Intervention de Jean-François Monteils

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 mars 2021 à 17h30
Audition de M. Jean-François Monteils candidat pressenti pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public société du grand paris en application de l'article 8 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au grand paris

Jean-François Monteils, candidat pressenti pour exercer les fonctions de président du directoire de l'établissement public Société du Grand Paris :

Il n'y a pas de question naïve ! Comment est-on candidat à de telles fonctions ? En fait, on ne l'est pas vraiment : le poste de président du directoire de la Société du Grand Paris va commencer à devenir confortable à partir de 2030... J'ai répondu à cette demande parce que, après avoir passé 30 ans de ma vie au service de la chose publique, je trouve intéressant d'entrer dans une démarche de construction positive. Pour un haut fonctionnaire qui a commencé sa carrière dans les années 1990, le quotidien a plutôt été fait de restrictions budgétaires, de restructuration de systèmes fonctionnant difficilement, de réforme de l'État - toutes choses passionnantes, sur lesquelles j'ai énormément apprécié de travailler, en essayant d'apporter ma pierre à l'édifice. Mais il me plaît aussi de passer outre ces difficultés, qui ont émaillé une grande partie de ma vie professionnelle, pour démontrer ce que notre puissance publique peut faire ! Et je n'ai pas été candidat : je n'ai pas pu refuser.

Vous m'avez interrogé sur le calendrier bouleversé et les prévisions. Je n'ai pas de prévisions. Je ne veux pas m'abriter derrière le fait que le temps et les informations précises m'ont manqué, mais c'est un sujet assez difficile, sur lequel la transparence est suffisamment nécessaire, pour que j'évite de lancer dès aujourd'hui des chiffrages et des plannings qui ne reposeront sur rien d'autre que des intuitions. Je ne fonctionne pas à l'intuition, et je considère que l'un des grands atouts du fonctionnement de cette société est sa collégialité, sur laquelle je m'appuierai donc pour faire mes propres analyses.

Comme vous, je suis interrogatif sur un certain nombre de ces projets. J'ai tout de même essayé de lire un certain nombre de choses avant de me présenter devant vous et, en particulier, j'ai vu beaucoup d'interrogations sur un certain nombre d'ouvrages et de lignes, notamment celles que vous avez mentionnées et qui concernent les Jeux olympiques et paralympiques. Il serait tout à fait inapproprié de vous donner à ce stade une appréciation qui, par définition, ne pourrait pas être définitive. Mais ce sera une priorité immédiate, à mon arrivée, que de vérifier si un certain nombre d'éléments doivent être décalés.

L'un des aspects particulièrement délicats du pilotage de la société du Grand Paris et du projet est que la transparence est strictement indispensable. J'en suis personnellement convaincu. Mais il ne faut pas que la transparence ait pour contrepartie de devoir tenir, seconde par seconde, le calendrier des micro-incidents qui se déroulent sur chacun des 100, et bientôt 300, chantiers en cours sur le Grand Paris Express. Il faut tenir des rendez-vous périodiques aussi souvent que nécessaire, répondre aux convocations et donner tous les éléments quand ils sont demandés, mais il ne faut pas en arriver à tenir un tel calendrier en affichant au jour le jour sur les réseaux sociaux l'évolution de chaque incident.

Où en est-on sur les lignes cruciales pour les Jeux olympiques et paralympiques ? Je vous demande de prendre mes propos comme ceux de quelqu'un qui a commencé à se renseigner, mais qui veut surtout vous montrer avec quelle méthode il travaillera sur ces questions complexes. Plusieurs lignes sont concernées. La situation la plus critique est celle du tronçon 16-17 entre Pleyel et Le Bourget. Il y a aussi la prolongation vers le nord de la ligne 14, et ce n'est pas un hasard si j'ai mentionné l'inauguration du 14 décembre dernier. Cette prolongation ainsi que la gare de Pleyel sont deux équipements essentiels et déterminants pour les Jeux olympiques et paralympiques. L'énergie de tous les agents de la Société du Grand Paris et de toutes les entreprises qui participent à ces chantiers est et sera exacerbée pour être au rendez-vous.

S'agissant du double tronçon 16-17, la situation telle que je la comprends est la suivante. Dès février 2018, le Premier ministre avait indiqué que la situation était tendue. Depuis, la crise pandémique est survenue. Sur des chantiers tels que ceux du Grand Paris, ses conséquences sont multiples. L'interruption des chantiers qui a été décidée dès le 17 mars a duré à peu près un mois. C'était une décision parfaitement judicieuse, mais, dans un processus de ce type, qui fait s'imbriquer des myriades de décisions, cette interruption momentanée et, finalement, assez brève, a forcément des conséquences très lourdes et très importantes, avec des désynchronisations de chantiers, et un impact, qui dure encore, sur les modalités de fonctionnement et de travail. D'après les éléments dont je dispose, le retard, sans mesures correctrices, peut être évalué, selon les lignes, à une durée comprise entre trois et neuf mois.

Ce retard rendrait inatteignable, pour ce tronçon 16-17, l'objectif envisagé en 2018. Comme vous l'avez indiqué, des solutions dégradées ont été étudiées, et sont encore à l'étude. Elles nécessiteront très probablement des arbitrages qui devront prendre en compte plusieurs séries de questions : d'abord, l'importance extrême d'être au rendez-vous des Jeux olympiques ; et deuxièmement, au regard de la qualité propre de ces solutions dégradées, les inconvénients en chaîne que celles-ci porteraient pour l'ensemble du chantier. Si ma nomination est confirmée, j'aurai donc dans les semaines qui viennent à regarder de manière très précise comment aborder ce sujet. On ne doit pas uniquement se concentrer sur le double tronçon 16-17 entre Pleyel et Le Bourget. Les autres rendez-vous en termes de visibilité et d'accessibilité sont aussi très importants.

L'établissement d'un COP fera-t-il partie de mes priorités ? Pour vous répondre de manière très directe, non, pas de mes premières priorités en tout cas. Je recevrai du Premier ministre une lettre de mission qui, comme la dernière en date, tiendra lieu de feuille de route. Comme tout contrat, un COP se signe entre deux parties. Bien sûr, j'évoquerai cette question. C'est un cadrage qui n'est ni confortable ni inconfortable, mais qui est intéressant - et je serais mal venu de considérer que ce n'est pas un outil utile, ma maison d'origine publiant régulièrement de nombreux rapports pour en rappeler l'importance, voire le caractère impératif !

Vous avez évoqué la question cruciale et particulièrement lourde des déblais. Ma sensibilité environnementale s'est construite de longue date, et en particulier au cours de mon passage au secrétariat général du ministère de la transition écologique, qui m'a permis non seulement d'embrasser un certain nombre de ces sujets, mais également d'entrer en contact avec nombre d'interlocuteurs qui me seront très probablement précieux dans la suite de ce parcours. Près de 45 millions de tonnes de déblais seront extraits en tout, et un tiers l'ont déjà été. La Société du Grand Paris se fixe deux objectifs sur ce point, partagés avec les entreprises qui conduisent les chantiers. D'abord, une extrême importance est attachée à la question des transports. Le fret fluvial sera privilégié. Concernant le fret ferroviaire, dans une région où les sillons doivent s'arracher avec les dents, où la question des transports ferroviaires justifie, tout simplement, que l'on construise un nouveau réseau, je peux aisément anticiper qu'il s'agira d'une question difficile. Le deuxième objectif est de valoriser ces déblais à hauteur de 70 %. Pour cela, l'innovation sera indispensable, car ce taux est très ambitieux. Nous devrons utiliser ces déblais pour les remblais, dans les projets d'aménagement, pour les comblements de carrière, pour des expérimentations en matière d'écomatériaux... Il s'agit d'un enjeu extrêmement important sur le plan financier, aussi. Mais je ne pense pas qu'il sera possible de progresser sans un vrai effort d'innovation, qui sera au coeur de mes préoccupations.

Vous avez évoqué les conséquences de la crise sur la manière de faire fonctionner la vie économique, sociale, culturelle, et sur les conséquences à plus long terme qu'elle pourrait avoir sur les modes de déplacement, de travail, etc. Ce sont des questions passionnantes, et je me les suis également posées. Mais, à la place qui sera la mienne, je devrai abandonner presque complètement la spéculation intellectuelle, quoique je sois très intéressé par les études que peuvent produire les spécialistes de ces questions. Je ne me sens pas capable de trouver des réponses définitives sur ces sujets. Ma conviction, toutefois, est que la nécessité d'établir des liens entre les territoires, entre les femmes et les hommes, entre les zones économiques, entre ce que l'on appelait à la première époque du Grand Paris les clusters, ne va pas disparaître - je pense même qu'elle va s'accroître. Nous avons tous expérimenté le télétravail avec la crise. Un des intérêts, peut-être, de cette période, aura été aussi d'en montrer les limites ! Je ne crois donc pas qu'on doive tabler sur un bouleversement complet du mode de fonctionnement humain.

Faut-il continuer à construire ? Les chiffres que vous mentionniez sur l'intention de changer de vie me paraissent également inspirés par un mode de fonctionnement métropolitain ou régional insatisfaisant, auquel, précisément, le Grand Paris doit apporter des solutions.

Vous avez posé la question de la tenue du schéma d'ensemble de 2011, en vous interrogeant sur la variable d'ajustement, et en évoquant même certaines lignes. Je ne vois pas comment, en entamant cette mission, je pourrais vouloir remettre en cause ce schéma d'ensemble. La feuille de route adressée par le Premier ministre au président du directoire de la Société du Grand Paris mentionne ce schéma d'ensemble, et nous n'en sortirons pas.

La question de la valorisation des plus-values est évidemment importante. En la posant, vous m'incitez à sortir un peu de ma compétence... Le modèle de ressources d'origine fiscale est déterminé par la loi. Gilles Carrez est un spécialiste bien connu de ces questions et, notamment en ce qui concerne le Grand Paris, il était mon interlocuteur il y a dix ans, et je serais heureux de le retrouver. Il avait envisagé nombre de possibilités. À mon avis, il serait dommage de ne pas examiner celle-là. Je participerai à ces débats à la place qui sera la mienne : ce ne sera pas à moi d'en décider.

Quant à la relation avec les élus locaux, elle se structurera à trois niveaux. D'abord, à celui du conseil de surveillance, où siègent des élus, et devant lequel je me suis exprimé il y a quelques heures pour qu'il donne un avis sur ma candidature. Mais ce cadre ne saurait suffire, et je me suis engagé à rencontrer chaque membre le plus rapidement possible. Il y a, par ailleurs, un comité stratégique, qui regroupe, sous la présidence du maire de Vanves, un très grand nombre d'élus - presque tous les élus concernés par le projet. J'essaierai de faire vivre ce comité au maximum. Enfin, je ne sais pas travailler autrement qu'en allant à la rencontre des gens. Sur un projet de cette ampleur, je n'aurai pas l'ambition de maîtriser les moindres détails : je ne pense pas que ce soit le rôle du président du directoire de la Société du Grand Paris que d'être capable, au débotté, d'avoir une réponse sur la situation précise de tel tunnelier à tel endroit de la ligne entre Clichy-Montfermeil et Noisy-Champs. Mon rôle sera plutôt de veiller au maintien de la cohérence d'ensemble et du niveau de confiance indispensable à la réussite du projet. Tout cela passe aussi par des relations interpersonnelles. Je m'emploierai à les nouer le plus rapidement possible, et à les faire vivre.

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