Intervention de Christophe Robert

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 9 mars 2021 à 17h00
État des lieux et cartographie du mal-logement en france — Audition de M. Christophe Robert délégué général de la fondation abbé pierre

Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, sur l'état des lieux et la cartographie du mal-logement en France :

Depuis le début de la crise actuelle, le public que nous découvrons véritablement est celui des auto-entrepreneurs, artisans et petits chefs d'entreprise. Cependant, de manière générale, deux catégories apparaissent particulièrement en difficulté : les jeunes et les femmes seules avec enfants.

Les jeunes sont aujourd'hui surreprésentés au sein des publics en situation de pauvreté et des publics sans domicile. On observe également une surreprésentation au sein de ces publics des jeunes issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ceci montre les défaillances, en amont, d'un certain nombre de politiques publiques (suivi des jeunes issus de l'ASE, des sortants de prison ou d'hôpitaux psychiatriques, des personnes expulsées de leur logement, etc.). La crise n'a fait qu'accentuer ces phénomènes, avec la disparition des petits boulots notamment.

Les femmes seules avec enfants sont également confrontées à des difficultés importantes, avec des conditions d'emploi et de ressources (temps partiel contraint, revenu limité, etc.) ne leur permettant nécessairement pas de vivre dans de bonnes conditions.

Nous observons par ailleurs les effets, depuis le début des années 2000, de la flambée des loyers et des charges. Cette augmentation du poids des dépenses de logement et d'énergie a abouti à une multiplication des travailleurs pauvres et/ou mal-logés. Des réflexions nécessiteraient donc d'être menées sur la maîtrise des prix du logement, mais aussi de l'énergie - le chèque énergie ne suffisant pas aujourd'hui pour répondre aux besoins de certains ménages.

Depuis le début de la crise sanitaire, la mise à mal de l'économie informelle a également eu un impact non négligeable. Certains publics se sont ainsi retrouvés extrêmement démunis, leur activité n'étant pas couverte par le chômage partiel.

La garantie jeunes, quant à elle, constitue un bon dispositif. Son extension potentielle à 200 000 jeunes est donc une bonne nouvelle. L'accompagnement par les missions locales, la formation et l'accompagnement dans la recherche d'emploi demeurent ainsi essentiels. Cependant, il convient de rappeler que la garantie jeunes, contrairement aux minima sociaux tels que le RSA, ne constitue pas un droit ouvert. Il s'agit d'un dispositif plafonné, en termes de financement et de volume de bénéficiaires. Une autre limite de ce dispositif pourrait être de ne pas parvenir à toucher une partie de la jeunesse en situation de grande précarité - ces publics n'étant pas nécessairement en capacité ou désireux de solliciter un accompagnement par une mission locale. L'enjeu serait de déployer une protection sociale qui puisse bénéficier aussi à ces jeunes.

Le développement d'une garantie jeunes universelle, tel qu'envisagé par la ministre du travail, pourrait donc constituer une bonne entrée en matière, à condition que cette garantie intègre toujours un accompagnement vers la formation et l'emploi. Néanmoins, ceci ne saurait supprimer la nécessité de déployer un droit ouvert, à même de fournir aux jeunes sans ressource et en rupture familiale un minimum pour survivre - un jeune occupé à survivre ne pouvant être occupé à se former ou à rechercher un emploi.

À cet égard, le projet de mise en place d'un Revenu universel d'activité (RUA) semble aujourd'hui suspendu, malgré des réflexions menées pendant près de 2 ans. Or, il était question que ce dispositif puisse aussi, en étant doté des moyens correspondants, accroître la protection sociale des jeunes de moins de 25 ans. Les réflexions sur ce dispositif pourraient être relancées à l'automne 2021. Néanmoins, en attendant, les bénéficiaires potentiels demeurent en grande difficulté.

Ce dispositif n'aurait pas vocation à être fusionné avec les APL, ne constituant pas un minimum social et évoluant dans le temps et en fonction des territoires, des publics, des niveaux de dépenses de logement, etc. L'enjeu serait davantage de penser une complémentarité entre les APL et le RUA.

Quoi qu'il en soit, si le RUA, qui devait constituer le grand chantier du Gouvernement en matière d'action sociale, devrait ne pas être mis en place au cours du quinquennat, rien n'empêcherait les pouvoirs publics, sans attendre une réforme majeure des prestations sociales, de se préoccuper du niveau des minima sociaux actuels, de lutter contre le non-recours aux droits et de trouver des solutions pour les jeunes de moins de 25 ans.

Pour ce qui est des perspectives de reprise à l'issue de la crise actuelle, il est aujourd'hui difficile de faire des prévisions. Néanmoins, la constitution d'un fonds d'aide au paiement des loyers et charges devrait constituer un enjeu majeur. En privilégiant une logique d'anticipation et de prévention, nous avons su éviter de reproduire l'erreur commise en 2008 de ne pas mettre en place un chômage partiel. Vis-à-vis des loyers et charges, de la même manière, l'enjeu serait de ne pas attendre une massification des impayés, susceptible d'entraîner ensuite une explosion des expulsions locatives.

Jusqu'à présent, nous n'avons guère été entendus sur ce point par l'exécutif, du fait d'une relative stabilité du niveau des impayés. Nous anticipons néanmoins une augmentation forte de ceux-ci. L'enjeu serait donc de prévenir plutôt que d'avoir à punir ensuite par des expulsions locatives. Le Gouvernement semble avoir ouvert la porte à des discussions sur le sujet.

Toujours dans une logique de prévention, un autre enjeu serait de prévoir de nouvelles aides ponctuelles à la reprise et de ne pas retirer trop tôt les outils de protection mis en place depuis un an (sans avoir mesuré les populations risquant, de ce fait, de basculer vers la pauvreté).

Lorsque l'on bascule vers la pauvreté, il est ensuite difficile de remonter la pente. L'accent nécessiterait donc d'être mis sur le déploiement de politiques de prévention en amont, en s'appuyant sur une meilleure connaissance des fragilités de certains publics. De ce point de vue, nous manquons encore aujourd'hui d'un certain nombre d'indicateurs.

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