Intervention de Fabienne Rosenwald

Mission d'information Égalité des chances — Réunion du 4 mars 2021 à 10h30
Inégalités scolaires — Audition de Mme Fabienne Rosenwald directrice de l'évaluation de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports et de M. éric Charbonnier analyste à la direction de l'éducation et des compétences de l'ocde

Fabienne Rosenwald, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Mon propos s'appuiera sur les analyses et indicateurs que nous publions régulièrement dans nos publications comme Etat de l'Ecole, L'Europe de l'Education en Chiffres, Filles et Garçons, ou Géographie de l'Ecole et des études publiées dans nos notes d'information et notre revue Education et Formations.

La publication « L'état de l'École » présente chaque année depuis 1992 une analyse globale de notre système éducatif fondée sur des indicateurs structurels et pérennes qui permettent de décrire les principales évolutions et tendances en rendant compte des disparités tout en apportant l'éclairage des comparaisons internationales. L'objectif est d'alimenter le débat public autour de l'école, aider au pilotage et contribuer à l'évaluation du système éducatif français.

Nous constatons que l'effort de la nation pour l'éducation a été considérable et s'est accompagné d'une élévation spectaculaire du niveau de qualification qui fait que la France se situe plutôt bien dans les comparaisons internationales, en particulier dans le cadre de la stratégie européenne 2020, où elle atteint quatre objectifs sur six.

Ainsi, alors que la France a longtemps partagé avec les pays latins un niveau d'études modéré de sa population adulte avec des enseignements secondaires et supérieurs moins développés que dans les pays d'Europe du Nord ou qu'aux États-Unis, elle a aujourd'hui rattrapé son retard.

La part des « sortants précoces », c'est-à-dire des jeunes de 18 à 24 ans qui sortent du système éducatif sans diplôme, est passée de 33 % au début des années 1980 à 8 % aujourd'hui. Les diplômes des sortants du système éducatif ont également progressé, puisque 46 % des sortants actuels du système éducatif ont un diplôme de l'enseignement supérieur contre seulement un tiers de la population active. Ces taux placent désormais la France au-dessus de la moyenne de l'OCDE et de la moyenne européenne.

De plus, ces développements quantitatifs des enseignements scolaires et supérieurs ont permis d'ouvrir l'école à une population plus large et ont bénéficié à tous les publics, quels que soient leur origine sociale, leur sexe et leur lieu de résidence. Les inégalités d'accès aux diplômes se sont ainsi réduites. Autre avancée très importante en termes d'inclusion pour les élèves en situation de handicap, depuis la loi de 2005, la scolarisation des enfants en situation de handicap a très fortement progressé.

Il reste néanmoins des alertes.

Un pourcentage non négligeable d'élèves est en difficulté dès l'entrée à l'école. Toutes les évaluations nationales conduites par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) le montrent. De même, si les scores obtenus à 15 ans par les élèves français en compréhension de l'écrit aux évaluations internationales PISA sont supérieurs à la moyenne de l'OCDE, près de 20 % des élèves de 15 ans ont toujours de faibles compétences, même si ce taux est inférieur à la moyenne de l'OCDE. Nous retrouvons ces fortes inégalités en compréhension de l'écrit lors des journées défense et citoyenneté. Plus d'un jeune sur dix rencontre des difficultés de lecture et parmi eux, la moitié peut être considérée en situation d'illettrisme.

De plus, en vingt ans, en français et en mathématiques, le pourcentage d'élèves en difficulté a augmenté, tandis que le pourcentage d'élèves dans les plus hauts niveaux a baissé. Globalement, les inégalités de performance entre élèves ont également augmenté. En France, les élèves ne connaissent pas tous le même parcours scolaire : certains poursuivent des études longues et d'autres sortent sans diplôme. Il existe aussi de fortes différences de compétences entre élèves, et ces inégalités de réussite scolaire sont fortement liées au milieu social, au profil fille/garçon et au territoire de résidence.

Si notre système éducatif est capable d'amener à des niveaux de qualifications élevés une majorité des jeunes, il existe une proportion de 15 % de jeunes qui « décrochent » très tôt en termes de résultats, ce qui est facteur d'accroissement des inégalités, car ces jeunes sont plus souvent issus de milieux sociaux défavorisés, plus souvent des garçons et plus représentés dans certains territoires. Nous savons que ces inégalités commencent très tôt dans la scolarité, avant même l'entrée à l'école, et qu'elles se construisent aussi en dehors de l'école.

J'aborderai trois types de disparités scolaires : selon le sexe, l'origine sociale et le lieu de résidence.

Selon le sexe, notre publication « Filles et garçons » met en évidence des différences selon les sexes dans le système éducatif. Nous avons aussi consacré quatre numéros de notre revue « Education et Formations » à ce sujet.

Au cours du XXe siècle, les filles ont rattrapé et même dépassé les garçons sur le plan scolaire et actuellement, comme vingt ans auparavant, les filles réussissent mieux leurs études en France, comme dans la plupart des autres pays développés et mènent des études plus longues. 51 % d'entre elles sont diplômées du supérieur contre 40 % des garçons.

Cependant, les choix d'orientation divergent à chaque étape de la scolarisation : les filles sont sur-représentées dans les filières littéraires du secondaire et du supérieur alors que les garçons sont majoritairement présents dans les filières scientifiques et industrielles. Les choix d'orientation diffèrent en raison de motivations et de jugements eux-mêmes différents, même à niveaux scolaire et social équivalents. Enfin, malgré cette meilleure réussite scolaire, les filles ne bénéficient pas d'un avantage en matière d'insertion professionnelle.

En termes de compétences, les écarts de compétences selon le sexe sont beaucoup plus marqués en français qu'en mathématiques, et ce tout au long de la scolarité. Les écarts sont importants en français en faveur des filles dès l'école primaire et vont croissant tout au long de la scolarité. Ils se sont même accrus ces vingt dernières années. Néanmoins, ces écarts sont moins élevés que les moyennes internationales. En mathématiques, si les filles sont plutôt meilleures que les garçons en début de CP, la tendance s'inverse dès le CE1. Ensuite, les écarts se creusent en faveur des garçons en cours de scolarité et les écarts sont plus élevés que dans les moyennes internationales.

La recherche a dégagé quelques pistes d'action. Il s'agit de développer beaucoup plus les compétences socio-comportementales, comme la confiance en soi, qui soutiennent les parcours scolaires des élèves et les aident à se projeter vers des orientations auxquelles ils n'auraient peut-être pas pensé. Il convient de travailler sur les représentations, mais aussi sur l'aide à l'orientation, en améliorant le lien entre compétences et parcours scolaires (égalité des chances, cordées de la réussite, etc.). Sur le marché de l'emploi, il faut changer les représentations, notamment pour les filles.

En tant que directrice de la Depp, certaines pistes me semblent très importantes. Nous devons continuer de travailler avec des équipes de recherche pour comprendre les raisons de ces différences de compétences entre filles et garçons en français et en mathématiques, déterminer la façon dont elles se construisent et comment nous pouvons lutter. Les moindres compétences des garçons en français constituent un vrai sujet.

En termes de disparités sociales, les développements quantitatifs de l'enseignement ont permis d'ouvrir l'école à une population plus large, mais l'environnement familial des élèves continue d'avoir une influence sur leur parcours scolaire. Sur ces vingt dernières années, les inégalités d'accès à un diplôme ont continué à se réduire.

Si nous regardons deux panels d'élèves entrés en 6ème en 1995 et en 2007, nous constatons que les disparités de parcours scolaires et d'accès au diplôme se sont réduites, mais elles restent quand même prononcées. Ainsi, parmi les élèves entrés en 6ème en 2007, 19 % des enfants de parents ouvriers non qualifiés n'ont pas obtenu de diplôme du secondaire contre seulement 4 % des enfants de cadres, professions libérales et chefs d'entreprise. Cependant, ces écarts se sont réduits, puisque parmi les élèves entrés en 6ème en 1995, la proportion d'enfants d'ouvriers non qualifiés sortis sans diplôme atteignait 33 % contre 8 % parmi les enfants de cadres, soit 25 points d'écart, contre 15 en 2007. De même, la proportion de bacheliers généraux et technologiques est restée stable pour les enfants d'enseignants, à hauteur de 87 %, et a augmenté pour les enfants d'ouvriers non qualifiés, passant de 28 % à 35 %.

Les inégalités sociales d'accès au baccalauréat se sont contractées. Néanmoins, elles restent très prégnantes, puisqu'un enfant de cadres a 11 fois moins de risque de sortir sans diplôme qu'un enfant d'inactif. De plus, les diplômes obtenus sont très différenciés socialement : lorsqu'ils quittent l'enseignement secondaire diplômés, 86 % des enfants d'enseignants et de cadres disposent d'un baccalauréat général et technologique contre seulement un tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés et moins d'un enfant d'inactifs sur quatre. Les disparités d'accès au diplôme selon l'origine sociale persistent et sont particulièrement fortes dans les plus hauts niveaux de formation : 67 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de l'enseignement supérieur long (au-delà de bac+3) contre seulement 16 % des enfants d'ouvriers.

Au-delà des parcours, nous constatons très tôt des disparités de compétences selon l'origine sociale. Dans toutes les enquêtes de la Depp, nous observons des différences très fortes selon l'origine sociale dès le CP, en particulier sur le lexique et le vocabulaire, mais aussi en fin d'école, à l'entrée en 6ème ou en fin de collège. Près de 30 % de la variance des scores de compétences est expliquée par l'origine sociale. À l'âge de 15 ans, la France compte parmi les pays européens où les inégalités sociales de résultats scolaires sont les plus fortes. En 2018, dans PISA, les scores des élèves les plus favorisés et les plus défavorisés affichaient un écart de 107 points, comme en Allemagne et en Belgique, mais au-dessus de la moyenne de l'OCDE à 89 points.

Au cours des vingt dernières années, nous avons observé dans PISA une hausse du poids de l'origine sociale sur les résultats scolaires de 2000 à 2009, puis une stabilisation de 2009 à 2018. Dans nos évaluations nationales CEDRE Mathématiques, les écarts selon l'origine sociale ont baissé entre 2014 et 2019, en lien avec une plus forte baisse des performances dans les milieux socialement favorisés.

De plus, dans notre système éducatif, les écarts initiaux de compétences selon l'origine sociale sont renforcés par des progressions inégales selon l'origine sociale, même à compétences initiales équivalentes. Les inégalités se renforcent particulièrement sur les compétences très scolaires (mathématiques, lexique). Enfin, les processus d'orientation restent très marqués par l'origine sociale. A notes équivalentes au brevet, les élèves ne font pas les mêmes choix d'orientation selon leur origine sociale. Les stratégies des familles les plus favorisées jouent un rôle très important.

Ainsi, les différences de parcours s'expliquent par des différences de compétences elles-mêmes très marquées par l'origine sociale, mais aussi, à compétences équivalentes, par des différences de choix selon l'origine sociale. Thierry Rocher et Noémie Le Donné avaient montré dans PISA que les aspirations professionnelles sont très différentes selon l'origine sociale. Or ces aspirations guident le jeune vers un parcours scolaire plus ambitieux.

Enfin, ces inégalités se poursuivent sur le marché de l'emploi, comme le montrent les profils d'élèves dans l'apprentissage. Les garçons et les enfants d'artisans, de commerçants ou de chefs d'entreprise obtiennent plus facilement ces contrats d'apprentissage que les enfants d'immigrés. De plus, l'insertion professionnelle des jeunes est moindre quand le représentant légal est sans activité. Même à diplôme équivalent, l'insertion diffère selon l'origine sociale des jeunes.

Des pistes d'action pour lutter contre ces déterminismes peuvent être tirées de la recherche et des expérimentations. Ces inégalités commençant très tôt, un travail doit être mené avant même l'entrée à l'école, dès la petite enfance. Il faut aussi accompagner très tôt à l'école les enfants issus de milieux défavorisés via la scolarisation obligatoire à trois ans, l'encadrement renforcé en éducation prioritaire, les devoirs faits, l'aide personnalisée. Il convient de travailler pour développer les compétences socio-comportementales qui soutiennent les parcours scolaires des élèves, en particulier la confiance en soi, l'estime de soi, notamment l'expérience Energie Jeunes qui se poursuit actuellement au sein du rectorat de Versailles ou le Laboratoire de persévérance scolaire à Besançon.

Il faut développer les initiatives autour de l'égalité des chances et l'orientation, comme les cordées ou les internats de la réussite, améliorer la mixité dans les établissements scolaires. La Depp suit un certain nombre d'expérimentations. Ces démarches se heurtent cependant à une difficulté liée au fait que la ségrégation scolaire s'explique en grande partie par la ségrégation résidentielle, qui renvoie à une politique du logement. Enfin, quand les établissements scolaires concentrent les difficultés sociales ou scolaires, il faut accompagner davantage avec les contrats locaux d'accompagnement, les territoires éducatifs, ruraux. Sur le marché d'emploi, il convient d'améliorer les représentations en développant par exemple le mentorat.

Enfin, d'autres pistes peuvent être explorées au niveau de la Depp. La mesure des inégalités doit être plus affinée. Le prochain panel de la Depp démarrera plus tôt, dès la maternelle, pour comprendre ce qui se passe à la 1ère rentrée à l'école et la façon dont les parcours se construisent. Nous travaillons aussi avec des équipes de recherche pour évaluer les expérimentations. Enfin, le travail du Conseil d'orientation de l'école créé par la loi pour l'école de la confiance qui, dans le cadre de l'évaluation des établissements, traite d'un volet sur la lutte contre les disparités doit se poursuivre.

S'agissant enfin des disparités territoriales, notre publication « Géographie de l'Ecole » fait apparaître des disparités importantes en termes d'environnement économique, social et familial des élèves, mais aussi en termes de résultats et de parcours. Si ces inégalités territoriales de résultats scolaires reflètent en partie les inégalités sociales, qui sont assez marquées dans nos territoires, elles ne sont pas réductibles à la dominante rurale ou urbaine des territoires, ni à la composante socio-économique des familles.

La France fait globalement mieux que la moyenne européenne en termes de sortie des jeunes sans diplôme. Néanmoins, nous observons des différences très fortes sur le territoire. En 2017, la proportion de jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme est très faible à Paris (3,4 %) à Rennes (6,2 %) et sur la façade ouest (moins de 9 %). En revanche, nous relevons des niveaux élevés à Amiens, Lille, en Corse et dans les DROM, avec une part supérieure à 11 %. L'espérance d'obtenir le baccalauréat pour un élève de sixième sous statut scolaire s'étend de 55,6 % en Guyane à 84,5 % à Paris.

Lors des journées défense et citoyenneté, nous constatons une proportion beaucoup plus élevée dans les départements du nord et autour de l'Ile-de-France de jeunes en difficulté de lecture, notamment 17,9 % dans l'Aisne, 15,9 % dans la Somme et 15,2 % dans l'Oise. Outre-mer, les pourcentages sont nettement plus élevés : autour de 30 % pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, 55 % en Guyane et 73 % à Mayotte. Nous observons aussi ces fortes différences à l'entrée en 6ème dans les évaluations nationales que nous conduisons. Les difficultés sont plus prononcées pour les élèves dans le nord et les DROM.

Nous avons mis en place une typologie des territoires qui permet de bien distinguer neuf types de territoires urbains ou ruraux. Nous constatons que les élèves du rural ont des résultats légèrement meilleurs que les autres en fin de collège. Ils n'ont pas une probabilité supérieure de sortir sans diplôme. En revanche, leurs orientations après la 3ème se font plus souvent vers l'enseignement professionnel. Les difficultés se concentrent dans les « petites villes » dans lesquelles se combinent des difficultés sociales et scolaires.

Au-delà des politiques (éducation prioritaire, contrats locaux d'accompagnement, territoires éducatifs ruraux), il convient de poursuivre les mesures des inégalités territoriales. A la Depp, l'année 2021 sera une année consacrée aux territoires. Nous publierons une nouvelle édition de « Géographie de l'école » et un numéro entier de notre revue « Education et formations » sera dédié à ce sujet. Nous décrirons sur l'ensemble des territoires les moyens, l'offre de formation, mais aussi les résultats et les parcours. Il faut absolument approfondir les études des chercheurs.

En conclusion, nous observons des disparités scolaires en France. Si elles se sont réduites, elles restent prononcées. Elles existent avant l'entrée à l'école et en parallèle de l'école. A ce titre, elles sont transverses à plusieurs ministères.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion