Tout d'abord, je tiens à rappeler la philosophie générale de ce texte. Il nous semble que nous sommes confrontés à un danger, que chacun connaît ici, le danger du séparatisme islamiste qui est, parmi tous les séparatismes, le plus important et le plus meurtrier, celui qui nous impose le plus urgemment un sursaut républicain. Ce réveil doit se produire dans le respect de l'équilibre des principes républicains, notamment parce que, du fait non seulement de la loi de 1905, mais aussi de longues décennies d'exercice de la laïcité dans notre République, nous voulons que la religion soit l'affaire de l'État et non le fruit d'une ingérence étrangère.
Nous souhaitons en effet lutter contre l'ingérence de puissances étrangères sur le territoire national en limitant l'influence de pays comme la Turquie, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, mais aussi celle de certains États anglo-saxons pour ce qui concerne la communauté protestante, par exemple. Ces ingérences sont dangereuses pour la République, sans pour autant qu'il faille les confondre avec la manifestation de l'islamisme radical. C'est pourquoi le Président de la République a eu raison de mettre fin aux imams « détachés », fonctionnaires envoyés en France par leur pays d'origine. Ce ne sont pas par nature des islamistes ; en revanche, en tant qu'agents d'un État étranger, nous ne pouvons pas compter sur leur loyauté absolue vis-à-vis de la République française.
Nous souhaitons agir conformément à notre tradition : la religion est une affaire française, quelle qu'elle soit. C'était le sens de l'opposition entre Philippe le Bel et le pape au sujet de la levée des impôts ; c'est le sens de ce qu'il s'est passé avec les juifs de France sous la Révolution, puis après le Concordat grâce à la République ; c'est enfin ce que nous voulons appliquer aux musulmans aujourd'hui au travers de ce texte. Ces derniers disposent évidemment de toute liberté en tant que citoyens et croyants, mais leur pratique religieuse est une affaire qui intéresse la République française et non un État étranger.
Le cadre dans lequel nous intervenons est celui de la non-reconnaissance des cultes. Aussi, je m'interroge sur ce que MM. Sueur et Bas auraient souhaité que je fasse quand ils reprochent à ce texte de ne pas embêter que les musulmans, mais aussi les croyants de toutes les autres religions. Auraient-ils préféré que je présente un projet de loi concernant exclusivement les musulmans ? Une telle démarche politique pourrait constituer une solution, comme c'est le cas dans des pays où la laïcité à la française ne s'applique pas - je pense notamment à l'Autriche où il existe une loi spécifique contre les islamistes -, mais un texte de cette nature serait évidemment contraire à la loi sur la séparation des Églises et de l'État.
La situation actuelle nous appelle à un réveil républicain, qui nous permettra de nous garder de toute forme d'angélisme. Nous devons cependant rester fidèles à la République, à son histoire, à la loi de 1905, en ne distinguant pas les cultes les uns des autres. Je peux comprendre que cela puisse gêner et que certains représentants des cultes s'interrogent sur les effets de ce texte, mais ne soyons pas faussement naïfs : en 1905, les catholiques n'étaient pas favorables à la loi de séparation des Églises et de l'État, pas plus que les autres cultes.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut pas faire attention aux inquiétudes exprimées. Nous sommes là pour rassurer les cultes. Je compte évidemment sur le Sénat et l'Assemblée nationale pour corriger un certain nombre de dispositions et aboutir à des compromis. Je me suis déjà inscrit dans cette démarche en remaniant le texte initial du projet de loi après que le Conseil d'État a rendu son avis et après en avoir discuté avec les représentants des différentes religions. Vous l'aurez compris, nous assumons le fait que cette loi soit de portée générale et s'adresse à tous les cultes.
J'ajoute à l'attention du sénateur Le Rudulier que la proposition de loi constitutionnelle d'origine sénatoriale n'aurait rien réglé. Nous sommes d'accord : personne ne peut se prévaloir ni de son origine ni de sa religion pour demander à bénéficier d'une exception à la règle commune, mais nous pensons qu'il est inutile de passer par la révision de notre Constitution. Pour nous, les articles 4 et 18 suffisent à atteindre cet objectif.
Je ne sais pas si nous aurions pu empêcher l'assassinat de Samuel Paty grâce à ce texte - ce serait prétentieux de l'affirmer -, mais il manque à coup sûr deux outils au ministre de l'intérieur que je suis pour empêcher qu'un tel drame ne se reproduise à l'avenir.
Premièrement, je ne peux toujours pas, même si je disposais de notes des renseignements territoriaux m'alertant d'un danger, comme c'était le cas de la préfecture des Yvelines, poursuivre les personnes qui exerceraient une pression communautaire sur un principal de collège, comme ce fut le cas dans l'affaire Paty : aucun délit ne me permet en effet aujourd'hui d'y mettre fin. Aucun délit n'existe non plus dans le droit actuel pour empêcher une femme de refuser les soins d'un homme ou pour sanctionner un individu refusant de parler à un individu de l'autre sexe à l'accueil d'une mairie, par exemple.
Deuxièmement, nous ne pouvons rien faire contre les fatwas numériques, comme celle à laquelle s'est livré M. Chnina, un parent d'élève, en postant sur les réseaux sociaux la vidéo qui a directement mené au meurtre de Samuel Paty. Demain, l'article 18 nous permettra de condamner l'auteur d'une fatwa sur internet et de faire retirer les contenus haineux des réseaux sociaux.
Nous répondons à l'enchaînement diabolique qui a conduit à l'assassinat de Samuel Paty et à la pression communautaire par un délit de séparatisme, d'une part, et aux fatwas en ligne via l'article 18, d'autre part.
Je le répète, c'est de notre point de vue se montrer totalement fidèle à la loi concernant la séparation des Églises et de l'État que d'affirmer qu'un lieu cultuel doit être géré comme tel. Un lieu cultuel est en effet très différent d'un local associatif.
Jusqu'à présent, les associations relevant de la loi de 1901 et celles qui relèvent de la loi de 1905 étaient soumises à des régimes d'imposition différents et à des règles en matière de déduction fiscale, de financement, de propriété, de taxation ou de comptabilité différentes. Comme la quasi-totalité des protestants, qui ont demandé à être soumis aux règles de la loi de 1905, nos amis musulmans devraient gérer leurs lieux de culte dans le cadre de ce régime : celui-ci les protégerait et permettrait à l'État de garder un oeil sur les éventuels troubles à l'ordre public que pourrait occasionner l'exercice du culte, même si l'objectif n'est pas de s'immiscer dans les pratiques religieuses.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des immeubles de rapport. Aujourd'hui comme hier, nous ne voulons pas subventionner les cultes. Il ne s'agit pas pour autant d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, comme le prouve le régime particulier s'appliquant, par exemple, à l'Alsace-Moselle, qui permet le financement de ministres du culte. De plus, les déductions fiscales, tout comme le bail emphytéotique, qui constitue une forme d'aide publique à l'accession à la propriété, représentent sans aucun doute une forme de financement public du culte.
Aujourd'hui, le seul principe reconnu au niveau constitutionnel est celui de la non-reconnaissance des cultes. Il appartient au Parlement de déterminer s'il veut ou non changer le texte de la Constitution pour y introduire le principe d'interdiction de subventionner les cultes ce que, pour sa part, le Gouvernement refuse. Après tout, nous pourrions tout à fait prendre des dispositions conformes aux mesures prises par la République au début du XXe siècle lorsqu'elle a nationalisé les biens de l'Église. Peut-être faudrait-il nationaliser les biens des musulmans pour s'assurer de leur patriotisme, à l'image des églises qui appartiennent à 90 % à la puissance publique... Ce n'est pas la solution que nous avons retenue : si elle n'est pas idiote, elle est néanmoins - avouons-le - complexe à mettre en oeuvre, car il ne s'agit ni plus ni moins que d'une spoliation de biens cultuels.
Monsieur Sueur, si l'on part du principe que nos compatriotes, notamment musulmans, n'ont pas les mêmes avantages que les chrétiens, et singulièrement les catholiques, celui par exemple de voir leurs églises rénovées par les communes, et si nous ne voulons pas subventionner les cultes ni permettre qu'ils soient financés par des États étrangers, il faudra que vous m'expliquiez comment ils pourraient se financer. Car il faut bien trouver des sources de financement ! Les musulmans ne perçoivent aujourd'hui aucune subvention, n'étant pas encore installés sur le territoire de la République en 1905.
Notre proposition est de revenir au régime antérieur à la loi Hamon en permettant aux associations relevant de la loi de 1905, comme c'est le cas aujourd'hui pour celles qui sont soumises à la loi de 1901, de posséder des immeubles de rapport. Pour nous, les fidèles ont le droit, dans un cadre limité, de posséder et de gérer ce type d'immeubles.
On peut se demander si l'on ne devrait pas les autoriser à acquérir de tels immeubles à titre onéreux. Ce n'est pas l'arbitrage rendu par l'Assemblée nationale, mais nous sommes ouverts à la discussion sur le sujet. Il sera sans doute difficile de trouver un compromis entre les deux chambres, mais la question se pose.
Nos compatriotes musulmans demandent aussi à pouvoir bénéficier de déductions fiscales plus importantes, voire même de crédits d'impôt, qui sont des formes indirectes de subventionnement des cultes. De notre point de vue, l'acquisition d'immeubles de rapport ne constitue pas un subventionnement déguisé et est, de ce point de vue, une mesure moins hypocrite que le bail emphytéotique ou la déduction fiscale.
Le sénateur Dany Wattebled a posé avec justesse la question de l'instruction à domicile. Il appartient au ministre de l'éducation nationale de vous apporter la réponse la plus complète possible, mais je vais tout de même citer quelques chiffres pour la seule ville de Marseille : en un an, on est passé de 400 à 1 350 élèves décrocheurs. Ils ne sont évidemment pas tous sous la coupe des islamistes ou d'une secte, mais une partie, notamment les petites filles, est effectivement sortie de la République. L'idée des séparatistes est de créer une communauté de la naissance à la mort, qui n'aurait plus rien à voir avec la République.
M. Wattebled a posé la question des moyens. Je lui réponds : ce n'est pas aux mairies de financer la lutte contre le décrochage scolaire. En outre, la question du contrôle a abouti à un large débat entre les partisans du régime de la déclaration d'instruction en famille et ceux d'un régime d'autorisation préalable. En tant que maire, je n'ai pas toujours disposé des moyens de recenser le nombre d'enfants soumis à l'obligation scolaire, qui étaient sortis du système. Aujourd'hui, les maires, pourtant chargés de la scolarisation des enfants à l'école élémentaire, n'ont pas les moyens de ce contrôle.
Mme Lherbier a raison d'évoquer les objectifs fixés au niveau européen, notamment en ce qui concerne la lutte contre la haine en ligne. Je laisserai Marlène Schiappa parler de la plateforme Pharos, dont le champ d'action a été considérablement renforcé.
Mme de La Gontrie a fait remarquer à juste titre que tout ce qui pourrait favoriser la lutte contre les séparatismes ne figure pas dans ce texte. J'aurais moi aussi aimé que le projet de loi soit plus ambitieux. Je suis tout comme elle convaincu que l'urbanisme, la politique de peuplement, l'éducation, l'immigration et l'intégration jouent un rôle considérable dans les domaines qui nous intéressent. Comme dans le proverbe africain, « il faut tout un village pour élever un enfant », il faut sans doute toute une politique publique pour améliorer l'action des pouvoirs publics face au communautarisme et au séparatisme.
Je veux par ailleurs souligner la profonde différence entre les articles 18 et 24. L'article 24 porte sur les opérations de police, quand l'article 18 a trait aux fonctionnaires, en tant qu'agents, lorsqu'ils sont mis en accusation sur un plan personnel, notamment dans le cadre familial. Il s'agit de deux articles différents dans leur objet.
J'adresserai deux remarques à Mme Boyer. Tout d'abord, si elle a écrit au préfet au sujet de mariages forcés et n'a pas obtenu de réponse, c'est tout à fait normal, parce qu'il fallait s'adresser au procureur. Ensuite, je me permets d'exprimer mon étonnement quand j'entends dire que, malgré les multiples alertes des services de renseignement territoriaux ou de la DGSI auprès de mairies au sujet de l'utilisation de locaux publics comme lieux de culte par des personnes soupçonnées de radicalisation, les baux concernés n'ont pas été résiliés.
Pour répondre au sénateur Arnaud de Belenet, en ce qui concerne la question de la reconnaissance du caractère cultuel d'une association, je précise que nous transcrivons dans le projet de loi ce que la jurisprudence reconnaît déjà en matière d'ordre public. Le caractère cultuel d'une association n'est pas apprécié de manière subjective, mais au sens du droit administratif. Nous pensons que les troubles graves à l'ordre public, par exemple ceux qui sont causés par des ministres du culte qui relaieraient un certain nombre de discours de haine, doivent entraîner la fermeture des lieux de culte.
Pour répondre à M. Bas, l'une des difficultés que nous rencontrons est que les islamistes sont certes minoritaires dans le pays, mais qu'ils ont fait une OPA médiatique sur les discours, notamment en ligne. Quand vous cherchez sur internet comment faire la prière ou quand vous souhaitez vous référer aux prescriptions religieuses, vous trouvez à 99 % des contenus salafistes ou diffusés par les Frères musulmans. Ces organisations sont souvent présentes hors des lieux de culte, dans les associations, les réunions publiques, souvent sur internet. Nos mesures auraient-elles pour effet de déplacer les salafistes des lieux de culte vers le champ politique et social ? Peut-être, mais elles y sont déjà d'une certaine façon. Ce ne serait donc déjà pas si mal si le dispositif que nous proposons permettait de garantir que les lieux de culte musulmans sont conformes aux principes et aux valeurs de la République.
À ce titre, je veux dire qu'il convient de ne pas sous-estimer la grande blessure que ressentent les musulmans lorsque certains de nos compatriotes les assimilent collectivement à des islamistes. J'ajoute que l'on peut tout à fait respecter très strictement les règles de sa religion sans porter atteinte aux valeurs de la République.
Beaucoup des dispositions que nous proposons concernent le champ associatif. Les mesures visant à suspendre ou à dissoudre certaines associations sont tout à fait nouvelles : nous espérons qu'elles seront validées par le juge constitutionnel.
Le fait de modifier les conditions d'agrément des associations par l'État en ajoutant une condition de respect des principes du contrat d'engagement républicain est une disposition extrêmement forte. Nous voulons mettre fin à des pratiques, qui conduisent les collectivités publiques, les organismes HLM, Pôle emploi, la CPAM, ou la CAF à verser des centaines de milliers, voire des millions d'euros à certaines associations.