La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui pour entendre M. Jean-François Monteils, candidat pressenti pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris. Cette audition est prévue par l'article 8 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.

En application de cette loi, le président du directoire est nommé par décret après avis du conseil de surveillance - conseil de surveillance qui vient d'ailleurs tout juste de se tenir en visioconférence - et après audition devant les commissions permanentes compétentes du Parlement. Il ne s'agit pas d'une audition prévue en application de l'article 13 de la Constitution ; un vote avec l'Assemblée nationale pour approuver votre nomination n'est donc pas requis. Nous devons exercer pleinement notre rôle de contrôle de l'action du Gouvernement et vous entendre sur votre feuille de route pour l'avenir de la Société du Grand Paris (SGP).

Il est envisagé de vous nommer moins de trois ans seulement après la nomination de M. Thierry Dallard, qui n'aura pas terminé son mandat de cinq ans. D'ailleurs, si ma mémoire est bonne, cela n'a été le cas d'aucun de ses prédécesseurs puisque, depuis la création de l'établissement en 2010, quatre - et bientôt cinq - présidents du directoire se sont succédé. Vous comprendrez que cette instabilité nous interroge, voire nous inquiète, quant à la bonne conduite du projet du Grand Paris Express (GPE).

La SGP est chargée de la conception et de la réalisation du GPE, qui est un projet d'infrastructure de transport public tendant à la construction, d'ici à 2030, d'un réseau de 200 kilomètres de voies nouvelles, avec notamment le prolongement de la ligne 14 et la création de quatre lignes nouvelles - les lignes 15, 16, 17 et 18 -, ainsi que de 68 gares. Cela correspond à un doublement du réseau existant.

L'objectif est de désengorger le réseau actuel et de faciliter les trajets de banlieue à banlieue. Il doit s'accompagner d'importantes retombées socio-économiques, que vous pourrez nous rappeler.

Le projet a néanmoins connu de nombreuses dérives, en termes de coûts et de calendrier.

Sur les coûts, comme l'ont mis en lumière nos collègues de la commission des finances, dans un rapport d'information d'octobre dernier intitulé Grand Paris Express : des coûts à maîtriser, un financement à consolider, la Société du Grand Paris a traversé une crise d'ampleur en 2018, à la suite de la publication d'un rapport de la Cour des comptes, qui a mis en avant la dérive des coûts du projet, qui sont passés, entre 2013 et 2017, de 22,6 à 35,1 milliards d'euros.

Sur le calendrier, ensuite, si le chantier a débuté dès juillet 2016, il connaît d'importants retards, qui s'expliquent en partie par la crise sanitaire, de telle sorte que M. Jean-Baptiste Djebbari a annoncé, en juin 2020, que les lignes 16 et 17 ne seraient pas prêtes pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

En tant que conseiller maître à la Cour des comptes, vous connaissez parfaitement ces problématiques de dérives de coûts et de calendrier. C'est pourquoi nous souhaiterions vous entendre sur votre feuille de route pour la suite du projet.

Avant de vous laisser la parole pour un propos liminaire, puis à l'ensemble de mes collègues qui auront, j'en suis certain, un grand nombre de questions à vous poser, je souhaitais vous interroger sur le modèle de financement du projet qui, toujours d'après nos collègues de la commission des finances, « a atteint ses limites ». Partagez-vous ce constat ? Et d'après vous, ce modèle devrait-il, à terme, évoluer ?

Ensuite, le rapport de nos collègues pointait les progrès qui restent à accomplir dans les relations entre la SGP et les autres organismes de transport francilien, au premier rang desquels Île-de-France Mobilités, qui sera en charge de l'exploitation du réseau. Quelles sont vos propositions en la matière ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Monteils, candidat pressenti pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Je commencerai par évoquer la situation du Grand Paris Express et de la Société du Grand Paris. Je vous dirai ensuite quelques mots de mon parcours et des moyens que j'entends mobiliser pour mener à bien ce projet.

Pour la deuxième fois de ma carrière, je me trouve devant la possibilité de mettre en oeuvre un projet à la naissance duquel j'ai initialement participé : comme membre du cabinet du Premier ministre en 2009 et 2010 chargé notamment du développement durable et des transports, j'ai participé aux réflexions, puis aux décisions qui devaient déboucher sur la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris et sur le décret du 7 juillet 2010 relatif à la Société du Grand Paris. Je le mentionne parce que c'est important pour la conception que je me fais de la cohérence du projet. Pour quelqu'un qui a consacré sa vie professionnelle au service de la chose publique, passant d'un grand plan exceptionnel d'investissement régional à la réorganisation de l'État territorial ou de la restructuration d'un ministère à l'analyse de la situation financière des départements, entrer de plain-pied dans la mise en oeuvre concrète et opérationnelle du Grand Paris Express, c'est participer encore à un projet qui réussit - en témoigne l'inauguration récente du prolongement de la ligne 14, je le dis sans rien ignorer des difficultés rencontrées, des recalages qui ont été nécessaires, mais pour témoigner de ce qu'à mon sens, la SGP a démontré sa capacité à conduire ce projet. Il connaîtra encore, j'en suis certain, de nombreuses vicissitudes. C'est le lot de tout grand projet public des temps modernes. On peut même aisément conjecturer que les difficultés seront à la hauteur de l'ambition. Mais ce projet ira au bout, et c'est d'abord avec cette conviction que je me présente devant vous. Comme vous, j'ai pris connaissance des évaluations initiales, estimant que ce projet créerait 100 à 200 milliards d'euros de valeur, mais je ne reprendrai pas les superlatifs employés dès que l'on évoque le GPE. D'abord, parce que nous sommes passés à la phase opérationnelle, ensuite, parce que je crois que ces chiffres ne doivent pas nous tétaniser. Je dirai plutôt que le Grand Paris Express est un projet indispensable parce qu'il va améliorer la vie des gens, réduire les déséquilibres territoriaux, conforter les engagements français de développement durable et de lutte contre le réchauffement climatique. Dans une période si difficile que nous vivons tous depuis bientôt un an, ce projet est aussi la manifestation de l'espoir dans l'avenir, tout à la fois de la capacité de notre pays à conduire un chantier de cette ampleur et de notre souhait collectif de retrouver puis de développer des échanges entre les hommes qui ne soient pas seulement virtuels.

C'est un projet indispensable donc, mais c'est aussi un projet cohérent, visant non pas des tronçons à installer au gré des circonstances, mais un véritable réseau inscrit dans un schéma d'ensemble voté à l'unanimité par le conseil de surveillance de la SGP et mentionné dans le décret du 24 août 2011. La cohérence de l'ensemble du réseau s'inscrit dans une cohérence plus globale encore de l'ensemble des aménagements induits, avec 68 gares et leurs quartiers, futurs pôles de développement, de requalifications urbaines et de potentialités qui sont loin d'avoir été toutes envisagées.

Le Grand Paris Express se caractérise enfin comme un projet collectif, né dans la concertation et qui continue de faire l'objet d'une concertation, pour son pilotage d'ensemble aussi bien qu'à l'échelon local : les nuisances qu'il entraîne, avant même d'apporter ses avantages, rappellent combien la concertation locale est la condition du succès du GPE, c'est aussi sa marque de fabrique.

Il y a des retards, vous l'avez dit. Ils tiennent pour partie à ce que les estimations initiales n'étaient pas bonnes. Cependant, toutes les lignes sont en travaux, plus d'une centaine de chantiers sont en cours, 7 000 personnes y travaillent quotidiennement, 40 kilomètres de tunnels ont déjà été creusés, sur 200 kilomètres, les émissions obligataires ont rencontré le succès, et, par exemple, le contrat vient d'être attribué pour le réseau multiservice des lignes 15, 16 et 17.

Le projet est passé par des crises, il a dû surmonter des difficultés importantes, cela n'a rien d'anormal. La crise du début 2018 est fondatrice, elle a représenté un tournant majeur : à la suite du rapport de la Cour des comptes, le coût a été réévalué, le planning et les priorités ont été redéfinis, sans qu'il soit porté atteinte à la consistance du projet. Les moyens de l'opérateur ont été recalibrés, son modèle financier a été adapté. Il faut compter aussi avec cet épisode atypique pour un projet de cette ampleur, de l'aggiornamento lié à la volonté politique. La réévaluation de 2018 est robuste : depuis l'expertise de la Cour des comptes fin 2017 jusqu'à la dernière évaluation figurant dans le rapport information de la commission des finances du Sénat d'octobre dernier, le projet n'a pas connu d'évolution significative ; en franchissant cette étape, il a démontré sa robustesse et sa capacité à surmonter les crises.

La SGP, quant à elle, a connu une croissance exponentielle de ses effectifs, passant de 130 collaborateurs en 2014 à 750 aujourd'hui, avec l'objectif d`un effectif de 1 000 personnes d'ici à la fin de l'année. L'intégration fluide de ces nouveaux collaborateurs me parait déterminante ; les difficultés supplémentaires liées à la crise pandémique sont un point d'attention très important. La SGP, ensuite, a démontré sa crédibilité sur les marchés financiers, c'est un atout à consolider, il confirme la stratégie de financement à bas coût, validée par le conseil de surveillance et que le rapport du Sénat a mentionnée.

Quelques mots sur mon parcours professionnel : j'ai partagé les trente dernières années entre des fonctions de contrôle, pendant 12 ans, et des fonctions opérationnelles, pendant 18 ans, 12 ans au niveau central et 18 ans au niveau territorial ; j'ai consacré 13 années de ma vie professionnelle aux collectivités territoriales comme sous-préfet ou secrétaire général aux affaires régionales ou alors dernièrement pour les contrôler. Si mes fonctions au sein des juridictions financières et mon corps d'origine contribuent à la culture du bon emploi des fonds publics, j'ai également exercé des fonctions d'ordonnateur, soit pour des programmes support du ministère de la transition écologique, soit indirectement pour un important programme d'investissement régional dont j'étais le responsable local : j'ai donc pu expérimenter ce que sont les contraintes et les enjeux de la dépense publique et, surtout, ce qui en permet l'utilité.

J'aborderai sans détour deux questions, qui me sont inspirées par ce que j'ai pu lire dans la presse spécialisée à propos de ma candidature. D'abord, mon arrivée à la présidence de la SGP signifie-t-elle une rupture dans la conduite du projet ? Ensuite, avec quelles expériences tirées de mon parcours puis-je prétendre faire face aux défis nombreux de la SGP ?

J'ai lu que le choix d'un candidat avec un profil de magistrat financier pouvait s'interpréter comme l'intention d'une rupture dans la conduite du projet ; s'il est légitime de se poser des questions, je crois que cette conclusion est imaginaire et, surtout, qu'elle méconnaît le caractère collégial de la gouvernance de la SGP : le conseil de surveillance, mais aussi le directoire sont collégiaux. Au moment où ma propre nomination est proposée, le renouvellement des deux autres membres du directoire est également proposé. C'est un gage, parmi d'autres, de la continuité du projet et de sa conduite. De plus, des décisions stratégiques ont été prises, que je compte conforter : sécurisation des flux financiers, qui permet de faire face aux besoins de décaissement jusqu'en 2027 ; conception-réalisation sur les marchés de la ligne 15 ; mise en place d'un dispositif renforcé de gestion des risques sous le contrôle du comité d'audits - je m'inscrirai dans la continuité, ce que ma lettre de mission ne manquera pas de confirmer.

Ensuite, quelles expériences tirées de mon parcours vais-je mobiliser pour faire face aux défis qui attendent la SGP ? À ce niveau de responsabilités, la compétence requise n'est pas technique, mais bien managériale - mon expérience du dialogue avec les élus et l'ensemble des services de l'État, celle que j'ai acquise en cabinet ministériel ou en administration centrale, mais aussi celle que je tire de mes fonctions de président du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) me seront très utiles.

Je ne sous-estime pas les difficultés ni le contexte, mais je crois que la SGP est devenue un maître d'ouvrage très important, doté de moyens conséquents, et qu'il s'agit de la faire fonctionner, en valorisant sa culture d'entreprise, faite de technicité, de concertation, de transparence et d'adaptabilité. La clé de la réussite me paraît résider dans l'équilibre entre la conduite opérationnelle et le pilotage stratégique, le management interne et le dialogue avec les nombreux partenaires externes, entre la cohérence globale et la faculté d'adaptation. Je serai le garant de la cohérence d'ensemble - les priorités de la SGP ne changeront pas : la sécurité sur les chantiers de celles et ceux qui travaillent, des riverains, des agents ; la fiabilité ; la maîtrise des risques ; la maîtrise des coûts et de la trajectoire financière. Je retire de mes premiers contacts l'impression que la SGP est un établissement tendu vers cet objectif et maîtrisant un panel très étendu de compétences ; je suis certain que ses partenaires partagent cette volonté d'aboutir, qu'il y a une volonté collective de remplir cet objectif fixé par la loi en 2010. Comme tout projet collectif, il devra encore surmonter des vicissitudes, c'est une tâche enthousiasmante que d'y participer.

Quelques mots en réponse à vos questions, monsieur le président.

Le modèle de financement, d'abord, comprend deux éléments définis par la loi : des recettes fiscales et de l'emprunt. Les recettes fiscales représentent 750 millions d'euros annuels, pour un montant de dépenses de 3 à 4 milliards d'euros par an ; la SGP fonctionne donc grâce à sa capacité d'emprunt, qui entre dans la dette publique, à ce titre contrôlée par le Parlement, en particulier pour apprécier sa soutenabilité. Le modèle d'amortissement prévoit une libération complète de la dette en 2070 - vous comprendrez donc qu'il serait présomptueux de dire comment les choses vont se passer dans le détail. Quoi qu'il en soit, le tournant de 2018 a été important. À la suite du rapport de la Cour des comptes, le Premier ministre a rédigé une nouvelle feuille de route en février 2018, puis le rapport demandé à Gilles Carrez a précisé le diagnostic et fait des propositions : constatant en particulier que les ressources fiscales étaient insuffisantes pour amortir la dette, il a proposé d'augmenter le panier de ressources, ce qui a été fait pour 150 millions d'euros. Il ne m'appartient pas de dire si c'est suffisant, mais je constate que la soutenabilité du modèle d'amortissement a été prise en compte. Ensuite, je crois judicieuse la stratégie de préfinancement par l'emprunt, car cela fait profiter des taux d'intérêt historiquement faibles, en réduisant les frais financiers.

Vous dites qu'il y a des progrès à accomplir avec des partenaires de transports de la région ; depuis quelques années, une concertation permanente a été mise en place avec Île-de-France Mobilités, je ne peux porter un jugement sur son fonctionnement, mais je n'imagine pas que ce projet puisse être piloté sans se soucier en permanence de son utilité finale, donc de ceux qui seront chargés de sa maintenance et de son exploitation. Je ne peux vous répondre sur le point de savoir si la relation s'est améliorée entre la SGP et tous ses partenaires, mais ce sujet est pris en compte. Je vous en dirai plus dans quelque temps si je suis confirmé.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Mandelli

Je n'ai guère de doute sur votre capacité à vous adapter, même si le changement rapide du candidat à cette fonction n'a pas manqué de surprendre. Une question candide : comment arrive-t-on à être candidat à ce poste ? Étiez-vous volontaire, ou bien vous a-t-on sollicité ? J'imagine évidemment que ce n'est pas une annonce Pôle Emploi qui vous a mené jusqu'à nous. J'aimerais savoir quel est le processus.

Le Grand Paris Express était un des arguments clés qui ont permis d'appuyer la candidature de la Ville de Paris pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Dès lors que le calendrier a changé en 2018, et qu'il est contrarié encore par la crise sanitaire, quelles sont vos prévisions ? Pensez-vous qu'il y aura des arbitrages ?

La feuille de route du Premier ministre appelle à la signature d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) entre la SGP et l'État : ce contrat n'est pas encore formalisé, est-ce que ce sera une priorité ? Dans quel calendrier ?

Enfin, quel est le devenir des quelque 48 millions de tonnes de terres excavées par les travaux ? Il semble que moins de la moitié soit valorisée à ce jour : quelles sont vos orientations en la matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Demilly

Les attentes autour du GPE sont fortes, le réseau était un atout dans la candidature de Paris aux Jeux olympiques et paralympiques. Dès lors que le calendrier n'est pas tenu, le transport deviendrait-il une faiblesse, obligeant à des délocalisations d'épreuves sportives ?

La crise sanitaire, ensuite, a entraîné des mutations profondes, avec le départ de nombreux Parisiens qui aspirent à vivre dans de plus petites villes - selon une étude, 54 % des Franciliens se déclarent prêts à partir s'installer dans une autre région, contre seulement 35 % en 2019, et 83 % des cadres parisiens envisageraient une mobilité régionale à long terme pour exercer leur activité. Dans ces conditions, faut-il continuer à construire dans l'agglomération francilienne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

Vous dites qu'il n'y aura pas de rupture : le schéma d'ensemble, adopté le 26 mai 2011 à l'unanimité, sera-t-il tenu ? En juin 2020, le ministre des transports a annoncé le report des lignes 16 et 17 autour du Bourget, et, le 11 janvier 2021, il a évoqué des scénarios alternatifs entre Le Bourget et Saint-Denis-Pleyel : quelles sont vos marges d'ajustement, sachant que votre prédécesseur a voulu rendre le schéma actuel irréversible en engageant tous les travaux ? Ensuite, pour le financement, envisagez-vous de compter avec la plus-value immobilière privée à proximité des gares, et avec quels outils ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

La SGP porte un projet structurant pour Paris et la Nation tout entière. Comment envisagez-vous la relation avec les élus locaux qui y siègent ? Quel sera votre modèle de gouvernance ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Monteils, candidat pressenti pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris

Il n'y a pas de question naïve ! Comment est-on candidat à de telles fonctions ? En fait, on ne l'est pas vraiment : le poste de président du directoire de la Société du Grand Paris va commencer à devenir confortable à partir de 2030... J'ai répondu à cette demande parce que, après avoir passé 30 ans de ma vie au service de la chose publique, je trouve intéressant d'entrer dans une démarche de construction positive. Pour un haut fonctionnaire qui a commencé sa carrière dans les années 1990, le quotidien a plutôt été fait de restrictions budgétaires, de restructuration de systèmes fonctionnant difficilement, de réforme de l'État - toutes choses passionnantes, sur lesquelles j'ai énormément apprécié de travailler, en essayant d'apporter ma pierre à l'édifice. Mais il me plaît aussi de passer outre ces difficultés, qui ont émaillé une grande partie de ma vie professionnelle, pour démontrer ce que notre puissance publique peut faire ! Et je n'ai pas été candidat : je n'ai pas pu refuser.

Vous m'avez interrogé sur le calendrier bouleversé et les prévisions. Je n'ai pas de prévisions. Je ne veux pas m'abriter derrière le fait que le temps et les informations précises m'ont manqué, mais c'est un sujet assez difficile, sur lequel la transparence est suffisamment nécessaire, pour que j'évite de lancer dès aujourd'hui des chiffrages et des plannings qui ne reposeront sur rien d'autre que des intuitions. Je ne fonctionne pas à l'intuition, et je considère que l'un des grands atouts du fonctionnement de cette société est sa collégialité, sur laquelle je m'appuierai donc pour faire mes propres analyses.

Comme vous, je suis interrogatif sur un certain nombre de ces projets. J'ai tout de même essayé de lire un certain nombre de choses avant de me présenter devant vous et, en particulier, j'ai vu beaucoup d'interrogations sur un certain nombre d'ouvrages et de lignes, notamment celles que vous avez mentionnées et qui concernent les Jeux olympiques et paralympiques. Il serait tout à fait inapproprié de vous donner à ce stade une appréciation qui, par définition, ne pourrait pas être définitive. Mais ce sera une priorité immédiate, à mon arrivée, que de vérifier si un certain nombre d'éléments doivent être décalés.

L'un des aspects particulièrement délicats du pilotage de la société du Grand Paris et du projet est que la transparence est strictement indispensable. J'en suis personnellement convaincu. Mais il ne faut pas que la transparence ait pour contrepartie de devoir tenir, seconde par seconde, le calendrier des micro-incidents qui se déroulent sur chacun des 100, et bientôt 300, chantiers en cours sur le Grand Paris Express. Il faut tenir des rendez-vous périodiques aussi souvent que nécessaire, répondre aux convocations et donner tous les éléments quand ils sont demandés, mais il ne faut pas en arriver à tenir un tel calendrier en affichant au jour le jour sur les réseaux sociaux l'évolution de chaque incident.

Où en est-on sur les lignes cruciales pour les Jeux olympiques et paralympiques ? Je vous demande de prendre mes propos comme ceux de quelqu'un qui a commencé à se renseigner, mais qui veut surtout vous montrer avec quelle méthode il travaillera sur ces questions complexes. Plusieurs lignes sont concernées. La situation la plus critique est celle du tronçon 16-17 entre Pleyel et Le Bourget. Il y a aussi la prolongation vers le nord de la ligne 14, et ce n'est pas un hasard si j'ai mentionné l'inauguration du 14 décembre dernier. Cette prolongation ainsi que la gare de Pleyel sont deux équipements essentiels et déterminants pour les Jeux olympiques et paralympiques. L'énergie de tous les agents de la Société du Grand Paris et de toutes les entreprises qui participent à ces chantiers est et sera exacerbée pour être au rendez-vous.

S'agissant du double tronçon 16-17, la situation telle que je la comprends est la suivante. Dès février 2018, le Premier ministre avait indiqué que la situation était tendue. Depuis, la crise pandémique est survenue. Sur des chantiers tels que ceux du Grand Paris, ses conséquences sont multiples. L'interruption des chantiers qui a été décidée dès le 17 mars a duré à peu près un mois. C'était une décision parfaitement judicieuse, mais, dans un processus de ce type, qui fait s'imbriquer des myriades de décisions, cette interruption momentanée et, finalement, assez brève, a forcément des conséquences très lourdes et très importantes, avec des désynchronisations de chantiers, et un impact, qui dure encore, sur les modalités de fonctionnement et de travail. D'après les éléments dont je dispose, le retard, sans mesures correctrices, peut être évalué, selon les lignes, à une durée comprise entre trois et neuf mois.

Ce retard rendrait inatteignable, pour ce tronçon 16-17, l'objectif envisagé en 2018. Comme vous l'avez indiqué, des solutions dégradées ont été étudiées, et sont encore à l'étude. Elles nécessiteront très probablement des arbitrages qui devront prendre en compte plusieurs séries de questions : d'abord, l'importance extrême d'être au rendez-vous des Jeux olympiques ; et deuxièmement, au regard de la qualité propre de ces solutions dégradées, les inconvénients en chaîne que celles-ci porteraient pour l'ensemble du chantier. Si ma nomination est confirmée, j'aurai donc dans les semaines qui viennent à regarder de manière très précise comment aborder ce sujet. On ne doit pas uniquement se concentrer sur le double tronçon 16-17 entre Pleyel et Le Bourget. Les autres rendez-vous en termes de visibilité et d'accessibilité sont aussi très importants.

L'établissement d'un COP fera-t-il partie de mes priorités ? Pour vous répondre de manière très directe, non, pas de mes premières priorités en tout cas. Je recevrai du Premier ministre une lettre de mission qui, comme la dernière en date, tiendra lieu de feuille de route. Comme tout contrat, un COP se signe entre deux parties. Bien sûr, j'évoquerai cette question. C'est un cadrage qui n'est ni confortable ni inconfortable, mais qui est intéressant - et je serais mal venu de considérer que ce n'est pas un outil utile, ma maison d'origine publiant régulièrement de nombreux rapports pour en rappeler l'importance, voire le caractère impératif !

Vous avez évoqué la question cruciale et particulièrement lourde des déblais. Ma sensibilité environnementale s'est construite de longue date, et en particulier au cours de mon passage au secrétariat général du ministère de la transition écologique, qui m'a permis non seulement d'embrasser un certain nombre de ces sujets, mais également d'entrer en contact avec nombre d'interlocuteurs qui me seront très probablement précieux dans la suite de ce parcours. Près de 45 millions de tonnes de déblais seront extraits en tout, et un tiers l'ont déjà été. La Société du Grand Paris se fixe deux objectifs sur ce point, partagés avec les entreprises qui conduisent les chantiers. D'abord, une extrême importance est attachée à la question des transports. Le fret fluvial sera privilégié. Concernant le fret ferroviaire, dans une région où les sillons doivent s'arracher avec les dents, où la question des transports ferroviaires justifie, tout simplement, que l'on construise un nouveau réseau, je peux aisément anticiper qu'il s'agira d'une question difficile. Le deuxième objectif est de valoriser ces déblais à hauteur de 70 %. Pour cela, l'innovation sera indispensable, car ce taux est très ambitieux. Nous devrons utiliser ces déblais pour les remblais, dans les projets d'aménagement, pour les comblements de carrière, pour des expérimentations en matière d'écomatériaux... Il s'agit d'un enjeu extrêmement important sur le plan financier, aussi. Mais je ne pense pas qu'il sera possible de progresser sans un vrai effort d'innovation, qui sera au coeur de mes préoccupations.

Vous avez évoqué les conséquences de la crise sur la manière de faire fonctionner la vie économique, sociale, culturelle, et sur les conséquences à plus long terme qu'elle pourrait avoir sur les modes de déplacement, de travail, etc. Ce sont des questions passionnantes, et je me les suis également posées. Mais, à la place qui sera la mienne, je devrai abandonner presque complètement la spéculation intellectuelle, quoique je sois très intéressé par les études que peuvent produire les spécialistes de ces questions. Je ne me sens pas capable de trouver des réponses définitives sur ces sujets. Ma conviction, toutefois, est que la nécessité d'établir des liens entre les territoires, entre les femmes et les hommes, entre les zones économiques, entre ce que l'on appelait à la première époque du Grand Paris les clusters, ne va pas disparaître - je pense même qu'elle va s'accroître. Nous avons tous expérimenté le télétravail avec la crise. Un des intérêts, peut-être, de cette période, aura été aussi d'en montrer les limites ! Je ne crois donc pas qu'on doive tabler sur un bouleversement complet du mode de fonctionnement humain.

Faut-il continuer à construire ? Les chiffres que vous mentionniez sur l'intention de changer de vie me paraissent également inspirés par un mode de fonctionnement métropolitain ou régional insatisfaisant, auquel, précisément, le Grand Paris doit apporter des solutions.

Vous avez posé la question de la tenue du schéma d'ensemble de 2011, en vous interrogeant sur la variable d'ajustement, et en évoquant même certaines lignes. Je ne vois pas comment, en entamant cette mission, je pourrais vouloir remettre en cause ce schéma d'ensemble. La feuille de route adressée par le Premier ministre au président du directoire de la Société du Grand Paris mentionne ce schéma d'ensemble, et nous n'en sortirons pas.

La question de la valorisation des plus-values est évidemment importante. En la posant, vous m'incitez à sortir un peu de ma compétence... Le modèle de ressources d'origine fiscale est déterminé par la loi. Gilles Carrez est un spécialiste bien connu de ces questions et, notamment en ce qui concerne le Grand Paris, il était mon interlocuteur il y a dix ans, et je serais heureux de le retrouver. Il avait envisagé nombre de possibilités. À mon avis, il serait dommage de ne pas examiner celle-là. Je participerai à ces débats à la place qui sera la mienne : ce ne sera pas à moi d'en décider.

Quant à la relation avec les élus locaux, elle se structurera à trois niveaux. D'abord, à celui du conseil de surveillance, où siègent des élus, et devant lequel je me suis exprimé il y a quelques heures pour qu'il donne un avis sur ma candidature. Mais ce cadre ne saurait suffire, et je me suis engagé à rencontrer chaque membre le plus rapidement possible. Il y a, par ailleurs, un comité stratégique, qui regroupe, sous la présidence du maire de Vanves, un très grand nombre d'élus - presque tous les élus concernés par le projet. J'essaierai de faire vivre ce comité au maximum. Enfin, je ne sais pas travailler autrement qu'en allant à la rencontre des gens. Sur un projet de cette ampleur, je n'aurai pas l'ambition de maîtriser les moindres détails : je ne pense pas que ce soit le rôle du président du directoire de la Société du Grand Paris que d'être capable, au débotté, d'avoir une réponse sur la situation précise de tel tunnelier à tel endroit de la ligne entre Clichy-Montfermeil et Noisy-Champs. Mon rôle sera plutôt de veiller au maintien de la cohérence d'ensemble et du niveau de confiance indispensable à la réussite du projet. Tout cela passe aussi par des relations interpersonnelles. Je m'emploierai à les nouer le plus rapidement possible, et à les faire vivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Merci pour ces réponses, et pour votre engagement. Si votre nomination est entérinée, j'espère que vous resterez en poste un certain temps : une telle mission requiert de travailler dans la durée...

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 40.