d'où l'importance de l'adaptation. Si la loi ne saurait s'en prendre à telle ou telle tradition, comme par exemple le fait de se signer après un but au foot, elle doit s'en prendre au prosélytisme dans les stades, qui, effectivement, prend un tour nouveau. Je rappelle aussi que si la lettre de la loi établit des règles, son esprit envoie aussi un signal à l'ensemble du monde sportif, il ne faut pas le négliger. Ce projet de loi n'est certainement pas à qualifier « d'émotion », aucun fait divers ne l'a enclenché, il suit une orientation forte donnée par le Président de la République - l'assassinat de Samuel Paty est survenu postérieurement, ce qui a pu faire interpréter la loi comme successive, mais ce n'est pas le cas.

La formation des professeurs sur la laïcité est un enjeu important, c'est l'objet de la mission que j'ai confiée à l'inspecteur général honoraire de l'éducation nationale Jean-Pierre Obin ; je reçois, au moment de sa nomination, chaque directrice ou directeur d'Inspé pour l'encourager à tirer le meilleur parti des outils à disposition. Je rappelle que, si la formation des professeurs des écoles se déroule dans le cadre universitaire - ce choix a été fait il y a une vingtaine d'années pour que cette formation soit d'excellence -, les étudiants qui sont inscrits en Inspé sont dans une situation particulière puisqu'ils n'ont en fait qu'un seul employeur, et nous avons à ce titre un mot à dire sur le contenu de la formation : nous sommes très attentifs à ce que l'enseignement sur les principes de la République et la laïcité soit clair, volontariste et homogène. Nous faisons face, vous l'avez dit, à des idéologies qui déconstruisent la laïcité, c'est certain, qui s'inscrivent contre les Lumières, contre l'idée républicaine ; nous ne voulons pas que ces idéologies aient leur place dans l'enseignement, nous sommes favorables à la liberté académique, au débat, mais opposés à ce que les théories qui parlent d'un État raciste et d'autres billevesées dangereuses, entrent dans la formation des maîtres, ni qu'aucune pression ne soit exercée contre les professeurs au nom de ces théories, par ceux qui veulent déconstruire la République.

L'école de la République délivre un savoir, mais aussi des valeurs, et si l'on a parlé des maîtres des écoles comme des « hussards noirs de la République », c'est parce qu'ils avaient les valeurs de la République chevillées au corps, ce qui n'était nullement incompatible avec l'existence de valeurs familiales très diverses.

Faut-il mettre en place des équipes départementales pour faire vivre la laïcité ? Oui, c'est ce que nous programmons, et nous pensons anticiper dès la rentrée prochaine.

Les inégalités concrètes de terrain sont à regarder de près, effectivement. Il faut avancer sur la mixité sociale, l'égalité réelle, autant que sur les valeurs : il faut tenir sur les deux jambes. Vous citez avec raison la Seine-Saint-Denis, parce que les difficultés y sont particulièrement fortes, mais il faut dire aussi que, en matière d'éducation prioritaire, jamais autant n'a été fait que sous ce quinquennat, en particulier avec le dédoublement des classes de CP-CE1 et de grande section de maternelle, avec l'augmentation des primes REP+, portées à 2 000 euros à la dernière rentrée : la Seine-Saint-Denis en bénéficie directement et, s'il y a beaucoup à faire, il n'y a pas d'oubli.

La loi est-elle disproportionnée compte tenu du faible nombre d'enfants directement concernés par le sujet ? Quel qu'en soit le nombre, qui est du reste difficile à connaître précisément, le fait même est important et mérite d'être pris en compte ; l'instruction en famille se développe et une partie est empreinte d'idéologie séparatiste ; prenons date : vous verrez le fruit de l'action.

Quelle est l'incidence de l'instruction obligatoire à 3 ans, sur l'augmentation de l'instruction en famille ? On estime qu'elle compterait pour moitié de la hausse, c'est important, mais cela n'explique pas tout - dans tous les cas de figure, nous devons contrôler cette instruction, parce que les retards peuvent être importants à six ans. Où iront les enfants interdits d'instruction en famille ? Nous incitons à ce qu'ils aillent à l'école publique, tout en préservant l'entière liberté des familles. Quand nous avons démantelé des structures, comme à Grenoble, nous avons aussi enjoint à scolariser. J'espère que les parents trouveront des formules qui leur plaisent, nous sommes dans une logique de liberté.

Les certificats médicaux doivent-ils être délivrés par les médecins scolaires ? Je crois que ce serait ajouter à leurs charges, alors que nous savons tous qu'il manque de médecins scolaires. Tout ce que nous faisons en la matière est concerté avec l'Ordre des médecins, nous recherchons le décloisonnement entre la médecine scolaire et la médecine de ville, nous voulons renforcer la coopération avec les équipes de protection maternelle et infantile (PMI).

Ce projet de loi ajoute-t-il des difficultés au monde sportif, alors que la période est déjà ardue ? Les temps présents sont certes difficiles, mais je suis convaincu que la renaissance se prépare et que les liens se resserrent entre les acteurs, nous constatons partout une bienveillance envers le sport, un état d'esprit très favorable pour la suite - et je veux dire que les institutions publiques sont très attentives à ce que le sport sorte renforcé des épreuves actuelles. Nous avons un dialogue très constructif avec le monde sportif. Quant au pass'Sports, il devrait être opérationnel pour la rentrée prochaine, avec une dimension sociale forte.

La mixité sociale, encore une fois, est un enjeu central. Il faut agir partout, y compris à Paris : nous travaillons avec le recteur de Paris, ce qui fait couler beaucoup d'encre, mais nous travaillons à réduire les écarts importants au sein de la capitale. Cela suppose de requalifier certains établissements, pour rendre l'enseignement plus homogène, mais aussi la sécurité.

Ce texte recherche l'équilibre, dans le sillage de la loi de 1905, c'est un texte « pour » et non pas « contre ». Pourquoi n'a-t-on pas réussi à empêcher que l'instruction en famille double ses effectifs ? Je crois que nous vivions un peu trop avec l'idée que l'existence du CNED garantissait une forme de contrôle, mais aussi que l'instruction en famille concernait surtout des enfants ayant des problèmes de santé qui ne pouvaient pas aller à l'école ; nous savons bien, maintenant, que ce n'est pas le cas, il faut s'adapter et travailler sur le facteur humain.

Les exemptions doivent être fondées sur des règles claires et explicites, il faut regarder les choses en face et, oui, l'école de la République doit faire envie, cette formule revient souvent dans le débat : c'est le défi de l'attractivité. L'État lui en donne-t-il les moyens ? Je m'y emploie, parce que je crois que la société du futur repose sur l'éducation et la santé, et c'est pourquoi le Gouvernement concentre l'argent public sur ces enjeux : l'augmentation des moyens budgétaires pour l'éducation n'a jamais été aussi forte que sous ce quinquennat, avec des choix sur l'école primaire et sur la revalorisation de la fonction enseignante - on peut en contester les choix, mais pas la réalité, et je vous renvoie aux travaux du Grenelle de l'éducation, en particulier, au rapport de synthèse du colloque « Quels professeurs au XXIe siècle » ?

Ce texte apporte-t-il des outils nouveaux pour lutter contre le séparatisme islamiste ? Il comble des vides juridiques, complétant des mesures que nous avons déjà prises en particulier dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

Le régime d'autorisation peut-il encadrer l'exercice d'une liberté fondamentale ? Certainement, c'est déjà le cas avec le droit de propriété, qui est l'un des fondements de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qui se trouve déjà encadré par un régime d'autorisation - par exemple, en matière de droit de construire, car la liberté, c'est encore dans la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ne faut-il pas renforcer les contrôles sur l'application des principes de la laïcité ? Certainement, c'est le rôle que nous confions aux équipes dédiées.

En réalité, les familles qui ne posent pas de problème au regard des critères de l'enseignement, ne seront nullement inquiétées pour leur choix de l'instruction en famille, elles pourront continuer à le faire conformément au principe de liberté auquel nous sommes très attachés - il y aura simplement davantage de contrôles, mais la plupart des familles qui s'inquiètent seront rassurées.

Je suis parfaitement d'accord pour dire que la laïcité est sous le signe de la liberté et, je le répète, je suis convaincu que cette loi n'est pas d'émotion. Ciblons-nous un groupe sans le nommer ? Je ne le crois pas, et je ne pense pas non plus que, pour reprendre Albert Camus, nous ajoutions au malheur du monde en nommant mal les choses. Car, dans son discours des Mureaux, le Président de la République a précisément nommé l'islamisme, il a clairement dit que les pouvoirs publics faisaient la différence entre une religion, l'islam, et une idéologie, l'islamisme politique. Jamais un Président de la République ne s'était exprimé si clairement sur ce sujet et cette distinction entre la religion et l'idéologie est demandée par la majorité des musulmans de France, qui sont en première ligne face aux pressions ; je pense en particulier aux jeunes filles qui se sentent obligées de porter le voile parce qu'il y a une pression prosélyte autour d'elles. Mais nous disons aussi qu'il y a d'autres vecteurs de séparatisme dans la République.

Nous savons aussi que la loi, dans un État de droit, est par nature universelle, qu'elle ne saurait désigner un groupe en particulier, mais viser la généralité, et ici le séparatisme, dont l'islamisme est un point saillant.

Le contrat d'engagement républicain devrait aider contre les débordements de radicalisme religieux dans le sport, je crois que la responsabilisation des acteurs aura plus de portée que le simple contrôle de la part de l'État. Quant à l'olympisme, il est effectivement menacé, le sujet se pose à l'échelle internationale et cela nous démontre encore combien le modèle français n'a rien de désuet, et qu'il est même inspirant dans le monde actuel.

Les élèves qui suivent l'école en famille peuvent déjà participer aux évaluations nationales dès le primaire ; le pouvoir réglementaire peut en faire une obligation, il est possible d'examiner ce point plus avant.

Le monde sportif a-t-il été concerté pour la définition des nouvelles règles ? Oui, nous avons beaucoup travaillé ensemble et nous avons été pragmatiques, en cherchant à ne prendre que des dispositions réalisables, le travail se poursuivra pour la mise en oeuvre.

Enfin, le guide intitulé Laïcité et fait religieux dans le champ du sport mérite effectivement une actualisation, nous bénéficions de la fusion des ministères de l'éducation nationale et du sport. Le Conseil des sages de la laïcité a travaillé sur le sujet, ses réflexions seront bientôt rendues publiques.

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