Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà sept jours, celle qui était notre amie, notre collègue, notre camarade, qui avait été membre d’un gouvernement, Paulette Guinchard-Kunstler, a décidé de finir sa vie en Suisse, dans un pays qui pouvait l’accueillir.
Que nous dit ce choix intime de la situation qui est la nôtre, en France ? Il nous dit d’abord que, contrairement à ce que certains prétendront peut-être, la législation actuelle ne permet pas de répondre aux situations cruelles que vivent nombre de nos compatriotes.
La législation a considérablement évolué dans une période contemporaine, des lois ont permis des progrès : la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite Leonetti, et la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Leonetti. Pour autant, ces textes ne permettent pas de partir sereinement et dignement lorsque l’on n’est pas véritablement dans les tout derniers moments de sa vie.
Chacun le sait, depuis la loi Claeys-Leonetti, ce que l’on appelle la sédation profonde et continue est autorisé, même si personne ne sait d’ailleurs très exactement comment le patient la vit puisque la mort est bien évidemment au bout du chemin.
Ce sujet traverse la société française depuis très longtemps. Le premier à l’avoir soulevé a été Henri Caillavet, en 1978. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a été créée en 1980. Un grand nombre d’initiatives ont été prises depuis, ne serait-ce qu’au Parlement, ce dont on ne peut que se réjouir. Ainsi, plusieurs propositions de loi ont à ce jour été déposées, dont le sérieux n’est, je l’espère, pas contesté, même si le sujet reste difficile.
Que proposons-nous aujourd’hui ? Par son geste, Paulette Guinchard-Kunstler nous montre la difficulté et, d’abord, le doute et les évolutions intimes. Elle n’était pas favorable à une évolution de la législation en la matière. Toutefois, lorsque la maladie l’a rattrapée et placée dans une situation personnelle extrêmement douloureuse, elle a évolué, s’est tournée vers le monde médical et a découvert que la loi Claeys-Leonetti ne pouvait lui être d’aucune aide. S’est alors imposée à elle l’obligation de s’expatrier, comme si le processus n’était pas déjà d’une violence extrême ! Devoir quitter son pays pour mourir constitue évidemment une violence supplémentaire.
C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui une aide active à mourir, mais pas dans n’importe quelles circonstances : il faut que la personne soit atteinte d’une maladie grave et incurable, que ses douleurs sont inapaisables, que sa dignité soit mise en cause et, au final, qu’il n’y ait aucun espoir d’amélioration et que sa vie soit devenue proprement insupportable.
Tout cela est très encadré dans notre proposition de loi : des avis médicaux sont nécessaires, les médecins eux-mêmes sont accompagnés par une procédure très balisée, un échange entre médecins est prévu, ainsi qu’un délai, suivi d’un nouvel entretien avec le patient, lequel peut évidemment – est-il besoin de le préciser ? – renoncer à tout moment. La démarche à la fois médicale et collégiale permet de prendre le temps de la réflexion, sans que cette fin de vie soit reportée de manière excessive.
Ce texte prévoit également une clause de conscience pour le personnel soignant. En effet, certains médecins, nous en avons rencontré, ne souhaitent pas avoir à accomplir ce geste, et il faut l’entendre. Il suffit alors qu’ils puissent orienter la personne qui s’adresse à eux vers l’un de leurs confrères, qui pourra, lui, apporter l’apaisement nécessaire.
Certains argueront que nous manquons de recul sur la loi Claeys-Leonetti. À ceux-là je répondrai que ce n’est pas exact. C’est pour cela que j’ai pris l’initiative d’évoquer la situation de Paulette Guinchard-Kunstler. Bien que cette loi existe, un grand nombre de Français quittent le pays pour mourir. Par ailleurs, nous souhaitons que la notion de mort imminente ne soit pas une condition sine qua non, comme le prévoit la loi Claeys-Leonetti, puisqu’il faut véritablement être dans les derniers moments de sa vie pour que ses dispositions s’appliquent.
D’autres avanceront que la réponse à cette situation passe par le développement des soins palliatifs. À ceux-là j’opposerai plusieurs arguments.
D’abord, ce n’est pas la même réponse : les soins palliatifs sont faits pour accompagner le patient atteint d’une maladie à l’issue défavorable, dans une période de grande souffrance, alors qu’il ne souhaite pas forcément finir sa vie volontairement. Par ailleurs, il faut souligner que les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés en France : vingt-six départements – j’insiste sur ce nombre – ne disposent d’aucune unité de soins palliatifs ; le dernier plan en date s’est achevé à la fin de 2018 et n’a pas été reconduit.
C’est pourquoi cette proposition de loi précise – vous l’aurez certainement noté, monsieur le ministre, mes chers collègues – qu’il est indispensable de prévoir, comme corollaire, un développement des soins palliatifs pour en garantir un accès universel dans les trois années à venir. J’indique que, lorsque la Belgique a délibéré sur le droit de finir sa vie, le même jour a été votée une loi sur l’accès universel aux soins palliatifs.
Parlons de la situation dans les autres pays. Dans quelques mois, nous serons l’un des seuls pays européens à ne pas avoir de législation sur la fin de vie telle que nous la proposons aujourd’hui. Certains pays se sont désormais engagés dans cette voie, alors que nous ne les imaginions pas le faire : c’est le cas, à la suite de la Belgique, de la Suisse et des Pays-Bas, du Portugal voilà quelques semaines et de l’Espagne il y a quelques jours, le Sénat espagnol venant de voter une loi en ce sens. Enfin, sous l’impulsion de leurs cours constitutionnelles respectives, l’Allemagne et l’Italie vont devoir elles aussi s’engager dans cette voie. Un grand nombre de pays européens qui nous entourent s’apprêtent à adopter une telle législation, alors même que, vous l’aurez remarqué, certains ont une histoire et une relation à la religion peut-être plus fortes que celles que connaît la France.
Par ailleurs, et c’est toute la particularité de ce sujet, nos compatriotes sont massivement favorables à une telle législation. Des études ont été menées, souvent d’ailleurs aux prémices de l’examen de la loi de bioéthique : elles ont démontré que neuf Français sur dix, y compris, je le précise, ceux qui ont des convictions religieuses affirmées, étaient favorables à l’évolution du texte. À cet égard, le grand nombre de propositions de loi qui ont été déposées, émanant d’environ 250 parlementaires de tous bords, montre que ce sujet est désormais mûr.
Aux sénateurs présents ce matin, je tiens à dire ceci : le Sénat est aujourd’hui face à un choix. Il peut décider de participer à cette réflexion, en modifiant certaines données ou en amendant certaines parties du texte, et ainsi d’y travailler, comme l’ensemble des autres groupes parlementaires. C’est le sens du texte de ce matin. Il peut aussi décider de fermer la porte et de se mettre en dehors de ce débat, de renoncer à y participer et de rejeter le texte.
Je ne dirai pas ce que je pense des perspectives de ce texte, qui sera examiné par l’Assemblée nationale le 8 avril prochain et auquel une majorité de députés seront favorables. Parce que le Sénat a su parfois – pas toujours – être actif sur les questions de société qui nous traversent de manière transpartisane, je vous le dis, mes chers collègues : soyez au rendez-vous aujourd’hui.