Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 mars 2021 à 8h30
Budget de l'union européenne — Réserve d'ajustement au brexit : examen du rapport de m. jean-françois rapin sur la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du parlement européen et du conseil com 2020 854 final du 25 décembre 2020

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président, rapporteur :

Notre réunion se poursuit avec l'examen du rapport consacré à la proposition de résolution européenne (PPRE) sur la réserve d'ajustement au Brexit. Une réunion du groupe de suivi sur la relation euro-britannique (nouvelle dénomination du groupe de suivi Brexit) s'est tenue il y a deux jours, à l'issue de laquelle notre collègue Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et moi-même, qui en sommes co-présidents, avons décidé de déposer une proposition de résolution européenne n° 431 (2020-2021) qui est aujourd'hui soumise à l'examen de notre commission.

Depuis le 1er janvier 2021, l'Union européenne et le Royaume-Uni constituent désormais deux marchés et espaces juridiques distincts. Des obstacles inédits freinent les échanges de biens et services, ainsi que la mobilité et les échanges transfrontaliers de personnes. Afin de se préparer en amont à ce changement, les États membres - au premier rang desquels la France - ont dû engager un certain nombre de dépenses, avec le double objectif d'assurer les nouveaux contrôles requis, notamment au plan sanitaire, et de soutenir les secteurs les plus touchés par le Brexit.

Dès 2019, la France a ainsi effectué des investissements en matière d'infrastructures douanières et sanitaires, et engagé des dépenses de personnels, pour que la nouvelle frontière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni soit opérationnelle en temps voulu. Notre pays a rapidement défendu l'idée d'un fonds budgétaire européen pour compenser les dépenses des États membres liées au retrait du Royaume-Uni et manifester la cohésion européenne face à ce choc.

En juillet 2020, le Conseil européen extraordinaire a ainsi annoncé la mise en place d'une ligne budgétaire dédiée à cet effet. Il a invité la Commission européenne à établir un règlement en ce sens, qui a été publié fin décembre 2020. Avec mon collègue Christian Cambon, nous avons tenu à attirer l'attention sur ce texte dont la négociation est en cours, en déposant une proposition de résolution européenne.

En effet, la proposition de règlement publiée par la Commission établit une réserve d'ajustement au Brexit, dont nous approuvons le principe mais pas les modalités. Aussi, au nom du groupe de suivi qui s'est réuni mardi, Christian Cambon et moi-même avons déposé la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui. Étant déjà au fait du dossier, je me propose, si vous le voulez bien, d'en être le rapporteur.

Cette réserve figure parmi les instruments spéciaux en dehors des plafonds budgétaires de l'Union européenne fixés par le cadre financier pluriannuel (CFP). Elle est dotée d'un montant maximal de 5,4 milliards d'euros et répartie en deux enveloppes.

Un montant de préfinancement de 4,2 milliards d'euros est mis à disposition en 2021. La part de préfinancement de chaque État est déterminée en fonction de deux facteurs : les poissons capturés dans la zone économique exclusive du Royaume-Uni - à hauteur de 15 % de l'enveloppe, soit 600 millions d'euros - et les échanges entre chaque État membre et le Royaume-Uni - à hauteur des 85 % restants, soit 3,4 milliards d'euros.

Une enveloppe supplémentaire à hauteur de 1,1 milliard d'euros doit être versée en 2024 aux États membres, si les dépenses acceptées par la Commission dépassent le montant payé en préfinancement et 0,06 % du revenu national brut (RNB) nominal de 2021 de l'État membre concerné.

L'objectif de cette réserve, mentionné à l'article 3 de la proposition de règlement, est ainsi d'apporter « un soutien pour pallier les conséquences négatives du retrait du Royaume-Uni de l'Union dans les États membres, les régions et les secteurs, en particulier les plus touchés par le retrait, et en atténuer l'incidence sur la cohésion économique, sociale et territoriale ».

L'objectif et le principe de cette réserve nous apparaissent donc louables, évidemment. Mais son fonctionnement et ses modalités de répartition nous semblent critiquables.

En effet, le Brexit entraîne des conséquences particulièrement négatives pour notre pays, qui présente une proximité géographique et historique avec le Royaume-Uni. Or, les montants que la réserve prévoit d'allouer à la France ne suffisent pas à couvrir cet impact. La secrétaire générale aux affaires européennes (SGAE) nous a d'ailleurs fait part de la déception des autorités françaises qui avaient largement collaboré avec la Commission en amont de cette proposition. Selon la projection réalisée par la Cour des comptes européenne, qui vient de rendre un avis sur le sujet, la France serait le quatrième bénéficiaire de ce fonds, dont elle percevrait environ 10 %, soit 396,5 millions d'euros, derrière l'Irlande - 991,2 millions d'euros -, les Pays-Bas - 713,7 millions d'euros - et l'Allemagne - 429,1 millions d'euros (en prix 2018).

Cette enveloppe n'est clairement pas à la hauteur des dépenses qui ont été ou seront effectuées par l'État français et les collectivités territoriales pour faire face au retrait du Royaume-Uni.

Le SGAE nous a communiqué une estimation de la direction du budget du ministère de l'économie et des finances : environ 405 millions d'euros de dépenses de l'État seraient éligibles sur la période 2020-2023. À cela il faut ajouter les dépenses des territoires. Certaines régions sont bien sûr particulièrement touchées - je pense aux Hauts-de-France, à la Normandie et à la Bretagne -, soit parce qu'elles sont désormais des points de passage de la frontière externe de l'Union, soit du fait de leur spécialisation économique, notamment sur la filière pêche. La région Bretagne, à elle seule, a estimé ses dépenses à 368 millions d'euros.

D'autres secteurs - transports, agroalimentaire, tourisme, import/export - pourraient également être affectés, dans d'autres régions, comme l'Île-de-France ou le Grand Est. Un recensement des dépenses effectuées par les régions est actuellement en cours. Il est coordonné par l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).

L'enveloppe prévue pour la France, dans le cadre de cette réserve, est donc loin de couvrir la totalité des dépenses engagées. Pour remédier à cette injustice, notre proposition de résolution appelle à plusieurs modifications.

D'abord, la méthode de répartition de la réserve ne paraît pas satisfaisante : le poids et le calcul du facteur lié aux échanges conduisent notamment à une surévaluation des transferts de services financiers par rapport aux échanges de marchandises, pénalisant ainsi des pays comme la France et favorisant, au contraire, le Luxembourg, les Pays-Bas ou l'Irlande.

Les spécificités des États membres mériteraient donc d'être mieux appréhendées dans la répartition de la réserve. Certains secteurs devraient être mieux pris en compte, au premier rang desquels la pêche. La France est l'État membre qui pêche le plus en valeur absolue dans les eaux britanniques - 650 millions de produits pêchés au total. Elle se trouve pourtant, au vu des méthodes de calculs, reléguée en sixième position des pays considérés comme les plus affectés en termes de pêche par le Brexit.

Il est de même du point de vue de la prise en compte de l'interdépendance commerciale. La France est le deuxième État membre à commercer le plus avec le Royaume-Uni. Or, elle se trouverait moins compensée des effets du Brexit que la moyenne des 27 pays, en raison des indicateurs pris en compte.

Outre la méthode de répartition, la période d'admissibilité des dépenses, actuellement fixée du 1er juillet 2020 au 31 décembre 2022, mériterait d'être étendue. Il faut absolument prendre en compte l'ensemble des dépenses impliquées par le Brexit. Les préparatifs ont débuté il y a plusieurs années, bien avant juillet 2020. Nous demandons aussi, pour assouplir un peu la période de référence, que soit admissible à la réserve toute dépense publique liée au retrait du Royaume-Uni, qu'elle ait été engagée ou payée au cours de cette période de référence.

Enfin, il faut clarifier l'articulation des dépenses admissibles à la réserve avec le régime des aides d'État. C'est particulièrement nécessaire pour le secteur de la pêche. L'État doit pouvoir octroyer sans risque, grâce à la réserve, des financements aux entreprises de pêche ou de mareyage qui sont réduites à l'arrêt ou ont subi une perte de chiffre d'affaires.

J'espère vous avoir convaincu de l'importance de ces différents points. Je vous invite donc à adopter cette proposition de résolution européenne pour conforter les positions françaises dans la négociation en cours à Bruxelles, à la fois au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen. La commission des budgets du Parlement européen, saisie pour avis, envisage déjà des amendements permettant de rééquilibrer l'enveloppe, notamment au profit de la France. Sa commission de la pêche, également saisie pour avis, se prononcera en avril et la commission du développement régional (REGI), saisie au fond, tranchera fin mai.

Cette résolution a vocation à parvenir au Gouvernement, mais nous l'adresserons aussi aux parlementaires européens. Nous espérons ainsi peser sur les négociations qui sont particulièrement difficiles, dans la mesure où la taille du gâteau est fixée ; si nous augmentons la part française, d'autres États membres y perdent.

La procédure d'adoption des résolutions européennes par le Sénat prévoit que le texte qui sortira de notre commission soit transmis à la commission compétente au fond, en l'occurrence celle des finances. J'ai pu consulter son président qui ne voit pas d'inconvénient à ce que notre PPRE ne soit pas rapportée en commission des finances, au vu de son objet et de l'urgence de la situation.

Le texte que nous arrêterons aujourd'hui devrait donc, de fait, être définitif. Nous pourrons ainsi gagner du temps et le diffuser sans délai pour pouvoir utilement peser sur les négociations en cours au Conseil, où nous apprenons que la présidence portugaise semble pressée de conclure avant Pâques, et au Parlement européen, dont les trois commissions saisies vont se prononcer dès avril.

Vous comprenez la raison pour laquelle nous avons accéléré la procédure. Cette PPRE est naturellement amendable, si vous y voyez des lacunes ou des oublis.

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