Intervention de Olivier Véran

Réunion du 11 mars 2021 à 10h30
Droit à mourir dans la dignité — Discussion et retrait de l'ordre du jour d'une proposition de loi

Olivier Véran :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le thème qui nous réunit est à la fois universel et puissamment intime. Il nous ramène tous à ce que nous sommes fondamentalement : des êtres marqués par la finitude.

Parler de la fin de vie et de la façon dont la société la regarde, plus ou moins en face, plus ou moins de biais, c’est placer au cœur du débat les conditions de ce moment où chacun affronte sa propre disparition et la façon dont la société nous accompagne, nous et nos proches.

La fin de vie n’est pas un sujet tabou ; en tout cas, elle ne l’est plus depuis longtemps. Il est donc parfaitement légitime que le législateur se saisisse de ce sujet.

J’ai l’habitude de dire que le ministère des solidarités et de la santé est le ministère qui accompagne les Français de leur premier à leur dernier souffle, dans leurs joies, dans leurs peines et dans leurs espoirs.

Comme aide-soignant en Ehpad, comme médecin neurologue et, à ce titre, confronté à des maladies parfois aiguës, parfois chroniques, très dures, j’ai assisté de près à ces moments où un résident, un patient, est confronté à l’imminence de sa mort.

Loin des convictions tranchées et des positions inébranlables, ces moments représentent toujours une épreuve de vérité, avec ses doutes, ses hésitations, ses angoisses et ses craintes souvent, sa sérénité parfois.

Dans le débat qui s’engage, je sais que nous serons à la hauteur de ces doutes. Commençons par regarder ce que la France prévoit d’ores et déjà en matière de fin de vie.

Il y a très précisément cinq ans a été votée dans cet hémicycle la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, fruit d’un grand consensus national et d’une réflexion nourrie, conduite sous l’égide du Président de la République François Hollande.

Cette loi a permis de faire évoluer notre droit et nos pratiques. Elle a notamment réaffirmé le droit du malade à l’arrêt de tout traitement. Elle a rendu contraignantes les directives anticipées pour les médecins. Répond-elle pour autant à toutes les situations individuelles ? Peut-être pas. En cet instant, j’ai moi aussi une pensée émue pour Paulette Guinchard-Kunstler, femme engagée, militante infatigable, ancienne secrétaire d’État aux personnes âgées, qui vient de nous quitter dans les conditions qui ont été rappelées.

Il me semble néanmoins, comme à de nombreux observateurs, notamment le Comité consultatif national d’éthique (CNCE), qui a rendu un avis sur ce thème en 2020, que la loi actuelle pose en droit un cadre qui permet de résoudre l’immense majorité des situations difficiles que peuvent vivre les patients, leurs familles et, parfois, il faut le rappeler, les communautés soignantes qui ont la lourde tâche de les accompagner. Dans la plupart des situations, le droit actuel permet de trouver une solution. Force est de constater que ce n’est pas le cas dans certaines situations très particulières, qui suscitent des débats nourris dans notre société.

Aujourd’hui, cinq ans après la promulgation de la loi Claeys-Leonetti, le principal enjeu n’est pas tant de la faire évoluer que de la faire connaître aux professionnels de santé, aux professionnels des soins palliatifs, aux accompagnants et aux bénévoles qui travaillent dans ces services et, bien entendu, à tous les Français.

Pour ne donner qu’un exemple, qui donne une idée du chemin à parcourir, je souligne que seuls 18 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées.

Par ailleurs, si les professionnels de santé ne sont pas formés et sensibilisés à cette loi, inévitablement, le droit sera mal appliqué, voire ne le sera pas du tout.

Il y a donc du travail, je le concède, et la crise sanitaire nous a sans doute fait perdre un temps précieux, tout autant qu’elle aura mis en lumière nos propres insuffisances.

Durant la crise sanitaire, j’ai été amené à autoriser des traitements par injection de benzodiazépine, comme le Rivotril, pour alléger les souffrances des personnes âgées en détresse respiratoire avec suffocation qui étaient à leur domicile. Je n’occulte pas le débat qui a alors secoué une partie de la société et les réactions parfois extrêmement violentes que j’ai pu essuyer de la part d’une partie de la population qui considérait que soulager des souffrances devenues insupportables et irrémédiables s’apparentait à une forme de je ne sais quel génocide programmé. La situation n’est pas si simple.

Avant de soutenir que la population est très majoritairement prête à faire évoluer le droit, n’oublions pas que, dès lors que l’on ouvre un tel débat et que l’on entre dans le vif du sujet, il faut s’attendre à ce que les discussions soient plus ardues et nécessitent patience, pédagogie, dialogue et discussion. Pour ma part, quand il est question de l’accompagnement de la fin de vie, je ne considère jamais qu’une position est plus morale qu’une autre ni que certains pays sont en avance ou retard par rapport à d’autres.

Encore une fois, cette question touche à l’intime. Elle nécessite, en tout cas elle justifie un débat comme celui que vous permettez d’avoir aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, ce dont je vous remercie.

Rouvrir la discussion sur le cadre juridique, dont les questions sont vertigineuses et d’une profonde intimité, nécessite un débat parlementaire évidemment, mais également, je le crois profondément, un débat national impliquant les Français, les associations, les soignants, les corps intermédiaires.

Assurer la mise en œuvre concrète et réelle du cadre existant constitue en revanche un travail urgent, sur lequel le Gouvernement vous propose d’accélérer et dont la tâche m’incombe en tant que ministre chargé des questions de santé. Je m’attelle d’ores et déjà à ce travail : je tiens à vous annoncer aujourd’hui le lancement, à compter du mois d’avril prochain, d’un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie.

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