Intervention de Christophe-André Frassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 mars 2021 à 14h00
Proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur :

Notre commission est saisie de la proposition de loi tendant à garantir le respect de la dignité en détention, déposée par le président François-Noël Buffet et sur laquelle le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée.

S'il est adopté, ce texte marquera, j'en suis convaincu, une étape importante dans la garantie des droits fondamentaux dans notre pays. Avant de vous en présenter le contenu, je souhaite vous rappeler en quelques mots le contexte dans lequel intervient son examen.

Comme vous le savez, le dépôt de ce texte fait suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) condamnant la France, à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui en a tiré les conséquences en droit interne et à une décision du Conseil constitutionnel qui nous impose d'agir.

Le 30 janvier 2020, tout d'abord, la CEDH a condamné la France au motif que notre droit interne n'offre pas aux détenus une voie de recours leur permettant de faire cesser les conditions indignes de détention. Cette absence de recours constitue une violation de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui reconnaît à toutes les personnes dont les droits et libertés ont été violés le droit à un recours effectif devant une instance nationale.

La Cour de Strasbourg a estimé que la possibilité de saisir le juge administratif en référé ne constituait pas une voie de recours entièrement satisfaisante : en effet, si le juge des référés peut ordonner des mesures ayant un impact positif sur les conditions de détention, une opération de désinsectisation ou de dératisation par exemple, il ne peut ordonner de mesures susceptibles de résoudre des problèmes structurels, liés à la surpopulation carcérale notamment.

Dans un arrêt du 8 juillet 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation en a tiré les conséquences en droit interne. Elle rappelle que le juge national est chargé d'appliquer la Convention européenne des droits de l'homme et qu'il doit tenir compte de la décision condamnant la France, sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires.

La chambre criminelle donne ensuite au juge judiciaire le « mode d'emploi » à appliquer pour que chaque détenu dispose d'une voie de recours effectif. D'abord, le demandeur doit décrire ses conditions personnelles de détention d'une manière suffisamment crédible, précise et actuelle, pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. Il appartient ensuite à la chambre de l'instruction de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d'en apprécier la réalité. Gardien de la liberté individuelle, le juge judiciaire doit veiller à ce que la détention soit mise en oeuvre, en toutes circonstances, dans des conditions respectant la dignité des personnes.

Par ailleurs, au travers de la décision répondant à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du Conseil constitutionnel, en date du 2 octobre 2020, le Conseil a estimé qu'il incombait au législateur de garantir aux personnes détenues la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne afin qu'il y soit mis fin, et il nous a donné jusqu'au 1er mars 2021 pour agir.

L'échéance du 1er mars, vous en conviendrez, ne pourra pas être respectée, mais l'initiative du président François-Noël Buffet de déposer une proposition de loi devrait nous aider à ne pas prendre trop de retard. Le Gouvernement envisageait de traiter des conditions indignes de détention dans le futur projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire qui ne sera pas examiné au Sénat avant le mois de juin.

J'en arrive à la présentation du texte, qui reprend le contenu d'un amendement que le Gouvernement avait envisagé d'insérer dans le projet de loi sur le Parquet européen, mais que l'Assemblée nationale avait déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

Le juge compétent pour connaître de la demande est soit le juge des libertés et de la détention (JLD), si la personne est placée en détention provisoire, soit le juge de l'application des peines (JAP), s'il s'agit d'un condamné. Pour être recevable, la requête de la personne détenue doit contenir des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne. Le juge fait ensuite procéder aux vérifications nécessaires et il recueille les observations de l'administration pénitentiaire.

Si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à l'administration pénitentiaire les conditions de détention qu'il considère indignes et il lui fixe un délai, compris entre dix jours et un mois, pour y mettre fin. C'est donc dans un premier temps l'administration pénitentiaire qui a la main : elle peut, par exemple, changer le détenu de cellule, éliminer les parasites, transférer le détenu vers un établissement moins occupé.

C'est seulement si l'administration pénitentiaire ne parvient pas à résoudre le problème dans le délai imparti que le juge est amené à prendre une décision. Trois options s'offrent alors à lui : ordonner le transfèrement de la personne détenue ; ordonner la mise en liberté de la personne placée en détention provisoire, éventuellement assortie d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence avec surveillance électronique ; ordonner un aménagement de peine si la personne est définitivement condamnée, à condition qu'elle soit éligible à une telle mesure. L'aménagement de peine peut consister, par exemple, en une libération conditionnelle, un régime de semi-liberté ou encore une détention à domicile sous surveillance électronique.

Toutefois, le juge peut refuser de prendre l'une de ces trois décisions si le détenu a, au préalable, refusé un transfèrement proposé par l'administration pénitentiaire, sauf s'il s'agit d'un condamné et que ce transfèrement aurait porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Le détenu qui aura refusé le transfèrement sans motif valable restera donc en détention.

La proposition de loi ne consacre donc pas un droit absolu à la remise en liberté. Le droit à la sureté et l'objectif de prévenir les atteintes à l'ordre public sont ainsi conciliés avec le droit à des conditions dignes de détention.

J'ajoute que les décisions du juge à tous les stades de la procédure sont enserrées dans un délai de dix jours, qui tient compte de la nécessité d'aller vite dans ces affaires qui touchent aux droits fondamentaux des personnes. Une possibilité d'appel est bien sûr prévue, devant le président de la chambre de l'instruction ou devant le président de la chambre de l'application de peine, selon les cas. Un décret en Conseil d'État devra préciser notamment les modalités de saisine du juge et la nature des vérifications qu'il peut ordonner.

Les magistrats que j'ai entendus accueillent positivement la création de cette nouvelle voie de recours qui marque un progrès dans le respect des droits fondamentaux, même si certains redoutent de ne pouvoir faire face à un trop grand afflux de demandes. On peut craindre effectivement que le texte provoque un « appel d'air » dans les premiers mois, en donnant des idées à des détenus ou à leurs avocats, mais je crois que le système devrait se réguler assez naturellement une fois que la jurisprudence en aura précisé les contours.

Je note que le nombre de demandes enregistrées après l'arrêt de la chambre criminelle est resté très raisonnable, une vingtaine de requêtes ayant par exemple été comptabilisées dans les juridictions d'Île-de-France. Les chefs de juridiction et l'administration pénitentiaire devront cependant rester vigilants et surveiller le surcroît d'activité qui pourrait se produire.

Même s'il constitue une avancée, le texte n'apportera pas, à lui seul, une réponse au problème posé par les mauvaises conditions de détention. Leur amélioration suppose de poursuivre et d'amplifier les efforts tendant à rénover le parc pénitentiaire et à ouvrir de nouvelles places de prison, afin de remédier à un phénomène structurel de surpopulation qui a certes diminué sous l'effet de la crise sanitaire, mais qui risque de redevenir d'actualité maintenant que les juridictions pénales ont repris leur rythme habituel de travail.

Les peines d'emprisonnement privent les individus de leur liberté, mais elles ne doivent pas les dépouiller de leur dignité. Pour notre pays, il s'agit à la fois d'un enjeu de respect des droits fondamentaux, mais aussi d'un enjeu de sécurité, puisque l'on ne peut pas travailler efficacement à la réinsertion des détenus et lutter contre la récidive si les conditions de détention sont inacceptables.

Je remercie donc le président François-Noël Buffet d'avoir insisté auprès du Gouvernement pour que ce sujet soit inscrit rapidement à l'ordre du jour de notre assemblée, et je vous invite à adopter ce texte amélioré par les quelques amendements présentés à l'issue de notre discussion, qui visent essentiellement à parfaire la procédure.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion