La loi de 1905 est une loi de liberté pour l'individu - il acquiert une liberté de conscience absolue et une liberté d'exercice de son culte dans le respect des lois -, pour les cultes - les ministres du culte ne sont plus nommés et contrôlés par le Gouvernement - et pour l'État - il se libère ainsi de toute autorité religieuse.
Ces libertés sont garanties, comme toutes les libertés républicaines légales, par des dispositions pénales. L'article 1er, qui permet le libre exercice des cultes - c'est-à-dire la liberté de manifester sa foi, par des signes ou par des actes, y compris dans la rue -, est garanti par l'article 31 de la loi de 1905, qui punit d'une peine d'amende ou de prison toute personne exerçant une pression sur une autre personne pour la contraindre à exercer son culte ou pour l'en empêcher.
Le culte est pénalement protégé - on ne peut le troubler - et il peut être empêché si ses ministres décident d'intervenir dans le champ du politique ou dans le champ de la société civile en dehors de la mission de l'exercice de leur culte ; c'est l'objet des articles 34 et 35 de la loi de 1905. L'article 34 dispose que « Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni d'une amende [et/ou] d'un emprisonnement ». Selon l'article 35, « Si un discours [...] ou un écrit [...] contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. »
Pourquoi est-ce que je cite ces articles ? Parce qu'ils ont été appliqués de façon très importante dans les années qui ont suivi le vote de la loi de 1905. En effet, malgré le travail remarquable de la commission Briand, le pape a refusé la loi, au travers d'une encyclique de 1906. En raison de la crise des inventaires, le Gouvernement est tombé ; Clemenceau et Briand sont entrés au Gouvernement et se sont concentrés sur l'intégration du culte catholique, au moyen des associations cultuelles. Néanmoins, le pape a encore refusé, en 1906, les associations cultuelles et il a appelé les catholiques à la guerre.
Clemenceau et Briand ont répondu par la loi de janvier 1907, qui permettait aux catholiques de recourir à la loi de 1901, et par la loi de mars 1907, qui instaurait la liberté absolue de réunion, y compris pour la messe. Le pape a rejeté ces options libérales par une nouvelle encyclique. En septembre 1908, il a fait dire dans toutes les églises que les pères de famille devaient surveiller l'école publique et en interdire l'accès à leurs enfants, si elle ne respectait pas l'« honnête neutralité » et mettait en péril la foi de leurs enfants. Certains prêtres ont menacé des enfants de ne pas leur permettre de faire leur première communion s'ils étudiaient dans certains livres scolaires et ont menacé les instituteurs catholiques.
Aristide Briand, devenu ministre de la justice, a poursuivi devant les tribunaux, au titre des articles 34 et 35 de la loi de 1905, ces ecclésiastiques, qui ont été condamnés. La condamnation du cardinal de Bordeaux, en juillet 1909, fut un évènement national. En septembre 1909, dans une nouvelle lettre, les cardinaux et évêques de France ont appelé les parents à retirer leurs enfants de l'école publique et à leur interdire l'étude de certains livres d'histoire. Le Gouvernement, présidé par Briand, a décidé, même si la liberté d'opinion s'appliquait aussi aux évêques, de poursuivre les ecclésiastiques qui exerceraient des menaces contre les enfants, les parents et les instituteurs ; d'où de nombreuses condamnations en 1910 et 1911. Selon Louis Méjean, directeur des affaires des cultes sous Briand, « les articles sur la police des cultes de la loi de 1905 ont suffi à préserver l'État du danger politique venant du clergé et même de l'épiscopat ».
Ces articles et ces condamnations ont été oubliés, grâce à l'Union sacrée de la guerre de 1914-1918, mais ils ont permis de résoudre cette très grave crise, face au chef de l'Église catholique.
Pour répondre aux menaces qui peuvent être aujourd'hui proférées à l'encontre de citoyens par des gens parlant au nom d'une religion, que propose-t-on dans le présent projet de loi ? L'inverse de ce qu'ont fait Briand et Clemenceau. Ces derniers avaient choisi d'ouvrir la porte de la République et de la loi à la masse des croyants et de cibler personnellement les individus qui mettaient en cause les lois de la République. Le présent projet de loi, même corrigé par l'Assemblée nationale, crée, à la place de la responsabilité individuelle des fauteurs de troubles, une responsabilité collective de l'ensemble des cultes.
Il place les cultes sous tutelle, en les soumettant à un régime d'autorisation quinquennale. À l'époque de la séparation, on aurait demandé aux cultes de respecter non les valeurs de la République mais ses lois, ce qui est évidemment nécessaire. Il y a une intrusion dans l'organisation interne des associations cultuelles qui remet en cause l'accord trouvé, après tant de difficultés, avec le Vatican, au travers des associations diocésaines. Le nouvel article 19 est très dangereux du point de vue de la stabilité juridique et politique de l'accord passé par la France en 1923-1924 avec le pape.
Par ailleurs, il y a de nouvelles exigences en matière de contrôle des finances des associations, avec le rôle de l'inspection générale des finances ; c'est un désordre total. Du reste, ni l'Assemblée nationale ni le Sénat n'ont, à ma connaissance, invité le ministre des finances alors que c'est le ministre qui intervient le plus dans le contrôle des cultes, au travers notamment des avantages fiscaux. Il a probablement bien des choses à dire sur la façon dont l'administration contrôle les finances de ces associations.
En outre, il est créé une responsabilité pénale collective, au travers de l'article 8.
Enfin, le sommet de l'absurdité est atteint par l'article sur la fermeture temporaire des lieux de culte. Il s'agirait de « prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ». Cela ressemble à l'article 35 de la loi de 1905, que j'ai lu précédemment, mais l'Assemblée nationale a supprimé cet article ! On supprime donc la responsabilité individuelle des fauteurs de haine dans les lieux de culte - Briand explique d'ailleurs pourquoi il fallait une peine spéciale - et l'on crée une responsabilité collective, en fermant les lieux de culte. Cela porte atteinte à certaines libertés individuelles et à l'individualisation des peines mais également à la liberté d'association et de culte, ainsi qu'à la séparation.
Le Conseil constitutionnel a déclaré en 2006 que les directives européennes s'appliquaient à la France sauf si elles touchaient à l'identité constitutionnelle de notre pays. Or qu'y a-t-il dans cette identité constitutionnelle ? D'abord, la laïcité et notamment la séparation. Si la séparation n'existe plus, nous perdons la laïcité. Briand disait que, en pénétrant dans le domaine sacré de la conscience, le législateur avait comme premier devoir d'indiquer les principes qui l'ont inspiré. Si ce projet de loi est adopté, il me semble que ce qui suit les articles 1er et 2 sera en contradiction avec l'article 2. C'est un problème d'ordre constitutionnel.