Permettez-moi avant toute chose d'adresser des remerciements particuliers à Mme Nathalie Delattre, à qui revient l'initiative du travail que nous vous présentons. Étalé sur plus d'une année et temporairement suspendu en raison du contexte pandémique, le groupe de travail commun à nos deux commissions a tenté de mettre à profit ce délai rallongé pour approfondir sa réflexion et rencontrer de nombreux acteurs qui se sont penchés sur cette question ancienne, délicate et à notre sens non tranchée de la responsabilité pénale du criminel lorsque le crime est commis en l'absence de discernement.
Notre rapport s'inscrit dans le contexte douloureux du meurtre de Mme Sarah Halimi, survenu dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, de la main d'un individu ayant agi sous l'emprise de psychotropes. L'information judiciaire qui a suivi ce drame s'est offerte au grand public, légitimement ému de cette affaire, comme la chronique désarmante d'une justice tributaire d'expertises aux avis inexplicablement divergents.
Pour vous en livrer brièvement le résumé, l'auteur des faits a successivement été soumis à trois expertises ayant chacune livré des conclusions différentes. Alors que la première, conduite par un expert seul, évoquait une altération du discernement et, par conséquent, un maintien de la responsabilité pénale du commettant, les deux suivantes, collégiales, ont pour leur part identifié une abolition du discernement, conduisant à son irresponsabilité pénale.
Les motifs de la troisième expertise ont suscité les plus grandes interrogations : l'abolition du discernement y était retenue, non sur le fondement d'une pathologie mentale préexistante dont la substance psychoactive aurait aggravé les effets, mais sur le fondement déconcertant d'une ignorance initiale du commettant quant à ces mêmes effets.
Au cours de l'examen du pourvoi de la famille de la victime par la Cour de cassation mercredi dernier, le parquet général a explicitement déploré un état du droit insatisfaisant, qui ne permet pas de trancher le débat sur l'impact de la « faute antérieure », autrement dit le geste accompli en conscience qui prépare l'éclipse du discernement. C'est là, à notre sens, que la loi présente une lacune et que l'intervention du législateur, désormais éclairée par de nombreux débats, est attendue.
En plus du problème de fond soulevé par cette affaire, rappelé par Jean-Yves Roux, les suites judiciaires du meurtre de Mme Halimi sont une illustration éloquente des heurts auxquels expose le recours itératif aux expertises et contre-expertises.
Reconnaissons, mes chers collègues, que le code de procédure pénale, légitimement soucieux d'augmenter la place du contradictoire dans l'expertise pénale présentencielle, a conduit à une multiplication parfois dommageable des interventions d'experts.
Non seulement cette multiplication est susceptible d'allonger la procédure, mais elle fait en plus intervenir l'expert à des moments différents de l'instruction ou du jugement, alors que les professionnels font unanimement dépendre la fiabilité de leur travail de sa précocité après les faits.
Les vingt propositions figurant dans notre rapport esquissent un début de régulation de la demande d'expertises par le magistrat. Nous suggérons ainsi de limiter la possibilité ouverte aux parties de demander une contre-expertise à deux stades différents de l'instruction, parfois très éloignés dans le temps.
De façon plus générale, nous pointons le danger qui guette une justice dont la demande d'expertises connaît un dynamisme important, dans un contexte de diminution constante du nombre d'experts disponibles.
Cet effet de ciseaux, relevé par l'ensemble des professionnels auditionnés comme préjudiciable à l'indispensable qualité de l'expertise en matière pénale, est le produit de trois causes : l'absence totale de contrainte limitative énoncée par la loi à l'égard des juges demandeurs ; la technicisation accrue des actions judiciaires et leur exposition médiatique ; enfin, l'objectif de réinsertion sociale des anciens détenus, qui contraint les juges d'application des peines à solliciter des avis et des compétences extérieurs afin d'anticiper au mieux le parcours post-carcéral.
De la loi Guigou de 1998 relative au suivi sociojudiciaire à la loi Dati de 2008 relative à la rétention de sûreté, les demandes d'expertise ont en effet connu une véritable prolifération, reflet du souci croissant et légitime de prévenir et d'évaluer le risque de récidive d'un prévenu ou d'un détenu arrivé au bout de son parcours pénitentiaire. Cette mission mobilise de plus en plus intensément les experts psychiatres, qui sont unanimes à questionner l'utilité de ces sollicitations, non régulées et jugées dans leur majorité redondantes et chronophages.
Cette dérive confirme un mouvement préoccupant, à savoir l'attribution d'une mission prédictive de dangerosité à un professionnel de santé chargé de la détection des pathologies psychiatriques.
Cette attention accrue portée au risque de récidive a fini par déteindre sur l'expertise présentencielle, témoignant d'un glissement problématique de la mission du magistrat, moins soucieux de l'accessibilité du prévenu à une sanction pénale que de l'utilité de cette dernière.
Ce mouvement doit être replacé dans le contexte de ces dernières décennies, qui a alternativement connu la « disqualification » de la peine d'emprisonnement au profit de mesures de réinsertion du délinquant, et, a contrario, la volonté politique de renforcer la peine par des mesures de rétention en cas de dangerosité avérée.
Sans contester l'opportunité de l'une ou l'autre de ces inflexions, nous nous devons de rappeler qu'elles n'ont pas pour autant fait disparaître du code pénal l'absolue nécessité pour le juge de fonder prioritairement la peine sur l'acte commis, et d'envisager la réinsertion ou la rétention du délinquant dans un temps distinct.
En matière post-sentencielle, l'évaluation du risque de récidive par un expert peut venir directement concurrencer celle des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, l'absence totale d'articulation entre ces travaux pouvant conduire à des résultats contradictoires susceptibles de compliquer l'office du juge de l'application des peines.
À mesure que se diffuse la formation criminologique des SPIP au risque de récidive, il nous semble parfaitement envisageable que la nécessité de l'expertise post-sentencielle se réduise nettement d'ici dix ou vingt ans.
J'évoquerai à présent quelques éléments ayant trait à la pratique de l'expertise et aux difficultés concrètes rencontrées par les experts.
La première d'entre elles tient bien évidemment à leur rémunération. L'article R. 117 du code de procédure pénale, issu d'un décret du 27 février 2017, prévoit explicitement de ne pas appliquer de grille tarifaire uniforme aux actes d'expertise, pour tenir compte de la nature et de l'étendue des actes prescrits. Toutefois, la grille tarifaire adoptée dans un arrêté du même jour ne prévoit aucune variation selon le nombre d'examens requis par l'autorité judiciaire, et ne tient que très partiellement compte de l'intensité du travail fourni...
Une expertise réalisée par un praticien hospitalier est invariablement tarifée à 312 euros, que cette dernière porte sur un cas clinique simple ou sur un dossier étoffé aux incidences pronostiques majeures. Outre la réévaluation de la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légales, il paraît indispensable de prêter une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l'ampleur de l'affaire et de l'investissement requis de l'expert.
C'est toutefois en matière d'assujettissement au régime général de la sécurité sociale que les modalités de rémunération des experts pénaux ont été le plus vivement critiquées.
Jusqu'en 2015, le ministère de la justice, pourtant employeur des experts, ne retenait aucune cotisation sociale de la rémunération qu'il leur versait ! C'est un décret du 2 juin 2016 qui a posé le principe d'une affiliation de l'ensemble des experts collaborateurs occasionnels du service public au régime général, régularisant enfin leur situation sociale. Les augmentations de crédits budgétaires consacrées à la couverture de leurs frais doivent donc essentiellement se comprendre comme des mesures de compensation destinées à couvrir les cotisations sociales désormais mises à la charge de l'État, et non comme des mesures de revalorisation de leur tarif.
Le passage pour l'expert d'une rémunération nette à une rémunération brute peut parfois dissimuler des phénomènes de perte sèche : si le projet élaboré en 2019 par le ministère de la justice avait été mis en oeuvre, la déductibilité directe des cotisations sociales du montant versé à l'expert se serait traduite par une amputation d'environ 7,5 % de sa rémunération, compensée par une augmentation tarifaire de 5,45 % seulement, soit une perte nette de près de 2 %. Il est urgent que les pouvoirs publics adoptent un pilotage plus précis de cette dépense, essentielle à l'attractivité de la mission.
Au terme de ce travail, nous avons acquis la certitude que le sujet de l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale ne peut plus faire l'économie d'une réforme dédiée. Jusqu'à présent traité de façon incidente, au gré des grandes lois pénales par lesquelles tous les gouvernements ont souhaité imprimer leur marque à notre appareil répressif, l'expert souffre aujourd'hui de n'avoir jamais été considéré en tant que tel.
À cheval entre justice et santé, sa mission croise différentes traditions de l'action publique. Nous espérons que notre rapport clarifiera les zones d'ombre qui entourent son action et ouvrira la voie à d'éventuelles traductions législatives.