Intervention de Hélène Furnon-Petrescu

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 février 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux : enjeux et spécificités

Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je suis très heureuse d'être présente ce matin, en compagnie d'acteurs concernés par la réflexion, l'étude et les réponses sur ce thème. Je suis honorée d'être la première intervenante. Je souhaiterais livrer quelques réflexions sur les spécificités des situations ou des réponses à apporter dans les territoires. Je nourrirai mes éléments de réflexion d'exemples d'actions conduites sur les territoires par les personnes travaillant au sein de nos réseaux régionaux et départementaux qui déploient des trésors d'inventivité et d'ingénierie pour apporter des réponses à des situations certes diversifiées, mais présentant cependant certains traits communs s'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes et la ruralité.

Les femmes et les filles en milieu rural sont confrontées à des formes multiples, spécifiques, croisées, de discriminations, d'injustices et de violences. Elles présentent des traits particuliers soulignant la pertinence du thème de ce matin. Elles peuvent subir des formes particulières de pauvreté et d'exclusion. Je mentionnerai par exemple, sans aller plus loin sur ce point, la discrimination dans l'accès à la propriété foncière. Elles assurent la majeure partie des soins non rémunérés et du travail domestique dans les familles et dans les ménages. Elles peuvent connaître un moindre accès aux services de santé ou à des informations et services d'ordre général concernant leurs droits en matière de santé sexuelle. Je me garde de faire des généralités, mais elles peuvent avoir un accès plus restreint à la justice, aux infrastructures, aux services et opportunités, que les femmes des milieux urbains.

Si les violences au sein du couple touchent tous les milieux sociaux et toutes les zones du territoire, nous pouvons peut-être considérer que les victimes vivant en milieu rural sont confrontées à des difficultés supplémentaires. Je voudrais rappeler - mes collègues de la Gendarmerie en parleront mieux que moi - que la moitié des féminicides ont lieu en milieu rural. En France, trois quarts des bassins de vie sont ruraux. Ils représentent 78 % de la superficie du pays, et sont occupés par environ 31 % de la population. Ils concentrent 47 % des féminicides. Je ne suis pas statisticienne, mais nous pouvons donc considérer qu'il existe une occurrence des féminicides un peu plus élevée dans les milieux ruraux.

Les problématiques spécifiques relèvent du fait que les victimes dans les zones rurales sont plus isolées, puisqu'il s'agit de zones à moindre densité, mais également plus exposées, peut-être moins informées ou sans doute moins protégées. Ces constats ne résultent pas de volontés mais simplement de conséquences de situations et de contraintes matérielles. L'isolement est plus accentué en raison de la proximité, de la promiscuité, et d'une moindre anonymisation. Dans les faits, cela peut limiter la libération de la parole, favoriser un contrôle renforcé des auteurs des violences, et rendre plus difficile un dépôt de plainte ou la possibilité de se confier à un professionnel.

La prévenance des stéréotypes sexistes est certainement plus importante dans un milieu parfois encore patriarcal. La minimisation des violences accroît la honte et la stigmatisation, ce qui renforce le repli des victimes. Une moindre connaissance des droits et des dispositifs de prise en charge existants s'ajoute à des voies de recours moins aisées en raison des distances ou des moyens d'accès. Enfin, une certaine précarité économique et financière peut être accentuée, en particulier dans certaines catégories socioprofessionnelles. Je pense aux agricultrices, dont les reconnaissances statutaires ont certes progressé mais doivent encore être améliorées. Cela peut accentuer une dépendance vis-à-vis de l'auteur des violences.

La réflexion porte bien entendu sur les propositions d'actions déjà à l'oeuvre, en cours d'expérimentation ou d'application, ou celles qui pourraient et devraient être amplifiées. Nous devons développer des actions de prévention et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles. Je pense notamment aux établissements scolaires et à toutes les structures d'enseignement et d'éducation, telles que les maisons familiales rurales (MFR), pour lutter contre la banalisation des violences. Il est important de le faire.

Il est essentiel de renforcer la communication pour mieux faire connaître les droits et les dispositifs de recours. Il s'agit d'entrer dans une démarche proactive afin de rompre l'isolement des victimes. Un certain nombre d'expériences très intéressantes sont conduites dans ce domaine. Je peux vous en citer deux. Dans le Gers et dans le Tarn-et-Garonne, mais également dans d'autres départements, des campagnes d'information et de communication ont été mises en place au travers de pochettes d'emballage de médicaments. Elles comportent des informations sur les dispositifs existants, tant au niveau national que départemental. L'accès aux professionnels de santé constitue un enjeu important. La même campagne a été menée sur 80 000 emballages de pain dans le Gers, avec l'aide d'artisans boulangers. De nombreuses personnes ont ainsi pu être sensibilisées, parmi lesquelles des proches de victimes. Le réseau d'alerte et d'appui est bien évidemment composé des victimes et de leur entourage.

Nous pouvons établir un diagnostic des dispositifs et acteurs existants sur le territoire pour agir et renforcer le maillage territorial. Quelles sont ses faiblesses ? Où doit-il être renforcé ? Une expérience a été menée en Normandie sous l'égide de la Direction régionale aux droits des femmes avec le réseau des délégués régionaux et départementaux, l'agence régionale de santé (ARS), ainsi que l'ensemble des professionnels de santé. Un travail très important a été réalisé.

Il est possible de développer des lieux de permanence pour les associations n'ayant pas les moyens d'ouvrir des centres d'accueil sur tout le territoire, au sein d'autres sites tels que des mairies ou des Maisons France Services. Mme Husson en parlera mieux que moi, mais je peux citer la FNCIDFF qui a développé un partenariat avec le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), devenu Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Elle a impulsé la mise en place de permanences recevant un nombre élevé de personnes.

Le ministère chargé de l'égalité a mis en place des points d'accueil éphémères dans les centres commerciaux. Ils visent à informer les femmes et leur permettre de rencontrer des professionnels avec l'appui de nos partenaires associatifs. Nous en avons tiré un certain nombre d'enseignements nous incitant à poursuivre ce dispositif. Aujourd'hui, une quinzaine de points d'accueils de ce type sont ouverts dans les zones rurales ou semi-rurales, dans des départements tels que la Loire, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, l'Yonne, la Nièvre, l'Orne et la Creuse.

Voilà des exemples de dispositifs visant à « aller vers ». Nous pouvons également citer l'exemple d'un bus pour les femmes circulant en Indre-et-Loire depuis 2020. Il a pour objectif d'aller à la rencontre de femmes sur leur lieu de vie, pour leur apporter de l'information, les orienter, et mieux prévenir et repérer les femmes victimes de violences. Il délivre également une information sur l'accès aux droits, et peut repérer des situations de violences afin d'apporter la bonne réponse à ces situations.

Environ 80 % des femmes rencontrées dans ce cadre ont exprimé avoir été ou être victimes de violences, ou connaître une personne victime de violences dans leur entourage. Nous en concluons que ce type d'actions est important. En 2019, ce bus a rencontré 400 femmes et plus de 400 enfants pour renforcer le repérage et la prise en charge des victimes par des dispositifs de proximité et consolider le partenariat entre les différents acteurs représentés.

Nous pouvons également évoquer la conclusion de contrats locaux sur les violences sexistes et sexuelles. De nombreux outils et partenariats permettent aux services de l'État et à ses partenaires de se rencontrer régulièrement et de croiser des informations précieuses sur les territoires.

Nous développons également des réseaux dits « sentinelles » pour répondre au mieux aux besoins des femmes. Je vois que l'association Paroles de femmes est représentée aujourd'hui. Je pense à un exemple très intéressant dans le Tarn. Un réseau de relais a été mis en place depuis 2016 avec la déléguée départementale aux droits des femmes. L'implication des professionnels de santé, des collectivités territoriales, des forces de sécurité intérieure et de commerçants travaillant ensemble permet d'apporter des réponses. Je crois d'ailleurs, Madame Fournier, que vous avez proposé d'implanter cette méthode dans trois autres départements en 2021 : en Haute-Garonne, dans les Pyrénées-Orientales et la Lozère.

Il est extrêmement important de renforcer la formation professionnelle pour apporter des réponses à ces situations en zone rurale. Le développement des postes d'ISCG (Intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie) doit être encouragé. Je pense que mes collègues de la Gendarmerie s'exprimeront sur ce sujet. Les dispositifs favorisant la mobilité des victimes doivent être développés. Le programme budgétaire 137 finançant la lutte contre les violences faites aux femmes contribue au financement de dispositifs de mobilité depuis plusieurs années. C'est par exemple le cas dans l'Indre où un dispositif a été mis en place depuis avril 2019. Il met des véhicules à la disposition de femmes victimes de violences devant quitter le domicile conjugal, afin de les conduire dans des centres d'hébergement d'urgence. Un protocole très précis a été établi et fonctionne. En 2020, une quinzaine de femmes ont bénéficié de ce dispositif, correspondant à 804 kilomètres parcourus au total.

Il est bien évidemment primordial de renforcer la mise à l'abri et de faciliter l'accès au logement. Dans le Finistère - dont Mme Nadège Havet, l'une des rapporteurs de cette délégation, est sénatrice - l'hébergement de femmes par des accueillants agricoles et ruraux permet de diversifier l'offre d'hébergement à destination des femmes victimes de violences. Elle implique la formation des accueillants et le dépassement d'un certain nombre de biais tels que l'isolement ou les difficultés de déplacement. De nombreuses questions annexes doivent être posées pour le déploiement de ce type de dispositif.

Favoriser l'insertion professionnelle des femmes constitue également un enjeu important dans la lutte contre les violences à leur encontre en milieu rural. Je n'ai pas évoqué la crise sanitaire, mais nous avons tous conscience qu'elle rend la situation plus difficile. Là encore, je crois que la FNCIDFF nous exposera tout à l'heure diverses expériences très intéressantes ayant été menées. L'autonomisation des femmes peut les amener à surmonter leur condition de victime.

La question posée était la suivante : faut-il apporter des réponses spécifiques ? Je suis en tout cas persuadée que nous devons apporter des réponses adaptées. Les constats ne sont peut-être pas drastiquement différents en ruralité et ailleurs. Le phénomène d'emprise est par exemple similaire entre les territoires. Les situations sont en revanche, de manière pratique et matérielle, très différentes. Certains facteurs culturels peuvent également entrer en jeu. Nous devons par conséquent y apporter des réponses adaptées.

J'ai essayé de citer un certain nombre de réponses. Une importante mobilisation et des partenariats me semblent essentiels pour les mettre en oeuvre. En zone rurale, je pense que nous disposons paradoxalement de nombreux facteurs permettant de développer le partenariat et les solidarités de façon très concrète sur les territoires.

Je vous remercie, Madame la présidente.

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