Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 4 décembre 2006 à 10h00
Loi de finances pour 2007 — Justice

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Je ne m'étendrai donc pas sur l'analyse de ce budget si ce n'est pour exprimer le souhait très vif de notre groupe que soient votés les amendements identiques présentés conjointement par notre collègue Philippe Détraigne, au nom de la commission des lois, et Roland du Luart, au nom de la commission des finances, en vue d'un relèvement des crédits de l'aide juridictionnelle absolument nécessaire pour rendre moins grossièrement insuffisante la rémunération actuelle des avocats qui contribuent à la mission de justice.

Il me semble plus utile de consacrer mon propos à la question difficile, mais importante de la justice de proximité : difficile, certes, parce que la mise en place des institutions se heurte à de sérieuses réticences qui en compromettent le succès, mais tout aussi importante dans la mesure où cette innovation procédant de préoccupations qui ne sont pas seulement pratiques, n'a rien perdu de sa raison d'être, bien au contraire, si l'on se situe dans la perspective ouverte par ce qu'il faut bien appeler le scandale de l'affaire d'Outreau.

Le constat, tout d'abord, fait apparaître, d'une part, un développement positif, même s'il est diversifié, ce qui est normal, des services rendus par ces juges, du moins là où l'on a bien voulu les accueillir dans un esprit de confiance et de coopération, et, d'autre part, de graves difficultés de recrutement dues tout à la fois au manque de moyens et à un état d'esprit du milieu judiciaire qui n'est pas toujours aussi favorable qu'on pourrait le souhaiter.

Disons-le tout net, on se heurte ici quelquefois au droit que s'arrogent certains magistrats - une faible minorité, j'en suis sûr - d'apprécier l'opportunité des lois dont la mise en oeuvre constitue cependant leur mission essentielle. Cette réflexion ne vaut pas seulement pour la question qui nous occupe en ce moment. Ainsi, quand j'entends ces mêmes magistrats protester contre toute critique au nom de l'indépendance du pouvoir judiciaire, je ne puis m'empêcher de penser qu'ils devraient, eux aussi, respecter l'indépendance du pouvoir législatif, dont la mission est, jusqu'à nouvel ordre, de faire la loi !

Quoi qu'il en soit de ces difficultés, elles ne doivent ni surprendre, toute innovation suscitant inévitablement des résistances - particulièrement, hélas ! dans notre pays -, ni décourager, car il est normal qu'une telle réforme ne se développe que progressivement au fil des ans, moyennant des ajustements ; les magistrates'courts anglais n'ont-ils pas été créés par le roi Henri II, si j'ai bonne mémoire ?

Il faut donc persévérer dès lors que les raisons d'être de la réforme n'ont rien perdu de leur actualité.

Ces raisons d'être ne sont pas seulement d'ordre pratique et liées au souci d'augmenter les moyens de la justice en vue de mieux traiter un contentieux de masse sans cesse croissant et proliférant. Elles sont aussi d'ordre moral ou politique, au meilleur sens du terme, car il s'agit, dans notre esprit, d'introduire dans la culture judiciaire - nous avons déjà proposé au Sénat des mesures relatives aux magistrats exerçant à titre temporaire, dont la Chancellerie, ou en tout cas l'ordre judiciaire, n'a pas voulu - l'apport de « l'expérience des choses de la vie » qui lui fait terriblement défaut actuellement.

C'est ici que je me risquerai, quitte à surprendre, à faire une réflexion apparemment ponctuelle dans la perspective d'une remise en question de la justice, perspective ouverte par l'affaire d'Outreau et cette accumulation de dysfonctionnements qui peuvent affecter la justice pénale, mais dont la justice civile n'est pas à l'abri, les mêmes causes produisant généralement les mêmes effets, même s'ils sont moins voyants.

Si je parle des mêmes causes, c'est parce que je suis personnellement très réservé sur la démarche qui consiste à croire que l'on se protégera suffisamment de tels errements par des mesures procédurales ou disciplinaires qui sont sans doute utiles, mais dont je ne pense pas qu'elles soient suffisantes.

Ce ne sont pas de telles mesures qui permettront de corriger les erreurs de discernement, le manque de « justesse », pour reprendre la formule prononcée par le Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, lors de l'audience solennelle de début de l'année judiciaire. Ces notions de discernement et de justesse sont capitales dans le domaine de l'action judiciaire.

Le problème d'Outreau, ce n'est pas, ou pas seulement, que tel individu ait pu se tromper ; c'est que ses erreurs n'aient pas été corrigées par le jeu apparemment correct du système d'accompagnement et de contrôle de son action. C'est donc que ce système est inadapté.

Il est inadapté, selon moi, parce qu'il fonctionne d'une manière administrative et ne produit pas, ne favorise pas, ne développe pas la faculté de discernement et la recherche de la justesse.

Toujours à l'école du Premier président de la Cour de cassation, je cherche la source de cette insuffisance et je la trouve dans la formation des juges qui « conditionne l'authenticité de la justice ».

Ce qui est en cause, à mes yeux, c'est fondamentalement le mode de recrutement de la magistrature professionnelle essentiellement fondé sur des concours qui, s'ils renseignent probablement sur les capacités intellectuelles des candidats, ne le font aucunement sur leurs facultés de discernement. En effet, celles-ci supposent des aptitudes psychologiques difficiles à déceler, mais aussi une connaissance concrète des réalités de la vie sociale, économique, familiale, que seule l'expérience vécue peut apporter, à condition que cette expérience soit sérieuse, réelle, ce que l'on ne peut évidemment pas attendre de la plupart des stages de courte durée.

Ma conviction est donc qu'il nous faut repenser radicalement ce mode de recrutement, ou plus exactement n'admettre à ce concours que des hommes et des femmes ayant pratiqué d'autres activités pendant une période assez longue - cinq ou dix ans, je n'hésite pas à le dire - pour avoir éprouvé concrètement ce que sont les réalités de la vie.

Faut-il rappeler ici l'exemple de la Grande-Bretagne où la fonction de juge vient en prolongement d'une longue pratique des affaires judiciaires ?

Je ne doute pas, monsieur le garde des sceaux, qu'une telle réforme se heurte à trop de nos préjugés et de nos routines pour avoir beaucoup de chances d'aboutir avant longtemps.

C'est la raison pour laquelle, en attendant de pouvoir modifier substantiellement le recrutement des magistrats professionnels, je crois utile de leur adjoindre des hommes et des femmes d'un profil différent dans lequel l'expérience des responsabilités est prise en compte non comme un élément accessoire, complémentaire, voire secondaire, mais comme un élément essentiel d'appréciation de leur aptitude.

Voilà qui me ramène très naturellement à mon point de départ, à savoir les juges de proximité, en qui je vois non pas, bien entendu, un remède absolu, mais un élément parmi d'autres susceptible d'enrichir la culture judiciaire par un apport spécifique qu'il apparaît dès lors très souhaitable d'introduire à tous les niveaux de l'organisation ; nous l'avons d'ailleurs déjà fait pour les tribunaux de grande instance, les TGI, et c'est tant mieux ; il conviendra de poursuivre cette généralisation.

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