Intervention de Jérôme Durain

Réunion du 16 mars 2021 à 14h30
Sécurité globale — Discussion générale

Photo de Jérôme DurainJérôme Durain :

… qui ont décrit la genèse de cette proposition de loi avec force détails. Pour résumer, nous avons affaire à une proposition de loi écrite par deux députés puis modifiée par le ministre de l’intérieur, avant qu’un article problématique, l’article 24, ne devienne l’objet des convoitises de différents collectifs, se caractérisant d’abord par l’irrespect de la procédure parlementaire ; on se souvient du groupe de travail ; on n’est pas loin du « séparatisme » constitutionnel…

La place Beauvau a multiplié, ces dernières années, les manœuvres de diversion. Dois-je le rappeler, ce texte arrive après un schéma national du maintien de l’ordre. Dois-je le rappeler, ce texte arrive avant un « Beauvau de la sécurité », qui démontre la non-pertinence du fameux « continuum de sécurité », puisque n’y interviennent que des représentants de la police nationale et de la gendarmerie, laissant police municipale et sécurité privée sur le pas de la porte… Dois-je le rappeler, nous aurons, après cela, un projet de loi pluriannuelle de programmation, si nous n’avons pas, auparavant, un texte contre les bandes, un autre contre les feux d’artifice et, peut-être, si nous sommes sages, un troisième contre les islamo-gauchistes….

Le problème ne viendrait-il pas plutôt de l’incontinence législative en matière sécuritaire ? Un fait divers ? Une loi ! Un « tweet » de travers ? Une loi ! Le Conseil constitutionnel censure une loi ratée ? Tentons de la faire repasser ! Ce ras-le-bol lié à l’accumulation des lois, je l’ai entendu dans la bouche de tous mes interlocuteurs – policiers, avocats, juges, organisations non gouvernementales (ONG) – et ce n’est pas qu’une question de forme ; c’est une question de fond.

Ainsi, on nous dit qu’il existe déjà six dispositions législatives permettant de répondre aux problèmes que cherche à résoudre l’article 24 ; six ! Le Gouvernement en ajoute une autre avec cet article et se dit, par la suite, qu’il serait bon d’en ajouter une supplémentaire, avec l’article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Le Gouvernement peut être reconnaissant envers les rapporteurs d’avoir réécrit cet article 24. Pour sa part, le groupe socialiste n’a jamais demandé une telle réécriture ; cela expliquera notre manque d’entrain à appuyer votre travail en la matière, messieurs les rapporteurs ; n’en soyez pas choqués.

Chers collègues, je tombe dans le même panneau que bon nombre de commentateurs en évoquant, si tôt, l’article 24 du texte, mais cet article ne mérite pas un tel honneur ; nous lui ferons son affaire un peu plus tard…

Puisque nous en sommes au stade de la discussion générale, permettez-moi d’émettre quelques généralités.

Cette proposition de loi s’articule autour de la déclinaison du continuum de sécurité. Au travers des prises de position de ses rapporteurs, mais également de la délégation aux collectivités territoriales et des groupes d’opposition, le Sénat a déjà commencé à faire entendre la ligne de la chambre des territoires sur ce continuum de sécurité. Cette ligne, c’est que nous sommes quelque peu dubitatifs…

La complémentarité entre police nationale et police municipale est un objectif louable, mais la recherche de cette complémentarité ne doit pas dissimuler une tentative de défaussement de l’État ; c’est ce que craignent nombre de collectivités, non par manque de sens des responsabilités, mais d’abord en raison des inégalités territoriales et des différences dans la définition des rôles de la police municipale, selon les endroits.

Comment organiser un continuum, quand il n’y a pas de continuité, puisqu’il n’existe pas de police municipale partout et que cette police n’a pas, partout, les mêmes objectifs ni les mêmes moyens ? Comment assurer la continuité, quand certaines collectivités, plus riches et plus attrayantes, attireront mécaniquement le gros des groupes ? Le continuum de sécurité signifie-t-il que la police municipale de ma commune doit être considérée comme une force antiterroriste ou comme une police de la tranquillité et de la proximité ? Les responsabilités des policiers municipaux et celles des policiers nationaux se recoupent-elles ? Leurs membres sont-ils contrôlés de la même manière ?

Ces questions auxquelles nous apportons tous, dans cet hémicycle, une réponse différente démontrent que ce continuum ne va pas de soi. Celui-ci ne va même pas jusqu’au Beauvau de la sécurité, je l’ai rappelé précédemment, et je ne sais pas s’il va jusqu’à l’état-major de La République En Marche, puisque j’ai pu observer, le week-end dernier, qu’il fallait aussi envisager un continuum avec une police régionale, que des candidats marcheurs cherchent à populariser en vue des échéances du mois de juin…

L’encadrement de la sécurité privée, recherché au travers de ce texte, représente un objectif louable. Les forces de sécurité privée constituent une composante non négligeable de la sécurité dans notre pays. Que l’on s’en félicite ou non, c’est quelque chose de dorénavant ancré relativement profondément dans notre pays et il est bienvenu d’essayer d’améliorer les choses en la matière. Une réforme plus forte du Cnaps aurait sans doute été préférable et l’on pourra discuter des mesures précises en la matière, mais, sur la philosophie, nous sommes d’accord.

J’aborde maintenant ce qui constitue le troisième axe de ce texte : la question des images, seule solution trouvée pour aborder les rapports entre police et population dans ce texte.

On sait la frilosité traditionnelle du ministère en la matière : les citoyens et associations engagés n’ont ainsi pas été invités au Beauvau de la sécurité. Les caméras-piétons ne font pas disparaître les tensions entre la police et la population ; elles les documentent.

C’est d’ailleurs la même chose pour tout dispositif de captation vidéo : ce ne sont jamais des solutions miracles ; ce sont toujours des outils, non des fins en soi. Comme ce sont des outils, il faut en assurer une utilisation saine. Je salue d’ailleurs le travail de Loïc Hervé, dont la qualité de membre du collège de la CNIL a sans doute permis d’écrire des amendements souvent bienvenus. Sont-ils suffisants ? À gauche, nous en doutons.

Vous l’aurez compris, nous abordons l’examen de ce texte en étant critiques mais ouverts sur les améliorations que notre chambre pourra apporter. Cette loi de « sécurité bancale » n’appelle ni enthousiasme ni construction de barricades. Elle exige d’abord notre vigilance et notre travail, au cours de cette semaine d’examen. Police nationale, gendarmerie, police municipale, forces de sécurité privées, gardes champêtres, avocats, magistrats, citoyens engagés ; tous n’ont pas la même vision du monde, mais nous devons partir du principe qu’ils sont tous dans le même camp, pour reprendre, en les retournant, les propos d’un célèbre préfet.

La sécurité c’est l’affaire de tous, policiers avec citoyens, gendarmes avec juges, municipaux avec avocats et j’irais même jusqu’à dire : majorité avec oppositions ! La balle est donc dans votre camp, monsieur le ministre.

Puisque, depuis le début de l’examen de ce texte, on parle sans cesse de continuum, il faut instaurer non un simple mais un double continuum : pour les policiers et les forces de sécurité intérieure, un continuum entre clarté, sens des missions, encadrement, formation et moyens sécurisés ; pour les citoyens, un continuum entre sécurité, liberté, lisibilité et égalité territoriale.

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