Il est habituel que l'intitulé d'un projet de loi n'en recouvre pas la réalité médiatique et politique. En 2004, lorsque le voile à l'école a été interdit, l'intitulé de la loi était plus juridique que politique. En 2010, lorsque le port de la burqa a été interdit dans l'espace public, l'intitulé de la loi faisait référence à la dissimulation du visage. En 1905, la loi dite de séparation des Églises et de l'État visait surtout l'Église catholique. Nous pensons, comme Mme Vérien, qu'il est préférable d'insister sur les principes républicains plutôt que d'opter pour un intitulé plus politique, mais il appartient au Parlement de modifier cet intitulé s'il le souhaite.
S'agissant de la laïcité, il faut déjà s'entendre sur la définition de ce terme. Pour notre part, nous nous rangeons à la définition de la laïcité retenue par les pères de la Constitution et reprise par le Conseil d'État et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celle-ci s'articule autour de la pluralité religieuse, de la liberté de culte et de la neutralité de l'État et de ses agents.
Contrairement à ce que certains répètent, la définition de la laïcité française ne se résume pas à une attitude de discrétion dans l'espace public, même si celle-ci est par ailleurs tout à fait défendable. Elle n'a rien à voir non plus avec le fait qu'une religion soit plus adaptée qu'une autre à notre mode de vie. La laïcité consiste à accepter l'idée que la pluralité religieuse existe, et elle respecte à ce titre la liberté d'expression des opinions de chacun. Il est inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses », ce qui indique qu'une mise à distance de la religion existait déjà à l'époque où ce texte a été écrit, parce que l'on mesurait sans doute le danger que l'idée religieuse pouvait représenter. Pour l'État, la religion est une opinion et rien de plus. Le texte traite de la laïcité et de la liberté de culte dans tous ses chapitres.
Au sujet de l'article qui crée une nouvelle mesure de fermeture administrative des lieux de culte, Mme la rapporteure pose la question de l'équilibre entre le maintien de l'ordre public et l'atteinte au libre exercice des cultes. Cet équilibre repose sur le principe selon lequel on ne peut pas fermer un lieu de culte définitivement, car ce serait attentatoire à la liberté fondamentale de l'exercice d'un culte.
En outre, ce ne sont pas les murs qui sont salafistes, mais les personnes qui prêchent à l'intérieur. Mieux vaut donc combattre ceux qui portent un discours radicalisé, même si cela implique parfois de fermer un lieu de culte de manière temporaire, plutôt que de considérer qu'une fermeture définitive résoudrait tout.
Enfin, nous devons tenir compte de la jurisprudence administrative pour éviter toute censure. Lorsque le préfet de la Seine-Saint-Denis ferme la mosquée de Pantin, parce que la preuve d'un lien direct avec l'assassinat de M. Paty a été établie par deux fois, le juge administratif procède en calculant le nombre de kilomètres qui séparent cette mosquée du lieu de culte musulman le plus proche, en l'occurrence douze kilomètres. Il en conclut qu'aucune atteinte n'est portée à la liberté de culte des fidèles musulmans de la ville de Pantin. La décision prise par le ministère de l'intérieur est donc proportionnée.
En revanche, si le lieu de culte le plus proche s'était trouvé éloigné de 40 ou 50 kilomètres, le juge administratif aurait sans doute fait primer la liberté de culte, malgré le lien direct établi avec l'acte terroriste. Cela incite à la prudence, mais cela montre surtout que les grands combats qui concernent la liberté d'expression, la liberté de culte, l'ordre public ou la protection de la nation s'entrechoquent dans ce texte. Comme ministre de l'intérieur, je souhaite éviter que les dispositions que nous y inscrivons ne se retrouvent censurées par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l'homme.
L'obligation de neutralité des élus dans le cadre de leurs fonctions a donné lieu à un long débat à l'Assemblée nationale. Il faut bien évidemment s'entendre sur ce que recouvre le terme de « neutralité ». En effet, l'élu municipal, maire ou adjoint au maire, a une obligation de neutralité lorsqu'il oeuvre en tant qu'officier d'état civil et donc comme agent de l'État : c'est par exemple le cas du maire lorsqu'il porte son écharpe bleu, blanc, rouge.
En revanche, il n'est pas tenu à cette neutralité lorsqu'il préside un conseil municipal, car il fait alors partie de l'organe délibérant et n'oeuvre pas en tant qu'agent de l'État.
La loi actuelle prévoit clairement que lorsqu'un élu municipal a une délégation de représentant de l'État, il est comme tous les autres tenu à la neutralité politique et religieuse. Il n'a par exemple pas le droit d'exprimer un avis politique, ou de porter une kippa - ou bien un voile, s'il s'agit d'une femme - lorsqu'il officie pour un mariage.
Cependant, il est évident qu'un élu ne peut pas être tenu à la neutralité de manière constante : du fait même qu'il fait de la politique, un élu neutre serait un drôle d'élu !
Au cours du débat s'est également posée la question de savoir s'il fallait interdire aux élus d'aller à la messe. Le général de Gaulle, pourtant fervent catholique, n'a jamais communié en public. Il s'agit sans doute d'une tradition républicaine que chacun devrait respecter, mais comment imaginer soumettre à l'amende les maires, élus, conseillers régionaux, ou bien parlementaires qui seraient allés communier le dimanche ?
C'est mon droit le plus strict d'aller communier à Tourcoing. Si je le fais le jour des élections, la question se pose de savoir si c'est en tant qu'élu ou bien comme simple citoyen. La difficulté surgit dès lors qu'un élu se rend dans un lieu de culte pour faire du communautarisme électoral.
Le Gouvernement ne veut pas enflammer le débat. Rien n'interdit à un élu de se rendre dans un lieu de culte, et je ne crois pas qu'il faille l'interdire, comme certains députés de la France insoumise l'ont proposé à l'Assemblée nationale. Il nous paraît cependant important que figure dans le texte la possibilité de condamner ceux qui utilisent les lieux de culte pour y tenir des réunions politiques, que ce soit dans un cadre national ou qu'il s'agisse des diasporas étrangères. Nous aurons l'occasion de reparler en séance de ce sujet qui a passionné l'hémicycle à l'Assemblée nationale.
Aurons-nous les moyens d'assurer le contrôle du financement étranger des cultes ? Je le crois, car nous nous évertuons déjà à le faire sans disposer des mesures administratives qui faciliteraient ce contrôle. Les dispositions prévues dans le texte rendront notre action plus efficace. Par ailleurs, le Gouvernement a doublé les effectifs de la DGSI et des renseignements territoriaux.
L'ordre public procède d'un équilibre. Madame la rapporteure, vous aurez noté que nous avons proposé un délai de trois mois pour mener notre action concernant les lieux de culte. Cela a nourri le débat à l'Assemblée nationale, notamment avec le rapporteur, mais nous avons considéré que ce délai, renouvelable, était raisonnable.
Nous ne pouvions toutefois pas nous focaliser sur les lieux de culte sans tenir compte des associations. C'est la raison pour laquelle la loi, si elle est adoptée, permettra à la fois de fermer des lieux de culte et de dissoudre ou suspendre des associations.
Pour répondre à votre question sur le régime des associations, le Gouvernement souhaitait initialement que celles-ci passent toutes sous celui de la loi de 1905, en prévoyant une transition de quelques années. Chaque régime, que ce soit celui de 1901 ou de 1905, a des avantages et des inconvénients. Celui de 1901 est beaucoup plus simple, mais donne lieu à une forme de violation de la loi, dès lors que par une confusion entre le cultuel et le culturel, certaines associations finissent par toucher des subventions et par bénéficier de déductions fiscales, alors qu'elles sont liées à un culte. Pas moins de 92 % des lieux de culte musulmans sont sous ce régime.
Le Conseil d'État a clairement établi que la démarche envisagée par le Gouvernement serait une atteinte disproportionnée à la liberté de culte. La loi ne définit pas ce qu'est un ministre du culte, ni ce qu'est un culte, ni même ce qu'est un lieu de culte. Nous connaissons les grands cultes « médiatiques », si vous me permettez l'expression, mais il en existe des centaines d'autres, en France. Comment distinguer ceux qui sont vraiment des cultes et ceux qui n'en sont pas ?
De même, les musulmans nous expliquent que les imams ne sont pas des ministres du culte, ce qu'ils ne sont effectivement pas au sens chrétien du terme. Toutefois, ce n'est pas le rôle de l'État neutre et laïque, de décider qui est ou qui n'est pas ministre du culte.
Par conséquent, nous avons écouté le Conseil d'État, et nous avons fait le choix de maintenir le régime de 1901 en lui ajoutant les inconvénients de celui de 1905, et inversement. Nous acceptons par exemple l'idée que le bureau d'une association soit constitué comme le prévoit le régime de 1901, en excluant notamment toute personne condamnée pour terrorisme, mais nous ajoutons une disposition du régime de 1905, à savoir l'obligation d'y faire figurer un expert-comptable. Cela alourdit sans doute le dispositif de comptabilité, mais comme ancien ministre de l'action et des comptes publics, je peux vous assurer que ces lourdeurs sont nécessaires si nous voulons pouvoir contrôler les reçus fiscaux. Nous en avons fait l'expérience au moment de la dissolution du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et de BarakaCity.
Le texte prévoit un certain nombre de dispositions qui visent à renforcer le contrôle que nous avons sur les financements étrangers. Le régime de 1905 offre certains avantages. Par exemple, dans ma commune, certaines associations musulmanes m'ont demandé une aide publique pour payer leur taxe foncière, ce qui n'est évidemment pas possible, en vertu de la loi de séparation de l'Église et de l'État. Elles ont donc dû emprunter de l'argent à l'étranger. Cependant, si elles avaient dépendu du régime de 1905, elles n'auraient pas eu à payer de taxe foncière, car la loi de 1905 exempte de fiscalité locale pour la propriété, ceux qui gèrent des lieux de culte.
Voilà pourquoi nous aurions aimé que le régime de la loi de 1905 prime. Le risque de censure nous a incités à choisir un dispositif plus proportionné selon le juge administratif. C'est une bonne mesure qui devrait convaincre tout le monde.
Les catholiques n'ont pas reconnu la loi de 1905 et ont demandé dès la fin de 1906 la reconnaissance d'un certain nombre d'associations diocésaines. Les échanges épistolaires et diplomatiques entre le gouvernement de la République et le pape l'attestent. Ils ne sont en aucun cas concernés par les dispositions nouvelles que nous présentons et leurs associations seront sous statut de la loi de 1905.
Quant à l'article 35 de la loi de 1905, il n'a jamais été utilisé par aucun gouvernement, et pour cause, car il vise un discours ou un écrit rendus publics dans des lieux où s'exerce le culte qui feraient acte de provocation directe incitant à résister à l'exécution des lois et aux actes légaux de l'autorité publique, ou bien à soulever une partie des citoyens contre les autres. Le ministre du culte qui sera rendu coupable d'un tel fait sera condamné à une peine pouvant aller de trois mois à deux ans d'emprisonnement.
Encore faudrait-il pouvoir définir ce qu'est un ministre du culte ! En outre, la suite de l'article ne manque pas de sel, puisque le texte précise que la mesure s'applique « sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. » Dans la mesure où aucun discours sur le culte n'a jusqu'à présent mené à la sédition ou à la guerre civile, aucun gouvernement n'a pu avoir recours à l'article 35. Enfin, un an d'emprisonnement pour avoir mené à la guerre civile paraît une peine peu proportionnée... Il nous a donc semblé nécessaire de mettre à jour la loi de 1905 sur ce point.