Intervention de Françoise Dumont

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 mars 2021 à 9h30
Proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d'eau potable et d'assainissement en guadeloupe — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Françoise DumontFrançoise Dumont, rapporteur :

Cette proposition de loi répond à un problème d'une particulière urgence, à savoir les inacceptables difficultés que rencontrent au quotidien nos compatriotes guadeloupéens dans l'accès à une ressource aussi essentielle que l'eau. Le problème est pourtant connu de longue date. La Guadeloupe, territoire arrosé par des pluies abondantes, ne manque pas d'eau, tant s'en faut ; mais cette ressource y est mal répartie. Par conséquent, la structuration et la qualité du réseau conditionnent largement l'accès convenable des Guadeloupéens à l'eau, en qualité comme en quantité. Or cet approvisionnement est structurellement défaillant en raison de la mauvaise qualité des services publics d'eau potable et d'assainissement.

En ce qui concerne le service public d'eau potable, la situation à laquelle sont confrontés les Guadeloupéens est proprement inacceptable : la pratique systématique des « tours d'eau », ces restrictions temporaires et localisées de l'accès à la ressource, s'apparente à l'institutionnalisation d'une pénurie permanente, dont les acteurs locaux semblent avoir perdu tout espoir qu'elle se résorbe un jour. En plus de mettre à rude épreuve les nerfs des usagers, cette pratique est contreproductive, puisqu'elle tend à entraîner, via la constitution de réserves, une surconsommation d'eau...

En ce qui concerne l'assainissement, la qualité des stations de traitement est notoirement médiocre et les installations guadeloupéennes ne sont pas, pour l'essentiel, conformes aux réglementations en vigueur. Les conséquences environnementales, mais également sanitaires, d'une telle situation doivent être prises particulièrement au sérieux, dans un territoire qui ne connaît que trop bien les scandales sanitaires.

Cette situation aboutit à une défiance et à un mécontentement légitimes des usagers. La colère de ceux-ci est alimentée par le prix élevé qu'ils paient pour accéder à l'eau et qui apparaît déconnecté de la médiocre qualité du service rendu. Ainsi, ce prix n'est probablement pas étranger aux incivilités commises par les usagers sur le réseau ou au très fort taux d'impayés déploré par les autorités organisatrices, qui disposent de recettes insuffisantes pour financer la remise en état du réseau.

Face à ce que l'ancienne ministre des outre-mer, Annick Girardin, appelait elle-même une « spirale », l'État n'est certes pas resté complètement passif : un plan d'investissement, financé à hauteur de 71 millions d'euros, a été mis sur pied en 2018, et le plan Eau Dom a été lancé depuis 2017, avec un succès certes modéré en Guadeloupe. Bien qu'elles doivent être saluées, ces initiatives ont tout d'un pansement sur une jambe de bois : elles ne sauraient constituer qu'un palliatif temporaire à un problème structurel. Sur le terrain, la principale cause de ce problème est connue de tous : une gestion défaillante et éclatée entre une multiplicité d'acteurs des services publics d'eau et d'assainissement. Cet éclatement ne répond à aucune logique apparente et empêche les autorités organisatrices de bénéficier d'économies d'échelle permises par la mutualisation des coûts.

Aussi déconcertant que cela puisse paraître, la solution semble parfaitement identifiée : depuis 2014, la question de l'unification de la gouvernance et de la gestion des services publics d'eau et d'assainissement revient avec insistance comme une condition sine qua non de l'amélioration de la situation. Initiée à plusieurs reprises, une telle unification n'a jamais eu lieu malgré le consensus partagé entre les acteurs locaux sur son principe. Les désaccords persistants sur les modalités de cette unification ne sauraient pourtant constituer une raison valable pour laisser perdurer un problème qui n'a que trop duré.

Cette proposition de loi tend à apporter une solution pragmatique et efficace à cette difficulté au travers de la création d'un syndicat mixte dit « ouvert » associant la région de Guadeloupe, le département de la Guadeloupe et les cinq communautés d'agglomération que compte la Guadeloupe dite « continentale ». Doté de missions étendues et cohérentes, le syndicat mixte serait créé le 1er septembre 2021. Cette échéance constitue un point d'équilibre satisfaisant entre une exigence de célérité, pour une structure si longtemps attendue, et le temps nécessaire aux travaux de préfiguration du syndicat mixte. Les statuts du syndicat mixte seraient arrêtés par le préfet de Guadeloupe après avis des organes délibérants des futurs membres. Cette procédure manifeste la nécessité d'une impulsion de l'État sur ce sujet épineux, mais elle ne doit pas se traduire par un défaut d'association des élus locaux. Nous demeurerons vigilants sur ce point.

La principale originalité de ce texte réside dans la création d'une commission de surveillance ayant pour mission de formuler des avis et des propositions sur l'activité du syndicat mixte nouvellement créé. Lors des auditions que j'ai menées, j'ai pu constater le grave manque de confiance des usagers à l'égard des services publics. Trop longtemps tenus à l'écart d'une situation qui affecte pourtant leur quotidien, les usagers doivent ainsi être associés autant que faire se peut au fonctionnement du nouveau syndicat mixte. La composition de cette commission, dont les usagers détiendraient de droit la majorité et la présidence, permettrait une juste représentation de leurs intérêts.

Cette proposition de loi emporte donc mon accord sur le fond. Je vous proposerai néanmoins d'adopter des amendements, visant deux objectifs. D'une part, la rédaction du texte gagnerait à être simplifiée et rapprochée du droit commun - je vous soumettrai plusieurs amendements de nature rédactionnelle en ce sens. D'autre part, la proposition de loi me semble excessivement rigide sur certains points.

Premièrement, la définition de la clé de répartition des contributions financières aux investissements de la future structure pourrait conduire, pour de simples raisons de trésorerie, à bloquer des investissements nécessaires. Afin d'éviter l'absurdité d'une telle situation, je vous proposerai d'adopter un amendement permettant, à l'unanimité des membres du syndicat mixte, de déroger à cette clé de répartition.

Deuxièmement, si la composition du syndicat mixte ne semble pas poser de difficulté en l'état, il me semble regrettable que nous ne prévoyions pas les modalités de son élargissement. Je pense en particulier au cas de la communauté de communes de Marie-Galante. Afin d'éviter à l'avenir une nouvelle modification législative, je vous proposerai d'adopter un amendement tendant à permettre, avec l'autorisation expresse du préfet et l'accord unanime des membres, l'adhésion d'un nouveau membre au syndicat mixte, dans les conditions prévues par les statuts.

Enfin, le fonctionnement de la commission de surveillance gagnerait à être fluidifié. La présence de parlementaires ne me semble pas pertinente dans un organe dont le but premier est la représentation des usagers. À l'inverse, la représentation d'élus municipaux me semble nécessaire - je vous suggérerai d'adopter un amendement en ce sens. Par ailleurs, les attributions de cette commission et de son président pourraient être utilement renforcées. Je vous proposerai donc des amendements prévoyant, d'une part, l'obligation de procéder à une audition annuelle du président du comité syndical par la commission de surveillance, et, d'autre part, la possibilité pour le président de la commission de surveillance de solliciter l'inscription à l'ordre du jour du comité syndical de toute question de son choix et de proposer à la commission toute audition qu'il jugerait utile.

Ces quelques assouplissements de bon sens permettraient un fonctionnement plus fluide du nouveau syndicat mixte. Je me dois néanmoins d'être franche : malgré ces quelques modifications, la présente proposition de loi ne suffira pas à régler entièrement et définitivement le problème qui nous occupe aujourd'hui. Le transfert au syndicat mixte des dettes, des ressources humaines et des biens nécessaires à l'exercice de ses compétences exigera un dialogue particulièrement nourri entre l'ensemble des parties prenantes. L'ingéniosité du législateur a ses limites, et il reviendra aux acteurs locaux de s'approprier les outils mis à leur disposition, dans un esprit de solidarité et de consensus.

Je déplore particulièrement l'inertie de l'État sur ce sujet. À titre d'exemple, la question des dettes n'est nouvelle pour aucun acteur du dossier. Comment expliquer qu'un plan de financement et d'accompagnement des communautés d'agglomération n'ait pas encore été établi, alors qu'une telle initiative aurait à coup sûr rassuré celles-ci et amélioré l'acceptabilité du syndicat mixte unique ? L'État doit se montrer à la hauteur de l'enjeu et jouer pleinement le rôle de facilitateur qui lui incombe.

Malgré ces remarques de méthode, la présente proposition de loi n'en reste pas moins urgente. Elle résulte d'un large effort de concertation, menée avec les acteurs locaux. C'est dans cette dynamique partenariale, attentive au terrain, que j'ai souhaité inscrire mes travaux. J'ai travaillé en parfaite coopération avec Justine Benin, rapporteure du texte à l'Assemblée nationale, et Dominique Théophile, signataire d'une proposition de loi similaire au Sénat, dans l'élaboration des amendements que je vous soumettrai. Je les remercie chaleureusement de la qualité du travail réalisé, en Guadeloupe comme à Paris, pour sensibiliser sur la gravité de ce sujet et formuler des pistes de solution.

Le texte que je vous propose d'adopter est donc équilibré, négocié et consensuel. Il me semble à même d'emporter, sur un sujet d'une particulière gravité, une large adhésion, au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

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