Intervention de Xavier Iacovelli

Réunion du 9 mars 2021 à 14h30
Mesures de justice sociale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Xavier IacovelliXavier Iacovelli :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, permettez-moi de saluer la plateforme de pétition du Sénat : une pétition ainsi déposée, qui a recueilli plus de 100 000 signatures, nous amène aujourd’hui à examiner ce texte.

Nous débattons d’un sujet majeur, celui de l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers l’autonomie. Tendre vers une société plus inclusive est une priorité absolue. Les 51 milliards d’euros qui y sont consacrés chaque année, soit 2, 2 % du PIB, le démontrent.

L’allocation aux adultes handicapés représente à elle seule 11 milliards d’euros en 2020. La France, à ce titre, fait figure d’exception, puisque très peu de pays au monde sont dotés d’un système de prestation du même type.

Je veux également souligner l’action du Gouvernement en la matière, qui se traduit notamment par l’augmentation de 100 euros par mois de l’AAH pour 1, 2 million de bénéficiaires, ce qui représente une augmentation de pouvoir d’achat de près de 12 % – ce n’était pas arrivé depuis près de onze ans.

Le texte que nous examinons propose, dans sa version transmise à notre assemblée, de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés, ainsi que la majoration de son plafonnement, et de reporter la barrière d’âge de 60 ans pour solliciter le bénéfice de la prestation de compensation du handicap.

En supprimant initialement la notion de plafond et en enlevant les ressources du partenaire, l’adoption de la proposition de loi aurait entraîné 20 milliards d’euros de dépenses nouvelles.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission a réintégré la notion de plafond, abaissant ce coût à 560 millions d’euros.

Afin d’éviter que cette proposition de loi ne crée des foyers défavorisés, il conviendrait d’aligner le plafond pour une personne isolée sur celui d’un couple, ce qui représenterait en réalité une dépense totale de plus de 2 milliards d’euros.

Il s’agit d’une dépense conséquente, compte tenu de la situation économique actuelle et des efforts consentis par la Nation pour protéger nos concitoyens et les secteurs les plus impactés par la crise sanitaire.

Le mécanisme transitoire défini à l’article 3 bis fait suite à un amendement du rapporteur jugé, de manière assez surprenante, je dois l’avouer, recevable financièrement malgré un coût de plusieurs centaines de millions d’euros. Ce mécanisme créerait une inégalité entre des allocataires qui continueraient à bénéficier de l’AAH et d’autres qui, postérieurement à l’entrée en vigueur de la proposition de loi, n’y seraient plus éligibles, alors même que leur situation serait identique. Une telle mesure nous semble aller à l’encontre de nos règles constitutionnelles, notamment l’égalité des droits.

Plus largement encore, bien que nous partagions l’objectif de mieux accompagner et soutenir les personnes en situation de handicap, les mesures prévues par cette proposition de loi comportent un certain nombre de difficultés.

Ainsi, l’AAH vise à assurer des conditions de vie dignes aux personnes en situation de handicap dont les ressources sont les plus faibles. Elle est donc conçue comme un minimum social pour permettre à nos concitoyens d’avoir un revenu décent pour vivre, en complément d’autres sources de revenus éventuelles.

À cet égard, la fixation d’un montant plus élevé pour l’AAH que pour le RSA socle ainsi que les abattements fiscaux correspondent bien à la prise en compte de la spécificité du handicap, et non à une logique de compensation.

Or la proposition de loi opère de fait un changement de cap sur la nature même de l’AAH et remet plus généralement en cause l’un des piliers de notre politique familiale.

Rappelons que la solidarité nationale, qui s’appuie sur la solidarité conjugale, n’est pas une spécificité de l’AAH, mais concerne tous les minima sociaux en vertu des obligations entre époux.

Ainsi, l’AAH repose sur les principes d’équité et de partage des charges entre les membres du foyer, contrairement aux prestations universelles.

Avec la déconjugalisation de l’AAH, nous risquons d’ouvrir la brèche pour d’autres minima sociaux et de modifier profondément notre solidarité familiale. Que deviendraient le quotient familial ou les demi-parts ? Quid du RSA ? À cet égard, rappelons que le coût d’individualisation totale du RSA avait été estimé à près de 9 milliards d’euros en 2016.

Déconjugaliser l’AAH aggraverait les inégalités sociales, puisque la réforme compterait, en l’état, des perdants parmi les ménages les plus modestes et des gagnants parmi les ménages les plus aisés. Si cette proposition de loi se veut un étendard pour le soutien aux personnes dans les situations les plus difficiles, la réalité n’est pas si claire.

Je prendrai deux exemples pour illustrer ce propos.

Tout d’abord, un allocataire qui travaille et est payé à hauteur de 0, 5 SMIC et dont le conjoint est lui-même rémunéré à hauteur de 2 SMIC bénéficierait d’un gain net allant de 320 à 720 euros.

A contrario, l’individualisation totale de la prestation serait défavorable pour les couples dont l’allocataire AAH est aujourd’hui le seul à percevoir un revenu d’activité – le manque à gagner pourrait aller jusqu’à 550 euros pour un allocataire au SMIC.

Au total, ce sont 44 000 bénéficiaires qui travaillent et sont en couple avec un conjoint dont les revenus sont modestes ou inexistants, qui verraient leur allocation diminuer. Le fait de travailler défavoriserait donc certains bénéficiaires, à l’inverse de la mission initiale de l’AAH.

Enfin, l’article 4 de la proposition de loi prévoit de relever l’âge maximum pour bénéficier de la prestation de compensation du handicap de 60 ans à au moins 65 ans. Mes chers collègues, ce dispositif n’est pas anodin pour les finances de nos départements : l’État ne compensant qu’à hauteur de 30 % à 40 % les dépenses liées à cette prestation, une telle mesure, bien qu’intéressante sur le fond, nécessite une concertation et une coconstruction avec les départements, ce qui dépasse largement le cadre contraint d’une proposition de loi.

Cet âge limite ajouterait même un poids administratif pour les départements par le basculement des bénéficiaires de l’APA vers la PCH et une complexité pour les usagers et leurs aidants, comme cela a été rappelé par la direction générale de la cohésion sociale.

C’est pourquoi nous avons déposé un amendement pour privilégier une réévaluation de cet âge tous les cinq ans, par décret, en tenant compte des évolutions démographiques et des besoins de nos concitoyens en situation de handicap et après concertation avec les départements – cette concertation est nécessaire, je le répète. Le gestionnaire resterait ainsi au cœur du processus visant à modifier l’âge limite.

Soutenir les personnes en situation de handicap et leur apporter les moyens de parvenir à l’autonomie sont des points centraux qui ne doivent toutefois pas remettre en cause l’un des piliers de notre politique familiale. Cela ne doit pas non plus créer de nouvelles inégalités ni exclure les départements du pouvoir décisionnaire, en alourdissant leurs charges financières.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, la majorité du groupe RDPI votera, en responsabilité, contre ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion