Je laisse la parole à Albéric de Montgolfier pour nous présenter son avis sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Nous examinons cet après-midi quatre articles de ce projet de loi, dont l'examen au fond revient à la commission des lois. La commission de la culture s'est également saisie pour avis, avec une délégation au fond sur les articles qui touchent à l'éducation.
Je précise que notre commission ne s'est pas saisie pour avis de l'ensemble du texte, mais bien des seules dispositions qui relevaient de son champ de compétence, soit les articles 10, 11, 12 et 46, qui traitent de la matière fiscale. Vous remarquerez bien vite que ces dispositions n'ont qu'un lien très ténu avec la lutte contre les séparatismes. Je considère que leur inscription dans ce projet de loi revêt un caractère quelque peu opportuniste.
Les articles 10 à 12 du projet de loi concernent l'encadrement des avantages fiscaux attribués aux associations. Vous le savez, les associations, fondations ou fonds de dotation peuvent bénéficier du régime du mécénat. Ce régime permet aux contribuables de bénéficier d'une réduction d'impôt au titre de leurs dons et versements. Pour les particuliers, c'est d'une réduction d'impôt sur le revenu ou sur la fortune immobilière ; pour les entreprises, c'est une réduction d'impôt sur les sociétés ou sur le revenu.
Pour bénéficier de ce régime du mécénat, les organismes bénéficiaires de dons et de versements doivent d'abord être d'intérêt général. Cela signifie qu'ils doivent respecter trois critères cumulatifs : avoir une gestion désintéressée ; ne pas agir pour un cercle restreint de bénéficiaires ; ne pas avoir une activité lucrative, qui entre en concurrence avec les entreprises du secteur privé.
Toutefois, être d'intérêt général ne suffit pas. Il faut en plus que l'organisme exerce son activité dans l'un des domaines cités aux articles 200, 238 bis ou 978 du code général des impôts, selon la réduction d'impôt concernée. Par exemple, un don à une association cultuelle permet à un contribuable particulier de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu, mais pas d'une réduction d'impôt sur la fortune immobilière. Les domaines comprennent notamment les activités présentant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique.
Tout organisme qui estime être éligible au régime du mécénat délivre des reçus fiscaux aux donateurs, pour qu'ils bénéficient des réductions d'impôt. Il n'y a pas de système d'agrément préalable. En cas de doute, l'organisme peut toutefois demander un rescrit mécénat, c'est-à-dire demander à l'administration fiscale s'il a bien le droit de bénéficier de ce régime. Il y a eu 6 500 demandes de rescrits en 2019, pour 70 % d'avis positifs. Ce nombre reste limité comparé aux 1,5 million d'associations recensées en France en 2017.
En l'état actuel du droit, le seul contrôle que l'administration fiscale peut exercer, hors cas spécifique de la vérification de comptabilité, c'est un contrôle de concordance. L'administration fiscale vérifie très simplement que les montants inscrits sur les reçus fiscaux délivrés par l'organisme correspondent bien aux montants perçus.
Les contrôles sont donc plus que limités, alors que la dépense fiscale au titre du régime du mécénat est, vous le savez, importante. Pour l'impôt sur le revenu, c'est 1,5 milliard d'euros, pour 5,5 millions de foyers bénéficiaires. Pour le mécénat d'entreprise, c'est 0,8 milliard d'euros, pour 77 000 entreprises.
L'article 10 du projet de loi modifie donc le livre des procédures fiscales pour instaurer une nouvelle procédure de contrôle, celle du contrôle de l'éligibilité de l'organisme au régime du mécénat. Le contrôle sur place par l'administration fiscale ne pourra excéder six mois. L'article 10 prévoit également des garanties pour les organismes contrôlés. Je me suis attaché à vérifier que ces garanties soient bien similaires à celles prévues pour les autres contrôles, ce qui est le cas. Si cette nouvelle procédure de contrôle est nécessaire, elle ne doit pas pour autant faire peser de contraintes trop lourdes sur les associations, en particulier les plus petites d'entre elles. C'est un point d'équilibre qui m'a constamment guidé dans l'examen de ces dispositions.
C'est pour cette raison que je vous proposerai d'adopter un amendement visant à reporter l'entrée en vigueur de l'article 10 au 1er janvier 2022. Nous pourrions ainsi concilier ces deux objectifs : d'une part, mieux contrôler cette dépense fiscale et sanctionner les abus ; d'autre part laisser un délai supplémentaire aux associations et à l'administration fiscale.
En effet, les organismes sans but lucratif, pour se prémunir de toute sanction lors d'un éventuel contrôle, pourraient vouloir demander plus fréquemment des rescrits mécénat à l'administration fiscale. Le recours au rescrit pourrait être d'autant plus massif que, comme la Cour des comptes l'a souligné dans son référé sur la fiscalité des dons en faveur des associations, la doctrine fiscale relative aux conditions d'éligibilité d'un organisme au régime du mécénat n'est pas encore totalement stabilisée. Je vous proposerai donc de laisser ce délai supplémentaire aux associations, mais aussi à l'administration fiscale, pour affiner sa doctrine et traiter les rescrits mécénat.
L'article 11 créé ainsi une obligation, pour les organismes sans but lucratif bénéficiaires du régime du mécénat, de déclarer chaque année à l'administration fiscale le montant global des dons et versements dont ils ont bénéficié. Cette nouvelle déclaration vise à renforcer le pilotage de la dépense et les capacités de contrôle de l'administration fiscale. Ces données permettront de renforcer les outils dont dispose l'administration pour mieux cibler les contrôles et ainsi davantage veiller à la régularité des avantages fiscaux octroyés.
Il me semble néanmoins que cette obligation comporte un risque d'alourdissement administratif concernant l'ensemble des organismes bénéficiant du mécénat. Il convient à cet égard de rappeler que la plupart de ces organismes, notamment les associations, sont de petites structures et qu'une charge administrative trop importante pourrait les pénaliser fortement.
Il sera donc important que cette déclaration puisse être faite par le biais d'une plateforme numérique et de manière simple, afin de faciliter la procédure pour les associations et son traitement par l'administration fiscale, tout en conservant la possibilité de l'effectuer par voie postale. La direction générale des finances publiques (DGFiP) a indiqué qu'un tel portail serait mis en place progressivement, ce qui me paraît particulièrement préoccupant. Je préférerais que ce soit tout de suite. En conséquence, je propose de repousser d'un an, du 1er janvier 2021 au 1er janvier 2022, la date à partir de laquelle les dons et versements seront soumis à cette nouvelle obligation, afin de permettre à la DGFiP de mettre en service ce portail numérique dès les premières déclarations.
L'article 12 élargit la liste des infractions susceptibles d'entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons, versements et legs en cas de condamnation pénale définitive d'un organisme sans but lucratif. En l'état actuel du droit, la suspension des avantages fiscaux accordés aux contribuables versant des dons à des organismes sans but lucratif définitivement condamnés n'est prévue qu'en cas de condamnation pour abus de confiance ou escroquerie. Les nouvelles infractions concernées comprennent à la fois des infractions faisant peser une menace grave sur la société, comme le terrorisme ou l'usage de menaces à l'égard d'un agent public, et des infractions de nature économique, comme le blanchiment d'argent ou le recel.
L'Assemblée nationale a également adopté un amendement ajoutant le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse à cette liste. Toutefois, cette dernière ne comportant que des manquements de nature économique ou faisant peser une menace grave sur la société, je propose, comme les rapporteurs de la commission des lois, la suppression de cette infraction de cette liste.
En outre, la condamnation doit concerner la personne morale et non les dirigeants de l'organisme. Les organismes sans but lucratif dont l'objet est de contester le droit à l'avortement et qui se rendraient coupables de ce délit ne sont de toute manière pas éligibles au régime fiscal du mécénat puisque leur activité ne répond à aucune des finalités prévues par la loi. La présence de cette infraction dans cette liste n'est donc pas utile.
De manière générale, l'effectivité de cet article devrait rester limitée. Ce dispositif est vraisemblablement peu connu, et son application passe par une information adéquate de l'administration fiscale par les magistrats.
Le nombre de condamnations pour l'ensemble des crimes et délits qui seront mentionnés à cette liste est inférieur à 100 chaque année. Au vu du faible enjeu et de la rareté des condamnations, la mise en place d'une coordination efficace me paraît peu probable.
J'en terminerai avec l'article 46, qui concerne le droit d'opposition de Tracfin. Là-encore, l'extension du pouvoir d'opposition prévue par cet article va au-delà de la lutte contre les séparatismes, mais concerne l'ensemble des infractions soumises à la surveillance du service de renseignement « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins » (Tracfin).
Lorsqu'un professionnel assujetti aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme signale à Tracfin une opération douteuse, Tracfin peut exercer son pouvoir d'opposition et demander à ce que l'opération soit bloquée pendant 10 jours. Ce délai doit permettre à l'autorité judiciaire de bloquer les fonds. Les obligations de confidentialité sont très fortes, toute révélation de l'exercice du droit d'opposition par un professionnel assujetti constituant désormais, hors exceptions prévues par la loi, une infraction pénale punie de 22 500 euros d'amende.
Cette prérogative, Tracfin l'utilise avec parcimonie. D'après son rapport d'activité pour l'année 2019, le service a usé de son droit d'opposition à 93 reprises entre 2013 et 2019, dont sept fois en 2018 et 11 fois en 2019. La hausse marquée de l'exercice du droit d'opposition en 2020, avec 50 occurrences, s'explique par la mobilisation de Tracfin dans la lutte contre la fraude au dispositif du chômage partiel mis en place pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire et économique. En 2019, 95 732 déclarations de soupçon ont été adressées par les professionnels assujettis, pour 11 exercices du droit d'opposition et 3 738 notes de transmissions judiciaires, administratives et en renseignement envoyées. Le droit d'opposition n'est donc activé qu'en cas de risque imminent d'évasion des fonds et des capitaux, notamment vers l'étranger, ou de risque de dissipation des fonds.
En l'état du droit, Tracfin ne peut exercer son droit d'opposition que sur une seule opération, après une déclaration de soupçon. Cette limitation entraine avec elle deux écueils : la somme visée par l'opération signalée peut être inférieure au montant total des fonds pour lesquels il existe un soupçon d'origine frauduleuse ; la personne dont l'opération a été reportée du fait de l'exercice du droit d'opposition pourrait tenter de procéder de manière différente pour disposer des fonds.
Pour renforcer son efficacité, l'article 46 propose d'étendre par anticipation l'opposition aux opérations liées à l'opération sur laquelle il existe un doute, sans que les assujettis n'aient besoin de faire un nouveau signalement. Cette extension présente trois avantages : alléger les contraintes pesant sur Tracfin ; sécuriser les saisies pénales ; simplifier la conduite à tenir pour les assujettis professionnels.
Deux modifications ont été adoptées à l'Assemblée nationale. La première ne pose pas de difficulté : elle vise à délier les assujettis de leur obligation de confidentialité dans un cas bien précis, celui de signaler à l'autorité judiciaire, lorsqu'une action en responsabilité est intentée contre eux pour une opération non exécutée, qu'ils ont reçu une demande d'opposition de Tracfin.
La seconde modification pose davantage de difficulté et je vous proposerai un amendement pour la supprimer, amendement identique à celui proposé par les rapporteurs de la commission des lois. Les députés ont souhaité ajouter que les assujettis ne pouvaient bloquer l'opération que sous la réserve que cela leur soit possible, dans des conditions définies par décret. Or, comme l'a rappelé la directrice de Tracfin, cette précaution n'existait pas auparavant et cela n'a jamais posé aucune difficulté. Je considère que l'élargissement du droit d'opposition de Tracfin, pour lutter contre l'évasion ou la dissipation de fonds douteux, ne doit pas s'accompagner de son affaiblissement.
J'apprécie l'approche d'Albéric de Montgolfier qui consiste à être posé et pragmatique, à analyser chacun des dispositifs et à circonscrire les débats. Notre rôle est de conserver une forme de mesure lorsqu'on aborde ces sujets de fond. Je souscris donc aux amendements portant sur la nécessité de prévoir un délai minimum d'adaptation, afin de trouver des solutions tout en évitant la confrontation.
En l'absence d'autre intervention, je propose de passer à l'examen des amendements.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 10
Le premier amendement vise à reporter l'entrée en vigueur de l'article 10 au 1er janvier 2022 afin de permettre aux associations de se préparer à ce nouveau contrôle et à la direction générale des finances publiques (DGFiP) d'affiner sa doctrine sur les critères d'éligibilité des organismes au régime du mécénat. La notion d'association recouvre des réalités très différentes. Toutes ne disposent pas des mêmes moyens, certaines associations sont de taille très limitée. Elles doivent donc pouvoir bénéficier d'une période d'adaptation. En outre, je doute que la DGFiP ait la capacité de répondre à un afflux massif de demandes de rescrit. Je rappelle qu'il y a environ 6 500 demandes par an, mais 1,5 million d'associations en France.
Pourquoi ne pas avoir envisagé de mettre en place un seuil ? Seules les associations d'une certaine taille auraient pu être concernées par l'article 10.
La Cour des comptes s'est prononcée sur le sujet de l'éligibilité des organismes bénéficiaires de dons et de versements au régime du mécénat par l'intermédiaire d'un référé sur la fiscalité des dons en faveur des associations. La DGFiP est selon moi dans l'incapacité complète de traiter le nombre potentiel de rescrits qui découleraient de la mise en place de l'article 10, même en retenant des seuils. Actuellement, les demandes de rescrits sont traitées au niveau départemental, par le correspondant « association » de la DGFiP. Pour les associations les plus importantes ou pour les sujets les plus complexes, ces demandes sont traitées au niveau national.
L'amendement COM-406 est adopté.
Article 11
Le deuxième amendement repousse au 1?er? janvier 2022 la date de prise en compte des premiers dons et versements soumis à la nouvelle obligation annuelle de déclaration pour les associations. Il permettra également à la DGFiP de préparer la mise en oeuvre de l'article 11, en instaurant un portail numérique simplifié pour les déclarations des organismes bénéficiaires de dons et de versements.
L'amendement COM-407 est adopté.
Article 12
Le troisième amendement est identique à celui déposé par la commission des lois. Il propose la suppression du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse de la liste des infractions susceptibles d'entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons, versements et legs en cas de condamnation pénale définitive d'une association.
L'amendement COM-408 est adopté.
Article 46
Le dernier amendement est un amendement portant sur le droit d'opposition de Tracfin. Il vise à revenir à la rédaction antérieure de l'alinéa 4 de l'article 46.
L'amendement COM-409 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 10, 11, 12 et 46 du projet de loi confortant le respect des principes de la République sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Avec le rapporteur général, nous avons assisté aux deux dernières réunions de la conférence interparlementaire semestrielle, appelée « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union européenne. En raison des restrictions sanitaires, elles se sont tenues par visioconférence et non à Berlin et à Bruxelles comme cela aurait dû être le cas.
Pour mémoire, ces conférences visent à permettre aux parlements nationaux d'exercer un contrôle sur l'application des règles de gouvernance budgétaire et financière de l'Union européenne. Elles réunissent des délégations de parlementaires de l'ensemble des États membres, des députés européens, ainsi que des représentants des institutions européennes.
Je laisse tout d'abord la parole au rapporteur général pour vous présenter celle du 12 octobre dernier, à laquelle il a assisté ainsi que notre collègue Christine Lavarde, et j'interviendrai ensuite pour évoquer celle du mois de février, et pour présenter quelques enseignements que nous en tirons.
L'ordre du jour de la session d'octobre était construit autour de trois temps d'échanges. La matinée était dédiée à l'articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Les deux conférences de l'après-midi traitaient respectivement des règles budgétaires européennes et de la relance européenne dans un contexte de crise.
Dans son allocation de bienvenue, le Président du Bundestag allemand, Wolfgang Schäuble, a insisté sur la nécessité d'utiliser la crise actuelle comme un vecteur de changement. En effet, il a d'abord fait le constat d'une perte de confiance des citoyens dans la capacité des institutions européennes à résoudre leurs difficultés. Il a estimé que la résolution de la crise passerait par une plus grande implication de l'Union européenne dans les domaines dans lesquels elle peut être la plus utile, en distinguant mieux ce qui relève de sa compétence de ce qui doit être traité par les États membres. S'agissant de la politique budgétaire, il a souligné que la difficulté de toute politique expansionniste était d'identifier le bon moment pour pouvoir ralentir le rythme du soutien à l'économie, au risque de la fragiliser en phase de reprise. Si ces propos ont été tenus il y a déjà cinq mois maintenant, il est évident que la question de la sortie des dispositifs de soutien à l'économie se posera toujours avec une acuité particulière, dès lors que la situation sanitaire nous aura permis d'aller de l'avant.
Ensuite, la première session dédiée à l'articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire au sein de l'Union européenne a été marquée par l'intervention d'Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE. Elle a rappelé que la politique monétaire ne pouvait pas déployer tout son potentiel sans une politique budgétaire ambitieuse, les deux étant complémentaires. En effet, une politique budgétaire expansionniste, visant à soutenir la demande et la production, ne peut produire ses effets en cas de hausse des taux d'intérêt, ce qui justifie la conduite d'une politique monétaire expansionniste. À l'inverse, la politique budgétaire renforce la portée de la politique monétaire dès lors qu'elle permet de résoudre les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro.
Certains parlementaires, notamment italiens, n'ont pas manqué de rappeler que la crise de la covid-19 nous prouvait, une fois de plus, à quel point les économies européennes étaient dépendantes les unes des autres, et que la simple coordination des politiques budgétaires nationales ne suffisait plus. Cette intervention faisait évidemment écho aux espoirs placés par l'Italie dans le plan de relance européen, âprement négocié entre les États membres.
La session suivante, dédiée à l'avenir des règles budgétaires européennes, a constitué l'occasion, pour certains parlementaires nationaux, d'exposer leurs inquiétudes quant à une éventuelle « fuite en avant » pour les finances publiques des États membres. Alors que la Commission européenne avait lancé une consultation sur la réforme de ces règles budgétaires, la crise sanitaire a éclipsé ce débat, au profit de l'activation de la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance.
Paolo Gentiloni, commissaire européen à l'économie, et Klaus Regling, directeur général du mécanisme européen de stabilité, se sont tous les deux accordés pour dire que la suppression totale des règles budgétaires n'était pas à l'étude. Certes, si ces règles ont vécu, elles avaient, d'après Paolo Gentiloni, quand même eu le mérite de pouvoir s'adapter à une crise d'une ampleur inédite. Il a néanmoins poursuivi en indiquant que la relance économique européenne devra être articulée avec les ambitions européennes en matière de transition énergétique, ce qui nécessitera des investissements publics coûteux et de long terme, et imposera la révision de ce cadre budgétaire européen.
Enfin, la dernière session portait sur les prochaines étapes de la relance économique. Le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, a surtout insisté sur la mise en oeuvre de l'instrument de relance européen « Next Generation EU», tout en concédant qu'un accord entre le Parlement et le Conseil était alors difficile à conclure. Depuis ce débat, ces divergences ont été surmontées, et nous avons pu examiner en janvier dernier le projet de loi autorisant l'approbation de la décision « ressources propres ».
S'agissant de la dernière réunion de la conférence interparlementaire, le 22 février dernier, la séance plénière d'ouverture était dédiée aux priorités politiques des investissements à réaliser pour relancer l'économie. Les différentes interventions ont relayé des constats déjà avancés lors de la conférence du mois d'octobre.
Le président du Parlement européen, David Maria Sassoli a introduit les échanges en rappelant que les citoyens européens n'étaient pas tous égaux face à la crise de la covid-19. Il a déclaré que l'accord sur le plan de relance européen était historique car, pour la première fois, des transferts budgétaires massifs allaient être mis en oeuvre entre les États membres.
Par la suite, le président du Parlement portugais, Eduardo Ferro Rodrigues, a estimé que si l'accord sur la mise en oeuvre du plan de relance européen constituait en effet un premier pas, l'introduction de nouvelles ressources propres, l'évolution du pacte de stabilité et de croissance et l'achèvement de l'union bancaire étaient indispensables pour surmonter la crise actuelle. Il a appelé à éviter l'austérité qui pourrait entraîner un effet contracyclique préjudiciable à la reprise, et a souligné, comme tous les intervenants, le caractère crucial des investissements publics et de la recherche et développement pour renouer avec la croissance potentielle.
Plusieurs intervenants ont particulièrement insisté sur les conséquences sociales de la crise sanitaire. Ainsi, le secrétaire général des nations unies, Antonio Guterres, est brièvement intervenu pour rappeler que la crise sanitaire avait accentué les inégalités à travers le monde. Face à ce constat, il a estimé que l'instrument de relance européen constituait une réponse intéressante. De son côté, le président du Conseil européen, Charles Michel, a considéré que la crise constituait une opportunité pour changer de modèle économique et social, et a appelé les parlementaires nationaux à veiller à ce que chaque euro national et européen serve à relancer l'économie et la cohésion sociale. Enfin, la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen, après avoir longuement détaillé des exemples de financements pouvant être apportés par l'instrument de relance, a rappelé que l'objectif de la commission était de soutenir une croissance plus inclusive. Après avoir estimé que le moment d'apporter une dimension sociale à la relance était venu, elle a annoncé la présentation du plan d'action pour la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux.
Enfin, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a réaffirmé que la BCE continuerait à soutenir les économies européennes, tout en soulignant que la capacité politique de l'Union européenne à répondre à la crise dépendait aussi de l'articulation des politiques nationales.
J'ai ensuite assisté aux débats de la commission des budgets du Parlement européen, dont le thème était celui de l'implication des parlements nationaux et du Parlement européen dans la relance économique et la mobilisation du budget européen.
Le président de la commission, Johan Van Overtveldt, a rappelé l'importance du dialogue entre le Parlement européen et les parlements nationaux dans la réponse à la crise, en estimant qu'il fallait éviter qu'une carence de celui-ci n'alimente les dissensions entre les États membres.
Dans son propos liminaire, le commissaire européen au budget, Johannes Hahn, a présenté les prochaines étapes de la mise en oeuvre de l'instrument de relance. Une fois la décision « ressources propres » ratifiée par l'ensemble des États membres, la Commission européenne pourra lever les ressources nécessaires sur les marchés financiers. En parallèle, la Commission a déjà entamé un dialogue avec les États membres sur leur plan national de relance et de résilience, qu'ils doivent formellement transmettre avant fin avril. L'objectif de la Commission est de pouvoir émettre 150 à 200 milliards d'euros d'obligations sur les marchés d'ici à la fin de l'année, ce qui nécessitera une ingénierie financière et opérationnelle considérable.
Plusieurs parlementaires européens et nationaux ont exprimé une vive inquiétude quant au calendrier de la mise en oeuvre du plan de relance européen. Ainsi, les députés européens Jan Olbrycht et Pierre Larrouturou ont rappelé que tout retard dans la ratification de la décision « ressources propres » augmenterait le délai pour engager les fonds dédiés à la relance et que l'introduction de nouvelles ressources propres ouvrait la perspective d'alléger le coût de la relance pour les budgets nationaux.
Enfin, plusieurs interventions, dont celle du rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin, ont déploré le manque d'association et d'information des parlements nationaux, mais également des autorités locales, sur la mise en oeuvre du plan de relance européen. Un parlementaire allemand a appelé de ses voeux une meilleure prise en compte de l'échelon régional dans la mise en oeuvre du plan de relance européen, en particulier pour les enjeux frontaliers.
En conclusion, mes chers collègues, je dirais que sur le fond, ces échanges ont été utiles en ce qu'ils ont permis de « prendre le pouls » de la conjoncture européenne à la fin de l'année 2020 et en ce début d'année 2021, et de mieux cerner les difficultés rencontrées par nos homologues européens dans ce contexte de crise sanitaire.
Sur la forme, comme c'est le cas malheureusement dans la plupart des conférences internationales, la portée des échanges a cependant été limitée par la succession d'interventions en « silo », et les aléas de la traduction. L'organisation en visioconférence de ce type d'évènement ne contribue pas à l'améliorer. En particulier, il est regrettable que certaines interventions entières n'aient pas été traduites, en raison de la qualité médiocre du son.
Ces conférences sont pourtant une opportunité unique pour les parlementaires nationaux d'échanger sur les enjeux budgétaires et financiers de l'Union européenne. Nous pouvons également nous réjouir que cette conférence soit devenue, au fil des ans et malgré ses défauts, un rendez-vous incontournable.
Le Président du Sénat a récemment saisi les présidents des commissions permanentes en vue de l'organisation du volet parlementaire, et notamment sénatorial, de la présidence française de l'Union européenne, qui se déroulera au premier semestre 2022. Une réunion se tiendra tout à l'heure sur ce sujet. Je lui ai d'ores et déjà indiqué que la conférence de l'article 13 qui aura lieu en février 2022 devrait être le cadre pour échanger sur les sujets au coeur des compétences de la commission des finances, et que pourrait notamment y être abordée la réforme des règles budgétaires européennes, compte tenu de l'importance de ce débat pour la sortie de crise économique ; l'introduction de nouvelles ressources propres permettant de soulager les budgets nationaux face au remboursement du plan de relance européen ainsi qu'un premier bilan de la mise en oeuvre du plan de relance européen. Nous devons également nous saisir de cette opportunité pour apporter des améliorations techniques à cette conférence, afin de favoriser les débats.
Pour avoir déjà participé à la « conférence de l'article 13 », je sais qu'elle peut être difficile à suivre, même en présentiel. Parmi les sujets que vous avez évoqués, deux me semblent particulièrement importants. Le premier concerne la relation entre les institutions européennes et les parlements nationaux, un thème que l'on retrouve chez tous les parlementaires nationaux et qui est de plus en plus prégnant - nous l'avons vu ici lors de la discussion de la décision ressources propres.
Le deuxième point que je souhaite souligner concerne les questions liées aux règles budgétaires européennes, et donc au Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce point va devenir de plus en plus pressant et qui relève pleinement du champ de compétences de la commission des finances. On sait d'ores et déjà que le PSC sera un sujet ouvert après l'échéance de 2022 et la fin de la suspension de ses règles.
La position française, qui tendrait à donner encore un an ou deux pour assouplir les règles budgétaires, n'est pas forcément partagée par tous, et je pense ici aux Allemands. Or, si on veut que le plan de relance européen soit complètement opérationnel au plan national, on aura sans doute besoin de cet ajustement des règles budgétaires européennes. Certains pays ont certes une marge de manoeuvre budgétaire sur d'autres, mais le débat est loin d'être terminé et la position française loin d'être la position retenue.
Pour l'organisation de la conférence de l'article 13 en 2022, il nous reviendra de produire un peu plus de travail en amont pour produire des travaux de synthèse, pour sortir de la logique des « silos » et pour mieux lier les interventions entre elles.
Il faut effectivement opérer ce travail en amont de la « conférence de l'article 13 » et je suis tout à fait prêt à y apporter l'aide et le soutien de la commission des affaires européennes.
L'amélioration des modalités de la « conférence de l'article 13 » me semble en effet primordiale. Je pense par exemple aux décalages dans les traductions : la perte en ligne est considérable, avec des traductions décalées ou indirectes, par l'intermédiaire de l'anglais. Ces soucis techniques nuisent à la qualité des échanges, malgré l'importance des sujets abordés.
La commission demande à se saisir pour avis de la proposition de loi n° 389 (2020-2021) tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, dont les articles 12 à 16 lui ont été délégués pour examen au fond par la commission des affaires économiques. Elle désigne Mme Christine Lavarde rapporteur pour avis.
La réunion est close à 17 h 25.