Je félicite à mon tour les rapporteurs pour leur travail courageux sur un texte compliqué. Nous avons participé à de nombreuses auditions, et en avons organisé beaucoup nous-mêmes, mais nous devons maintenant nous pencher sur les propositions des rapporteurs. J'exprimerai donc ici un avis global sur le texte, sachant que nous avons déjà déposé des amendements, dont certains de suppression.
Ce texte est un énième rendez-vous sur la sécurité, qui sera sans doute un rendez-vous manqué. Il vient signer un constat d'échec. Des policiers que nous avons auditionnés hier nous ont dit qu'il ne leur était plus possible aujourd'hui de rentrer chez eux en tenue. C'est le signal que l'intégration des policiers et des forces de sécurité intérieure dans la société française est aujourd'hui problématique. Par ailleurs, nous assistons à un glissement de l'organisation des forces de sécurité intérieure, jusque-là dévolues essentiellement à l'État, vers la police municipale.
C'est ce double sujet que nous devons traiter dans le texte : le lien police-population et le lien entre la police nationale et les territoires.
La confusion dans laquelle nous travaillons sur les sujets de sécurité est tout de même assez surprenante. En effet, je rappelle que nous avons déjà la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », la loi anticasseurs, un schéma national du maintien de l'ordre, un Livre blanc, des réflexions diverses et variées venant des deux assemblées parlementaires, et le Beauvau de la sécurité qui va traiter de sujets dont nous sommes en train de délibérer en vue d'une loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) qui viendra l'année prochaine... Cette inflation législative et d'initiatives n'est pas de nature à produire un texte équilibré, structurant et durable sur les questions de sécurité.
Sous la pression de l'opinion, la proposition de loi est l'occasion de donner des coups de menton sécuritaires : certains, dans le monde judiciaire ou dans celui de la défense des libertés publiques et des droits fondamentaux, s'inquiètent avec raison d'un déséquilibre croissant entre liberté et sécurité. Cette situation justifie un certain nombre d'amendements que notre groupe a déposés sur les articles 24, 23 et 21. Je salue néanmoins les efforts des rapporteurs pour améliorer certains articles du texte.
Les choses seraient plus simples s'il n'y avait pas de confusion avec le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Sur l'article 24, notre main est plus que tremblante : nous ne savons pas bien quoi faire. Vous avez choisi de réécrire l'article. Nombre des personnes auditionnées nous ont pourtant indiqué que cet article ne servait à rien, qu'il existait déjà dans le droit positif toutes les dispositions permettant de répondre à la demande de protection des fonctionnaires de police en opération. C'est la position que nous avons adoptée et la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de suppression. D'autant que nous avons la menace de l'article 18 qui va bientôt être discuté...
La question du continuum de sécurité pose problème. Malgré les modifications apportées, il reste des questions importantes à régler dans l'organisation de la sécurité : quid de la complémentarité entre police nationale et police municipale ? Comment organiser un continuum quand il n'y a pas de continuité puisqu'il n'existe pas de polices municipales partout et qu'elles n'ont pas toutes les mêmes prérogatives ? Quelle est la dimension de proximité ? Comment régler la question des inégalités territoriales ? L'organisation des forces de sécurité intérieure entre police nationale et polices municipales est-elle lisible pour l'usager ? Autant de questions qui ne trouvent pas réponse dans ce texte.
Symbole ultime des dérives de ce faux projet de loi : les polices municipales ne sont même pas invitées au Beauvau de la sécurité. Sans même parler des contrats de sécurité intégrée, qui ne figurent pas dans le texte et qui constituent une forme de recentralisation. L'État externalise-t-il un certain nombre de missions pour reprendre ensuite la main par ces contrats de sécurité intégrée ?
Nous sommes très dubitatifs sur toutes ces questions. La question la plus épineuse à laquelle vous avez essayé de répondre avec l'article 24 est celle du lien entre la police et les citoyens. La massification des images appelle une massification des garanties et des contrôles. Ces sujets ne trouvent pas de réponse dans le texte et appellent un grand débat de société qui dépasse cette proposition de loi.
Nous allons travailler d'ici à la séance sur les amendements des rapporteurs, tout en ayant une position très réservée sur l'ensemble du texte. Nous voulons témoigner de notre bienveillance à l'égard de nos forces de sécurité intérieure et de notre volonté de défendre les libertés publiques.