Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 16 mars 2021 à 21h30
Sécurité globale — Article 4

Gérald Darmanin :

Je souhaite intervenir à ce moment important du débat sur une mesure que l’on peut qualifier d’historique, car les élus parisiens l’attendent depuis longtemps. Elle fait désormais l’unanimité ou presque, et le Gouvernement souhaite la soutenir.

Que ce soit sous l’Empire ou même le Consulat, sans parler de l’épisode de la Commune, qui n’a pas arrangé la situation, jamais personne n’a souhaité confier des pouvoirs de sûreté ou de police à la ville capitale. La mesure est donc doublement historique.

Je souhaite cependant revenir sur plusieurs points de désaccord avec le sénateur Dominati. Si nous n’entreprenons pas la réforme qu’il a mentionnée, ce n’est pas par manque de temps, mais pour des raisons qui tiennent à une divergence politique.

Premièrement, la Ville de Paris est une collectivité sui generis. Elle a été la première et la seule à bénéficier du statut de commune, comme capitale du pays, tout en ayant un conseil départemental. Les statuts ont certes évolué, mais la différence avec les autres villes persiste. Par conséquent, la comparaison avec Lyon, Marseille ou même la Corse ne peut être qu’un argument de tribune. Monsieur le sénateur, vous avez bien trop de culture sur les affaires politiques parisiennes – et corses ! §– pour ne pas vous rendre compte que la comparaison ne tient pas !

La préfète de police de Marseille et le coordonnateur pour la sécurité en Corse – vous constatez déjà la différence – n’ont évidemment pas les mêmes compétences que le préfet de police de Paris.

Ainsi, la préfète de police de Marseille dispose d’importantes compétences, mais elle ne se substitue pas au préfet du département, alors que le préfet de police de Paris est en même temps le préfet du département de la Seine. À l’inverse, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui est aussi le préfet des Bouches-du-Rhône, n’est pas préfet de la ville capitale de la région.

Quant à la Corse, la situation n’est pas comparable puisqu’il revient à un coordonnateur pour la sécurité d’intervenir, qui est en général un sous-préfet.

Enfin, je ne suis pas certain que Marseille ait quoi que ce soit à envier à Paris pour ce qui est de la réussite de sa politique de sécurité, ce qui ne signifie pas que je sous-estime les difficultés de la capitale.

Deuxièmement, si l’État, pendant très longtemps, n’a pas souhaité donner de pouvoirs de police à la Ville de Paris, c’est parce que cette dernière s’est confondue avec le pouvoir central, avec la Nation française, et même avec ses institutions, jusqu’à son drapeau.

Les lieux symboliques et effectifs du pouvoir étaient tous situés à Paris, à tel point que le général de Gaulle a voulu, à un moment, dit-on, déménager de Paris. En effet, qu’ont fait les suzerains ou les présidents en proie à des difficultés, sinon partir de la capitale ?

À Paris, également, les manifestations sur la voie publique ont une portée incomparable par rapport à celles qui se tiennent dans le reste du territoire. Le week-end dernier, en pleine période de covid, les gendarmes mobiles et les CRS ont été mobilisés pour assurer le maintien de l’ordre alors que seize manifestations avaient été déclarées dans la capitale !

Par conséquent, on ne peut pas réduire Paris à n’être qu’une ville plus grande que les grandes villes de province – dont je connais l’importance, car je suis provincial. La capitale se caractérise non seulement par la concentration des lieux de pouvoir et la présence du pouvoir suprême, mais aussi par la concentration du pouvoir économique, et par celle des transports, car, dans la tradition jacobine, la capitale est au centre du réseau ferroviaire, aérien et routier.

Paris concentre aussi tout ce qui relève des atteintes à l’ordre public. Sans vouloir aller trop loin dans une comparaison mortifère qui blesserait les villes de province touchées par le terrorisme, depuis plus de trente ans, la plupart des attentats ont eu lieu à Paris.

Paris n’est donc pas une ville comme les autres.

Au moment où des débats ont cours sur l’introduction du suffrage universel dans la métropole parisienne, même si je précise qu’il n’y a aucun projet gouvernemental dans les cartons du ministère de l’intérieur, est-il raisonnable de créer une concurrence avec le pouvoir central en donnant davantage de prérogatives à la maire de Paris ?

Depuis Napoléon, et même Colbert avant lui, jusqu’à la Commune, Paris a toujours été jugée comme trop éruptive, révolutionnaire et contestataire pour qu’on puisse lui accorder des pouvoirs de police. Telle est la perspective historique dans laquelle s’inscrit cette proposition de loi.

Troisièmement, la police municipale de Paris sera ce que les élus de Paris voudront en faire. En effet, c’est au Conseil de Paris qu’il appartient de délibérer pour la créer.

Même si sur le fond, nous travaillons en bonne entente avec Mme la maire, nous avons un désaccord de forme sur ce point. Selon nous, il revient à un décret en Conseil d’État de préciser le statut de la police municipale, mais c’est le Conseil de Paris qui légitimement la crée.

Dans la mesure où le Gouvernement respecte les collectivités locales, au premier rang desquelles la capitale, nous considérons qu’il appartient à la Ville de Paris de fixer l’organisation de sa police municipale.

Monsieur le sénateur Charon, dans la mesure où je connais la vie parisienne, et compte tenu de la manière dont je conçois le rôle des polices municipales, je comprends votre émoi que celle de Paris ne soit pas armée. Ce choix est celui de la Ville de Paris. Il relèvera d’une délibération au Conseil de Paris. Vous pourrez donc exprimer vos dissensions avec Mme Hidalgo lors des débats à venir.

Quoi qu’il en soit, je ne souhaite pas qu’on oblige la Ville de Paris à avoir une police municipale armée. Cela vaut pour toutes les autres polices municipales de France.

Monsieur Bascher, cette police municipale favorisera l’égalité, à défaut d’un rééquilibrage entre les villes. Pour l’instant, ce sont les agents nationaux de la préfecture de police de Paris qui encadrent les nombreuses manifestations culturelles, sportives et récréatives que la Ville de Paris organise, qu’il s’agisse des festivals, de l’aménagement des quais en plage, ou même de la circulation. Ces policiers pourraient œuvrer non seulement en province, mais aussi pour lutter contre la délinquance qui se développe dans la capitale.

Enfin, monsieur le sénateur, il n’y a pas d’État dans l’État. J’ai confiance dans le préfet de police de Paris. Le jour où ce ne sera plus le cas, je proposerai au Président de la République de le remplacer.

Comme ministre de l’intérieur, j’ai la chance d’avoir sous mes ordres le directeur général de la gendarmerie nationale, le directeur général de la police nationale et le préfet de police de Paris, avec lequel je m’entretiens chaque semaine, sinon plus, au sujet d’affaires qui concernent spécifiquement Paris et les trois départements franciliens de la petite couronne.

Je puis vous assurer que mon ministère est aux côtés du préfet de police pour toutes les instructions qu’il peut donner, tous les comptes rendus qu’il établit, toutes les nominations, suspensions ou passages en conseil de discipline, tous les modes d’organisation de l’ordre public, toutes les demandes formulées par les CRS et les gendarmes mobiles mobilisés périodiquement dans la ville capitale.

L’État profond n’existe que quand les politiques ne font pas leur travail de politiques. Lorsque j’ai repris la présidente Assassi, alors qu’elle évoquait le préfet Lallement, ce n’était pas pour l’attaquer personnellement. Cependant, les hauts fonctionnaires sont placés sous mon autorité, de sorte que toutes les dispositions qu’ils prennent relèvent de ma responsabilité. Par conséquent, tant que je ne propose pas au Président de la République de remplacer le préfet de police de Paris, j’assume la responsabilité de ses décisions.

N’allez pas laisser croire à nos concitoyens qu’il existerait un pouvoir secret, en dehors du contre-pouvoir que représente le contrôle du Parlement, que je respecte, car je suis très attaché à la Ve République. Il n’y aura d’État dans l’État que le jour où les politiques se comporteront comme des technocrates. Je ne crois pas que ce soit mon cas.

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