Intervention de Olivier Henno

Réunion du 9 mars 2021 à 14h30
Mesures de justice sociale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Olivier HennoOlivier Henno :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son dernier essai, devenu célèbre, Indignez-vous !, Stéphane Hessel écrit à propos de notre solidarité nationale : « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers. » Je trouvais cette citation fort à propos pour introduire notre échange sur cette proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale. Elle nous rappelle l’importance de revisiter notre système de protection sociale à la française en travaillant au quotidien à son amélioration et à sa modernisation.

Cette proposition contient deux mesures symboliques très fortes : déconjugalisation de l’AAH et relèvement de 60 ans à 65 ans de la barrière d’âge pour solliciter la PCH.

Avant mon arrivée dans cette Haute Assemblée, j’ai été pendant plusieurs années vice-président du conseil départemental du Nord, en charge de l’insertion. J’ai aussi mené pendant plusieurs mois une mission d’information et d’évaluation de la maison départementale des personnes handicapées du Nord. Ayant ainsi travaillé au quotidien sur nos politiques en faveur de l’insertion des personnes handicapées, je sais l’attente de nos concitoyens les plus fragiles et les plus vulnérables à l’égard des dispositions en débat aujourd’hui. Le succès de la pétition en ligne sur le site du Sénat en témoigne. À ce sujet, je veux d’ailleurs, au nom du groupe UC, saluer cette initiative du président Larcher.

Mes chers collègues, lors de notre débat sur la loi de bioéthique, nous nous sommes arrêtés sur ce principe de vulnérabilité. C’est l’honneur de nos sociétés humanistes d’être attentives aux plus vulnérables d’entre nous. Aussi, notre groupe souhaite saluer non seulement le travail de notre rapporteur, Philippe Mouiller, sur ce texte, mais, plus largement, son engagement au service de cette noble cause de l’autonomie – j’y insiste – des personnes handicapées.

Nous voterons ce texte, car les intentions portées par notre rapporteur nous semblent empreintes d’une légitimité solide, mais nous voulons aussi parallèlement aborder les questions de portée plus générale ou les débats qui sont ouverts par ce vote à venir.

Il existe une puissante revendication d’autonomie financière individuelle dans nos sociétés. Cette demande d’individualisation des prestations sociales trouve son inspiration initiale dans les pays d’Europe du Nord, de culture scandinave. Cette revendication ne date pas d’hier. Elle est inspirée par Beveridge et le principe d’universalité. Il n’est pas surprenant que nous abordions ce débat très intéressant par l’AAH, car cette allocation est une prestation d’assistance particulière qui se situe, comme Laurent Vachey l’a précisé dans son rapport, à mi-chemin entre un revenu minimum catégoriel et une prestation compensant l’éloignement de l’emploi, versée comme un substitut de salaire.

Loin d’être anodine, la déconjugalisation de l’AAH pose la question de l’individualisation ou de la familiarisation de notre système de protection sociale. Ce débat ne concerne pas que l’AAH, tant s’en faut. Il porte aussi sur les aides sociales versées aux jeunes, par exemple. Pour notre part, nous sommes favorables à l’individualisation dans le cas visé par la proposition de loi que nous examinons ce jour, mais cela ne veut pas dire que nous sommes pour l’individualisation de toutes nos prestations sociales.

À ce jour, notre système de protection sociale repose sur la contributivité et non pas sur l’individualisation des cotisations et des prestations. C’est sur ces principes que notre modèle social s’est construit à la Libération. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de nier cette évolution plus individualiste, qui traverse tous les milieux sociaux et vient se croiser avec les expériences familiales de conjugalité, de rupture des individus. Elle vaut pour la population dans son ensemble et donc aussi, évidemment, pour les couples dont au moins l’une des personnes est en situation de handicap. C’est le rôle du législateur d’entendre et de comprendre cette évolution.

Je souhaiterais par ailleurs évoquer plus précisément une situation qui nous tient particulièrement à cœur, celle des femmes en situation de handicap. Au lendemain de la journée consacrée aux droits des femmes – j’en profite pour saluer Annick Billon, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes –, force est de constater qu’il existe une aspiration à l’indépendance financière individuelle propre aux plus jeunes générations de femmes. C’est par parfaitement légitime. Cette aspiration est particulièrement importante, car elle peut permettre à une femme en situation de handicap d’échapper à son conjoint violent ou de faire face à des difficultés d’insertion sociale.

J’ai été particulièrement marqué par un chiffre que j’ai lu dans le rapport de notre collègue Philippe Mouiller : d’après l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 34 % des femmes handicapées ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % – un chiffre déjà considérable – des femmes qui ne sont pas en situation de handicap. C’est une situation insupportable. Ces chiffres effrayants, bouleversants, nous interrogent d’ailleurs, mes chers collègues, sur notre condition masculine.

Bien sûr, nous n’y mettrons pas fin en déconjugalisant le calcul de l’AAH, mais, si cela permet déjà à quelques femmes de prendre leur indépendance, il s’agit d’une victoire.

Je le répète, notre groupe est favorable à cette proposition de loi, mais nous souhaitons interpeller cette assemblée sur d’éventuels risques d’effets en cascade et les prévenir. Nous voulons aussi réaffirmer notre attachement à la solidarité familiale et donc mettre en garde contre les risques qu’engendrerait une défamiliarisation généralisée de notre système de protection sociale. Nous ne le voulons pas !

Enfin, j’aborderai la question, peu évoquée jusque-là, de la dépense publique et de la dette publique. Je le réaffirme avec gravité et une grande clarté : l’argent public dans notre pays ne provient pas d’un robinet que nous pouvons ouvrir sans compter et sans en mesurer clairement l’impact à long terme. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques, la mesure votée par l’Assemblée nationale aurait, en l’état, un coût de 20 milliards d’euros pour nos dépenses publiques. Par parenthèse, je trouve problématique que nos collègues députés aient voté un texte sans en mesurer précisément l’impact financier. Ce constat vaut d’ailleurs pour beaucoup de proposition de loi ou de projets de loi.

Le Gouvernement a annoncé la semaine dernière que le déficit public devrait être de 10 % du PIB en 2021. Ce sont plusieurs dizaines de milliards d’euros de dettes que nous allons transmettre aux générations futures. Si nous voulons éviter de sacrifier celles-ci, nous devons prendre en compte cette question de la dette publique et veiller au niveau de dépenses.

Je tiens donc à saluer d’autant plus fermement la décision de modification de l’article 3, lequel encadre le principe de plafond du cumul de la prestation avec les ressources personnelles du bénéficiaire, décision que nous devons à l’esprit de responsabilité de notre rapporteur, qui a réussi à circonscrire cette déconjugalisation de l’AAH.

Le groupe Union Centriste se félicite enfin du report de 60 ans à 65 ans de la barrière d’âge au-delà de laquelle il n’est, sauf exception, plus possible de solliciter la PCH.

Cette proposition de loi arrivant quelques mois après la création de la cinquième branche nous aura permis d’échanger sur la situation de nos compatriotes les plus fragiles qui vivent une situation de handicap. Je pense que nous devrons saisir à l’avenir l’occasion offerte par cette nouvelle branche pour mener un véritable travail de fond d’évaluation de nos politiques à destination des publics porteurs de handicap, en abordant aussi courageusement la question de leur financement.

Nos collectivités, notamment les départements, font un travail formidable sur ces questions. Cependant, ils ne disposent pas toujours des moyens financiers et des libertés nécessaires pour agir. Donnons-nous rapidement l’ambition de travailler avec eux à la mise en place d’un nouveau cap pour nos politiques en faveur du handicap.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi.

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