Nous avons considéré, comme le dit Mme la Contrôleure, dont nous avons repris plusieurs suggestions dans nos amendements, que ces dispositions sont nécessaires à l'effectivité du droit. Mais un seul de nos amendements a été adopté... Nous considérons donc que l'effectivité peut encore être accrue. C'est pourquoi notre groupe s'abstiendra dans le vote sur l'ensemble du texte : son existence constitue certes une avancée, mais son contenu pourrait être amélioré.
L'amendement COM-29 est retiré.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 15 h 05.
La réunion est ouverte à 16 h 30
Chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. le ministre de l'intérieur et Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, dans le cadre de nos travaux relatifs au projet de loi confortant le respect des principes de la République. Monsieur le ministre, vous avez la parole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes très honorés d'évoquer devant votre commission ce texte important pour la législature et pour le pays. La liberté d'association, la liberté de culte, la liberté d'expression et la laïcité ont été chèrement acquises, elles sont très encadrées par notre droit positif, et c'est un travail considérable que d'y toucher, mais aux attaques terroristes que la France subit depuis de nombreuses années s'ajoute désormais ce que Gilles Kepel nomme le « djihadisme d'atmosphère », phénomène plus diffus mais tout aussi meurtrier.
Ce texte de loi ne vise pas une énième fois à lutter contre le terrorisme. De nombreux gouvernements ont déjà doté la France de moyens et de dispositions législatives supplémentaires à cette fin. Entre le terrorisme et la radicalisation qui y mène, le Président de la République a identifié un phénomène qu'il a qualifié de séparatisme : il s'agit de cet islam politique et radical, qui est une dérive sectaire, dont nous nous efforçons par ce texte de limiter, voire de stopper l'entrisme.
Ce texte vise donc à renforcer les principes républicains et à lutter contre ce séparatisme, dont l'assassinat de M. Samuel Paty a montré qu'il reposait sur l'entrisme dans les services publics locaux, le communautarisme effréné, la pression sur les agents publics et la diffusion par les réseaux sociaux de fatwas numériques.
Nous savons désormais qu'il n'y a pas de différence de nature, mais une différence de degré entre le séparatisme et le terrorisme. Nous devons donc le combattre.
Les dispositions de ce texte sont nombreuses. Elles concernent en premier lieu le service public, singulièrement les services publics locaux. Pendant longtemps, nous avons délégué des missions de service public à des entreprises privées, si bien qu'aujourd'hui, des centaines de milliers d'agents remplissent des missions de service public sans être nécessairement soumis aux obligations de neutralité politique et religieuse auxquelles sont soumis les agents publics.
L'article 1er étend donc ces obligations de neutralité à des centaines de milliers de salariés dont le travail est assimilé à celui des agents de la fonction publique. Le port du voile ou les aménagements relatifs aux heures ou aux lieux de prière seront désormais interdits.
Une autre disposition très importante de ce texte est le résultat d'un compromis trouvé avec le président de l'Association des maires de France : il s'agit du référé laïcité, qui permettra de saisir le juge administratif de toute décision prise par une collectivité locale qui serait contraire au principe de laïcité.
D'autres mesures visent le champ associatif, qui est malheureusement trop souvent un lieu d'entrisme du séparatisme. Cela est d'autant plus scandaleux que certaines des associations concernées bénéficient de subventions publiques. Par ailleurs, nous renforçons les dispositions qui permettent de suspendre ou de dissoudre les associations.
J'en viens à la haine en ligne. La radicalisation est parfois plus efficace sur internet que dans les lieux de culte. Le garde des Sceaux et le secrétaire d'État chargé du numérique exposeront devant votre commission les dispositions nouvelles prévues par ce texte, notamment les sites miroirs.
Afin de lutter contre les pressions exercées contre les agents publics, ce texte prévoit un délit de séparatisme passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans, et pour les étrangers, d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Je ne m'étends pas sur l'article 18, dit article « Samuel Paty », dont nous débattrons longuement.
Nous renforçons l'aide que nous apportons aux cultes, notamment en simplifiant des dispositions de la loi de 1905 ou en autorisant les associations cultuelles à posséder des immeubles de rapport, tout en renforçant la laïcité telle qu'elle fut portée par Aristide Briand et Gustave Dron, sénateur-maire de Tourcoing, qui visait à organiser les cultes en vertu d'un dispositif inventé pour eux.
Ce dispositif comporte un certain nombre de contraintes que nous devons assumer. Par exemple, le ministre de l'intérieur ne dispose pas d'informations sur les éventuels financements étrangers des cultes et ne peut s'y opposer. L'Assemblée nationale a introduit avec un avis favorable du Gouvernement l'interdiction de vendre un lieu de culte sans l'accord de l'État à d'autres États étrangers.
Par ailleurs, le texte prévoit la possibilité de fermer des lieux de culte lorsqu'ils sont soupçonnés de séparatisme. Parmi les 2 500 lieux de culte musulmans existant en France, les services de renseignement territoriaux estiment que 89 sont séparatistes. Dans l'état actuel du droit, le ministre de l'intérieur dispose de deux moyens de faire fermer des lieux de culte : si un attentat est intervenu et qu'un lien avec le lieu de culte a été prouvé, en vertu de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) - c'est ainsi que j'ai fait fermer la mosquée de Pantin au lendemain de l'assassinat de M. Paty - ou selon le régime qui s'applique à l'ensemble des établissements recevant du public (ERP). Si 17 lieux de culte sont fermés sur ce fondement, ils ne le sont pas au nom du discours qu'ils portent.
Les dispositions que nous vous proposons permettront demain au ministre de l'intérieur de faire fermer ces lieux de culte, notamment lorsque le juge administratif le confirmera. Dès que la loi sera promulguée par le Président de la République, je ferai organiser par les services du ministère de l'intérieur le contrôle au nom de la loi nouvelle des 89 lieux de culte séparatistes dans les semaines qui suivront.
Ce plan d'action, qui est un plan de réaction de la République vis-à-vis de de la paix publique, vise à la fois à protéger ceux qui croient - les musulmans sont les premières victimes de la barbarie islamiste dans le monde - et à assurer le respect des règles de la République.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le ministre de l'intérieur et moi-même avons présenté ce texte en conseil des ministres le 9 décembre dernier à l'occasion des 115 ans de l'adoption de la loi de 1905. Il est le fruit de larges consultations conduites avec la société civile, les partis politiques, les représentants des cultes, des élus, des intellectuels et des associations philosophiques.
Notre objectif est clair : il s'agit de défendre nos valeurs, les promesses républicaines de laïcité, d'émancipation et de progrès, et de lutter contre le terreau du terrorisme.
Cela passe d'abord par l'application d'un principe simple et concret : pas un euro d'argent public ne doit être donné aux ennemis de la République. Pour ce faire, nous proposons la création d'un contrat d'engagement républicain. Les associations qui souhaitent recevoir une subvention publique devront s'engager à le respecter. En cas de non-respect, la subvention sera suspendue. Elle sera toutefois susceptible d'être rétablie. Ainsi, l'État et les collectivités disposeront d'un outil juridique clair pour entraver l'action des associations qui ne respectent pas nos valeurs.
Le respect des principes de la République passe aussi par celui de l'égalité entre les femmes et les hommes. Les islamistes que nous combattons ne supportent pas la liberté des femmes, qui préfigure la liberté de la société dans son ensemble. Nous considérons que toutes les femmes qui vivent en France doivent bénéficier des mêmes droits, et que toutes doivent pouvoir être protégées dans leur intégrité. Nous ne pouvons accepter pour d'autres femmes ce que nous n'accepterions pas pour nous-mêmes, pour nos soeurs ou pour nos filles. Nous considérons donc que les pratiques dites « coutumières » telles que les mariages forcés, la polygamie, la discrimination en matière d'héritage et les certificats ou tests de virginité n'ont pas leur place en France.
Il y a des années, la France a eu le courage de dire non à la pratique des mutilations génitales. Nous devons pouvoir dire qu'aujourd'hui, la République ne tolère pas d'atteinte à la dignité humaine, que ce soit sur des femmes ou sur des hommes. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a souhaité nommer ce chapitre du texte « Dispositions relatives au respect des droits des personnes et à l'égalité entre les femmes et les hommes ». Nous y veillons à l'égalité de traitement entre les héritiers, notamment pour que les filles ne puissent plus être déshéritées comme c'est le cas aujourd'hui du fait de failles dans le droit international.
Nous instaurons également dans ce texte une réserve générale de polygamie pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour. Les hommes de nationalité étrangère qui sont coupables de polygamie n'ont rien à faire dans notre pays. Quant aux femmes qui subissent cette situation de polygamie et se verraient mises en danger, elles bénéficieront d'un accompagnement et d'un examen individuel dans le cadre du renouvellement de leur titre de séjour.
Par ailleurs, nous voulons interdire aux professionnels de santé d'établir des certificats de virginité en rendant cette pratique passible de poursuites pénales. En dépit de l'opposition d'une petite minorité de gynécologues à cette mesure, il nous semble important de protéger les jeunes filles qui sont particulièrement vulnérables aux pressions séparatistes. L'Assemblée nationale a souhaité introduire une incrimination spécifique des personnes qui contraignent une femme à solliciter ce certificat de virginité, en l'assortissant d'un quantum de peine cohérent. Nous aurons l'occasion de débattre de ces mesures.
Nous allons également renforcer la lutte contre les mariages forcés, en rendant obligatoire la saisine du procureur de la République par l'officier d'état civil en cas de doute sérieux persistant sur le consentement de l'un des deux époux. Les élus locaux que nous avons rencontrés, notamment l'Association des maires de France, regrettent que la loi ne leur donne pas les moyens d'agir en la matière.
Toutes ces dispositions devront s'accompagner de politiques publiques fortes, car la loi ne se suffit pas à elle-même. Nous avons déjà commencé à travailler sur des politiques interministérielles, y compris de soutien vis-à-vis des élus locaux.
Enfin, le ministre de l'intérieur et moi-même avons déposé deux amendements. Le premier vise à instaurer une formation à la laïcité pour tous les agents publics, et le second à créer un maillage territorial de référents laïcité dans toutes les administrations publiques. L'Assemblée nationale a accueilli favorablement ces propositions. J'espère que le Sénat fera de même.
La laïcité est le ciment de notre République, c'est pourquoi elle doit être au coeur du service public. Je sais que le Sénat y est particulièrement attentif, et qu'il a d'ores et déjà engagé un travail important autour de ce texte. Je ne doute pas que nos débats permettront de l'améliorer encore. C'est un projet de loi équilibré, qui vise à apporter des réponses concrètes aux acteurs de terrain, singulièrement aux élus locaux.
Je ne suis pas certaine que pour nos concitoyens, l'intitulé de ce projet de loi soit très révélateur de vos intentions et du combat que nous avons à mener.
Le mot laïcité n'apparaît jamais dans le contrat républicain. Je le regrette, car la laïcité est émancipatrice, intégratrice et porteuse d'espoir.
S'agissant de la fermeture des lieux de culte, ne serait-il pas opportun de prévoir une fermeture définitive lorsque les atteintes portées à notre démocratie le justifient ?
L'Assemblée nationale a introduit un article relatif à la neutralité des élus dans le cadre de leurs fonctions. À titre personnel, j'y suis très attachée. Pourquoi ne pas aller plus loin ?
Aurez-vous les moyens humains et financiers d'atteindre tous les objectifs que vous vous fixez ?
S'agissant des fermetures de lieux de culte, comment assurer l'équilibre entre maintien de l'ordre public et atteinte à la liberté de conscience et au libre exercice des cultes ? Je rappelle que l'article 35 de la loi 1905 permet de punir le ministre du culte qui provoquerait à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique. Avez-vous eu l'occasion d'appliquer cet article ?
Il me paraît fondamental que l'activité cultuelle des associations issues de la loi de 1901 soit soumise au contrôle, notamment financier et comptable, de la loi de 1905. Toutefois, certaines activités cultuelles ne sont pas régulières. Il peut arriver à certaines associations d'organiser des messes de manière ponctuelle par exemple. Dans ce cas, ces activités seront-elles soumises au même régime que des activités régulières ?
Madame la ministre, si je vous rejoins sur la nécessité de lutter contre les certificats et les tests de virginité, les mariages forcés et l'excision, j'estime que la meilleure façon de le faire reste l'éducation. Or l'éducation à la sexualité à l'école est insuffisante.
S'agissant des certificats et des tests de virginité, comment comptez-vous faire appliquer la loi ? Qui dénoncera les médecins qui se livrent à ces pratiques ?
Enfin, à titre personnel, j'estime préférable que l'intitulé du texte se réfère aux principes de la République, c'est-à-dire à la solution plutôt qu'au problème.
Madame Eustache-Brinio, la laïcité est citée dans le préambule du contrat d'engagement républicain. Elle ne figure pas parmi les obligations et les principes à respecter, parce que la subvention à une association n'est pas une délégation de service public. Nous lui avons donc préféré le « respect de la liberté de conscience », qui permet de lutter contre tout phénomène d'emprise, les phénomènes de dérives sectaires mais aussi les phénomènes de radicalisation. Nous avons été alertés sur le fait que l'introduction de la laïcité parmi les principes à respecter risquait d'entraver toute possibilité de subventionner des organisations comme la Cimade ou le Secours catholique.
Madame Vérien, depuis 2014, la loi prévoit trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle dans les écoles. Cette disposition n'a quasiment jamais été appliquée jusqu'à l'an dernier, quand Jean-Michel Blanquer et moi-même avons donné la consigne qu'elle le soit désormais. Un audit doit être réalisé à la fin de l'année scolaire pour évaluer la situation. Nous avons lancé un plan de lutte contre l'excision l'année dernière pour alerter sur cette pratique dans les écoles. Sachez que je partage tout à fait l'objectif qu'une éducation à la vie affective et sexuelle soit dispensée dans les écoles.
En revanche, j'estime que l'on peut faire appliquer la loi dès lors que l'on s'en donne les moyens, particulièrement quant au certificat de virginité que vous évoquiez. Une telle mesure comporte une dimension pédagogique assumée. Certaines associations nous rapportent que le débat politique conduit des jeunes filles à s'interroger sur cette pratique. Il faut toutefois s'assurer que la loi soit appliquée au moyen de contrôles. Les jeunes filles qui sont victimes de ces pratiques sont les premières à pouvoir les dénoncer.
Lorsque l'excision a été interdite sous la présidence de Jacques Chirac, certains ont avancé qu'une telle interdiction ne pourrait être appliquée, voire qu'il était préférable que les excisions soient « bien faites » dans des cabinets médicaux. La majorité de l'époque a tenu bon, et l'interdiction de l'excision est aujourd'hui un des fondements de la diplomatie féministe française.
Il est habituel que l'intitulé d'un projet de loi n'en recouvre pas la réalité médiatique et politique. En 2004, lorsque le voile à l'école a été interdit, l'intitulé de la loi était plus juridique que politique. En 2010, lorsque le port de la burqa a été interdit dans l'espace public, l'intitulé de la loi faisait référence à la dissimulation du visage. En 1905, la loi dite de séparation des Églises et de l'État visait surtout l'Église catholique. Nous pensons, comme Mme Vérien, qu'il est préférable d'insister sur les principes républicains plutôt que d'opter pour un intitulé plus politique, mais il appartient au Parlement de modifier cet intitulé s'il le souhaite.
S'agissant de la laïcité, il faut déjà s'entendre sur la définition de ce terme. Pour notre part, nous nous rangeons à la définition de la laïcité retenue par les pères de la Constitution et reprise par le Conseil d'État et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celle-ci s'articule autour de la pluralité religieuse, de la liberté de culte et de la neutralité de l'État et de ses agents.
Contrairement à ce que certains répètent, la définition de la laïcité française ne se résume pas à une attitude de discrétion dans l'espace public, même si celle-ci est par ailleurs tout à fait défendable. Elle n'a rien à voir non plus avec le fait qu'une religion soit plus adaptée qu'une autre à notre mode de vie. La laïcité consiste à accepter l'idée que la pluralité religieuse existe, et elle respecte à ce titre la liberté d'expression des opinions de chacun. Il est inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses », ce qui indique qu'une mise à distance de la religion existait déjà à l'époque où ce texte a été écrit, parce que l'on mesurait sans doute le danger que l'idée religieuse pouvait représenter. Pour l'État, la religion est une opinion et rien de plus. Le texte traite de la laïcité et de la liberté de culte dans tous ses chapitres.
Au sujet de l'article qui crée une nouvelle mesure de fermeture administrative des lieux de culte, Mme la rapporteure pose la question de l'équilibre entre le maintien de l'ordre public et l'atteinte au libre exercice des cultes. Cet équilibre repose sur le principe selon lequel on ne peut pas fermer un lieu de culte définitivement, car ce serait attentatoire à la liberté fondamentale de l'exercice d'un culte.
En outre, ce ne sont pas les murs qui sont salafistes, mais les personnes qui prêchent à l'intérieur. Mieux vaut donc combattre ceux qui portent un discours radicalisé, même si cela implique parfois de fermer un lieu de culte de manière temporaire, plutôt que de considérer qu'une fermeture définitive résoudrait tout.
Enfin, nous devons tenir compte de la jurisprudence administrative pour éviter toute censure. Lorsque le préfet de la Seine-Saint-Denis ferme la mosquée de Pantin, parce que la preuve d'un lien direct avec l'assassinat de M. Paty a été établie par deux fois, le juge administratif procède en calculant le nombre de kilomètres qui séparent cette mosquée du lieu de culte musulman le plus proche, en l'occurrence douze kilomètres. Il en conclut qu'aucune atteinte n'est portée à la liberté de culte des fidèles musulmans de la ville de Pantin. La décision prise par le ministère de l'intérieur est donc proportionnée.
En revanche, si le lieu de culte le plus proche s'était trouvé éloigné de 40 ou 50 kilomètres, le juge administratif aurait sans doute fait primer la liberté de culte, malgré le lien direct établi avec l'acte terroriste. Cela incite à la prudence, mais cela montre surtout que les grands combats qui concernent la liberté d'expression, la liberté de culte, l'ordre public ou la protection de la nation s'entrechoquent dans ce texte. Comme ministre de l'intérieur, je souhaite éviter que les dispositions que nous y inscrivons ne se retrouvent censurées par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l'homme.
L'obligation de neutralité des élus dans le cadre de leurs fonctions a donné lieu à un long débat à l'Assemblée nationale. Il faut bien évidemment s'entendre sur ce que recouvre le terme de « neutralité ». En effet, l'élu municipal, maire ou adjoint au maire, a une obligation de neutralité lorsqu'il oeuvre en tant qu'officier d'état civil et donc comme agent de l'État : c'est par exemple le cas du maire lorsqu'il porte son écharpe bleu, blanc, rouge.
En revanche, il n'est pas tenu à cette neutralité lorsqu'il préside un conseil municipal, car il fait alors partie de l'organe délibérant et n'oeuvre pas en tant qu'agent de l'État.
La loi actuelle prévoit clairement que lorsqu'un élu municipal a une délégation de représentant de l'État, il est comme tous les autres tenu à la neutralité politique et religieuse. Il n'a par exemple pas le droit d'exprimer un avis politique, ou de porter une kippa - ou bien un voile, s'il s'agit d'une femme - lorsqu'il officie pour un mariage.
Cependant, il est évident qu'un élu ne peut pas être tenu à la neutralité de manière constante : du fait même qu'il fait de la politique, un élu neutre serait un drôle d'élu !
Au cours du débat s'est également posée la question de savoir s'il fallait interdire aux élus d'aller à la messe. Le général de Gaulle, pourtant fervent catholique, n'a jamais communié en public. Il s'agit sans doute d'une tradition républicaine que chacun devrait respecter, mais comment imaginer soumettre à l'amende les maires, élus, conseillers régionaux, ou bien parlementaires qui seraient allés communier le dimanche ?
C'est mon droit le plus strict d'aller communier à Tourcoing. Si je le fais le jour des élections, la question se pose de savoir si c'est en tant qu'élu ou bien comme simple citoyen. La difficulté surgit dès lors qu'un élu se rend dans un lieu de culte pour faire du communautarisme électoral.
Le Gouvernement ne veut pas enflammer le débat. Rien n'interdit à un élu de se rendre dans un lieu de culte, et je ne crois pas qu'il faille l'interdire, comme certains députés de la France insoumise l'ont proposé à l'Assemblée nationale. Il nous paraît cependant important que figure dans le texte la possibilité de condamner ceux qui utilisent les lieux de culte pour y tenir des réunions politiques, que ce soit dans un cadre national ou qu'il s'agisse des diasporas étrangères. Nous aurons l'occasion de reparler en séance de ce sujet qui a passionné l'hémicycle à l'Assemblée nationale.
Aurons-nous les moyens d'assurer le contrôle du financement étranger des cultes ? Je le crois, car nous nous évertuons déjà à le faire sans disposer des mesures administratives qui faciliteraient ce contrôle. Les dispositions prévues dans le texte rendront notre action plus efficace. Par ailleurs, le Gouvernement a doublé les effectifs de la DGSI et des renseignements territoriaux.
L'ordre public procède d'un équilibre. Madame la rapporteure, vous aurez noté que nous avons proposé un délai de trois mois pour mener notre action concernant les lieux de culte. Cela a nourri le débat à l'Assemblée nationale, notamment avec le rapporteur, mais nous avons considéré que ce délai, renouvelable, était raisonnable.
Nous ne pouvions toutefois pas nous focaliser sur les lieux de culte sans tenir compte des associations. C'est la raison pour laquelle la loi, si elle est adoptée, permettra à la fois de fermer des lieux de culte et de dissoudre ou suspendre des associations.
Pour répondre à votre question sur le régime des associations, le Gouvernement souhaitait initialement que celles-ci passent toutes sous celui de la loi de 1905, en prévoyant une transition de quelques années. Chaque régime, que ce soit celui de 1901 ou de 1905, a des avantages et des inconvénients. Celui de 1901 est beaucoup plus simple, mais donne lieu à une forme de violation de la loi, dès lors que par une confusion entre le cultuel et le culturel, certaines associations finissent par toucher des subventions et par bénéficier de déductions fiscales, alors qu'elles sont liées à un culte. Pas moins de 92 % des lieux de culte musulmans sont sous ce régime.
Le Conseil d'État a clairement établi que la démarche envisagée par le Gouvernement serait une atteinte disproportionnée à la liberté de culte. La loi ne définit pas ce qu'est un ministre du culte, ni ce qu'est un culte, ni même ce qu'est un lieu de culte. Nous connaissons les grands cultes « médiatiques », si vous me permettez l'expression, mais il en existe des centaines d'autres, en France. Comment distinguer ceux qui sont vraiment des cultes et ceux qui n'en sont pas ?
De même, les musulmans nous expliquent que les imams ne sont pas des ministres du culte, ce qu'ils ne sont effectivement pas au sens chrétien du terme. Toutefois, ce n'est pas le rôle de l'État neutre et laïque, de décider qui est ou qui n'est pas ministre du culte.
Par conséquent, nous avons écouté le Conseil d'État, et nous avons fait le choix de maintenir le régime de 1901 en lui ajoutant les inconvénients de celui de 1905, et inversement. Nous acceptons par exemple l'idée que le bureau d'une association soit constitué comme le prévoit le régime de 1901, en excluant notamment toute personne condamnée pour terrorisme, mais nous ajoutons une disposition du régime de 1905, à savoir l'obligation d'y faire figurer un expert-comptable. Cela alourdit sans doute le dispositif de comptabilité, mais comme ancien ministre de l'action et des comptes publics, je peux vous assurer que ces lourdeurs sont nécessaires si nous voulons pouvoir contrôler les reçus fiscaux. Nous en avons fait l'expérience au moment de la dissolution du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et de BarakaCity.
Le texte prévoit un certain nombre de dispositions qui visent à renforcer le contrôle que nous avons sur les financements étrangers. Le régime de 1905 offre certains avantages. Par exemple, dans ma commune, certaines associations musulmanes m'ont demandé une aide publique pour payer leur taxe foncière, ce qui n'est évidemment pas possible, en vertu de la loi de séparation de l'Église et de l'État. Elles ont donc dû emprunter de l'argent à l'étranger. Cependant, si elles avaient dépendu du régime de 1905, elles n'auraient pas eu à payer de taxe foncière, car la loi de 1905 exempte de fiscalité locale pour la propriété, ceux qui gèrent des lieux de culte.
Voilà pourquoi nous aurions aimé que le régime de la loi de 1905 prime. Le risque de censure nous a incités à choisir un dispositif plus proportionné selon le juge administratif. C'est une bonne mesure qui devrait convaincre tout le monde.
Les catholiques n'ont pas reconnu la loi de 1905 et ont demandé dès la fin de 1906 la reconnaissance d'un certain nombre d'associations diocésaines. Les échanges épistolaires et diplomatiques entre le gouvernement de la République et le pape l'attestent. Ils ne sont en aucun cas concernés par les dispositions nouvelles que nous présentons et leurs associations seront sous statut de la loi de 1905.
Quant à l'article 35 de la loi de 1905, il n'a jamais été utilisé par aucun gouvernement, et pour cause, car il vise un discours ou un écrit rendus publics dans des lieux où s'exerce le culte qui feraient acte de provocation directe incitant à résister à l'exécution des lois et aux actes légaux de l'autorité publique, ou bien à soulever une partie des citoyens contre les autres. Le ministre du culte qui sera rendu coupable d'un tel fait sera condamné à une peine pouvant aller de trois mois à deux ans d'emprisonnement.
Encore faudrait-il pouvoir définir ce qu'est un ministre du culte ! En outre, la suite de l'article ne manque pas de sel, puisque le texte précise que la mesure s'applique « sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. » Dans la mesure où aucun discours sur le culte n'a jusqu'à présent mené à la sédition ou à la guerre civile, aucun gouvernement n'a pu avoir recours à l'article 35. Enfin, un an d'emprisonnement pour avoir mené à la guerre civile paraît une peine peu proportionnée... Il nous a donc semblé nécessaire de mettre à jour la loi de 1905 sur ce point.
Plus nous travaillons sur ce projet de loi, plus nous nous demandons s'il aura de l'effet. Les représentants des cultes que nous avons reçus se sont tous interrogés sur la nécessité de telles contraintes, dans un pays où la liberté de religion existe, et où l'État n'a pas pour mission d'organiser les cultes.
Je comprends votre volonté d'inciter les associations loi 1901 à se transformer pour adopter la réforme des associations loi de 1905. Cependant, quelles dispositions dans le texte les y pousseront ?
Un article relatif aux compétences des institutions culturelles mentionne l'ordre public. Monsieur le ministre, l'ordre public c'est vous ! Les associations cultuelles n'ont pas pour mission de le gérer. Il suffit qu'elles respectent les lois de la République à cet égard.
Mme la rapporteure a posé une question que nous avons également entendue en audition. Si, dans une mosquée, quelqu'un tient des propos racistes, contraires à la loi, il est normal que cette personne soit sanctionnée, car le racisme n'est pas une opinion mais un délit. Est-ce cependant un critère pour fermer l'établissement ? La situation risque d'empirer si les tribunaux administratifs décident d'annuler votre décision. Où est la frontière entre la sanction du propos individuel et l'interdiction faite aux autres participants de la communauté cultuelle, qui peuvent refuser de porter la responsabilité du délit ?
Enfin, tenez-vous vraiment à la disposition qui concerne les immeubles de rapport ? Ma question procède certainement d'une vision idéaliste, voire angélique, des religions dont je considère qu'elles existent pour des raisons uniquement spirituelles...
L'école publique, obligatoire, gratuite et laïque est le creuset de la République. On y apprend la langue française, les savoirs fondamentaux, l'histoire de France. C'est donc à l'école que nous apprenons à être français. Voilà pourquoi je soutiens l'article 21 de ce projet de loi qui prévoit la mise en place d'un encadrement plus fort de l'instruction en famille.
Pour quelles raisons la mise en application de cette mesure, si la loi est adoptée, n'aura-t-elle lieu qu'en 2024 ? Quelles mesures supplémentaires comptez-vous prendre pour aider les maires dans leur mission de contrôle, puisque la tâche retombera sur les élus locaux ?
Enfin, dans le temps, on pratiquait à l'école la leçon civique. Ne faudrait-il pas renforcer la pédagogie dans ce champ, dans la mesure où l'école est l'endroit idéal pour inculquer la notion de laïcité dès le plus jeune âge ?
Je mesure la difficulté qu'il y a à préserver un équilibre entre d'une part les libertés de culte et de réunion, d'autre part le respect des principes de la République. On est sur le fil du rasoir entre la liberté de culte et son contrôle.
Depuis sa création, le groupe RDSE porte la laïcité dans son ADN. Nul besoin de rappeler les travaux et les combats de notre ancienne collègue Françoise Laborde pour cette cause, mais aussi pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Le sondage Ifop, rendu public ce matin, est pour le moins choquant : plus d'un lycéen sur deux se dit favorable au port des signes religieux ostensibles dans les lycées publics, soit deux fois plus en proportion que la moyenne de la population ; et 49 % des lycéens ne voient aucun inconvénient à ce que les agents publics affichent leurs convictions religieuses. Il s'agit là d'une conception très minimaliste de la laïcité. La religion n'est plus perçue comme un corpus de valeurs auxquelles on croit, mais comme faisant partie intégrante de l'identité d'une personne.
Le groupe RDSE soutiendra une partie des propositions de ce projet de loi, malgré le manque d'ambition sur la valeur éducative. Nous payons pourtant désormais trente ans d'abandon de cette valeur fondamentale. Quelles mesures prévoyez-vous à l'avenir pour pallier ce manque dans le texte ?
Ce projet de loi répond à une urgence, celle de préserver notre vivre-ensemble et de lutter contre toutes les formes de séparatismes. Je souhaiterais vous interroger sur la distorsion entre les objectifs initiaux et la version du projet de loi que vous nous soumettez. En effet, il avait d'abord été question de lutter contre le terrorisme, l'islamisme radical et le séparatisme, avant d'aboutir à conforter les principes de la République. Faut-il voir dans cette évolution une sorte de fausse pudeur ou d'appréhension face au risque de diviser la société ?
D'un point de vue constitutionnel, le projet de loi touche à certaines de nos libertés fondamentales, comme la liberté de culte ou la liberté d'association. En élargissant le spectre du texte par rapport à l'objectif initial, ne craignez-vous pas que la censure constitutionnelle ne s'applique de manière plus forte sur certaines dispositions ? N'aurait-il pas été plus simple d'adopter la proposition de loi constitutionnelle issue de notre assemblée, pour inscrire dans la loi fondamentale que nul ne peut s'exonérer de la règle commune au titre de son origine ou de sa religion ?
Enfin, vous avez eu la gentillesse, vendredi dernier, de venir dans ma belle commune de Rognac, pour inaugurer la brigade territoriale autonome de gendarmerie. Je voudrais vous remercier vivement de votre présence tout en regrettant tout aussi vivement de ne pas avoir reçu d'invitation pour participer à cette cérémonie...
L'article 17 porte sur la lutte contre les mariages frauduleux. Lorsque, le 21 février 2018, j'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet, à l'Assemblée nationale, plusieurs partis politiques, dont celui de la majorité, m'ont attaquée. Lorsque j'ai proposé des amendements sur ce sujet au cours de l'examen du projet de loi Asile et immigration, on a voulu faire croire qu'il s'agissait d'un épiphénomène. Votre prédécesseur, Gérard Collomb, a même rejeté des propositions qui sont désormais reprises dans votre texte. Je m'en réjouis, notamment en ce qui concerne celle dont l'objet est de rendre obligatoire la saisine du procureur de la République en cas de doute sur la sincérité du mariage.
Monsieur le ministre, j'ose espérer que ce n'est pas par posture partisane que nos propositions sont systématiquement rejetées pour être ensuite reprises. Chaque silence sur les mariages frauduleux cautionne une situation humainement honteuse et encourage l'organisation de trafics d'êtres humains.
Nous estimons à plusieurs milliers le nombre de mariages blancs ou gris qui ont lieu chaque année en France. Alors que la Belgique empêche 7 000 unions suspectes par an, la France ne dispose d'aucune statistique précise à ce sujet. Nous savons que les mariages ont concerné près de 24 % des cas de naturalisations en 2019 contre 21 % en 2017. En 2019, plus de 112 000 étrangers sont devenus français, dont 27 000 ont été naturalisés à la suite d'un mariage avec un ressortissant français. Les mariages mixtes ont gagné du terrain ces dernières années, puisqu'ils représentent désormais 27 % des unions célébrées contre 6 % en 1950 et 14 % en 2015.
Ces statistiques sont étroitement liées aux flux migratoires en France, puisque 37 % des mariages mixtes célébrés dans notre pays en 2015 ont uni un conjoint français avec une personne de nationalité maghrébine ; 22 % avec une personne de nationalité européenne ; 14 % avec un ressortissant d'Afrique subsaharienne.
Concernant les mariages frauduleux, nous ne disposons pas de statistiques officielles. Selon certains officiers d'état civil, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc sont concernés, tout comme Haïti, certains pays d'Afrique, des pays d'Europe de l'Est, ou encore la Chine et le Vietnam dans le cas des mariages gris. Ces mariages se monnayent extrêmement cher. Pourtant, en France, nous ne savons pas combien de mariages frauduleux sont célébrés ni combien sont annulés chaque année.
Certains maires signalent à la préfecture les mariages qui peuvent sembler suspects sans forcément obtenir de réponse. Lorsque j'étais maire, j'ai même eu une fin de non-recevoir de la part du préfet.
Par conséquent, monsieur le ministre, sommes-nous en mesure de savoir combien de mariages blancs ou gris sont célébrés en France, et quelles nationalités sont concernées ? Comment faire également pour connaître la nationalité des personnes qui se trouvent en situation irrégulière sur notre territoire ? J'aimerais vraiment obtenir des réponses à ces questions, à la faveur de ce texte
Personnellement, je considère qu'il faut réagir face à la situation actuelle. Lors du forum international de lutte contre la cybercriminalité, qui se tient chaque année depuis 15 ans à Lille, les gendarmes ont montré qu'il est possible de lutter contre la radicalisation, la haine en ligne et les réseaux cybercriminels. Ils déplorent cependant le manque de personnel, d'ingénieurs ou de cyberspécialistes. Il faut leur donner des moyens.
La France n'est pas toute seule. Monsieur le ministre, avez-vous fixé des objectifs au niveau européen en matière de cybersécurité ? Quelles pistes pouvons-nous exploiter avec nos partenaires européens ?
Madame Schiappa, j'ai enseigné toute ma vie, et j'ai vu des étudiantes ne pas revenir au mois de septembre, parce qu'elles avaient été mariées de force. Vous vous doutez bien que le sujet m'interpelle vivement. J'ai déposé avec ma collègue Bonfanti une proposition de loi sur les mariages forcés, dont les dispositions vont au-delà de la prévention et imposent des sanctions.
Comment impliquer davantage les médecins, dont on sait qu'ils jouent un rôle mais qu'ils sont tenus au secret médical, tant pour les certificats de virginité que pour les reconstructions d'hymen ?
Ce texte a été inspiré par le discours des Mureaux du président de la République, mais il ne reflète pas l'ensemble des annonces faites alors. Monsieur le ministre, vous reconnaissez qu'il ne traite que d'une partie des sujets évoqués dans le discours des Mureaux. C'est donc qu'il échoue à prendre en compte l'ensemble des promesses de la République, alors que son titre laisse entendre le contraire. On ne trouve rien sur les droits sociaux, les droits économiques ou la mixité scolaire.
En revanche, ce texte extraordinairement normatif - pour utiliser un terme neutre - touche à de nombreuses libertés, qu'il s'agisse de la liberté d'association, de conscience, du culte, de réunion, d'opinion, de communication, de la presse, de la libre administration des collectivités locales ou de l'enseignement. Ce spectre très général ne peut que mettre mal à l'aise.
De manière plus précise, l'article 18 du texte cohabite jusqu'à ce jour, dans le débat parlementaire, avec l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Or il va bien falloir les articuler, car le principe de la légalité des délits et des peines s'impose. Il faut donc une rédaction claire pour que les dispositions du texte soient valides.
Le Sénat proposera une nouvelle rédaction de l'article 24, qui devrait en restreindre la portée. Cependant, le futur article 18 n'évitera pas la concurrence des champs d'application. On ne peut avoir qu'une seule incrimination applicable de manière précise aux infractions concernées. Dans la mesure où vous portez ces deux textes, comment articulerez-vous ce concours d'infraction ?
L'article 27 prévoit que le préfet peut s'opposer à la reconnaissance du caractère cultuel d'une association loi 1905 qui a accompli la procédure, en utilisant comme argument des motifs d'ordre public. Cela manque d'objectivité : comment les définir ? N'est-ce pas là une manière d'introduire une forme d'arbitraire ?
Avec le même angélisme que mon collègue Sueur, je ne vois pas pourquoi l'on interdirait à des associations cultuelles d'acquérir et d'administrer des biens de rapports. En effet, une association cultuelle peut disposer d'un bien qui lui a été donné et dont elle n'a plus l'usage. Pourquoi empêcher qu'elle le vende pour investir dans un autre ?
En ce qui concerne les mariages qui connaissent un vice du consentement, un questionnaire commun à l'ensemble des collectivités est prévu. Cependant, plusieurs maires qui ont pris la peine de signaler au procureur de leur territoire certains mariages contestables ont été dissuadés de poursuivre leur démarche. Dans les mois qui ont suivi, le procureur a systématiquement autorisé la célébration des mariages dans un délai de quinze jours. Ne faudrait-il pas que le garde des Sceaux remobilise les procureurs sur le sujet ?
Je suis prêt à voter plusieurs dispositions de ce texte, mais je m'opposerai à d'autres.
Nous sommes presque tous d'accord sur l'idée qu'il faut assurer une séparation étanche entre le cultuel et le politique : c'est le coeur de la loi de 1905. Vous espérez faire sortir les salafistes des mosquées. Mais alors où iront-ils ? Ne craignez-vous pas que la combinaison de la liberté de réunion et de la liberté d'expression leur permette de se tourner vers d'autres lieux que les mosquées pour répandre leur propagande ? Si tel devait être le cas, quels instruments proposez-vous pour empêcher cette dérive qui ferait passer le salafisme des mosquées aux salles de réunion ? Nous risquerions en effet d'être mieux protégés contre l'intrusion du politique dans les lieux de culte que contre la diffusion d'une idéologie subversive, en dehors des lieux de culte.
Ce problème mérite que nous en débattions, car il ne faudrait pas ennuyer tous les cultes sans distinction pour un résultat absolument dérisoire dans notre volonté de faire reculer le séparatisme. Je ne partage pas l'angélisme de mon collègue de Belenet, mais je dois vous dire que je ne partage pas non plus le vôtre.
L'article 27 prévoit que chaque association cultuelle déclarera tous les cinq ans au préfet sa qualité cultuelle, celui-ci ayant deux mois pour donner ou non son accord. Cette exigence serait une régression étonnante. L'archevêque de Reims m'a écrit que cela reviendrait à donner aux préfets la charge de reconnaître ou non un culte en tant que tel, ce qui est tout le contraire de ce qu'établit la loi de séparation voulue par la République.
Je voudrais aussi avoir plus de détails sur l'article 44 qui précise, dans la loi de 1905, que le préfet pourra prononcer la fermeture administrative temporaire des lieux de culte dans lesquels des propos racistes ont été tenus. Un tel dispositif existe déjà depuis la loi SILT de 2017, et il est inscrit dans le code de la sécurité intérieure. Pourquoi introduire ces nouvelles dispositions dans le texte de 1905 ? Affaiblir les libertés publiques contribue à affaiblir les principes républicains, ce qui va à l'encontre de l'objectif du texte.
Tout d'abord, je tiens à rappeler la philosophie générale de ce texte. Il nous semble que nous sommes confrontés à un danger, que chacun connaît ici, le danger du séparatisme islamiste qui est, parmi tous les séparatismes, le plus important et le plus meurtrier, celui qui nous impose le plus urgemment un sursaut républicain. Ce réveil doit se produire dans le respect de l'équilibre des principes républicains, notamment parce que, du fait non seulement de la loi de 1905, mais aussi de longues décennies d'exercice de la laïcité dans notre République, nous voulons que la religion soit l'affaire de l'État et non le fruit d'une ingérence étrangère.
Nous souhaitons en effet lutter contre l'ingérence de puissances étrangères sur le territoire national en limitant l'influence de pays comme la Turquie, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, mais aussi celle de certains États anglo-saxons pour ce qui concerne la communauté protestante, par exemple. Ces ingérences sont dangereuses pour la République, sans pour autant qu'il faille les confondre avec la manifestation de l'islamisme radical. C'est pourquoi le Président de la République a eu raison de mettre fin aux imams « détachés », fonctionnaires envoyés en France par leur pays d'origine. Ce ne sont pas par nature des islamistes ; en revanche, en tant qu'agents d'un État étranger, nous ne pouvons pas compter sur leur loyauté absolue vis-à-vis de la République française.
Nous souhaitons agir conformément à notre tradition : la religion est une affaire française, quelle qu'elle soit. C'était le sens de l'opposition entre Philippe le Bel et le pape au sujet de la levée des impôts ; c'est le sens de ce qu'il s'est passé avec les juifs de France sous la Révolution, puis après le Concordat grâce à la République ; c'est enfin ce que nous voulons appliquer aux musulmans aujourd'hui au travers de ce texte. Ces derniers disposent évidemment de toute liberté en tant que citoyens et croyants, mais leur pratique religieuse est une affaire qui intéresse la République française et non un État étranger.
Le cadre dans lequel nous intervenons est celui de la non-reconnaissance des cultes. Aussi, je m'interroge sur ce que MM. Sueur et Bas auraient souhaité que je fasse quand ils reprochent à ce texte de ne pas embêter que les musulmans, mais aussi les croyants de toutes les autres religions. Auraient-ils préféré que je présente un projet de loi concernant exclusivement les musulmans ? Une telle démarche politique pourrait constituer une solution, comme c'est le cas dans des pays où la laïcité à la française ne s'applique pas - je pense notamment à l'Autriche où il existe une loi spécifique contre les islamistes -, mais un texte de cette nature serait évidemment contraire à la loi sur la séparation des Églises et de l'État.
La situation actuelle nous appelle à un réveil républicain, qui nous permettra de nous garder de toute forme d'angélisme. Nous devons cependant rester fidèles à la République, à son histoire, à la loi de 1905, en ne distinguant pas les cultes les uns des autres. Je peux comprendre que cela puisse gêner et que certains représentants des cultes s'interrogent sur les effets de ce texte, mais ne soyons pas faussement naïfs : en 1905, les catholiques n'étaient pas favorables à la loi de séparation des Églises et de l'État, pas plus que les autres cultes.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut pas faire attention aux inquiétudes exprimées. Nous sommes là pour rassurer les cultes. Je compte évidemment sur le Sénat et l'Assemblée nationale pour corriger un certain nombre de dispositions et aboutir à des compromis. Je me suis déjà inscrit dans cette démarche en remaniant le texte initial du projet de loi après que le Conseil d'État a rendu son avis et après en avoir discuté avec les représentants des différentes religions. Vous l'aurez compris, nous assumons le fait que cette loi soit de portée générale et s'adresse à tous les cultes.
J'ajoute à l'attention du sénateur Le Rudulier que la proposition de loi constitutionnelle d'origine sénatoriale n'aurait rien réglé. Nous sommes d'accord : personne ne peut se prévaloir ni de son origine ni de sa religion pour demander à bénéficier d'une exception à la règle commune, mais nous pensons qu'il est inutile de passer par la révision de notre Constitution. Pour nous, les articles 4 et 18 suffisent à atteindre cet objectif.
Je ne sais pas si nous aurions pu empêcher l'assassinat de Samuel Paty grâce à ce texte - ce serait prétentieux de l'affirmer -, mais il manque à coup sûr deux outils au ministre de l'intérieur que je suis pour empêcher qu'un tel drame ne se reproduise à l'avenir.
Premièrement, je ne peux toujours pas, même si je disposais de notes des renseignements territoriaux m'alertant d'un danger, comme c'était le cas de la préfecture des Yvelines, poursuivre les personnes qui exerceraient une pression communautaire sur un principal de collège, comme ce fut le cas dans l'affaire Paty : aucun délit ne me permet en effet aujourd'hui d'y mettre fin. Aucun délit n'existe non plus dans le droit actuel pour empêcher une femme de refuser les soins d'un homme ou pour sanctionner un individu refusant de parler à un individu de l'autre sexe à l'accueil d'une mairie, par exemple.
Deuxièmement, nous ne pouvons rien faire contre les fatwas numériques, comme celle à laquelle s'est livré M. Chnina, un parent d'élève, en postant sur les réseaux sociaux la vidéo qui a directement mené au meurtre de Samuel Paty. Demain, l'article 18 nous permettra de condamner l'auteur d'une fatwa sur internet et de faire retirer les contenus haineux des réseaux sociaux.
Nous répondons à l'enchaînement diabolique qui a conduit à l'assassinat de Samuel Paty et à la pression communautaire par un délit de séparatisme, d'une part, et aux fatwas en ligne via l'article 18, d'autre part.
Je le répète, c'est de notre point de vue se montrer totalement fidèle à la loi concernant la séparation des Églises et de l'État que d'affirmer qu'un lieu cultuel doit être géré comme tel. Un lieu cultuel est en effet très différent d'un local associatif.
Jusqu'à présent, les associations relevant de la loi de 1901 et celles qui relèvent de la loi de 1905 étaient soumises à des régimes d'imposition différents et à des règles en matière de déduction fiscale, de financement, de propriété, de taxation ou de comptabilité différentes. Comme la quasi-totalité des protestants, qui ont demandé à être soumis aux règles de la loi de 1905, nos amis musulmans devraient gérer leurs lieux de culte dans le cadre de ce régime : celui-ci les protégerait et permettrait à l'État de garder un oeil sur les éventuels troubles à l'ordre public que pourrait occasionner l'exercice du culte, même si l'objectif n'est pas de s'immiscer dans les pratiques religieuses.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des immeubles de rapport. Aujourd'hui comme hier, nous ne voulons pas subventionner les cultes. Il ne s'agit pas pour autant d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, comme le prouve le régime particulier s'appliquant, par exemple, à l'Alsace-Moselle, qui permet le financement de ministres du culte. De plus, les déductions fiscales, tout comme le bail emphytéotique, qui constitue une forme d'aide publique à l'accession à la propriété, représentent sans aucun doute une forme de financement public du culte.
Aujourd'hui, le seul principe reconnu au niveau constitutionnel est celui de la non-reconnaissance des cultes. Il appartient au Parlement de déterminer s'il veut ou non changer le texte de la Constitution pour y introduire le principe d'interdiction de subventionner les cultes ce que, pour sa part, le Gouvernement refuse. Après tout, nous pourrions tout à fait prendre des dispositions conformes aux mesures prises par la République au début du XXe siècle lorsqu'elle a nationalisé les biens de l'Église. Peut-être faudrait-il nationaliser les biens des musulmans pour s'assurer de leur patriotisme, à l'image des églises qui appartiennent à 90 % à la puissance publique... Ce n'est pas la solution que nous avons retenue : si elle n'est pas idiote, elle est néanmoins - avouons-le - complexe à mettre en oeuvre, car il ne s'agit ni plus ni moins que d'une spoliation de biens cultuels.
Monsieur Sueur, si l'on part du principe que nos compatriotes, notamment musulmans, n'ont pas les mêmes avantages que les chrétiens, et singulièrement les catholiques, celui par exemple de voir leurs églises rénovées par les communes, et si nous ne voulons pas subventionner les cultes ni permettre qu'ils soient financés par des États étrangers, il faudra que vous m'expliquiez comment ils pourraient se financer. Car il faut bien trouver des sources de financement ! Les musulmans ne perçoivent aujourd'hui aucune subvention, n'étant pas encore installés sur le territoire de la République en 1905.
Notre proposition est de revenir au régime antérieur à la loi Hamon en permettant aux associations relevant de la loi de 1905, comme c'est le cas aujourd'hui pour celles qui sont soumises à la loi de 1901, de posséder des immeubles de rapport. Pour nous, les fidèles ont le droit, dans un cadre limité, de posséder et de gérer ce type d'immeubles.
On peut se demander si l'on ne devrait pas les autoriser à acquérir de tels immeubles à titre onéreux. Ce n'est pas l'arbitrage rendu par l'Assemblée nationale, mais nous sommes ouverts à la discussion sur le sujet. Il sera sans doute difficile de trouver un compromis entre les deux chambres, mais la question se pose.
Nos compatriotes musulmans demandent aussi à pouvoir bénéficier de déductions fiscales plus importantes, voire même de crédits d'impôt, qui sont des formes indirectes de subventionnement des cultes. De notre point de vue, l'acquisition d'immeubles de rapport ne constitue pas un subventionnement déguisé et est, de ce point de vue, une mesure moins hypocrite que le bail emphytéotique ou la déduction fiscale.
Le sénateur Dany Wattebled a posé avec justesse la question de l'instruction à domicile. Il appartient au ministre de l'éducation nationale de vous apporter la réponse la plus complète possible, mais je vais tout de même citer quelques chiffres pour la seule ville de Marseille : en un an, on est passé de 400 à 1 350 élèves décrocheurs. Ils ne sont évidemment pas tous sous la coupe des islamistes ou d'une secte, mais une partie, notamment les petites filles, est effectivement sortie de la République. L'idée des séparatistes est de créer une communauté de la naissance à la mort, qui n'aurait plus rien à voir avec la République.
M. Wattebled a posé la question des moyens. Je lui réponds : ce n'est pas aux mairies de financer la lutte contre le décrochage scolaire. En outre, la question du contrôle a abouti à un large débat entre les partisans du régime de la déclaration d'instruction en famille et ceux d'un régime d'autorisation préalable. En tant que maire, je n'ai pas toujours disposé des moyens de recenser le nombre d'enfants soumis à l'obligation scolaire, qui étaient sortis du système. Aujourd'hui, les maires, pourtant chargés de la scolarisation des enfants à l'école élémentaire, n'ont pas les moyens de ce contrôle.
Mme Lherbier a raison d'évoquer les objectifs fixés au niveau européen, notamment en ce qui concerne la lutte contre la haine en ligne. Je laisserai Marlène Schiappa parler de la plateforme Pharos, dont le champ d'action a été considérablement renforcé.
Mme de La Gontrie a fait remarquer à juste titre que tout ce qui pourrait favoriser la lutte contre les séparatismes ne figure pas dans ce texte. J'aurais moi aussi aimé que le projet de loi soit plus ambitieux. Je suis tout comme elle convaincu que l'urbanisme, la politique de peuplement, l'éducation, l'immigration et l'intégration jouent un rôle considérable dans les domaines qui nous intéressent. Comme dans le proverbe africain, « il faut tout un village pour élever un enfant », il faut sans doute toute une politique publique pour améliorer l'action des pouvoirs publics face au communautarisme et au séparatisme.
Je veux par ailleurs souligner la profonde différence entre les articles 18 et 24. L'article 24 porte sur les opérations de police, quand l'article 18 a trait aux fonctionnaires, en tant qu'agents, lorsqu'ils sont mis en accusation sur un plan personnel, notamment dans le cadre familial. Il s'agit de deux articles différents dans leur objet.
J'adresserai deux remarques à Mme Boyer. Tout d'abord, si elle a écrit au préfet au sujet de mariages forcés et n'a pas obtenu de réponse, c'est tout à fait normal, parce qu'il fallait s'adresser au procureur. Ensuite, je me permets d'exprimer mon étonnement quand j'entends dire que, malgré les multiples alertes des services de renseignement territoriaux ou de la DGSI auprès de mairies au sujet de l'utilisation de locaux publics comme lieux de culte par des personnes soupçonnées de radicalisation, les baux concernés n'ont pas été résiliés.
Pour répondre au sénateur Arnaud de Belenet, en ce qui concerne la question de la reconnaissance du caractère cultuel d'une association, je précise que nous transcrivons dans le projet de loi ce que la jurisprudence reconnaît déjà en matière d'ordre public. Le caractère cultuel d'une association n'est pas apprécié de manière subjective, mais au sens du droit administratif. Nous pensons que les troubles graves à l'ordre public, par exemple ceux qui sont causés par des ministres du culte qui relaieraient un certain nombre de discours de haine, doivent entraîner la fermeture des lieux de culte.
Pour répondre à M. Bas, l'une des difficultés que nous rencontrons est que les islamistes sont certes minoritaires dans le pays, mais qu'ils ont fait une OPA médiatique sur les discours, notamment en ligne. Quand vous cherchez sur internet comment faire la prière ou quand vous souhaitez vous référer aux prescriptions religieuses, vous trouvez à 99 % des contenus salafistes ou diffusés par les Frères musulmans. Ces organisations sont souvent présentes hors des lieux de culte, dans les associations, les réunions publiques, souvent sur internet. Nos mesures auraient-elles pour effet de déplacer les salafistes des lieux de culte vers le champ politique et social ? Peut-être, mais elles y sont déjà d'une certaine façon. Ce ne serait donc déjà pas si mal si le dispositif que nous proposons permettait de garantir que les lieux de culte musulmans sont conformes aux principes et aux valeurs de la République.
À ce titre, je veux dire qu'il convient de ne pas sous-estimer la grande blessure que ressentent les musulmans lorsque certains de nos compatriotes les assimilent collectivement à des islamistes. J'ajoute que l'on peut tout à fait respecter très strictement les règles de sa religion sans porter atteinte aux valeurs de la République.
Beaucoup des dispositions que nous proposons concernent le champ associatif. Les mesures visant à suspendre ou à dissoudre certaines associations sont tout à fait nouvelles : nous espérons qu'elles seront validées par le juge constitutionnel.
Le fait de modifier les conditions d'agrément des associations par l'État en ajoutant une condition de respect des principes du contrat d'engagement républicain est une disposition extrêmement forte. Nous voulons mettre fin à des pratiques, qui conduisent les collectivités publiques, les organismes HLM, Pôle emploi, la CPAM, ou la CAF à verser des centaines de milliers, voire des millions d'euros à certaines associations.
S'agissant de la lutte contre le cyberislamisme, nous avons considérablement renforcé les moyens de Pharos. Dès le lendemain de l'assassinat de Samuel Paty, nous avons décidé d'élargir les horaires d'ouverture de la plateforme, de faire en sorte qu'elle soit réactive vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Les propos faisant l'apologie du terrorisme sont désormais systématiquement poursuivis.
Par ailleurs, nous avons réactivé le groupe de contact permanent du ministère de l'intérieur, créé à l'époque par Bernard Cazeneuve, pour mieux lutter contre la propagande terroriste sur internet, notamment sur les réseaux sociaux. Nous nous sommes aperçus que les réseaux sociaux mettaient souvent beaucoup de temps à répondre aux services de l'État, et refusaient parfois de livrer le nom de personnes soupçonnées par Pharos.
Nous communiquons les chiffres des signalements de la plateforme à chaque point de presse mensuel du ministère pour que les citoyens la connaissent de mieux en mieux. Nous avons mis davantage d'officiers de liaison à disposition des associations qui mènent un travail similaire, comme l'association Point de contact. C'est d'autant plus fondamental que l'on constate que les jeunes se radicalisent moins dans la rue ou à la sortie des mosquées que devant leur écran d'ordinateur ou de téléphone. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons créé, conformément à la volonté du Président de la République, une unité de contre-discours républicain au sein du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) du ministère de l'intérieur. Ce dispositif permet notamment de lutter contre les fausses informations sur les réseaux sociaux.
Pour répondre aux questions posées au sujet des mariages forcés, nous disposons des chiffres. Dans le monde, environ 12 millions de jeunes filles sont mariées de force, et près d'une jeune fille sur cinq est mariée de force avant ses dix-huit ans. La France n'échappe pas à ce phénomène puisque, d'après les études, environ 200 000 femmes seraient mariées de force en France actuellement. Certaines associations estiment qu'il y en aurait même beaucoup plus.
Comme l'ont dit certains d'entre vous, il est effectivement très difficile pour les élus et les maires d'intervenir pour faire cesser ces pratiques. C'est d'ailleurs après avoir écouté les élus locaux que nous avons décidé d'améliorer les dispositifs existants. J'ajoute que le nombre d'appels au 3919 pour dénoncer des mariages forcés est passé d'environ 50 appels en 2017 à près de 60 appels en 2018. Comme pour les certificats de virginité, nous constatons que les alertes émanent très régulièrement des ONG qui accompagnent ces jeunes filles. Nous avons voulu renforcer leurs moyens.
Dans ce projet de loi, notre objectif principal est de renforcer le dispositif de lutte a priori contre ces mariages. Nous voulons garantir la liberté matrimoniale entre les futurs époux. L'article 17 renforce le dispositif de protection du consentement des futurs époux lors de la célébration. Nous imposons à l'officier d'état civil de s'entretenir séparément avec chacun des futurs époux dès lors qu'il y a un signalement ou un doute sur le caractère libre du consentement après l'audition commune des futurs époux et après l'examen des pièces fournies. Désormais, l'officier d'état civil devra saisir le procureur de la République en vue d'une éventuelle opposition à un mariage s'il conserve des doutes à l'issue de l'entretien.
Pour garantir que le dispositif soit le plus efficient possible, nous sommes en train de travailler à l'élaboration d'un guide permettant de recenser les nouveaux droits des femmes, notamment des migrantes ou des primo-arrivantes. Ce guide sera traduit dans plusieurs langues. En outre, nous adresserons un guide pratique aux élus, notamment ceux des petites communes, afin que la mesure s'applique pleinement.
Je précise que nous n'imposons pas un contrôle du consentement des époux lors de chaque mariage : nous faisons confiance aux élus et au discernement de l'officier d'état civil qui conduit les entretiens.
Les associations catholiques sont des associations diocésaines, qui ont été jugées conformes à la loi de 1905 sans pour autant relever du régime découlant de cette loi. Ce texte s'appliquera-t-il à ces associations ? Par exemple, pourront-elles acquérir et gérer des immeubles de rapport ? Devront-elles à l'inverse changer de forme pour se conformer aux dispositions du projet de loi ?
Ne pensez-vous pas qu'il faudrait aller plus loin ? On sait bien que certains quartiers sont plus difficiles que d'autres. Bernard Rougier parle d'ailleurs d'écosystèmes qui se sont refermés sur eux-mêmes.
Ne devrait-on pas réfléchir à la politique de peuplement des quartiers ? Personne n'a jamais travaillé sur cette question, y compris dans le cadre de la politique de la ville, qui ne date pourtant pas d'hier. Arrêtons l'hypocrisie consistant à manier le levier des ressources : parlons de la vraie diversité, celle qui fera que les gens vivront mieux ensemble. C'est une clé du succès. Il convient de travailler sur ces sujets avec objectivité et avec les bons mots.
Le culte catholique, avec ses associations diocésaines, relève de la loi de 1905. Et les dispositions prévues à cet égard dans ce texte s'appliquent à lui, comme je l'ai indiqué au président de la Conférence des évêques de France. Je constate d'ailleurs que les dispositions dites « démocratiques » de la loi de 1905 ne s'appliquent pas puisque la paroisse n'a pas d'existence juridique en tant que telle, l'évêque étant désigné par le Pape et non pas élu par un bureau.
Ces associations sont donc reconnues comme telles et aucune modification de leur statut n'est nécessaire pour être en règle avec les lois de la République.
Madame Eustache-Brinio, je ne dis pas qu'il n'y a pas de lien entre immigration et séparatisme ; je dis que ce lien n'est pas systématique. Bien sûr, une immigration non contrôlée de gens non intégrés peut mener au séparatisme, de même que la politique du logement peut contribuer au séparatisme. Bernard Rougier, notamment dans son ouvrage Les territoires conquis de l'islamisme, évoque cet écosystème et cette emprise islamiste sur la société. Notre travail consiste à casser celle-ci en créant des moments de neutralité dans l'espace public, en particulier dans les services publics et l'entreprise. À cet égard, le code du travail est incomplet, mais cela n'empêche pas les entreprises d'imposer la neutralité à travers leur règlement intérieur.
Bien sûr, chacun est libre de conserver sa religion et de rester fidèle à ses origines, mais intégrer une communauté nationale oblige, à certains moments de la journée, à mettre de côté ces repères religieux.
C'est facile à dire, mais ce n'est pas facile à faire, en particulier lorsque vous êtes en responsabilité dans une collectivité locale. Ainsi, la loi Lamy, grand drame pour la République, a eu pour conséquence de forcer parfois les maires à garder des poches de non-mixité pour toucher davantage de subventions publiques, erreur fondamentale, et a donné à l'agglomération le pouvoir de peuplement. Cela peut fonctionner dans une optique de rééquilibrage au sein de l'agglomération à la condition que les villes les plus riches acceptent la mixité sociale. À Tourcoing, ville pour laquelle l'Agence nationale pour la rénovation urbaine s'est montrée très généreuse, les gens veulent souvent rester dans leur quartier, même difficile. Par exemple, dans un quartier comme celui de la Bourgogne, qui compte 92 % de logements sociaux, il n'est pas facile de créer du logement privé. Par ailleurs, il faut accepter l'idée d'une plus grande mixité sociale dans les quartiers plus « classe moyenne » ou bourgeois, y compris en centre-ville. Et, madame Lherbier, vous le savez bien : il n'est pas facile d'expliquer à nos concitoyens que, dans un objectif d'équilibre, le seuil de 25 % de logements sociaux devra être atteint, y compris à Bondues, à Mouvaux ou à Marcq-en-Baroeul. Et pourtant, c'est ce qu'il faudrait faire pour mixer la population.
Donc, il faut sans doute mener un travail sur l'immigration et avoir une action très forte pour la mixité sociale, mais ce n'est pas devant le Sénat que je dirai qu'il faut accroître le seuil fixé par la loi dite « solidarité et renouvellement urbain » (SRU). Une politique de rénovation urbaine au niveau de la métropole est difficile à conduire, quand bien même les élus sont très volontaires, et il en est de même pour la politique d'accueil des personnes que vous déménagez de leur quartier. Et je ne sais pas comment l'on peut obliger à faire construire des logements notamment sociaux dans les quartiers qui n'en ont pas ou qui en comptent peu, pour la simple raison que ces quartiers ne veulent pas modifier leur écosystème.
Un très important travail est nécessaire, qui dépasse le cadre de ce texte, qui est un texte de police administrative.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 18 h 40, est reprise à 18 h 50.
Nous accueillons maintenant M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous nous livrerez votre analyse de ce texte et des articles intéressant tout particulièrement votre ministère. Par la suite pourront intervenir nos collègues souhaitant vous interroger.
Le présent texte ne peut que nous réunir dans ses objectifs, à savoir renforcer les principes qui fondent notre République afin de lutter efficacement contre les idéologies qui la menace, traiter en amont le fléau du séparatisme islamiste dans sa globalité, protéger nos enfants du poison de la transmission de valeurs antirépublicaines en aval, poursuivre et sanctionner plus durement ceux dont le but est de substituer à notre République un obscurantisme rance.
Plusieurs dispositions que je porte au nom de mon ministère ont été enrichies par le débat parlementaire afin d'offrir les outils nécessaires aux services d'enquête et aux magistrats.
Tout d'abord, l'article 3 fait évoluer le dispositif relatif au fichier des auteurs d'infractions terroristes (Fijait). Nous souhaitons ainsi renforcer la lutte contre le terrorisme en vérifiant que toute personne postulant un emploi ou effectuant une demande d'habilitation n'a pas été condamnée ou mise en examen pour des infractions en lien direct ou indirect avec des activités terroristes. C'est pourquoi nous ajoutons les infractions d'apologie et de provocation au terrorisme à la liste de celles qui donnent lieu à une inscription à ce fichier.
Nous souhaitons également, avec l'article 4 de ce projet de loi et la création d'un délit de menace séparatiste, renforcer la protection des personnes qui exercent des missions de service public contre ceux qui, par des comportements violents, menaçants, intimidants, souhaitent porter atteinte à notre capacité à faire société. Il est urgent que nos agents publics, lorsqu'ils sont confrontés à ces comportements séparatistes, se sachent protégés par la loi, particulièrement par la création de ce délit spécifique.
Ce projet de loi répond également à cette menace nouvelle qui consiste à détourner l'usage des réseaux sociaux pour les transformer en vecteurs de diffusion de la haine la plus décomplexée et la plus nuisible. L'effroyable assassinat de Samuel Paty doit nous conduire à lutter efficacement contre cette haine. Ainsi l'article 18 crée-t-il le délit de mise en danger de la vie d'une personne par diffusion d'informations personnelles permettant son identification. Même si cette mise en danger n'est pas suivie d'effet, il convient de contrecarrer la volonté de nuire à autrui.
La diffusion d'informations personnelles sur internet sera donc punie si l'on démontre l'intention manifeste de l'auteur de porter gravement atteinte à la personne visée. Les députés ont ainsi souhaité faire préciser cette intention en indiquant que l'auteur ne pouvait ignorer le risque auquel il exposait les victimes.
Enfin, l'article 20 permettra d'aligner le temps de la réponse judiciaire au rythme des infractions commises en ouvrant le champ de la comparution immédiate aux auteurs de propos incitant à la haine sur internet. L'Assemblée nationale a d'ailleurs complété la liste des infractions concernées afin d'appréhender le phénomène de la haine en ligne de façon la plus large possible.
Ce mode de poursuites permettra d'apporter une réponse rapide et nécessaire qui fait aujourd'hui défaut à l'arsenal pénal. Il est impératif de casser la spirale de haine qui prospère aujourd'hui sur la toile et dont les auteurs tardaient trop souvent à être jugés. Cette disposition, fruit d'une très large consultation avec les professionnels du secteur de la presse, consiste uniquement à modifier le code de procédure pénale.
Nos débats permettront sans doute d'enrichir encore ce texte que j'estime essentiel pour nous prémunir des dérives séparatistes qui menacent la Nation et la République.
Monsieur le garde des sceaux, nous partageons votre constat et vos inquiétudes pour l'avenir de notre pays. Se pose la question des moyens dont vos services bénéficieront pour assumer l'ambition politique portée par ce texte, à savoir combattre la plaie de l'islamisme. La seule volonté ne suffit pas. Pensez-vous disposer de ces moyens ? Estimez-vous que les procureurs sont suffisamment nombreux pour réagir rapidement, ce qui est un gage d'efficacité ? Celles et ceux qui saisissent la justice ne doivent pas être encore plus inquiets après l'avoir fait.
Quand on parle de moyens, on pense notamment aux moyens informatiques...
L'inscription au Fijait serait désormais possible avant condamnation. Lorsque nous avions voulu faire de même avec le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (Fijais), cela nous a été refusé s'agissant des délits, mais non pas pour les crimes. Par parallélisme des formes, la question ne risque-t-elle pas de se poser pour le Fijait ?
Les articles 18 et 20 ne risquent-ils pas de conduire à une autocensure dans la diffusion d'images ? S'agissant en particulier de l'article 20, les règles relatives à la comparution immédiate dérogatoires de la loi de 1881 sont-elles suffisamment encadrées ?
Votre ministère, comme le Sénat, est particulièrement attaché à la défense des libertés publiques. Aux termes de ce texte, les préfets pourraient prononcer la fermeture administrative de lieux de culte. En pareil cas, on envisage plutôt une intervention du juge judiciaire, qui, dans le dualisme juridictionnel français, est plutôt celui qui, traditionnellement, défend les libertés publiques. Comment faire en sorte, alors, qu'une décision de fermeture d'un lieu de culte soit prise en préservant au maximum cette liberté individuelle et collective qu'est la liberté de culte, possiblement par une autorité totalement indépendante, l'autorité judiciaire, le cas échéant ?
Il a souvent été dit que l'article 18 ne devait pas être la réponse à la problématique posée par l'article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, dont nous ne savons pas encore quelle sera la rédaction finale. Il n'empêche que ces deux articles peuvent entrer en concurrence dans la répression des infractions qu'ils visent. Aussi, monsieur le garde des sceaux, comment envisagez-vous leur articulation future, sauf à envisager que l'un d'entre eux ne prospère pas ?
L'article 20 autorise le recours à des procédures dites « rapides », notamment la comparution immédiate, dans le cas de certains délits de presse. Traditionnellement, la comparution immédiate ne s'applique jamais aux délits de presse et aux mineurs. Je m'interroge donc sur cette exception, estimant que cette protection intangible que pose la loi de 1881 doit être préservée. Toujours est-il que je n'ai pas bien identifié les infractions qui allaient pouvoir être poursuivies selon cette procédure. Il a été dit qu'elle ne s'appliquerait qu'en cas de flagrance. Quelle sera alors l'utilité pratique du texte ?
J'y insiste, il me paraît problématique de porter atteinte à la loi de 1881, qui protège non seulement la liberté de la presse, mais aussi la liberté d'expression. Nous élus, nous savons bien que cette loi prévoit une procédure d'urgence spécifique lorsque des infractions sont commises en période électorale, le tribunal correctionnel se prononçant dans un délai de quarante-huit heures.
Ma question porte sur la protection du consentement des futurs époux, afin de lutter contre les mariages forcés, disposition de bon sens.
Élue de Tourcoing, j'ai souvent eu à connaître de cas de mariages forcés ou blancs. En pareil cas, on saisit le procureur, ce que confirme l'article 17, qui oblige l'officier d'état civil qui a un doute sur un mariage à saisir celui-ci. Mais ce qu'on constate très souvent, c'est que les personnes visées se présentent dans d'autres villes, à d'autres moments, devant d'autres officiers d'état civil moins vigilants. Et le mariage peut être prononcé. Monsieur le garde des sceaux, est-il envisageable que le champ d'action du procureur soit élargi géographiquement pour éviter ce genre de situation ?
Monsieur le garde des sceaux, ce texte vise notamment la lutte contre la haine en ligne. Or la haine est un sentiment, et nous subissons plus que nous ne maîtrisons nos sentiments. L'État va-t-il nous interdire de haïr ou d'aimer ? Est-il bien judicieux d'utiliser ces termes ?
N'étant pas pénaliste, je vous soumets cette question, monsieur le garde des sceaux : l'article 35 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État s'applique-t-elle aux provocations directes à résister à l'exécution des lois qui sont commises par des imams salafistes dans les mosquées ? Cet article dispose ceci : « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique [...], le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. »
Si c'est le cas, les procureurs engagent-ils de telles poursuites ? Disposez-vous de statistiques ? Quelles instructions donnez-vous aux procureurs ?
Monsieur Bas, vous avez dû réfléchir longtemps à cette question, et vous voudriez que je vous réponde tout de suite, excipant du fait que vous n'êtes pas un pénaliste, qualité que vous m'attribuez ! Je suis pénaliste, mais je ne suis pas le Dalloz ! Vous connaissez le chemin de la Chancellerie : je vous convie à venir me rencontrer de nouveau afin que je puisse répondre à cette question particulièrement technique à laquelle je ne m'attendais pas. Je suis garde des sceaux, et non pas ministre des cultes. Vous ressortirez de cette audition frustré, mais votre frustration prendra fin après notre prochaine rencontre.
Madame de La Gontrie, vous connaissez peut-être la réponse, vous qui avez été avocate. Je préfère ne rien dire plutôt que de raconter des choses fausses.
Votre réponse est intéressante : cela signifie que le garde des sceaux n'est pas en mesure de nous dire si des poursuites peuvent être engagées, sur le fondement de la principale disposition de la loi de 1905 réprimant les provocations directes à résister à l'exécution des lois, contre l'auteur de tels propos tenus dans une mosquée. C'est singulier quand on vient défendre un texte sur le séparatisme.
Vous pouvez jouer à cela, c'est facile. Je pourrais vous avoir sur d'autres sujets si nous inversions les rôles. Sérieusement, j'entends répondre à toutes les questions qui me seront posées, exercice parfaitement légitime. Sur le ton de la boutade amicale, je vous ai indiqué que j'étais tout à fait disposé à ce que nous en parlions, car votre préoccupation est légitime. Maintenant, je n'ai pas quatre ans, je ne suis pas dans la cour de récréation d'une école, vous n'êtes pas mon instituteur, on ne va pas faire du Jean-Jacques Bourdin ! Je préfère ne pas vous répondre plutôt que de vous dire des âneries. Mais je vous répondrai le plus complètement possible. Et si mes services peuvent dès à présent vous répondre, ils me feront passer une note.
Ne tirez pas de cette absence de réponse je ne sais quelle conclusion. Par ailleurs, je vous signale que mon périmètre d'intervention sur ce texte est très limité.
Madame Eustache-Brinio, la question des moyens est importante. Il faut que ce texte puisse être appliqué. Concernant le Fijait, aucun moyen supplémentaire n'est nécessaire. Les infractions prévues aux articles 4 et 18 peuvent être jugées devant les juridictions.
Pour la haine en ligne, c'est un peu plus compliqué. Au parquet de Paris a été créé un pôle pour lutter contre cette haine en ligne, auquel ont été affectés trois magistrats, sans que ce soit leur compétence exclusive. À ce jour, ce nombre est suffisant. Bien sûr, ce pôle n'a pas vocation à lutter contre toutes les expressions de cette haine en ligne, trop nombreuses. À travers l'article 20, nous souhaitons, surtout à l'attention des jeunes, que la procédure de comparution immédiate puisse avoir valeur d'exemple. Autant je ne crois pas forcément à l'exemplarité des peines dans le cas de délinquants chevronnés, autant il est important de faire savoir à des gamins qu'on ne peut plus raconter n'importe quoi.
Madame Verien, vous m'interrogez sur le Fijait. Le texte vise la diffusion d'informations susceptibles d'exposer une personne à un risque direct. Mais je reviendrai dans quelques instants sur votre préoccupation.
Monsieur Hervé, vous avez évoqué la question de la fermeture des lieux de culte, de l'intervention du juge judiciaire ou du juge administratif en matière de liberté de culte. Il n'est pas question de remettre en cause ce dualisme juridictionnel. Chaque ordre est compétent dans son domaine, au service des libertés publiques. Le juge administratif est aussi le garant de nos libertés.
Madame de La Gontrie, les craintes que vous exprimez au sujet de la liberté de la presse n'ont pas de raison d'être. La haine en ligne est réprimée par l'article 24 de la loi de 1881.
Une solution aurait été de modifier cette loi totémique, ce dont la presse se serait inquiétée, légitimement. J'ai réuni, tous les organes de presse, les syndicats de journalistes, les patrons de presse, les avocat spécialisés, qui m'ont tous dit de ne pas y toucher.
Pour autant, il faut régler une équation. Des gamins diffusant de la haine en ligne bénéficient de la protection de la loi de 1881, qui a été faite non pas pour les protéger, mais pour protéger les journalistes.
Mais si !
Or un certain nombre de haineux du quotidien se lovent dans cette loi, bénéficient des protections procédurales accordées aux journalistes, et, partant, d'une espèce d'impunité ou bien d'une décision de justice rendue tardivement devant la chambre spécialisée. C'est d'ailleurs une revendication des journalistes, qui disent ne pas pouvoir être jugés dans l'immédiateté, avoir besoin de réunir un certain nombre de pièces. De fait, quand un journaliste est poursuivi, il n'est pas jugé avant un an et demi.
Laissez-moi développer mes arguments.
Puisque, convaincu par les journalistes, par leurs syndicats, par les avocats, je ne veux pas toucher à la loi de 1881, je vais toucher en réalité à la procédure pénale pour faire en sorte que les haineux du quotidien soient immédiatement jugés en comparution immédiate. Pour les gamins, notamment, l'exemplarité est au coeur de cette disposition.
Ensuite, vous m'interrogez sur le télescopage entre l'article 18 de ce projet de loi et l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Déjà, de quelle version de l'article 24 parlez-vous ? C'est vous qui avez la main ! Moi, je ne peux vous parler que de l'article 18. Nécessairement, une solution sera trouvée dans le débat parlementaire. Et par vous, qui n'êtes pas avare d'idées. Et si vous estimez qu'il convient de modifier cet article 18, vous le ferez. À cet instant précis, ce n'est pas moi qui peux répondre à cette question.
Madame Lherbier, au fond, vous me demandez si l'on peut assurer un suivi de ceux qui veulent procéder à des mariages forcés. C'est une interrogation légitime : certaines personnes passent évidemment d'une mairie à l'autre. Cette question relève de Marlène Schiappa, mais si vous le souhaitez nous pouvons y travailler ensemble. À cet instant précis, je ne peux pas vous dire si un fichier des mariages forcés serait utilisable.
L'enjeu, c'est tout simplement de garantir l'efficacité du texte en traitant les problèmes à la racine.
Comment pourriez-vous sensibiliser les procureurs sur ce sujet, afin que les parquets apportent une réponse homogène sur l'ensemble du territoire ?
On peut bien sûr adresser une circulaire aux procureurs, mais comment garantir une communication nationale entre eux ? On peut envisager la création d'un fichier national, mais un tel travail exige une expertise.
Madame Jourda, je tiens à vous rassurer : vous aurez encore le droit de haïr ! Ma référence, c'est l'article 24 de la loi de 1881. C'est pour cela que le mot de haine a été retenu. On ne peut pas en choisir d'autre : je conçois qu'il ne vous plaise pas, mais ne m'en faites pas grief.
La commission des lois a réécrit ce matin l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Nous sommes revenus sur la rédaction polémique issue des travaux de l'Assemblée nationale en remplaçant la notion de publication par celle de provocation à l'identification. Ce choix permet de mieux atteindre le but visé : protéger les gendarmes, policiers nationaux et municipaux dans l'exercice de leurs missions des agressions dont ils pourraient faire l'objet. Nous pensons, singulièrement, à la publication de leur image, de leur état civil et de leur adresse sur internet. Nous avons étendu ces dispositions aux proches et à la famille et complété l'article conformément aux préconisations de la CNIL afin de sanctionner la constitution de ces fichiers d'identification qui se créent de manière un peu erratique sur les réseaux.
La préoccupation du Sénat, au regard de l'article 24 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, c'est de garantir une incrimination spécifique. C'est pourquoi nous sommes sortis du cadre de la loi de 1881 en intégrant une nouvelle disposition dans le code pénal.
Après la sémantique, la numérologie : il y a l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale et l'article 24 de la loi de 1881. Quant à l'article 18 que je défends devant vous, c'était l'article 23 du projet de loi initial. Cette précision mérite d'être faite pour éviter les confusions. Nous verrons si les articles 18 et 24 sont désormais compatibles.
Monsieur Bas, les dispositions du texte que nous présentons auront pour effet d'abroger l'article 35 de la loi de 1905, dont l'application vous taraudait.
A-t-il seulement été appliqué ? C'est un problème politique. Il permet d'infliger jusqu'à deux ans de prison à un ministre du culte incitant à violer la loi. Avant de changer la loi, il faut se demander si les armes pénales dont nous disposons sont réellement utilisées et si des consignes sont régulièrement données aux procureurs en ce sens.
J'ai lancé ce débat en posant la question à M. Darmanin. Il nous a répondu que cette mesure n'avait jamais été employée. Pourquoi ? Il est prévu de l'étendre, mais sera-t-elle davantage appliquée ?
À plusieurs reprises, vous avez fait référence aux « gamins » à propos de l'article 20. S'appliquera-t-il également aux mineurs ? Il s'agirait d'une seconde exception.
Quoi qu'il en soit, la loi sur la presse s'applique à tout propos tenu publiquement et, par son article 54, elle prévoit déjà un mécanisme d'urgence. Pour des décisions rapides, vous pouviez donc très bien trouver une solution au sein de ce texte sans passer par la comparution immédiate.
Nous avons préféré ce mécanisme ultra rapide. La liberté d'expression ne saurait protéger des usurpateurs d'identité qui diffusent la haine, en particulier la haine en ligne. L'exemplarité est un des fondements de notre démarche : il nous a paru nécessaire de garantir un jugement immédiat...
Quant à l'article 54, il ne permet pas de mesures de sûreté, car, que vous le vouliez ou non, il est fait pour les journalistes et non pour les personnes qui répandent la haine dans notre pays. Or mon but est également d'atteindre les professionnels de la haine en ligne. Nous les connaissons, mais pour l'heure ils sont protégés par la loi de 1881.
L'immense majorité des journalistes de France respectent les valeurs républicaines : on n'allait pas détricoter la loi de 1881 pour quelques exceptions. C'est pourquoi nous sommes passés par la procédure pénale. Si l'on raconte n'importe quoi, on peut se retrouver devant le tribunal correctionnel : en disant cela aux jeunes, on ne résoudra pas tous les problèmes, bien sûr, mais on pourra améliorer un certain nombre de choses.
Le ministre de l'intérieur nous a dit que l'article 35 de la loi de 1905 n'a jamais été appliqué. Peut-être la Chancellerie a-t-elle des informations plus précises.
Effectivement, d'après les données dont nous disposons, cette mesure n'a jamais été utilisée.
Merci de ces clarifications. Avez-vous d'autres observations à formuler ?
Je les ferai en séance publique, monsieur le président !
Nous sommes sensibles à un certain nombre de points que vous avez évoqués dans l'interview récente que vous avez consacrée à votre projet de loi de réforme de la justice. Nous vous auditionnerons très prochainement pour les aborder.
Très volontiers.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 40.