Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le recours par des Français à l’euthanasie et au suicide assisté est une réalité, que ce soit à l’étranger ou à l’intérieur même de nos frontières.
Plusieurs d’entre eux se rendent chaque année en Belgique pour bénéficier d’une euthanasie ou en Suisse pour obtenir une assistance au suicide. Le décès par suicide assisté, la semaine dernière, en Suisse, de l’ancienne secrétaire d’État aux personnes âgées, Paulette Guinchard-Kunstler, est le poignant rappel d’une situation qui ne peut nous laisser indifférents, Marie-Pierre de La Gontrie a insisté sur ce point. Tout comme pour l’écrivaine Anne Bert, contrainte de solliciter en 2017 une euthanasie en Belgique, l’ultime recours de Paulette Guinchard-Kunstler nous renvoie à la détresse et à l’angoisse existentielle de nombre de nos concitoyens, que notre législation en matière de fin de vie ne permet pas d’apaiser.
Gardons également à l’esprit une autre réalité, impossible à objectiver : le nombre important de malades atteints d’une affection grave et incurable qui n’ont ni les moyens ni la force de se rendre en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse, mais qui ne peuvent pas non plus bénéficier des dispositifs d’accompagnement de la fin de vie institués par la loi Claeys-Leonetti de 2016.
À ces départs à l’étranger s’ajoutent les euthanasies dites clandestines réalisées sur notre territoire : comme l’a rappelé en 2018 le Conseil économique, social et environnemental, entre 2 000 et 4 000 décès annuels résulteraient d’une euthanasie active pratiquée par des professionnels de santé en dépit de son interdiction par la loi.
Avant d’entrer dans le détail des insuffisances de la loi en vigueur, j’insisterai sur le devoir de modestie auquel nous sommes tous tenus, élus comme professionnels de santé, lorsqu’il s’agit d’aborder une question aussi délicate que la fin de vie. Personne ne peut se prévaloir de certitudes sur la manière dont une personne affectée par une maladie incurable appréhende les derniers jours de sa vie et la conception qu’elle se fait d’une fin de vie digne. Nous devons donc nous garder de juger les choix, très personnels et propres à chaque situation, qui sont faits en fin de vie.
Cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, le bilan est mitigé. Si cette loi a permis des avancées indéniables grâce au caractère contraignant des directives anticipées et à la désignation de la personne de confiance, son application reste insatisfaisante. En outre, son dispositif principal, la sédation profonde et continue, ne permet pas de répondre à certaines demandes d’accompagnement de la fin de vie, pourtant parfaitement entendables, au regard de la souffrance du patient.
En 2018, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a pointé en particulier l’absence de registre national des directives anticipées et le défaut de traçabilité des décisions d’arrêt des traitements et d’administration de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Comment comprendre que, cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, nous ne disposions pas d’une vision consolidée des sédations profondes et continues mises en œuvre ?
L’inspection générale des affaires sociales a également regretté l’absence de cadre réglementaire pour l’usage du Midazolam en ville. Dans ces conditions, la réalisation de cette sédation à domicile et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) reste marginale et ne permet pas d’accompagner les mourants dans des conditions optimales.
Monsieur le ministre, quand le Gouvernement compte-t-il autoriser la dispensation du Midazolam en ville, alors que la Haute Autorité de santé la préconise depuis le début de l’année 2020 ?
En dépit des progrès indéniables qu’elle a permis, la loi de 2016 présente des limites qui interrogent le devoir d’humanité, de solidarité et de compassion incombant à notre société.
Tout d’abord, en circonscrivant la possibilité de bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès à des situations soit d’imminence de la mort, soit d’obstination déraisonnable pour les personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, ce texte ne laisse finalement encore que peu de place à la volonté du patient.
L’appréciation du caractère insupportable de la souffrance par le médecin semble rester prépondérante dans bien des cas. La souffrance existentielle du patient demeure ainsi difficilement appréhendée par les équipes soignantes, qui restent attachées à une objectivation de la souffrance sur la base de symptômes cliniques.
Ensuite, les critères de l’obstination déraisonnable, de la souffrance réfractaire aux traitements et de l’engagement du pronostic vital à court terme paraissent peu pertinents dans un certain nombre de situations qui, bien que limitées dans leur nombre, sont à l’origine d’une souffrance considérable pour les personnes concernées. Je pense à des maladies neurodégénératives particulièrement graves, telles que la maladie de Charcot, pour lesquelles l’évolution gravement incapacitante de la maladie est la source d’une angoisse existentielle difficilement soutenable.
La loi dans sa rédaction actuelle est également difficile à appliquer dans d’autres situations impliquant soit une dégradation inexorable des capacités cognitives, soit des états végétatifs chroniques. Les éventuels conflits entre la famille et l’équipe soignante dans l’interprétation de la loi rendent alors difficile l’établissement de la volonté du patient par le médecin.
Face à ces situations qui exigent de concilier respect du libre arbitre et protection de la vulnérabilité, notre législation doit rester attentive aux attentes de l’opinion publique, ainsi qu’aux évolutions observées à l’étranger, même si nous devons nous garder de tout suivisme en la matière.
Dans un sondage réalisé au mois de mars 2019, 96 % des Français interrogés se sont déclarés favorables à la reconnaissance et à l’encadrement d’un droit à l’euthanasie. Par ailleurs, plusieurs pays étrangers reconnaissent un droit à l’aide active à mourir, dans le souci de mieux respecter l’autonomie de la personne et son souhait de mourir dans des conditions qu’elle juge dignes : les pays du Benelux bien sûr, mais aussi la Suisse, le Canada, plusieurs États aux États-Unis et en Australie, plus récemment la Nouvelle-Zélande et le Portugal. L’Espagne reconnaîtra elle aussi très prochainement ce droit. Dans ces conditions, la France sera bientôt frontalière de quatre pays autorisant une ou plusieurs modalités de l’aide active à mourir.
Ces législations étrangères peuvent apporter aux patients un surplus d’apaisement psychologique dans l’appréhension de leur fin de vie, sans pour autant les conduire à systématiquement passer à l’acte, tout en garantissant la traçabilité et le contrôle de ces situations.
Dans ces conditions, la proposition de loi dont Marie-Pierre de La Gontrie est la première signataire consacre le droit à une fin de vie digne, en y incluant le droit à bénéficier de l’aide active à mourir, mise en œuvre par le suicide médicalement assisté ou par l’euthanasie. Elle définit également des critères exigeants qui conditionneront le bénéfice de cette aide active à mourir. Dans le respect du libre arbitre du patient, ces critères accordent une place déterminante à l’appréciation que celui-ci fait de sa situation, du caractère insupportable de sa souffrance physique ou psychique ou du caractère indigne de son état de dépendance.
Comme dans les législations des pays du Benelux, la mise en œuvre des aides actives à mourir fera, en outre, l’objet d’un contrôle par une commission nationale qui en assurera la traçabilité.
La proposition de loi ne se cantonne pas à la reconnaissance de l’aide active à mourir. Elle veille également à garantir le respect des volontés de la personne ayant perdu leur capacité, en rénovant notamment le cadre juridique applicable aux directives anticipées pour améliorer leur développement et renforcer leur caractère contraignant.
Enfin, dans le souci d’apporter une réponse globale au « mal mourir » en France, la proposition de loi prévoit de rendre effectif un droit universel à l’accès aux soins palliatifs et à un accompagnement en tout point du territoire dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi. Rappelons que, aujourd’hui encore, vingt-six départements, notamment la Guyane et Mayotte, n’ont pas d’unité de soins palliatifs.
Mes chers collègues, si la commission des affaires sociales a rejeté cette proposition de loi, je vous invite à titre personnel à débattre des dispositions qu’elle contient et à l’adopter. À mon sens, l’objectif de ce texte est susceptible de nous rassembler : garantir enfin à tous le droit de mourir dans la dignité.