Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Sophocle écrivait : « Si j’étais mort, je ne serais pas un tel sujet d’affliction pour mes amis ni pour moi-même. » Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi instaurant un droit à mourir, et cette pensée antique s’inscrit parfaitement dans le débat actuel.
En effet, ce texte a été présenté afin d’offrir aux patients volontaires une mort digne, grâce à l’euthanasie ou au suicide assisté.
Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, la présidente Catherine Deroche soulignait que la dignité d’un homme était préservée jusqu’à son dernier souffle, malgré la déchéance physique, que nous ne pouvons pas considérer comme indigne.
La question suivante se pose : l’accélération de la fin de vie est-elle un moyen de préserver la dignité humaine ? Mon âme de médecin me fait penser que non.
L’article 2 de la proposition de loi édicte un certain nombre de critères qui permettent aux médecins d’apprécier la recevabilité de la demande d’aide active à mourir. Celle-ci renvoie à la notion de « dernière volonté ». Or comment s’assurer que ce souhait constitue une volonté définitive ? Toute erreur de jugement de la part d’un patient souhaitant bénéficier d’une aide active à mourir serait irréversible. À cet égard, l’exemple évoqué par René-Paul Savary est édifiant.
En dépit de la clause de conscience proposée, le médecin engagerait sa responsabilité morale en acceptant ou en refusant un tel acte. La loi est-elle en mesure d’apporter des réponses appropriées à toutes les situations ? Chaque dossier médical, chaque patient diffère selon les contextes de vie et d’hospitalisation. Il me paraît audacieux de généraliser une pratique aussi exceptionnelle qu’intime.
Par ailleurs, l’article 4 de la proposition de loi définit le régime de la personne dite de confiance, en prévoyant un classement « par ordre de préférence ». Mes chers collègues, je suis père de quatre enfants. Je vous assure être dans l’incapacité la plus totale d’établir un ordre de préférence entre eux.
La position que je défends aujourd’hui semble être similaire à celle du Comité consultatif national d’éthique, qui rappelait en 2019 que la loi n’avait pas vocation à arbitrer ou à résoudre les questions éthiques « nécessairement déchirantes » liées à la fin de vie, mais qu’elle devait poser « un cadre nécessaire pour la cohésion et la solidarité entre les individus dans une société ».
En revanche, je salue l’apport de l’article 9 de la proposition de loi, qui instaure un droit universel aux soins palliatifs. Ce texte nous accorde ainsi la possibilité de dresser un bilan de l’offre de soins palliatifs en France, qui reste bien trop insuffisante à ce jour. Je partage pleinement l’objectif de rendre effectif le droit de bénéficier de ce type de soins. Il me paraît essentiel d’augmenter les moyens afin de permettre au système hospitalier d’accueillir davantage de patients en fin de vie.
Ce mardi, Jean Castex a annoncé la mise en œuvre du deuxième volet du Ségur de la santé, à savoir le « lancement d’une nouvelle politique d’investissements dans le système de santé ». Ce plan est composé d’une enveloppe de 19 milliards d’euros, mais les soins palliatifs n’y sont pas mentionnés. Monsieur le ministre, j’entends vos annonces avec espoir, mais également avec vigilance.
Il me semble contradictoire de concrétiser un droit universel aux soins palliatifs dans cette proposition de loi, sans détailler les moyens qui y seront dévolus, tout en légiférant sur le suicide assisté et l’euthanasie.
Dans son rapport, notre collègue Michelle Meunier fait référence à un sondage publié par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie au mois en février 2021, selon lequel seuls 18 % des Français ont rédigé des directives anticipées. C’est une proportion encore très faible, cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti. Par ailleurs, 54 % des personnes interrogées ne souhaitent pas en rédiger. Ces chiffres nous invitent à tirer la conclusion selon laquelle la majorité des Français ne semblent pas attendre une évolution législative dans ce domaine.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre cette proposition de loi.
Enfin, comme je pense que ce sont nos expériences personnelles ou professionnelles qui forgent notre conviction intime sur le sujet, permettez-moi de vous livrer l’une des miennes. Voilà quelques mois, pour la première fois dans ma carrière professionnelle, j’ai annoncé à une jeune patiente qu’elle allait mourir. Elle m’a demandé le droit à vivre dans la dignité.