Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 11 mars 2021 à 14h45
Élection du président de la république — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi organique

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte a une portée technique. Malheureusement, nous en sommes restés à ce niveau, alors que nous aurions pu prétendre aller beaucoup plus loin.

Qu’apporte-t-il ? Le rapporteur l’a rappelé : quelques avancées en matière de date de publication du décret de convocation des électeurs, de procédure de parrainage des candidats ou de vote par correspondance des personnes détenues – elles, au moins, pourront utiliser cette modalité de vote… Je pourrais aussi citer la mise en place de la déterritorialisation des procurations conformément à la loi dite Engagement et proximité, l’adaptation de dispositions relatives aux listes électorales consulaires et au vote des Français de l’étranger, l’accessibilité des moyens de propagande aux personnes handicapées – c’est un élément effectivement important – ou encore une mesure, assez inutile à notre sens, sur la durée de la période de financement de la campagne électorale avec un passage de douze à neuf mois malgré l’avis du Conseil d’État. Nous avons également obtenu que la diffusion de certains sondages d’opinion soit accompagnée des marges d’erreur.

Le seul vrai problème de la discussion de ce texte a été l’initiative malheureuse du Gouvernement, comprenant, sous les pressions multiples des propositions qui sont faites depuis plus d’un an maintenant, qu’il était nécessaire d’évoluer sur le sujet du droit électoral. C’est en fait cette disposition, proposée à l’emporte-pièce, disruptive et mal ficelée – le Gouvernement en a le secret… –, qui a créé des difficultés. Elle a même été contestée, sur la forme comme sur le fond, à l’Assemblée nationale, aussi bien par sa majorité, qui n’en est pourtant pas à une couleuvre près, que par le rapporteur lui-même.

Le vrai souci de cette proposition, c’est qu’elle a délégitimé le vote anticipé, en passant par une modalité improbable d’utilisation des machines à voter, alors même que le moratoire sur celles-ci n’est toujours pas levé et qu’un rapport devait être rendu sur le sujet.

Si ce toilettage technique était nécessaire, nous sommes à nouveau restés en deçà de ce qui aurait été utile. En démocratie, la règle est simple : le pouvoir politique s’exerce selon des règles et des procédures préalablement fixées et établies.

Dans les faits, l’un des principes cardinaux du système démocratique, qui n’appartient qu’à lui, est tout simple : le pouvoir que le peuple concède à ses dirigeants ne l’est que pour une certaine période. C’est en cela que les moments de vote sont à la base de tout notre édifice institutionnel.

Si, pour reprendre l’expression de Benjamin Barber, il faut avoir une conception « forte » de la démocratie, celle-ci passe nécessairement par l’évolution du droit électoral. Ces évolutions auraient été emblématiques pour le scrutin qui, à tort ou à raison, reste le premier rendez-vous démocratique en France. C’est d’autant plus vrai que ce qui semblait être la linéarité de la vie démocratique, scandée par des scrutins à intervalle régulier, a été remis en cause par un événement inattendu, la pandémie.

Philippe Ardant notait que « toute l’histoire du régime représentatif suggère une évolution linéaire vers une plus grande démocratie par un élargissement constant du nombre et des catégories d’individus appelés à participer au rituel du choix des représentants ». Pourtant, rien n’est plus faux que cette impression. C’est aussi pour cela, au-delà de la pandémie, que notre droit électoral doit évoluer : préjuger la neutralité des politiques électorales est une erreur majeure.

Le droit électoral est un enjeu démocratique comme politique.

Il est un enjeu politique, quand on tend de fait, comme dans le sud des États-Unis, à réduire la capacité d’expression de certains groupes, essentiellement les minorités, en les privant du droit de vote par tous les moyens dans le but d’empêcher le changement politique.

Il est un enjeu démocratique, quand on constate l’autoexclusion, qu’elle soit volontaire ou pas, d’une partie de l’électorat, que l’on parle des non-inscrits, par négligence ou lassitude, qui sont autant de voix faisant défaut, que l’on parle des mal-inscrits, qui manquent eux aussi à l’appel et peuvent s’installer dans la défiance, ou que l’on parle de tous ceux qui ne s’estiment pas compétents pour donner leur avis, de ce « cens caché » qui peut exister au sein de notre démocratie.

Oui, pour détourner la parole de Pierre Bourdieu, le droit électoral, comme la sociologie, est un sport de combat, parce qu’aucune voix ne devrait peser plus qu’une autre, alors que c’est de fait le cas, notamment au travers des règles de financement électoral qui existent dans notre pays.

Il n’est pas indifférent que la mesure d’adaptation du droit électoral privilégiée en France, celle des procurations, soit socialement discriminante et profite à une partie de la population, celle qui est la plus insérée et mobile. D’ailleurs, c’est aussi ce public que visait tout particulièrement l’amendement du Gouvernement sur le vote anticipé par machine à voter.

Bien entendu, certains me diront que des dispositions techniques ne suffisent pas à répondre aux défis démocratiques de la démobilisation électorale. J’en conviendrai aisément avec eux. Mais considérer que de tels aménagements n’ont aucun effet sur la participation est tout aussi faux. Si la participation baisse avec le grand âge, alors le vote par correspondance peut être une réponse.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le rite républicain du vote, qui demeure intégrateur, mais de le revigorer. Las, par paresse, la majorité sénatoriale a refusé l’ensemble des évolutions que nous avions proposées, en s’abritant derrière la timidité du rapport d’information sur le vote à distance. Comme ce n’est pas le bon moment, ce n’est jamais le moment ! Nous aurions pu être des aiguillons ; nous serons des techniciens craintifs.

Nous voterons ce texte, parce qu’il contient de petites avancées utiles, mais nous le ferons sans le moindre enthousiasme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion