Je reviendrai plus tard sur les propos de M. Sueur. J'ai en effet une autre réponse à lui donner, qui n'est pas d'ordre budgétaire.
Ces moyens conséquents permettent de remplir le triple engagement - modernisation, accessibilité et efficacité de la justice - que le Gouvernement avait pris et qu'il renouvelle aujourd'hui devant vous.
Le premier engagement concerne la modernisation de la justice.
La justice doit responsabiliser ses acteurs. Comme l'ont souligné M. Roland du Luart, rapporteur spécial, et M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis, l'exemple le plus révélateur de cette modernisation est la maîtrise des frais de justice. Ces dépenses connaissaient une augmentation de 15 % à 20 % par an et avaient atteint 487 millions d'euros en 2005. En 2006, elles seront conformes aux prévisions et s'élèveront à 420 millions d'euros environ.
Mme Borvo Cohen-Seat a sans doute raison de dire que nous ne devons pas crier trop tôt victoire. Toutefois, pour moi, la victoire ne réside pas cette fois dans les chiffres, mais bien dans la philosophie de cette stabilisation, qui exige un changement dans les mentalités.
Un certain nombre de premiers présidents avaient élevé, lors de la rentrée solennelle de leurs juridictions, des doutes sérieux sur cette obligation budgétaire, qui aurait pu mettre en cause l'indépendance de la justice. Aujourd'hui, la preuve est faite que pas une seule fois cette contrainte n'a pesé sur l'activité juridictionnelle d'un magistrat. C'est important, et même essentiel. Sous ce rapport, nous avons gagné notre pari. Si, en outre, ce pari est gagné sur le plan financier, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Ce changement dans les mentalités et les procédures a été rendu possible par la très forte implication des chefs de cours, des magistrats et des fonctionnaires de justice qui gèrent de manière décentralisée les budgets des juridictions, dans le souci de l'économie et de la performance.
J'avais assuré que cette maîtrise budgétaire ne se ferait pas au détriment de la liberté d'initiative des magistrats et de la recherche de la vérité. Je crois pouvoir affirmer que nous y sommes parvenus.
En matière de responsabilisation des acteurs, vous m'avez demandé, monsieur Détraigne, ce que je comptais faire pour que les chefs de cours disposent des marges de manoeuvre qu'ils sont en droit d'attendre de la loi organique relative aux lois de finances.
Pour l'ensemble des acteurs concernés par cette loi, l'année 2006 a été une année d'apprentissage de nouveaux concepts.
Les chefs de cours sont devenus ordonnateurs des dépenses des juridictions, reprenant à leur compte une fonction précédemment exercée par les préfets. Ils disposent désormais d'un véritable pouvoir de gestion. À cet égard, je ne peux que regretter comme vous, monsieur du Luart, le non-transfert à la mission « Justice » des 200 équivalents temps plein correspondant à cette nouvelle responsabilité.
Je souhaite que les marges de manoeuvre budgétaires des chefs de cours, mais également des directeurs régionaux de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, soient augmentées, grâce à une évaluation initiale plus précise de leurs besoins, et qu'ils deviennent ainsi pleinement responsables de leurs décisions de gestion.
Dans la continuité de cette démarche de modernisation, je souhaite que la justice s'appuie sur les nouvelles technologies pour être plus performante.
J'ai ainsi ouvert, pour l'année qui vient, un chantier important : la numérisation des procédures pénales. Il s'agit de profiter de l'évolution des technologies pour assurer une plus grande fluidité dans le déroulement de ces procédures et l'accès en temps réel aux dossiers, tant pour les magistrats que pour les auxiliaires de justice. Avant la fin de l'année, plus d'une centaine de tribunaux de grande instance seront choisis eu vue de la première vague de cette numérisation, dont la mise en oeuvre sera progressive.
Enfin, l'ensemble des juridictions et les principaux établissements pénitentiaires devraient être équipés en visioconférence d'ici à la fin de cette année. Cette modernisation sera source d'économies importantes en termes tant de déplacements d'experts et de magistrats - notamment, monsieur Othily, dans les départements et territoires d'outre-mer - que de transfèrement de détenus. Elle permettra de limiter les risques liés à ces déplacements, notamment lors des auditions des détenus.
Je souhaite également, et c'est mon deuxième engagement, que la justice soit plus accessible pour tous les citoyens. L'accès au droit, et Dieu sait si nous en entendons parler actuellement, doit être favorisé, tout particulièrement le droit pour les plus démunis à disposer d'un avocat.
Sur ma proposition, le Premier ministre a décidé de faire un effort important en faveur des crédits de l'aide juridictionnelle, qui progresseront de 6, 6 %, soit 20 millions d'euros.
Cet effort, je le constate avec tristesse, est passé complètement inaperçu, la presse n'en a pas parlé, et j'ai même pu lire que rien n'avait été fait dans ce domaine depuis 2001. C'est totalement inexact, pour ne pas dire plus !
Certains d'entre vous ont noté que, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, cet effort financier était conséquent. Il était déjà important auparavant, comme l'a dit M. Mermaz.
Sur ces 20 millions d'euros, plus de 16 millions sont consacrés exclusivement à la revalorisation de l'unité de valeur, qui permet de fixer la rétribution des avocats. Le solde permet de financer la poursuite des actions d'amélioration d'une défense de qualité engagées en collaboration avec de nombreux barreaux, compte tenu de la stabilisation du nombre d'admissions au titre de l'aide juridictionnelle. Des pays comparables au nôtre font nettement moins bien.
La France, et c'est toute la différence avec la Grande-Bretagne, compte près de 900 000 bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. Le problème tient moins au montant des crédits alloués à cette aide juridictionnelle qu'au nombre des bénéficiaires, car des crédits même importants peuvent ne pas se traduire par une rétribution des avocats importante s'ils sont divisés entre un très grand nombre de bénéficiaires. À cet égard, j'ai pris une initiative dont je vous parlerai ultérieurement.
Vous vous prononcerez dans quelques instants sur plusieurs amendements tendant à augmenter cet effort. Je peux d'ores et déjà vous dire que je suis favorable à ceux dont l'objet est une augmentation complémentaire compatible avec l'équilibre budgétaire des autres programmes de la mission « Justice ».
Auparavant, je souhaite rappeler que, depuis 2001, plusieurs réformes sont intervenues afin d'améliorer la rétribution de l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle, soit par des revalorisations de l'unité de valeur, soit par une revalorisation du barème de leurs interventions. Ceux qui nous critiquent oublient trop souvent ce second volet.
Ces réformes ont abouti à une revalorisation de plus de 50 % de la contribution de l'État aux missions d'aide juridictionnelle entre 2001 et 2007. Je n'ai lu cette information nulle part et je pense que beaucoup d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ignoraient aussi. Les journaux font tout pour donner le sentiment que rien n'a été fait, ce qui est totalement inexact, comme je le disais.
Les dépenses d'aide juridictionnelle pèsent de plus en plus lourd dans les finances publiques, alors même que le fonctionnement de cette aide est critiqué par de nombreux avocats. J'ai donc proposé d'ouvrir dans les prochaines semaines une réflexion d'ensemble sur le sujet dans le cadre d'assises de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit qui réuniront l'ensemble des acteurs concernés et porteront sur l'avenir de l'aide juridique, qu'il s'agisse des niveaux de rétribution de la profession d'avocat, de la reconnaissance d'une défense de qualité ou de la coordination de l'aide juridictionnelle avec l'assurance de protection juridique.