Nous aurions aimé que l'effort financier consenti dans le cadre du programme « Administration pénitentiaire » soit destiné à l'amélioration des conditions de détention des détenus, notamment de ceux qui souffrent de troubles psychiatriques. La récente médiatisation de la situation à Fleury-Mérogis en souligne l'horreur, mais nous le savions déjà !
Les chiffres sont accablants. En 2004, une étude épidémiologique révélait que huit hommes détenus sur dix et que sept femmes détenues sur dix souffraient d'au moins un trouble psychiatrique : 24 % d'entre eux souffrent de troubles psychotiques, 56 % de pathologies anxiogènes et 47 % de problèmes dépressifs. En outre, 20 % d'entre eux ont déjà été suivis en psychiatrie générale.
Ces données révèlent deux tendances. D'une part, la psychiatrie manque de médecins et de structures ; d'autre part, la prison tend de plus en plus à se substituer à l'hôpital psychiatrique.
Ainsi, des milliers de détenus se retrouvent en prison au lieu d'être pris en charge par les services de psychiatrie générale, ou d'être placés dans une unité pour malades difficiles, une UMD. Certes, vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, il est prévu la construction de véritables « hôpitaux-prisons », qui seraient des hôpitaux psychiatriques pour détenus, ainsi que la création d'unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA. Cette solution n'est-elle pas inadaptée compte tenu de l'ampleur du problème des détenus souffrant de troubles psychiatriques ?
Beaucoup de détenus sont en prison parce que leur responsabilité pénale a été retenue, alors que, dans un contexte moins médiatique, ils auraient certainement pu être déclarés irresponsables. La proportion des accusés jugés irresponsables au moment des faits, qui s'élevait à 17 % en 1980, est tombée à 0, 17 % en 2001.
Certes, la création des UHSA est destinée en premier lieu à désengorger les établissements pénitentiaires, mais elle n'infléchira pas la tendance qui consiste à emprisonner des malades mentaux. Elle pourrait même l'accentuer, les experts psychiatres et les juges ayant la certitude que le détenu sera pris en charge médicalement et psychologiquement, alors que la psychiatrie est aujourd'hui un secteur sinistré, qui ne peut accueillir les malades mentaux relevant de l'hospitalisation psychiatrique.
Cette question ne sera pas réglée tant que l'on considérera les malades mentaux comme des délinquants. Or cet amalgame est délibérément entretenu par le ministre de l'intérieur dans son projet de loi relatif à la prévention de la délinquance ! Ce texte traduit d'ailleurs bien les priorités budgétaires inscrites dans cette mission « Justice ».
S'agissant du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », les crédits sont certes en augmentation, mais ils sont pour l'essentiel destinés à la construction de nouveaux centres éducatifs fermés, chers à votre coeur, monsieur le garde des sceaux. L'ouverture de 20 établissements supplémentaires est prévue d'ici à la fin de l'année prochaine. Ce choix politique s'effectue au détriment des mesures éducatives et du milieu ouvert, ce que nous regrettons.
En ce qui concerne la délinquance des mineurs, je tiens à souligner la divergence d'analyse qui existe entre le ministre de l'intérieur et vous-même, monsieur le garde des sceaux. Votre collègue de l'intérieur ne cesse en effet de parler de sentiment d'impunité chez les mineurs délinquants et multirécidivistes, alors que vous affirmez - et nous vous croyons, car ces chiffres sont par ailleurs confirmés - que le taux de réponse pénale pour les mineurs s'élève à 86 %, un taux même supérieur à celui qui prévaut pour les majeurs, soit 78 %.
C'est donc l'exécution des mesures consécutives aux condamnations qui pose problème et non la réponse pénale. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, on ne saurait multiplier le nombre de jeunes en détention à l'infini.
Je suis au regret de constater que la démagogie et l'acharnement à l'encontre des mineurs délinquants sont utilisés afin de justifier le recours à l'enfermement ou, peut-être prochainement, la fin de l'excuse de minorité.
Par ailleurs, l'augmentation des crédits alloués à l'aide juridictionnelle serait de 6 % pour 2007. Loin d'être satisfaisante - fort heureusement, je ne suis pas la seule à avoir cette opinion -, cette augmentation est de surcroît artificielle. En effet, le budget initial pour 2006 prévoyait 320 millions d'euros de crédits. Voilà comment, cette somme n'ayant pas été totalement dépensée, on peut faire valoir aujourd'hui que les crédits seront de 323 millions d'euros, soit une augmentation de 6 %. Mais est-ce vraiment une augmentation, ou bien plutôt un dysfonctionnement dans l'utilisation des crédits ?
En tout cas, cette augmentation est loin de correspondre aux engagements pris au début de cette législature, le Gouvernement ayant décidé à l'époque d'augmenter l'unité de valeur pour la rétribution des avocats de 15 %, ce qui représenterait une progression des crédits de l'aide juridictionnelle de 25 millions d'euros.
Pourtant, les demandes d'admission à l'aide juridictionnelle ne cessent d'augmenter. On dénombrait 886 500 admissions en 2005, 913 000 en 2006 ; le Gouvernement estime qu'elles s'élèveront à 941 000 en 2007. Il est dommage qu'il y ait tant de pauvres en France, pourrait-on dire ! Mais telle est la réalité.
La faible augmentation des crédits de l'aide juridictionnelle n'a-t-elle pas pour objectif de faciliter la mise en oeuvre de l'assurance de protection juridique ? J'émets les plus grandes réserves sur cette formule.
Enfin, je voudrais évoquer le problème de la justice de proximité.
Destinée à désengorger les tribunaux d'instance, que nous défendons, nous, depuis 2002 comme étant les tribunaux de proximité par excellence, la mise en place de cette juridiction de proximité ne rencontre pas le succès escompté par le Gouvernement. M. Fauchon s'en plaint amèrement, contrairement à moi, car j'étais absolument opposée à ces juges de proximité.