Intervention de Olivier Véran

Réunion du 11 mars 2021 à 10h30
Droit à mourir dans la dignité — Article 1er

Olivier Véran :

J’ai annoncé un cinquième plan de développement des soins palliatifs, car il est nécessaire d’avancer dans ce domaine. J’ai vu que cette annonce avait été appréciée.

J’ai également annoncé que nous voulions accélérer le processus pour rendre plus disponible le Midazolam en ville, de manière non pas à faciliter, mais à rendre possible, dans les situations qui le nécessitent, la sédation profonde et terminale, y compris en dehors de l’hôpital, au domicile des personnes.

Au fond, la question que vous posez, madame la sénatrice de La Gontrie, avec cette proposition de loi, va un peu au-delà de celle à laquelle répond la loi Claeys-Leonetti. Elle est la suivante : que faire quand la vie que nous vivons est devenue tellement insupportable que nous préférons la mort ?

L’un de mes professeurs à la faculté de médecine disait qu’on ne peut pas vouloir la mort, puisque, par essence, l’homme n’est pas constitué pour vouloir ce qu’il ne connaît pas. Les considérations religieuses peuvent laisser imaginer qu’il se passe des choses après la mort, mais la mort reste pour beaucoup l’inconnu.

Cela étant, on peut foncièrement et fondamentalement ne plus vouloir vivre la vie que l’on mène lorsque celle-ci est devenue trop insupportable.

Se posent donc deux questions différentes : est-ce que je veux mourir ou est-ce que je ne veux plus vivre la vie devenue insupportable que je vis aujourd’hui ? C’est à cette seconde interrogation que la loi Claeys-Leonetti apporte des réponses. Avec cette loi, il n’y a pas de solution qui ne puisse être apportée à un patient qui serait en souffrance physique, morale, absolument violente, irrémédiable, irréversible. Cette loi permet d’aller jusqu’à la sédation profonde et terminale.

On peut certes discuter de savoir si le fait d’être placé dans le coma, privé d’alimentation, est une façon plus ou moins respectable – pardon pour les mots que j’utilise ! – de soulager une souffrance que d’injecter un produit dans le cœur.

Encore une fois, je ne me positionne pas du côté de la morale et j’évite avec soin de revêtir la blouse de médecin que j’ai pu porter comme neurologue. J’ai d’ailleurs été moi-même confronté à de terribles situations, comme d’autres ici, qui ont fait part de leurs expériences. J’ai annoncé des diagnostics de maladies de Charcot, de sclérose latérale amyotrophique, des accidents vasculaires cérébraux extrêmement graves. J’ai été en lien avec des familles qui, parfois, demandaient que l’on abrège les souffrances d’un de leurs proches incapable d’exprimer ce besoin lui-même.

Il est évident que la situation est moins conflictuelle pour les médecins lorsque des directives anticipées ont été rédigées. Cela étant, il m’est aussi arrivé d’être confronté à des situations dans lesquelles les proches contestaient les directives anticipées. Dans tous les cas, il reste absolument nécessaire d’apaiser l’entourage, la famille, qu’il s’agisse de la fratrie, des parents, des enfants. La disparition de quelqu’un, lorsqu’elle est accompagnée par une décision des proches, fait aussi peser sur ces derniers une forme de responsabilité. Ce n’est pas simple ; c’est même très difficile.

Je me souviens d’un patient assez âgé, hémiplégique à la suite d’un AVC qui avait extrêmement abîmé la moitié de son cerveau. Il avait perdu la parole et ne la retrouverait jamais. Il avait fallu demander à sa femme si nous devions le transférer en réanimation, où il resterait éventuellement quatre ou cinq semaines dans le coma, l’espoir qu’il retrouve un peu de vigilance étant faible, ou si nous devions tout arrêter. Telles sont les questions qui se posent au quotidien pour les soignants.

Nous connaissons tous des couples de personnes âgées qui se disent qu’ils refuseront d’être lourdement handicapés et qu’ils se laisseront partir lorsque la fin de vie arrivera. En réalité, les choses sont plus complexes, car la mort, ou la pré-mort, ne frappe que très rarement à la porte. Souvent, les gens sont victimes d’accidents brutaux, vasculaires ou cardiaques, qui les laissent dans une situation de handicap très sévère, irréversible, que l’on ne peut pas anticiper.

Il faut donc apporter des réponses multiples, renforcer les soins palliatifs et mieux faire connaître la loi Claeys-Leonetti, fruit d’un consensus très fort entre la droite et la gauche, porté par deux grandes personnalités politiques, Alain Claeys et Jean Leonetti.

Je ne dis pas que l’on est arrivé au bout du bout de la démarche, mais, objectivement, dans l’immense majorité des situations, lorsqu’elle est appliquée, cette loi répond aux problématiques rencontrées.

L’autre question, à laquelle vous semblez vouloir répondre par cette proposition de loi, madame la sénatrice, est la suivante : peut-on choisir les conditions et le moment de sa mort ? Évidemment, je peux comprendre que l’annonce d’un plan de développement des soins palliatifs ne réponde pas à cette question, qui est de nature différente.

Cette question, encore une fois, est elle aussi très légitime, mais elle nécessite un débat sociétal. Elle traverse notre société, année après année, décennie après décennie. Des pays qui étaient allés très loin dans l’autorisation du suicide assisté et de l’euthanasie sont un peu revenus en arrière, après avoir été confrontés à des situations qu’ils n’avaient pas suffisamment anticipées, notamment lorsque des mineurs ont été concernés. De telles situations ont provoqué un énorme émoi populaire, les gens se demandant si l’on n’était pas allé trop loin.

Je le répète, je ne me positionnerai jamais, en tant que ministre, sur le terrain de la morale. En revanche, je considère que, malgré tout le sérieux du travail qui a été effectué et l’ancienneté de la réflexion, les conditions pour aborder ce sujet ne sont pas réunies, a fortiori dans une proposition de loi, compte tenu du contexte épidémique que nous connaissons et de la sensibilité particulière, en ce moment, de la population à l’égard des personnes âgées, notamment dans les Ehpad et dans les services de réanimation.

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