Intervention de Alain Fischer

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 mars 2021 à 10h30
Audition de M. Alain Fischer professeur d'immunologie pédiatrique et président du conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale

Alain Fischer, coordonnateur de la stratégie vaccinale contre la pandémie de covid-19 :

Je vous remercie de cette invitation. Vous avez évoqué un démarrage poussif par rapport au Royaume-Uni, ce qui est exact, mais je me permets de vous rappeler que le contexte de réception des vaccins n'est pas le même. En effet, la négociation et la réception des vaccins par la France s'effectue dans un cadre commun avec ses partenaires de l'Union européenne et les volumes qu'elle reçoit sont au prorata de sa population.

Au sein de l'UE, la France affiche le même rythme de vaccination que celui des autres pays qui lui sont comparables. Il y a bien sûr des nuances à apporter, sur lesquelles je reviendrai, notamment pour les personnes âgées. Le Royaume-Uni a certes commencé sa campagne vaccinale plus tôt et a adopté un circuit d'obtention des vaccins différent, mais ce succès apparent des Britanniques s'explique surtout par leur stratégie particulière, qui consiste à n'administrer qu'une seule dose de vaccin, avec le risque - semble-t-il assumé - de moins bien vacciner. Or les études ont démontré que pour les vaccins ARN et adénovirus, deux doses - espacées de 3 à 4 semaines pour les premiers et de 12 semaines pour les seconds - assuraient une protection optimale. Je me plais donc à penser que la stratégie européenne est la meilleure.

La France a choisi selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), compte tenu d'un nombre limité de doses, de vacciner d'abord les personnes les plus fragiles, dont l'hospitalisation aurait représenté le plus de risques. Priorité a donc été donnée dès janvier aux résidents d'établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) ; lorsque l'on connaît les difficultés logistiques liées à la conservation des vaccins ARN, alors seuls disponibles, il me semble que l'on peut saluer la prouesse de cette première campagne. Aujourd'hui, 85 % des résidents d'EHPAD sont vaccinés et 60 % d'entre eux ont eu les deux doses. Grâce à l'adhésion des populations concernées, les résultats sont déjà visibles, à travers une diminution importante des clusters en EHPAD.

Le second mouvement a été celui de la vaccination des professionnels de santé : les 2,3 millions de personnes concernées sont éligibles mais seuls 800 000 sont aujourd'hui vaccinés, en raison d'une problématique spécifique au vaccin AstraZeneca sur laquelle je reviendrai. Je signale simplement à ce stade qu'il est absolument fondamental que la couverture vaccinale des professionnels de santé soit infaillible, afin notamment d'éviter les contaminations nosocomiales. Si cet objectif tardait à être atteint, une obligation vaccinale pourrait alors être envisagée.

À partir du 18 janvier, la campagne vaccinale s'est ouverte à tous les personnes âgées de plus de 65 ans, soit 5 millions de personnes supplémentaires, dont 30 % ont reçu au moins une dose. L'efficacité du vaccin AstraZeneca ayant été depuis peu démontrée auprès des personnes âgées par l'exemple britannique, ce vaccin est aujourd'hui ouvert aux personnes âgées de 50 à 75 ans avec comorbidités, ce qui représente presque 5 millions de personnes.

La suite du programme dépend complètement des livraisons de vaccins. Le rythme de livraison hebdomadaire s'accélère de mois en mois : partant de 1 million en février, il passe à 2 millions en mars et devrait se situer entre 3,6 et 4,2 millions en avril, 4,5 millions en mai, 5 millions en juin et 6,5 millions en juillet.

Ces perspectives nous permettent d'entrevoir une vaccination généralisée à toutes les personnes âgées de plus de 65 ans sans restriction de comorbidités d'ici avril. D'ici la fin du mois de mai, l'essentiel des personnes vulnérables auront été vaccinées.

Le reste de la population pourra commencer à se faire vacciner en juin et tout le long de l'été, à condition de bien appréhender le sujet de l'adhésion des jeunes à la vaccination, qui reste assez délicat.

Le bilan actuel montre que 6 millions de personnes ont reçu au moins une dose en France, parmi lesquelles 2 millions de personnes ont reçu deux doses.

Au-delà de la poursuite du rythme de la campagne vaccinale, il faut travailler davantage la question des structures qui se chargent de son déploiement. Les centres de vaccination dédiés doivent voir leur nombre et leurs capacités augmenter. Par ailleurs, les circuits peuvent désormais se diversifier : depuis la semaine dernière, les médecins généralistes sont habilités à administrer le vaccin AstraZeneca. Pour nombre d'entre eux, cela représente une contrainte supplémentaire et seuls 40 000 s'y sont portés volontaires, ce qui est nettement insuffisant et pose un grave problème d'égalité territoriale d'accès au vaccin. Enfin, à partir de lundi prochain, il sera aussi possible d'être vacciné en pharmacie, ce que je considère comme un progrès certain.

J'en viens à présent aux polémiques injustes dont le vaccin AstraZeneca fait encore aujourd'hui l'objet. Les études cliniques menées par le laboratoire exploitant s'étaient limitées à des patients âgés de moins de 65 ans, ce qui avait conduit, dans un premier temps, la HAS à limiter son autorisation à ces seuls publics, considérant sagement que les connaissances étaient insuffisantes pour en étendre le bénéfice aux personnes âgées de plus de 65 ans. C'était indéniablement une difficulté. Fort heureusement, dans les 15 derniers jours, nous sont parvenues, d'Ecosse et de Grande-Bretagne qui n'avaient pas calqué leurs recommandations sur celles de la HAS, des données robustes nous démontrant que le vaccin AstraZeneca était aussi efficace que le vaccin Pfizer pour les personnes âgées de plus de 65 ans. Les recommandations de la HAS ont donc légitimement changé et il est aujourd'hui parfaitement démontré que les patients âgés bénéficiant d'un vaccin AstraZeneca ne sont pas exposés à des pertes de chances. Un important travail de pédagogie auprès des professionnels de santé qui dispensent ce vaccin reste à fournir à cet égard.

Ce vaccin présente un dernier problème, surtout constaté chez les personnes plus jeunes, notamment professionnels de santé : il peut donner un syndrome grippal dans les 48 heures de son administration, absolument bénin et qui peut se prévenir facilement avec du paracétamol.

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