Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 mars 2021 à 16h35
Projet de loi confortant le respect des principes de la république — Examen du rapport pour avis

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur pour avis :

Nous examinons cet après-midi quatre articles de ce projet de loi, dont l'examen au fond revient à la commission des lois. La commission de la culture s'est également saisie pour avis, avec une délégation au fond sur les articles qui touchent à l'éducation.

Je précise que notre commission ne s'est pas saisie pour avis de l'ensemble du texte, mais bien des seules dispositions qui relevaient de son champ de compétence, soit les articles 10, 11, 12 et 46, qui traitent de la matière fiscale. Vous remarquerez bien vite que ces dispositions n'ont qu'un lien très ténu avec la lutte contre les séparatismes. Je considère que leur inscription dans ce projet de loi revêt un caractère quelque peu opportuniste.

Les articles 10 à 12 du projet de loi concernent l'encadrement des avantages fiscaux attribués aux associations. Vous le savez, les associations, fondations ou fonds de dotation peuvent bénéficier du régime du mécénat. Ce régime permet aux contribuables de bénéficier d'une réduction d'impôt au titre de leurs dons et versements. Pour les particuliers, c'est d'une réduction d'impôt sur le revenu ou sur la fortune immobilière ; pour les entreprises, c'est une réduction d'impôt sur les sociétés ou sur le revenu.

Pour bénéficier de ce régime du mécénat, les organismes bénéficiaires de dons et de versements doivent d'abord être d'intérêt général. Cela signifie qu'ils doivent respecter trois critères cumulatifs : avoir une gestion désintéressée ; ne pas agir pour un cercle restreint de bénéficiaires ; ne pas avoir une activité lucrative, qui entre en concurrence avec les entreprises du secteur privé.

Toutefois, être d'intérêt général ne suffit pas. Il faut en plus que l'organisme exerce son activité dans l'un des domaines cités aux articles 200, 238 bis ou 978 du code général des impôts, selon la réduction d'impôt concernée. Par exemple, un don à une association cultuelle permet à un contribuable particulier de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu, mais pas d'une réduction d'impôt sur la fortune immobilière. Les domaines comprennent notamment les activités présentant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique.

Tout organisme qui estime être éligible au régime du mécénat délivre des reçus fiscaux aux donateurs, pour qu'ils bénéficient des réductions d'impôt. Il n'y a pas de système d'agrément préalable. En cas de doute, l'organisme peut toutefois demander un rescrit mécénat, c'est-à-dire demander à l'administration fiscale s'il a bien le droit de bénéficier de ce régime. Il y a eu 6 500 demandes de rescrits en 2019, pour 70 % d'avis positifs. Ce nombre reste limité comparé aux 1,5 million d'associations recensées en France en 2017.

En l'état actuel du droit, le seul contrôle que l'administration fiscale peut exercer, hors cas spécifique de la vérification de comptabilité, c'est un contrôle de concordance. L'administration fiscale vérifie très simplement que les montants inscrits sur les reçus fiscaux délivrés par l'organisme correspondent bien aux montants perçus.

Les contrôles sont donc plus que limités, alors que la dépense fiscale au titre du régime du mécénat est, vous le savez, importante. Pour l'impôt sur le revenu, c'est 1,5 milliard d'euros, pour 5,5 millions de foyers bénéficiaires. Pour le mécénat d'entreprise, c'est 0,8 milliard d'euros, pour 77 000 entreprises.

L'article 10 du projet de loi modifie donc le livre des procédures fiscales pour instaurer une nouvelle procédure de contrôle, celle du contrôle de l'éligibilité de l'organisme au régime du mécénat. Le contrôle sur place par l'administration fiscale ne pourra excéder six mois. L'article 10 prévoit également des garanties pour les organismes contrôlés. Je me suis attaché à vérifier que ces garanties soient bien similaires à celles prévues pour les autres contrôles, ce qui est le cas. Si cette nouvelle procédure de contrôle est nécessaire, elle ne doit pas pour autant faire peser de contraintes trop lourdes sur les associations, en particulier les plus petites d'entre elles. C'est un point d'équilibre qui m'a constamment guidé dans l'examen de ces dispositions.

C'est pour cette raison que je vous proposerai d'adopter un amendement visant à reporter l'entrée en vigueur de l'article 10 au 1er janvier 2022. Nous pourrions ainsi concilier ces deux objectifs : d'une part, mieux contrôler cette dépense fiscale et sanctionner les abus ; d'autre part laisser un délai supplémentaire aux associations et à l'administration fiscale.

En effet, les organismes sans but lucratif, pour se prémunir de toute sanction lors d'un éventuel contrôle, pourraient vouloir demander plus fréquemment des rescrits mécénat à l'administration fiscale. Le recours au rescrit pourrait être d'autant plus massif que, comme la Cour des comptes l'a souligné dans son référé sur la fiscalité des dons en faveur des associations, la doctrine fiscale relative aux conditions d'éligibilité d'un organisme au régime du mécénat n'est pas encore totalement stabilisée. Je vous proposerai donc de laisser ce délai supplémentaire aux associations, mais aussi à l'administration fiscale, pour affiner sa doctrine et traiter les rescrits mécénat.

L'article 11 créé ainsi une obligation, pour les organismes sans but lucratif bénéficiaires du régime du mécénat, de déclarer chaque année à l'administration fiscale le montant global des dons et versements dont ils ont bénéficié. Cette nouvelle déclaration vise à renforcer le pilotage de la dépense et les capacités de contrôle de l'administration fiscale. Ces données permettront de renforcer les outils dont dispose l'administration pour mieux cibler les contrôles et ainsi davantage veiller à la régularité des avantages fiscaux octroyés.

Il me semble néanmoins que cette obligation comporte un risque d'alourdissement administratif concernant l'ensemble des organismes bénéficiant du mécénat. Il convient à cet égard de rappeler que la plupart de ces organismes, notamment les associations, sont de petites structures et qu'une charge administrative trop importante pourrait les pénaliser fortement.

Il sera donc important que cette déclaration puisse être faite par le biais d'une plateforme numérique et de manière simple, afin de faciliter la procédure pour les associations et son traitement par l'administration fiscale, tout en conservant la possibilité de l'effectuer par voie postale. La direction générale des finances publiques (DGFiP) a indiqué qu'un tel portail serait mis en place progressivement, ce qui me paraît particulièrement préoccupant. Je préférerais que ce soit tout de suite. En conséquence, je propose de repousser d'un an, du 1er janvier 2021 au 1er janvier 2022, la date à partir de laquelle les dons et versements seront soumis à cette nouvelle obligation, afin de permettre à la DGFiP de mettre en service ce portail numérique dès les premières déclarations.

L'article 12 élargit la liste des infractions susceptibles d'entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons, versements et legs en cas de condamnation pénale définitive d'un organisme sans but lucratif. En l'état actuel du droit, la suspension des avantages fiscaux accordés aux contribuables versant des dons à des organismes sans but lucratif définitivement condamnés n'est prévue qu'en cas de condamnation pour abus de confiance ou escroquerie. Les nouvelles infractions concernées comprennent à la fois des infractions faisant peser une menace grave sur la société, comme le terrorisme ou l'usage de menaces à l'égard d'un agent public, et des infractions de nature économique, comme le blanchiment d'argent ou le recel.

L'Assemblée nationale a également adopté un amendement ajoutant le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse à cette liste. Toutefois, cette dernière ne comportant que des manquements de nature économique ou faisant peser une menace grave sur la société, je propose, comme les rapporteurs de la commission des lois, la suppression de cette infraction de cette liste.

En outre, la condamnation doit concerner la personne morale et non les dirigeants de l'organisme. Les organismes sans but lucratif dont l'objet est de contester le droit à l'avortement et qui se rendraient coupables de ce délit ne sont de toute manière pas éligibles au régime fiscal du mécénat puisque leur activité ne répond à aucune des finalités prévues par la loi. La présence de cette infraction dans cette liste n'est donc pas utile.

De manière générale, l'effectivité de cet article devrait rester limitée. Ce dispositif est vraisemblablement peu connu, et son application passe par une information adéquate de l'administration fiscale par les magistrats.

Le nombre de condamnations pour l'ensemble des crimes et délits qui seront mentionnés à cette liste est inférieur à 100 chaque année. Au vu du faible enjeu et de la rareté des condamnations, la mise en place d'une coordination efficace me paraît peu probable.

J'en terminerai avec l'article 46, qui concerne le droit d'opposition de Tracfin. Là-encore, l'extension du pouvoir d'opposition prévue par cet article va au-delà de la lutte contre les séparatismes, mais concerne l'ensemble des infractions soumises à la surveillance du service de renseignement « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins » (Tracfin).

Lorsqu'un professionnel assujetti aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme signale à Tracfin une opération douteuse, Tracfin peut exercer son pouvoir d'opposition et demander à ce que l'opération soit bloquée pendant 10 jours. Ce délai doit permettre à l'autorité judiciaire de bloquer les fonds. Les obligations de confidentialité sont très fortes, toute révélation de l'exercice du droit d'opposition par un professionnel assujetti constituant désormais, hors exceptions prévues par la loi, une infraction pénale punie de 22 500 euros d'amende.

Cette prérogative, Tracfin l'utilise avec parcimonie. D'après son rapport d'activité pour l'année 2019, le service a usé de son droit d'opposition à 93 reprises entre 2013 et 2019, dont sept fois en 2018 et 11 fois en 2019. La hausse marquée de l'exercice du droit d'opposition en 2020, avec 50 occurrences, s'explique par la mobilisation de Tracfin dans la lutte contre la fraude au dispositif du chômage partiel mis en place pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire et économique. En 2019, 95 732 déclarations de soupçon ont été adressées par les professionnels assujettis, pour 11 exercices du droit d'opposition et 3 738 notes de transmissions judiciaires, administratives et en renseignement envoyées. Le droit d'opposition n'est donc activé qu'en cas de risque imminent d'évasion des fonds et des capitaux, notamment vers l'étranger, ou de risque de dissipation des fonds.

En l'état du droit, Tracfin ne peut exercer son droit d'opposition que sur une seule opération, après une déclaration de soupçon. Cette limitation entraine avec elle deux écueils : la somme visée par l'opération signalée peut être inférieure au montant total des fonds pour lesquels il existe un soupçon d'origine frauduleuse ; la personne dont l'opération a été reportée du fait de l'exercice du droit d'opposition pourrait tenter de procéder de manière différente pour disposer des fonds.

Pour renforcer son efficacité, l'article 46 propose d'étendre par anticipation l'opposition aux opérations liées à l'opération sur laquelle il existe un doute, sans que les assujettis n'aient besoin de faire un nouveau signalement. Cette extension présente trois avantages : alléger les contraintes pesant sur Tracfin ; sécuriser les saisies pénales ; simplifier la conduite à tenir pour les assujettis professionnels.

Deux modifications ont été adoptées à l'Assemblée nationale. La première ne pose pas de difficulté : elle vise à délier les assujettis de leur obligation de confidentialité dans un cas bien précis, celui de signaler à l'autorité judiciaire, lorsqu'une action en responsabilité est intentée contre eux pour une opération non exécutée, qu'ils ont reçu une demande d'opposition de Tracfin.

La seconde modification pose davantage de difficulté et je vous proposerai un amendement pour la supprimer, amendement identique à celui proposé par les rapporteurs de la commission des lois. Les députés ont souhaité ajouter que les assujettis ne pouvaient bloquer l'opération que sous la réserve que cela leur soit possible, dans des conditions définies par décret. Or, comme l'a rappelé la directrice de Tracfin, cette précaution n'existait pas auparavant et cela n'a jamais posé aucune difficulté. Je considère que l'élargissement du droit d'opposition de Tracfin, pour lutter contre l'évasion ou la dissipation de fonds douteux, ne doit pas s'accompagner de son affaiblissement.

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