Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 février 2021 à 8h30
Retraits et rappels de produits à base de graines de sésame importées d'inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l'union européenne — Présentation du rapport d'information

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb, rapporteur :

Le Sénat suit de manière intensive depuis 2018 le sujet des importations alimentaires. Comment ne pas le faire quand on sait que la France a développé une dépendance aux importations pour nourrir ses citoyens ?

Le rapport, adopté par notre commission en juin 2019, en rappelait les principaux chiffres, tout en constatant que cette tendance allait s'accroître compte tenu de la signature d'accords de libre-échange sans clauses suffisamment protectrices pour les denrées agricoles. C'est pour agir que le Sénat a, à l'unanimité, introduit l'article 44 de la loi Egalim, récemment enrichi sur la proposition de la présidente lors de la loi sur les néonicotinoïdes pour doter les ministres de l'agriculture et de la consommation d'un pouvoir d'interdiction des importations ne respectant pas nos normes.

Quand nous avons pris connaissance de cette alerte sur le sésame en décembre dernier, nous avons voulu démontrer par l'exemple ce que tout le monde sait : que les autorités ne parviennent pas à garantir que les denrées importées respectent nos normes faute de contrôles, malgré ce qu'elles affirment lorsqu'elles signent des accords de libre-échange.

Cela revenait finalement à une séance de « travaux pratiques » dans le but de repérer où sont les dysfonctionnements et proposer des mesures correctives.

Deux préalables doivent être rappelés :

Il n'y a pas et il n'y aura jamais de risque zéro dans l'alimentaire ! La France est dotée de l'un des systèmes de sécurité sanitaire les plus sûrs au monde. Paradoxalement, si une alerte a lieu, cela prouve que le système d'alerte fonctionne plutôt bien : en l'espèce, des milliers de produits ont été rappelés du marché en raison d'anomalies. Cela est protecteur.

À ce stade, heureusement, il n'y a pas d'alerte dans les centres anti-poisons à ma connaissance. Cela peut s'expliquer par l'utilisation des graines de sésame en toute petite quantité dans la majorité des produits, sauf lorsqu'ils sont consommés en vrac et qu'ils n'ont pas été cuits ce qui semble bien entendu plus risqué.

Toutefois, ce qui est vrai avec le sésame pourrait être vrai avec du blé ukrainien, du blé dur américain ou des tomates marocaines, avec des conséquences sans doute plus importantes. Il faut donc comprendre les dysfonctionnements pour agir !

Pour résumer l'affaire sur le sésame indien, il faut le dire clairement : c'est une alerte mondiale d'une ampleur inédite, passée sous silence en raison de la crise de la covid-19. Plus de 100 pays dans le monde sont concernés dont 20 pays de l'Union européenne.

Ce que l'on sait, à ce stade, est que le 9 septembre 2020, un opérateur italien a signalé que ses autocontrôles révélaient un taux de 30,1 mg/kg d'oxyde d'éthylène dans ses graines de sésame importées d'Inde, soit 602 fois la limite maximale de résidus (LMR). Des analyses complémentaires sur des graines des lots concernés font état de résultats à 186 mg/kg, soit 3 700 fois la LMR.

Une alerte européenne est alors lancée sur le réseau RASFF, multipliant des enquêtes internes aux entreprises et des investigations officielles dans de nombreux États membres. Cela était nécessaire compte tenu de trois raisons : il y a du sésame dans de nombreux produits ; l'Inde est le principal fournisseur de sésame en Europe (60 % des approvisionnements français) ; l'oxyde d'éthylène est un produit cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR).

Et évidemment, plus on cherche plus on trouve : aujourd'hui 220 lots à problème ont été détectés, qui concernent 21 exportateurs indiens concernés. Cela représente plus de 500 notifications RASFF.

En France, des contrôles révèlent que des lots reçus en France sont anormaux, faisant état de de prélèvements constatant de résidus allant jusqu'à 50 mg/kg soit près de 1 000 fois la LMR en agriculture conventionnelle et ses graines ayant été utilisées dans des produits issus de l'agriculture biologique, cela représente plus de 5 000 fois la LMR bio.

Deux mesures européennes ont été prises pour juguler la crise.

D'une part, des mesures d'urgence avec des contrôles aux importations automatiques avec prélèvements sur 50 % des graines de sésame importées d'Inde sur le risque d'oxyde d'éthylène. La France pratique un taux de 100 %. En revanche, cela ne concerne pas les graines de sésame d'autres pays ou d'autres denrées indiennes.

D'autre part, des retraits et rappels automatiques des produits contenant du sésame indien ayant des résidus quel que soit le taux d'incorporation.

Cela entraîne des retraits et rappels très nombreux : au total près de 5 000 produits : des références grand public mais aussi des références professionnelles notamment dans les boulangeries et pâtisseries. Même les produits bio sont très concernés malgré les certifications requises.

Nous avons travaillé avec la DGCCRF, les laboratoires et les industriels pour avoir des éléments de l'enquête. Les premiers retours sont préoccupants, l'alerte risquant de se poursuivre encore durant de longues semaines. Quatre éléments peuvent être retenus.

Premièrement, les contaminations sont anciennes. En remontant les dates limites de consommation et la traçabilité des produits, des lots datant de 2018 ont été concernés par l'alerte. Il est à craindre que ces pratiques soient plus anciennes mais non repérées. Des sites internet indiens proposent encore aujourd'hui la commercialisation de stérilisateurs à l'oxyde d'éthylène pour plusieurs applications sur des « oignons », « de l'ail », « tout type d'épices ou de graines », laissant craindre que ces pratiques sont fréquentes et peu contrôlées. Il faut rappeler d'ailleurs que les résultats des contrôles officiels avec prélèvements des dernières années sur l'Inde ou les graines de sésame étaient inquiétants et n'ont pas, pour autant, déclenché de procédures renforcées ! De 2008 à 2020 avant l'alerte, près de 10 % des graines de sésame testées étaient non-conformes. Rien qu'en 2018, sur les 60 denrées indiennes contrôlées par prélèvement aléatoire (toutes les denrées et pas uniquement les graines de sésame), 20 % étaient non conformes.

Deuxièmement, les contaminations étaient fréquentes mais non systématiques : les résultats des laboratoires ne font pas état d'anomalies systématiques pour l'Inde, mais plutôt d'un taux de non-conformité proche de 50 % sur les lots indiens.

Troisièmement, le phénomène ne provient pas que de l'Inde : des lots de graines de sésame en provenance du Vietnam, de Chine ou de Jordanie ont révélé des teneurs en oxyde d'éthylène supérieures à la norme LMR. La base d'alerte européenne fait état de notifications sur des graines de sésame d'autres pays, notamment le Burkina Faso, de l'Éthiopie, de Bolivie et du Paraguay.

Quatrièmement, le problème n'est pas circonscrit aux seules graines de sésame : des résidus d'oxyde d'éthylène ont été retrouvés dans de l'amarante issue de l'agriculture biologique, des mélanges d'épices indiens (avec des taux supérieurs à 18 fois la LMR) ou du psyllium biologique (à hauteur de 240 fois la LMR). Des échalotes séchées indiennes sont également concernées, laissant craindre des alertes à venir sur d'autres produits. Alors, au regard de ces éléments, quelles conclusions en tirer et quelles propositions faire ?

Il est incontestable de constater que les contrôles officiels des denrées alimentaires importées ont été défaillants.

Les contrôles aux importations au niveau européen et au niveau national sont fondés principalement sur une analyse de risques (une denrée, une origine et un risque), analyse proportionnée à des moyens budgétaires limités. Un règlement européen liste les denrées soumises à contrôles renforcés en cas de risques : contrôle documentaire systématique, reposant bien entendu sur une entière confiance des certificateurs, accompagné, rarement, par un taux de prélèvements physiques.

En parallèle, les États membres doivent suivre des programmes de contrôle, comprenant, selon les plans, des prélèvements aléatoires. Mais ces programmes sont évidemment très contraints par les ressources budgétaires allouées, l'Union européenne ne les exigeant pas et les États membres considérant que ces programmes ont leurs limites, dans la mesure où faute d'harmonisation ils peuvent être contournés.

Dans ce système, pourquoi aucun test sur les graines de sésame n'a été réalisé sur l'oxyde d'éthylène ? Trois raisons peuvent expliquer cette défaillance.

Tout d'abord car les contrôles renforcés ne visaient pas le risque d'oxyde d'éthylène pour les graines de sésame indiennes. La liste des contrôles renforcés est publique, ce qui permet sans doute des contournements. Or il n'est pas à exclure que l'oxyde d'éthylène ait été utilisé pour limiter le risque de salmonelles contrôlé à l'importation.

En outre, les contrôles aléatoires étaient trop peu nombreux et surtout, ne contrôlaient pas la substance d'oxyde d'éthylène. Le laboratoire de la DGCCRF ne savait même plus contrôler en début de crise l'oxyde d'éthylène ! Il considérait que la substance était interdite depuis trop longtemps dans l'Union européenne, 1991 en usage pesticide et 2011 en usage biocide. Surtout, en pratique, deux tiers des substances actives ne sont pas contrôlées dans les contrôles multirésidus réalisés par le laboratoire officiel : 1 498 substances actives sont référencées en Europe, dont 907 interdites. En pratique, lors des contrôles aléatoires, la DGCCRF n'en contrôle que 568. Cela signifie que près de 900 substances ne sont jamais contrôlées. Et c'est déjà une surtransposition car l'Union européenne ne demande qu'à en contrôler au minimum 176 !

Enfin, tous ces contrôles a minima proviennent d'arbitrages budgétaires. On estime en France qu'on dédie un ratio de 50 centimes d'euro pour 1 000 euros de denrées alimentaires importées avec une forte concentration sur les denrées animales où les contrôles documentaires sont automatiques. Sur les denrées végétales importées, cela serait, selon les informations transmises par la DGCCRF, 37 équivalents temps plein (ETP) pour 3 millions d'euros !

Tout se passe comme si l'Union européenne estimait que, si la substance active est interdite en Europe, c'est qu'elle n'est pas utilisée à l'étranger pour les denrées exportées.

Pour le dire autrement : la philosophie du système européen repose sur une confiance candide et naïve en ses partenaires commerciaux. Or la confiance n'induit pas forcément la naïveté. Au contraire, le système serait plus robuste avec des contrôles aux importations largement accrus.

Je crois que cela démontre ce que nous défendons unanimement depuis des années.

Sur le volet procédure de retraits et rappels, que notre commission a suivi encore récemment, la procédure a été globalement satisfaisante puisque 98 % des contrôles menés par la DGCCRF chez les opérateurs ont été conformes.

Toutefois, dans quelques cas, ont été constatés un manque de lisibilité des produits retirés et rappelés, un manque de pédagogie sur les risques induits par la crise suscitant une inquiétude des consommateurs, des affichages différents des produits rappelés selon les distributeurs.

Dès lors, après avoir dressé ce constat je vous propose 5 axes d'amélioration, rassemblant 18 propositions.

Premier axe : durcir les contrôles européens pour diminuer le risque. Il s'agit de créer une DGCCRF européenne pour contrôler plus efficacement et de manière harmonisée, partout en Europe, les denrées alimentaires importées - cela évitera les contournements à l'entrée et permettra de mutualiser des recherches de résidus de pesticides dans les laboratoires. Cela passe, en outre, par un renforcement du nombre de contrôles aléatoires et du volume des résidus contrôlés dans les plans de contrôles européens et nationaux et par un nécessaire durcissement des contrôles des organismes certificateurs des pays tiers.

Deuxième axe : renforcer les contrôles nationaux en démultipliant dans les plans de contrôle nationaux les contrôles aléatoires avec prélèvement sur les résidus de pesticides et en augmentant, corrélativement, les moyens de la DGCCRF. Je rappelle que le nombre d'ETP des laboratoires de contrôles a été réduit ces dernières années...

Troisième axe : privilégier des approvisionnements européens quand cela est possible. En l'espèce, pourquoi ne pas utiliser des graines de lin doré quand le sésame est utilisé à des fins décoratives ?

Quatrième axe : renforcer la transparence et l'efficience des procédures de retraits et de rappels des produits. L'objectif serait de promouvoir urgemment des outils novateurs répondant aux attentes des consommateurs en cas d'alerte, comme des applications mobiles incluant la possibilité de s'assurer de la conformité du produit par simple photographie du code-barres et renforcer la transparence des informations en cas de crise (affichage obligatoire en rayons). En parallèle, il s'agit de s'assurer de la bonne lisibilité des informations sur les produits rappelés par le consommateur sur un site internet et une application mobile centralisant l'ensemble des alertes. À cet égard, il serait pertinent de rendre obligatoire un affichage normalisé des rappels de produits en magasin ainsi que sur les sites de vente à distance des metteurs en marché.

Cinquième et dernier axe : préserver notre tissu agroalimentaire, menacé par ces crises sanitaires à répétition sur des denrées alimentaires importées.

Les transformateurs ne peuvent pas tout contrôler, ils doivent faire confiance à leurs fournisseurs importateurs, surtout s'ils sont certifiés. Mais en cas de crise ils demeurent responsables, même si ce n'est pas de leur fait. C'est le cas, en l'espèce, des importateurs certifiant que leur sésame était bio alors qu'il comportait des résidus de pesticides.

Nos transformateurs sont fragilisés en cas de crise par des difficultés à être indemnisés par leur assurance en cas de contamination et les distributeurs peuvent leur appliquer des pénalités logistiques abusives.

Le rapport propose de mieux encadrer ces deux dispositifs en diligentant des contrôles de la DGCCRF sur ces pratiques de la distribution et en établissant un protocole sur les assurances. En outre, pour cibler au mieux les contrôles appropriés à mener sur les substances actives par denrée, une analyse de risque par denrée alimentaire devrait établir les principaux risques à cibler en s'appuyant sur l'expertise des laboratoires, de l'Anses et de la DGCCRF.

En conclusion, l'alerte sur les produits à base de sésame doit servir de leçon : aujourd'hui, les défaillances des contrôles officiels sur les denrées alimentaires importées sont trop importantes.

Compte tenu des manquements constatés sur les graines de sésame, rien ne garantit que des problèmes similaires ne soient pas rencontrés sur d'autres denrées végétales.

Si les autorités ne parviennent même pas à lutter efficacement contre l'usage des substances interdites au niveau européen, il est par conséquent matériellement quasi impossible d'assurer le respect des interdictions strictement françaises. Cela interroge sur leur portée.

Avec les moyens actuels, il apparaît encore plus illusoire de contrôler que les denrées animales importées de pays tiers respectent les normes de production exigées au niveau européen. Comment en effet contrôler efficacement la non-utilisation d'OGM, d'hormones de croissance ou de farines animales tout au long de la vie de l'animal élevé à l'étranger ?

Aux termes de l'article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime, l'autorité administrative « prend toutes mesures de nature à faire respecter l'interdiction ». Nous constatons avec cette affaire sur les graines de sésame que cette obligation, l'État ne la remplit pas.

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