Je commencerai par évoquer la situation du Grand Paris Express et de la Société du Grand Paris. Je vous dirai ensuite quelques mots de mon parcours et des moyens que j'entends mobiliser pour mener à bien ce projet.
Pour la deuxième fois de ma carrière, je me trouve devant la possibilité de mettre en oeuvre un projet à la naissance duquel j'ai initialement participé : comme membre du cabinet du Premier ministre en 2009 et 2010 chargé notamment du développement durable et des transports, j'ai participé aux réflexions, puis aux décisions qui devaient déboucher sur la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris et sur le décret du 7 juillet 2010 relatif à la Société du Grand Paris. Je le mentionne parce que c'est important pour la conception que je me fais de la cohérence du projet. Pour quelqu'un qui a consacré sa vie professionnelle au service de la chose publique, passant d'un grand plan exceptionnel d'investissement régional à la réorganisation de l'État territorial ou de la restructuration d'un ministère à l'analyse de la situation financière des départements, entrer de plain-pied dans la mise en oeuvre concrète et opérationnelle du Grand Paris Express, c'est participer encore à un projet qui réussit - en témoigne l'inauguration récente du prolongement de la ligne 14, je le dis sans rien ignorer des difficultés rencontrées, des recalages qui ont été nécessaires, mais pour témoigner de ce qu'à mon sens, la SGP a démontré sa capacité à conduire ce projet. Il connaîtra encore, j'en suis certain, de nombreuses vicissitudes. C'est le lot de tout grand projet public des temps modernes. On peut même aisément conjecturer que les difficultés seront à la hauteur de l'ambition. Mais ce projet ira au bout, et c'est d'abord avec cette conviction que je me présente devant vous. Comme vous, j'ai pris connaissance des évaluations initiales, estimant que ce projet créerait 100 à 200 milliards d'euros de valeur, mais je ne reprendrai pas les superlatifs employés dès que l'on évoque le GPE. D'abord, parce que nous sommes passés à la phase opérationnelle, ensuite, parce que je crois que ces chiffres ne doivent pas nous tétaniser. Je dirai plutôt que le Grand Paris Express est un projet indispensable parce qu'il va améliorer la vie des gens, réduire les déséquilibres territoriaux, conforter les engagements français de développement durable et de lutte contre le réchauffement climatique. Dans une période si difficile que nous vivons tous depuis bientôt un an, ce projet est aussi la manifestation de l'espoir dans l'avenir, tout à la fois de la capacité de notre pays à conduire un chantier de cette ampleur et de notre souhait collectif de retrouver puis de développer des échanges entre les hommes qui ne soient pas seulement virtuels.
C'est un projet indispensable donc, mais c'est aussi un projet cohérent, visant non pas des tronçons à installer au gré des circonstances, mais un véritable réseau inscrit dans un schéma d'ensemble voté à l'unanimité par le conseil de surveillance de la SGP et mentionné dans le décret du 24 août 2011. La cohérence de l'ensemble du réseau s'inscrit dans une cohérence plus globale encore de l'ensemble des aménagements induits, avec 68 gares et leurs quartiers, futurs pôles de développement, de requalifications urbaines et de potentialités qui sont loin d'avoir été toutes envisagées.
Le Grand Paris Express se caractérise enfin comme un projet collectif, né dans la concertation et qui continue de faire l'objet d'une concertation, pour son pilotage d'ensemble aussi bien qu'à l'échelon local : les nuisances qu'il entraîne, avant même d'apporter ses avantages, rappellent combien la concertation locale est la condition du succès du GPE, c'est aussi sa marque de fabrique.
Il y a des retards, vous l'avez dit. Ils tiennent pour partie à ce que les estimations initiales n'étaient pas bonnes. Cependant, toutes les lignes sont en travaux, plus d'une centaine de chantiers sont en cours, 7 000 personnes y travaillent quotidiennement, 40 kilomètres de tunnels ont déjà été creusés, sur 200 kilomètres, les émissions obligataires ont rencontré le succès, et, par exemple, le contrat vient d'être attribué pour le réseau multiservice des lignes 15, 16 et 17.
Le projet est passé par des crises, il a dû surmonter des difficultés importantes, cela n'a rien d'anormal. La crise du début 2018 est fondatrice, elle a représenté un tournant majeur : à la suite du rapport de la Cour des comptes, le coût a été réévalué, le planning et les priorités ont été redéfinis, sans qu'il soit porté atteinte à la consistance du projet. Les moyens de l'opérateur ont été recalibrés, son modèle financier a été adapté. Il faut compter aussi avec cet épisode atypique pour un projet de cette ampleur, de l'aggiornamento lié à la volonté politique. La réévaluation de 2018 est robuste : depuis l'expertise de la Cour des comptes fin 2017 jusqu'à la dernière évaluation figurant dans le rapport information de la commission des finances du Sénat d'octobre dernier, le projet n'a pas connu d'évolution significative ; en franchissant cette étape, il a démontré sa robustesse et sa capacité à surmonter les crises.
La SGP, quant à elle, a connu une croissance exponentielle de ses effectifs, passant de 130 collaborateurs en 2014 à 750 aujourd'hui, avec l'objectif d`un effectif de 1 000 personnes d'ici à la fin de l'année. L'intégration fluide de ces nouveaux collaborateurs me parait déterminante ; les difficultés supplémentaires liées à la crise pandémique sont un point d'attention très important. La SGP, ensuite, a démontré sa crédibilité sur les marchés financiers, c'est un atout à consolider, il confirme la stratégie de financement à bas coût, validée par le conseil de surveillance et que le rapport du Sénat a mentionnée.
Quelques mots sur mon parcours professionnel : j'ai partagé les trente dernières années entre des fonctions de contrôle, pendant 12 ans, et des fonctions opérationnelles, pendant 18 ans, 12 ans au niveau central et 18 ans au niveau territorial ; j'ai consacré 13 années de ma vie professionnelle aux collectivités territoriales comme sous-préfet ou secrétaire général aux affaires régionales ou alors dernièrement pour les contrôler. Si mes fonctions au sein des juridictions financières et mon corps d'origine contribuent à la culture du bon emploi des fonds publics, j'ai également exercé des fonctions d'ordonnateur, soit pour des programmes support du ministère de la transition écologique, soit indirectement pour un important programme d'investissement régional dont j'étais le responsable local : j'ai donc pu expérimenter ce que sont les contraintes et les enjeux de la dépense publique et, surtout, ce qui en permet l'utilité.
J'aborderai sans détour deux questions, qui me sont inspirées par ce que j'ai pu lire dans la presse spécialisée à propos de ma candidature. D'abord, mon arrivée à la présidence de la SGP signifie-t-elle une rupture dans la conduite du projet ? Ensuite, avec quelles expériences tirées de mon parcours puis-je prétendre faire face aux défis nombreux de la SGP ?
J'ai lu que le choix d'un candidat avec un profil de magistrat financier pouvait s'interpréter comme l'intention d'une rupture dans la conduite du projet ; s'il est légitime de se poser des questions, je crois que cette conclusion est imaginaire et, surtout, qu'elle méconnaît le caractère collégial de la gouvernance de la SGP : le conseil de surveillance, mais aussi le directoire sont collégiaux. Au moment où ma propre nomination est proposée, le renouvellement des deux autres membres du directoire est également proposé. C'est un gage, parmi d'autres, de la continuité du projet et de sa conduite. De plus, des décisions stratégiques ont été prises, que je compte conforter : sécurisation des flux financiers, qui permet de faire face aux besoins de décaissement jusqu'en 2027 ; conception-réalisation sur les marchés de la ligne 15 ; mise en place d'un dispositif renforcé de gestion des risques sous le contrôle du comité d'audits - je m'inscrirai dans la continuité, ce que ma lettre de mission ne manquera pas de confirmer.
Ensuite, quelles expériences tirées de mon parcours vais-je mobiliser pour faire face aux défis qui attendent la SGP ? À ce niveau de responsabilités, la compétence requise n'est pas technique, mais bien managériale - mon expérience du dialogue avec les élus et l'ensemble des services de l'État, celle que j'ai acquise en cabinet ministériel ou en administration centrale, mais aussi celle que je tire de mes fonctions de président du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) me seront très utiles.
Je ne sous-estime pas les difficultés ni le contexte, mais je crois que la SGP est devenue un maître d'ouvrage très important, doté de moyens conséquents, et qu'il s'agit de la faire fonctionner, en valorisant sa culture d'entreprise, faite de technicité, de concertation, de transparence et d'adaptabilité. La clé de la réussite me paraît résider dans l'équilibre entre la conduite opérationnelle et le pilotage stratégique, le management interne et le dialogue avec les nombreux partenaires externes, entre la cohérence globale et la faculté d'adaptation. Je serai le garant de la cohérence d'ensemble - les priorités de la SGP ne changeront pas : la sécurité sur les chantiers de celles et ceux qui travaillent, des riverains, des agents ; la fiabilité ; la maîtrise des risques ; la maîtrise des coûts et de la trajectoire financière. Je retire de mes premiers contacts l'impression que la SGP est un établissement tendu vers cet objectif et maîtrisant un panel très étendu de compétences ; je suis certain que ses partenaires partagent cette volonté d'aboutir, qu'il y a une volonté collective de remplir cet objectif fixé par la loi en 2010. Comme tout projet collectif, il devra encore surmonter des vicissitudes, c'est une tâche enthousiasmante que d'y participer.
Quelques mots en réponse à vos questions, monsieur le président.
Le modèle de financement, d'abord, comprend deux éléments définis par la loi : des recettes fiscales et de l'emprunt. Les recettes fiscales représentent 750 millions d'euros annuels, pour un montant de dépenses de 3 à 4 milliards d'euros par an ; la SGP fonctionne donc grâce à sa capacité d'emprunt, qui entre dans la dette publique, à ce titre contrôlée par le Parlement, en particulier pour apprécier sa soutenabilité. Le modèle d'amortissement prévoit une libération complète de la dette en 2070 - vous comprendrez donc qu'il serait présomptueux de dire comment les choses vont se passer dans le détail. Quoi qu'il en soit, le tournant de 2018 a été important. À la suite du rapport de la Cour des comptes, le Premier ministre a rédigé une nouvelle feuille de route en février 2018, puis le rapport demandé à Gilles Carrez a précisé le diagnostic et fait des propositions : constatant en particulier que les ressources fiscales étaient insuffisantes pour amortir la dette, il a proposé d'augmenter le panier de ressources, ce qui a été fait pour 150 millions d'euros. Il ne m'appartient pas de dire si c'est suffisant, mais je constate que la soutenabilité du modèle d'amortissement a été prise en compte. Ensuite, je crois judicieuse la stratégie de préfinancement par l'emprunt, car cela fait profiter des taux d'intérêt historiquement faibles, en réduisant les frais financiers.
Vous dites qu'il y a des progrès à accomplir avec des partenaires de transports de la région ; depuis quelques années, une concertation permanente a été mise en place avec Île-de-France Mobilités, je ne peux porter un jugement sur son fonctionnement, mais je n'imagine pas que ce projet puisse être piloté sans se soucier en permanence de son utilité finale, donc de ceux qui seront chargés de sa maintenance et de son exploitation. Je ne peux vous répondre sur le point de savoir si la relation s'est améliorée entre la SGP et tous ses partenaires, mais ce sujet est pris en compte. Je vous en dirai plus dans quelque temps si je suis confirmé.